« Malice at the Palace »

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« Malice at the Palace ». C’est le nom donné à l’événement survenu en NBA le 19 novembre 2004, le plus incroyable du nouveau siècle et le plus traumatisant du mandat de David Stern en tant que commissionnaire. La vidéo de l’incident a été vue, revue, et retirée de YouTube pour violation des droits d’auteur plus que tout autre clip relatif à son sport. Bill Walton, alors commentateur pour ESPN, le qualifiera du « pire moment jamais vécu en trente ans de NBA ». Ce qui s’est passé cette nuit-là est allé bien au-delà des millions de dollars d’amendes et des nombreux matchs de suspension infligés par la ligue. Voici l’histoire en détail.

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1er juin 2004. Les Detroit Pistons éliminent de la course au titre les Indiana Pacers après une Finale de Conférence Est électrique. Les Pistons ont enlevé un sixième match décisif, profitant notamment des performances décevantes de Jermaine O’Neal et Jamaal Tinsley, deux des joueurs-clef d’Indiana. Quinze jours plus tard, Detroit bat les Lakers en finale pour remporter, à la surprise générale, le titre de champion NBA. Les Pacers ont ruminé leur défaite tout l’été ; sur le papier, leur équipe était meilleure que celle des Pistons, et ils avaient le sentiment d’avoir laissé passer leur chance. Bien qu’ayant des styles de jeu similaires, les deux équipes ne s’aimaient pas ; c’était une rivalité à l’ancienne, comme celle entre les Knicks et les Bulls. Le triomphe des Pistons a donc laissé les Pacers particulièrement amers.

Durant l’intersaison, Indiana renforce ses troupes en recrutant Stephen Jackson, un excellent petit ailier au jeu très intense. Avec Reggie Miller (futur Hall of Famer), l’intérieur Jermaine O’Neal (All-Star) et le défenseur de l’année Ron Artest, les Pacers se positionnent parmi les favoris dans la quête du titre. Les Pistons, quant à eux, conservent sans surprise les joueurs qui leur avaient permis de remporter le titre (le colosse Ben Wallace, son homonyme Rasheed, l’arrière Rip Hamilton, le meneur Chauncey Billups, et le longiligne ailier Tayshaun Prince) et renouvellent simplement leur banc : Corliss Williamson, Mehmet Okur et Mike James s’envolent vers d’autres horizons, pendant que Antonio McDyess, Carlos Delfino et Derrick Coleman rejoignent l’effectif.

Deux semaines à peine après le début de la nouvelle saison, les Pacers retrouvèrent les Pistons pour la première fois depuis leur défaite en play-offs, et dominèrent la rencontre. Les Pistons revinrent à moins de cinq points au quatrième quart-temps, avant de rater leurs dix tirs suivants. Indiana en profita pour creuser l’écart, grâce notamment à deux tirs à trois points d’Austin Croshere et de Stephen Jackson. Mais le match était devenu de plus en plus agité. Au cours du quart-temps, Rip Hamilton avait donné un violent coup de coude dans le dos de Jamaal Tinsley, qui aurait pu facilement valoir une faute flagrante. Finalement, à cinquante-sept secondes de la fin, Stephen Jackson réussit deux lancers francs pour donner à Indiana une avance insurmontable : 97 à 82.

À cet instant, le match était plié, mais la tension était toujours présente. On pouvait sentir des deux côtés une certaine animosité. Un membre de l’équipe des Pacers – dont l’histoire n’a pas retenu le nom – souffla à Ron Artest : « C’est bon, tu peux t’en faire un », ce qui signifiait qu’il pouvait régler ses comptes avec un joueur adverse. Artest décida de « se faire » l’intérieur Ben Wallace, qui l’avait balancé un peu plus tôt dans la structure du panier en bloquant son double-pas. Sur l’action suivante, il commit une grosse faute sur Wallace, en train de partir vers le cercle. En réaction, Wallace repoussa violemment Artest, le faisant reculer jusqu’à la table de presse.

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La colère de Wallace était compréhensible. Le match était terminé, et la faute inutile et d’une violence inhabituelle, ce qui explique sans doute pourquoi le joueur des Pistons a réagi comme il l’a fait. Mais Wallace traversait aussi une épreuve difficile : son frère Sam était décédé la semaine précédente et il revenait tout juste sur les parquets après avoir manqué deux matchs. Pendant que les arbitres et plusieurs joueurs des deux équipes cherchaient à éloigner un Wallace hors de lui, Artest décida inexplicablement de s’allonger sur la table de marque, les mains croisées derrière la tête, en attendant que tout se calme.

D’une certaine manière, Artest a fait preuve de provocation en se couchant sur cette table. Il a attrapé le casque radio d’un commentateur comme s’il allait s’adresser aux téléspectateurs, et paraissait plein d’arrogance. Il est resté allongé sur la table pendant une bonne minute et demie, sous les cris et les obscénités des supporters de Detroit. Les autres joueurs présents sur le terrain au moment de l’incident (O’Neal, Jackson, Tinsley et Fred Jones pour Indiana ; Rasheed Wallace, Hamilton, Hunter et Smush Parker pour Detroit), les entraîneurs et les arbitres étaient au milieu du terrain, en train de calmer Wallace. Personne ne se soucia donc de faire descendre Artest de la table. Fatigué, Wallace jeta finalement son brassard en direction de son adversaire, sans que celui-ci  réagisse.

C’est à ce moment-là que tout dégénéra.

En s’allongeant sur la table de marque, Artest avait éliminé les barrières entre les joueurs et la foule – en principe, le banc et les responsables de presse font séparation. Artest était toujours en position couchée lorsqu’un spectateur jeta sur lui un gobelet en plastique rempli de bière et de glaçons. Artest, qui avait un tempérament explosif, n’était pas du genre à prendre quelque chose au visage sans riposter : il s’est immédiatement levé, et a sauté par-dessus les journalistes pour charger dans les tribunes.

La suite est assez difficile à décrire car il se passa plusieurs choses en même temps. En cherchant à rejoindre les tribunes, Artest piétina Mark Boyle, le commentateur radio des Pacers, lui infligeant des micro-fractures à cinq vertèbres. Mike Brown, l’entraîneur assistant d’Indiana, tenta d’arrêter son joueur, rata son coup, et continua à le poursuivre jusque dans les gradins. Artest attrapa celui qu’il croyait être le lanceur et le secoua violemment, sans s’apercevoir que le vrai coupable était son voisin. (Contrairement à la rumeur, il n’a frappé personne ; il a juste attrapé l’individu par le col.) Les autres spectateurs, voulant défendre l’agressé, s’en prirent aussitôt à lui.

Le spectateur qui avait réellement jeté le gobelet (un certain John Green) tenta d’attraper Artest par le cou. Au même moment, un autre spectateur jeta une bière sur Artest à bout portant, aspergeant au passage Stephen Jackson, venu prêter main-forte à son équipier. Jackson, aussi soupe-au-lait qu’Artest, riposta avec un grand coup de poing. Fred Jones, qui avait rejoint les deux joueurs, évita de peu une énorme droite lancée par David Wallace, un autre frère de Ben. Et Mike Brown, qui essayait de faire sortir Artest des tribunes, se fit lâchement frapper par derrière par Green. Les joueurs et les entraîneurs des deux équipes se précipitèrent alors à leur tour pour tenter d’arrêter les dégâts.

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La réaction d’Artest, aussi excessive soit-elle, était prévisible. Si vous faites défiler la liste des trente équipes ayant joué la saison 2005, et que vous vous demandez quels sont les deux équipiers les plus à même de déclencher une bagarre dans les tribunes, les grands favoris sont Artest et Jackson, deux joueurs qui pouvaient disjoncter subitement sans étonner personne. Quand on sait que les supporters des Pistons ont été hostiles toute la soirée, aucune personne suivant régulièrement la NBA n’a été surprise de voir Ron Artest et Stephen Jackson en train de se battre avec les spectateurs au troisième rang du Palace. (Jackson a d’ailleurs largement surpassé son équipier, envoyant des rafales de coup de poing dans les gradins comme s’il était en pleine crise de nerfs.)

À cet instant, le match se transforma en un véritable chaos. Jermaine O’Neal, qui voulait suivre le mouvement, en fut empêché par son garde du corps personnel. Jamaal Tinsley envoya valser un journaliste du Detroit News, qui lui barrait l’accès aux tribunes, et rejoignit la mêlée. Elden Campbell quitta le banc et, avec Rasheed Wallace, monta à son tour dans les gradins pour essayer de calmer les choses. Rick Mahorn, l’ancien « Bad Boy » devenu commentateur radio, tenta de séparer tout le monde, en s’efforçant de protéger les marqueurs officiels qui se trouvaient à ses côtés. Derrick Coleman prit sous son aile les ramasseurs de balle, dont le jeune fils de Larry Brown, l’entraîneur des Pistons. Les autres joueurs des Pistons – Darvin Ham, Antonio McDyess et Tayshaun Prince – restèrent sur le parquet, incrédules, à regarder le spectacle.

La question que l’on peut se poser à ce moment là est : mais que faisait la sécurité ? Il n’y en avait aucune. Le Place d’Auburn Hills était l’une des plus grandes arènes de la NBA et pouvait accueillir 22 000 personnes. Les agents de sécurité auraient dû grouiller dans le bâtiment, mais il n’y avait que trois policiers, tous dépassant la cinquantaine, pour gérer les choses. Aucun d’entre eux n’a pu empêcher les gens de sauter les uns par-dessus les autres et se joindre à la bagarre. Calmer les joueurs était tout aussi impossible ; lorsqu’un garde prénommé Mel tenta d’attraper O’Neal par la taille, celui-ci le balança au loin comme une poupée de chiffon. Un spectacle incroyable.

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Artest est resté dans les tribunes pendant quarante secondes, avant de se faire tirer vers le banc d’Indiana. De bonnes âmes tentaient de séparer les fans et les joueurs, mais la situation ne se calmait pas. Au contraire, elle semblait devenir de plus en plus périlleuse. La sécurité en sous-effectif était tellement préoccupée par ce qui se passait dans les tribunes que plusieurs personnes en profitèrent pour descendre sur le parquet et défier les joueurs. Alvin Shackleford et Charlie Haddad, deux supporters des Pistons, approchèrent d’Artest, dont le maillot était déchiré, et une nouvelle altercation s’ensuivit. Artest frappa Shackleford, et Jermaine O’Neal, arrivé en renfort, mit Haddad K.O. d’un énorme coup de poing. Il le frappa avec une telle violence que s’il n’avait pas glissé sur du liquide répandu au sol avant de le frapper, il l’aurait peut-être tué.

La vue des spectateurs frappés par Jackson et O’Neal a rendu les fans des Pistons encore plus furieux. Ils ont hué de plus belle et se sont mis à lancer sur le terrain tout ce qui leur tombait sous la main. Un supporter des Pistons a même jeté dans les tribunes une chaise en métal, occasionnant des blessures à plusieurs spectateurs. À cet instant, la police, introuvable pendant les dix premières minutes, entra enfin en action avec des sprays au poivre. Reggie Miller, qui ne jouait pas et avait suivi le match depuis le banc des Pacers en tenue de ville, supplia les policiers de ne pas l’asperger : « S’il vous plaît, non ! Je porte un costume à cent dollars ! » Le consultant NBA William Wesley quitta son siège, éloigna Artest de Haddad et Shackleford, et empêcha la police de le gazer, parvenant à le ramener de l’autre côté du terrain.

Tout le monde avait compris que les joueurs et les entraîneurs d’Indiana devaient rentrer au vestiaire le plus vite possible. Malheureusement, cela signifiait les escorter à travers le tunnel… au milieu des fans furieux. Larry Brown, l’entraîneur des Pistons, attrapa un micro pour demander aux supporters de se calmer, mais ce qui se déroulait sous ses yeux était tellement confus qu’il ne put prononcer un mot. Chaque fois que la situation paraissait sous contrôle, un nouveau combat éclatait. La violence était à son comble. Il y avait des blessés et des enfants en pleurs, dont le plus jeune fils de Darvin Ham, que les caméras de télévision montrèrent en train de sangloter, consolé par son frère. À cet instant, personne n’aurait été étonné de voir quelqu’un sortir un couteau ou un revolver. C’est dire à quel point la situation était inquiétante.

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Artest fut raccompagné vers les vestiaires sous une pluie de déchets et de projectiles. Stephen Jackson le suivit, en hurlant et en agitant les bras avec un air de défi pendant que les gens lui jetaient de la bière. O’Neal lui emboîta le pas, s’arrêtant pour insulter un fan qui avait jeté un objet, avant de se faire éloigner par Wesley et d’autres. Jamaal Tinsley, qui avait quitté le terrain, revint en brandissant un balai au-dessus de sa tête, mais fut renvoyé dans les vestiaires avant qu’il ne puisse en découdre. Finalement, de manière inattendue, les joueurs et les entraîneurs des Pacers sortirent tous en sécurité.

Une fois dans les vestiaires, les joueurs et les entraîneurs des Pacers restèrent debout, incrédules, en se demandant quoi faire. L’ambiance était surchauffée et les joueurs très en colère. Rick Carlisle, l’entraîneur, tenta de calmer les esprits, mais il fut pris à partie par O’Neal, qui l’accusa d’être intervenu à mauvais escient. Une nouvelle bagarre entre les joueurs et l’encadrement faillit s’ensuivre. Ce fut en voyant l’état de Mike Brown, les vêtements trempés et déchirés et la bouche pleine de sang, que les deux camps prirent conscience qu’ils étaient dans le même bateau et finirent par se calmer. Le match fut officiellement annulé avec 45,9 secondes à jouer. Score final : Indiana 97, Detroit 82.

Mais la soirée n’était pas encore terminée pour les Pacers. Ils devaient encore sortir de l’arène sans qu’aucun membre de l’équipe ne soit arrêté. Les policiers voulaient appréhender Artest, Mike Brown (accusé d’avoir agressé un spectateur par derrière) et un autre joueur. Mais le deuxième entraîneur assistant des Pacers, Kevin O’Neill, a rapidement envoyé tout le monde dans le bus qui les avait amenés jusqu’à l’arène. Les policiers ont voulu faire descendre les joueurs, qui ont refusé, et après avoir longuement discuté, O’Neill a obtenu des services de police qu’ils n’arrêtent personne, et interrogent les joueurs ultérieurement après examen de la vidéo.

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En fin de compte, la bagarre s’est bien terminée ; de manière incroyable, personne n’a été gravement blessé. Mais il était évident que des sanctions seraient prises. La ligue a agi dès le lendemain. David Stern a publié une déclaration qui commençait ainsi :

« Les événements du match d’hier soir étaient choquants, répugnants et inexcusables. Ils ont couvert de honte toutes les personnes associées à la NBA. Ceci démontre pourquoi nos joueurs ne doivent pas monter dans les tribunes, quels que soient les provocations ou le comportement des personnes assistant aux matchs. Une enquête est en cours et je m’attends à ce qu’elle soit terminée d’ici demain soir. »

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Épilogue

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Ron Artest a été suspendu sans salaire pour le reste de la saison 2004-2005. Il a raté 86 matchs (73 de saison régulière et 13 de play-offs) et a purgé la suspension non-relative à la drogue la plus longue de l’histoire de la NBA. Il a également dû payer près de 5 millions de dollars d’amende. La saison suivante, Artest n’a joué que 16 matchs pour Indiana ; il a été placé sur la liste des joueurs inactifs, puis, le 25 janvier 2006, a été échangé à Sacramento contre Peja Stojakovic.

Stephen Jackson a été suspendu pour 30 matchs (sans salaire).

Jermaine O’Neal a été suspendu pour 25 matchs (sans salaire), avant de voir sa sanction réduite à 15 matchs.

Anthony Johnson, le meneur remplaçant des Pacers, a été suspendu cinq matchs (sans salaire).

Reggie Miller a été suspendu un match.

Ben Wallace a été suspendu six matchs.

Chauncey Billups, Elden Campbell et Derrick Coleman ont été suspendus un match.

John Green (le spectateur qui avait jeté le gobelet sur Artest) a été condamné à 30 jours de prison et deux ans de mise à l’épreuve pour voies de fait et coups et blessures.

Charlie Haddad, le spectateur assommé par O’Neal, a déposé plainte contre Anthony Johnson, O’Neal et les Pacers. O’Neal a été condamné à payer 1 686,50 $ à Haddad, qui a reçu une peine de deux ans de probation pour être entré sur le terrain sans autorisation et déclenché une bagarre. Il a été condamné à 100 heures de travaux d’intérêt général et à suivre un programme de travail de dix week-ends consécutifs dans un comté.

David Wallace a été condamné à un an de mise à l’épreuve et à des travaux d’intérêt général.

Bryant Jackson, le spectateur qui avait jeté la chaise dans les gradins, a été retrouvé après la diffusion sur internet de la vidéo de l’incident par la police locale. Il a été accusé d’agression et de coups et blessures, et a été condamné à une peine de probation de deux ans et à une amende de 6 000 $.

O’Neal, Artest, Jackson, Johnson et le pivot remplaçant des Pacers David Harrison ont accusés de voies de fait et de coups et blessures. Les procureurs du comté d’Oakland les ont condamnés à 250 $ d’amende chacun et un an de travaux d’intérêt général avec sursis. Cinq supporters des Pistons (John Green, William Paulson, Bryant Jackson, John Ackerman et David Wallace) ont été bannis du Palace à vie.

Les Pistons ont à nouveau rencontré les Pacers au deuxième tour des play-offs de 2005. Ils l’ont emporté en six matchs et sont allés jusqu’en finale pour la deuxième année consécutive, perdant contre San Antonio après une série de sept matchs extrêmement serrée.

Juste avant la bagarre, les Pacers avaient plié le match face aux Pistons et s’étaient légitimement positionnés en tant que l’équipe à battre en 2005. En l’espace de cinq minutes, tout est parti en fumée. L’année suivante, ils ont perdu au premier tour contre New Jersey, puis ont raté les play-offs les quatre années suivantes. Reggie Miller a pris sa retraite ; O’Neal est devenu une star grincheuse et trop payée exploitant mal son talent ; Jackson et Jamaal Tinsley ont été arrêtés après une fusillade à l’extérieur d’un club de strip-tease ; et Shawne Williams a été arrêté pour possession de marijuana en 2007. Les Pacers ont échangé Jackson à Golden State en 2007 contre Mike Dunleavy et Troy Murphy, O’Neal a fait ses bagages pour Toronto en 2008 et Tinsley est parti en 2009 après avoir reçu l’interdiction de jouer suite à l’incident du strip-club. Les fans en sont arrivés à détester tellement l’équipe que les Pacers ont affiché le plus mauvais taux d’affluence de la ligue, avec 12 000 sièges occupés en moyenne par match contre 17 000 avant l’incident du Palace, et ils ont failli déménager après avoir perdu 30 millions de dollars en 2009. Avec Larry Bird en tant que président des opérations, ils ont fini par se reconstruire avec des joueurs comme Danny Granger, Paul George et Tyler Hansbrough. Mais cela a duré six ans, et l’équipe a souffert de façon spectaculaire.

La NBA, pour finir, a tiré les leçons de l’incident et instauré de grands changements, concernant notamment la politique de la ligue en matière d’alcool et les relations entre les joueurs et les supporters. Comme Stern l’a déclaré un an après la mêlée :

« Premièrement, les joueurs ne peuvent pas monter dans les tribunes. Ils doivent laisser faire la sécurité et ne pas se faire justice eux-mêmes. Deuxièmement, les supporters doivent être responsables car ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent juste en achetant un billet. Troisièmement, nous devons continuer à revoir et mettre à jour nos procédures sur la sécurité et le contrôle des foules. »

Most Valuable Player (4/4) : Catégorie 3 : les injustices totales

Ce dossier en quatre parties est la traduction française quasi-exhaustive des réflexions du journaliste sportif américain Bill Simmons. Tous les droits sur ce texte lui sont réservés.

Les nombres cités après le nom d’un joueur dans cet article représentent le nombre de votes obtenus pour la première, seconde, troisième, et éventuellement quatrième et cinquième place. Dans le cas de Magic Johnson, par exemple, les nombres 27-38-15-7-4 signifient qu’il avait été voté 27 fois premier, 38 fois deuxième, 15 fois troisième, 7 fois quatrième et 4 fois cinquième.

Source des photos : http://www.nba.com

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Il y a huit injustices en tout. Nous les classerons en commençant par la moins scandaleuse.

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8. Kobe Bryant (2008)

Il a râlé pour être échangé et a critiqué ses coéquipiers avant le début de la saison. Il a joué les premières semaines en mode croisière avant de se « réconcilier » avec ses coéquipiers, puis s’est engagé complètement avec l’arrivée de Gasol. À partir de là, tout le monde a passé les deux mois suivants à parler de l’année de Kobe, qu’il avait finalement « compris », qu’il n’avait jamais joué un basket aussi complet, qu’il était devenu un leader sur et en dehors du terrain, et qu’il allait jusqu’à dîner avec ses équipiers et prendre son chèque en personne.

Ce conte de fées révisionniste a pris de l’ampleur après les trois premiers tours de play-offs avant de tomber en flammes lors de la finale, quand Kobe n’a pas fait un seul excellent match et a complètement raté le Match 6 décisif (perdu avec un surprenant manque de combativité). Les Lakers ont volé en éclats dès que les choses ont commencé à se corser, prouvant que cette histoire de « Kobe est un leader » était de la foutaise totale.

Le trophée aurait dû revenir à Chris Paul. Aucune équipe et aucune ville n’avait un joueur plus important. Sinon, ç’aurait dû être Garnett, sauveur du basket à Boston, qui a appris à tout le monde à défendre, a porté son équipe avec une intensité folle pendant 82 matchs, et a même convaincu James Posey, Eddie House et PJ Brown de réduire leur salaire pour jouer avec lui. Mais tout le monde s’est laissé entraîner par le ramdam autour de Kobe. Passons là-dessus.

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7. Steve Nash (2005)

Un choix déroutant et de plus en plus déconcertant à mesure que le temps passe. Quand les règles ont été changées pour limiter l’usage des mains en défense, inaugurant le retour d’un basketball palpitant, Nash s’est imposé comme le leader du formidable jeu offensif de Phoenix. Tout le monde était captivé en voyant que quelqu’un avait revitalisé la position de meneur en lui redonnant un aspect à la Cousy ; à un moment donné, les choses ont exagéré et les journalistes ont commencé à citer Nash comme candidat pour le MVP, ce qui semblait une idée saugrenue, car cela aurait été la première fois : (a) qu’un joueur qui s’appuyait sur ses coéquipiers allait remporter le prix ; (b) qu’un joueur incapable de porter une franchise allait remporter le prix ; et (c), qu’un joueur qui ne savait pas défendre allait remporter le prix. Trois énormes révolutions.

Ceux qui ont rejoint le comité de soutien à Nash pour le MVP l’ont-ils fait pour des raisons raciales ? D’une certaine manière, oui. À la base, voter pour Nash, c’était amusant. C’était un Canadien aux cheveux longs bourré d’énergie qui faisait des gestes longtemps oubliés (comme le running hook, sa marque de fabrique), savait comment gérer les contre-attaques, rendait ses coéquipiers meilleurs et se comportait toujours avec classe. Son style (unique et passionnant) et sa couleur de peau (blanc dans une ligue à prédominance noire) le faisait ressortir plus que quiconque en match. Au-delà de ça, il a été la nouvelle grande mode de la ligue, et les journaux et radios ont commencé à s’interroger : « Steve Nash est sympa à voir jouer, pourquoi ne serait-il pas élu MVP (1) ? »

À partir de là, ça a fait boule de neige. Lorsque Shaquille O’Neal a eu de petites blessures et que Dwyane Wade a intensifié son jeu à la hauteur d’un Jordan du pauvre, il y avait juste assez de défauts dans la campagne MVP de Shaq pour que la porte s’ouvre pour Nash, soutenu par une flopée de commentaires médiatiques (dans les journaux ou à la radio) du genre : « Ça fait vraiment plaisir de voir un joueur si altruiste et avec autant de classe », une jolie façon de dire : « Je suis content que ce ne soit pas un de ces Noirs égoïstes pleins de tatouages, qui martèlent leur poitrine après chaque belle action. » Le soutien à Nash est alors devenu frénétique. Ajoutez l’intérêt qu’avait la NBA à ce que Nash soit élu (rappelez-vous, le joueur considéré comme la tête d’affiche de la ligue avait été aux prises avec un procès pour viol à peine douze mois plus tôt) et au moment des récompenses, il y avait juste assez de personnes atteints par la logique du « vote par défaut » pour que le pauvre Shaq se fasse voler.

Les résultats du vote en 2005 : Nash : 1 066 (65-54-7-1-0) ; Shaq : 1 032 (58-61-3-3-1) ; Nowitzki : 349 (0-4-43-30-16) ; Duncan: 328 (1-0-40-13-19) ; Iverson : 240 (2-4-20-20-55). (Au passage, un idiot a donné un vote de première place à Amar’e Stoudemire, dont la carrière avait été relancée et réinventée par Nash. C’est comme donner un vote pour le Prix Nobel de Médecine au monstre de Frankenstein à la place du Dr Frankenstein.)

Le vote aurait dû être remporté par Shaq, en raison d’un simple exercice mathématique s’articulant autour de deux faits indiscutables :

  1. Les Lakers ont remporté 57 matchs en 2004 et 34 matchs en 2005.
  2. Miami a remporté 42 matchs en 2004 et 59 matchs en 2005.

Pas besoin d’être une bête en stats pour comprendre ces chiffres. Shaq a fait pencher la balance sur 40 matchs, a redonné sa supériorité à la Conférence Est, et aurait remporté le titre si Wade ne s’était pas blessé alors que Miami menait 3-2 en finale de la Conférence Est. Cette année a été particulière pour lui car les gens avaient fini par le comprendre. Sa saison a été exceptionnelle, mais moins au niveau de son jeu que de sa personnalité. Il n’y avait aucun athlète plus apprécié, plus charismatique et plus amusant. Quand on pense à la saison 2004-2005, on pense d’abord à Shaq, et c’est la définition même d’un MVP. En tout cas, c’est la mienne.

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6. Magic Johnson (1990)

Cette année-là, les trois postulants au titre étaient :

Magic (22 points, 12 rebonds, 7 passes décisives de moyenne en 79 matchs et 2 937 minutes jouées pour 63 victoires) : à cette époque, le pire défenseur du monde. On lui a attribué le mérite d’avoir gardé les Lakers sur de bons rails en l’absence d’Abdul-Jabbar, même s’ils étaient meilleurs avec le duo Vlade Divac / Mychal Thompson. Ses quatre meilleurs équipiers : James Worthy, Byron Scott, AC Green et Divac. Moyenne en play-offs (9 matchs, défaite au second tour) : 25 points, 6 rebonds, et 13 passes décisives, 49 % de réussite au tir. La plus faible des trois années où il a été élu MVP.

Barkley (25 points, 12 rebonds, 4 passes décisives et 1,9 interceptions de moyenne, plus 60 % de réussite au tir en 79 matchs et 3 085 minutes jouées pour 53 victoires) : une défense en-dessous de la moyenne. Ses quatre meilleurs coéquipiers : Johnny Dawkins, Rick Mahorn, Hersey Hawkins et Mike Gminski. Moyenne en play-offs (10 matchs, défaite au second tour) : 25 points, 11 rebonds et 6 passes décisives, 54 % de réussite au tir. A été le joueur le plus complet cette année-là et a obtenu le plus de votes de première place au scrutin du MVP.

Jordan (34 points, 7 rebonds, 6 passes décisives et 2,8 interceptions de moyenne, plus 53 % de réussite au tir en 82 matchs et 3 197 minutes pour 55 victoires) : meilleur marqueur et meilleur intercepteur du championnat. Dans le cinq défensif majeur de la NBA. Ses quatre meilleurs coéquipiers : Scottie Pippen, Horace Grant, Bill Cartwright et John Paxson. Moyenne en play-offs (18 matchs, défaite en finale de la Conférence Est) : 37 points, 7 rebonds et 7 passes décisives, 51 % de réussite au tir.

Le résultat du vote ? Magic : 636 (27-38-15-7-4) ; Barkley : 614 (38-15-16-14-7) ; Jordan : 571 (21-25-30-8-5).

Tout le monde se souvient de la raclée qu’un Jordan ravagé par la grippe a mise à Barkley. Regardez ses statistiques offensives supérieures et rappelez-vous d’une part qu’il était le meilleur arrière défenseur de la ligue, et d’autre part que Barkley et Magic ne pouvaient pas défendre sur qui que ce soit. (Si les Lakers ont été surpris par Phoenix au cours des play-offs de 1990, c’est principalement parce que Kevin Johnson les a déchirés en lambeaux. Si vous étiez un meneur rapide entre 1987 et 1991, et que vous n’arriviez pas à vous promener contre les Lakers, vous aviez vraiment besoin de réévaluer les choses.)

Pourquoi Jordan n’a-t-il pas remporté le prix ? Tout d’abord, les médias continuaient à répéter les mêmes bêtises selon lesquelles Bird et Magic « savaient comment gagner » et que Jordan « ne savait pas encore gagner ». (Quelle farce.) Deuxièmement, Barkley était un peu devenu le choix à la mode, l’homme fort d’une équipe des Sixers agitée qui a pris part à une mémorable bagarre avec Detroit le dernier jour de la saison. Et troisièmement, Jordan était toujours vu comme un joueur « égoïste », même s’il mettait 53 % de ses tirs. Pourquoi ne pas le laisser tirer autant que possible ?

Quand tout le monde le traitait de croqueur de ballon en 1989 et 1990, Jordan avait une moyenne de 7,2 passes décisives, 23,2 points et 8,5 lancers-francs par match. En 1993, quand tout le monde affirmait qu’il s’était parfaitement intégré dans le triangle, avait la confiance de ses coéquipiers, etc., etc., il affichait en moyenne 5,5 passes décisives, 25,7 points et 7,3 lancers-francs par match. Jordan a commencé à atteindre des sommets vers 1988, et il a fallu à ses coéquipiers médiocres trois années complètes pour arrêter de gâcher son travail une fois l’été venu. C’est le MVP 1990.

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Dave Cowens

5. Dave Cowens (1973)

Une combinaison de quatre facteurs a joué cette saison : Boston a presque battu le record de victoires en saison régulière en alignant 68 victoires pour 14 défaites (de sorte que tout le monde s’est senti obligé de voter pour un Celtic) ; Kareem avait remporté le trophée en 1971 et 1972 (de sorte que tout le monde s’est senti obligé de voter pour quelqu’un d’autre) ; la ligue entrait doucement dans l’ère « les joueurs sont trop payés et s’en foutent » (de sorte qu’un joueur aussi passionné que Cowens se détachait) ; et les joueurs (qui votaient encore) ne se sont pas aperçus que Boston partageait sa division avec Buffalo (21 victoires, 61 défaites) et Philadelphie (9 victoires, 73 défaites, confortant leur record du pire début de saison avec 14 défaites et aucune victoire), tandis que Milwaukee terminait à 60 victoires pour 22 défaites dans une division plus difficile et avait le même différentiel de points que Boston.

En outre, on ne pouvait pas vraiment dire qui était le meilleur joueur des Celtics : Cowens (21 points, 16 rebonds, 4 passes décisives de moyenne, gros travail sous le panier), John Havlicek (24 points, 7 rebonds, 7 passes décisives, régulateur de jeu), et Jo Jo White (19 points, 6 rebonds, 6 passes décisives, maîtrise du ballon) étaient tout aussi indispensables. Difficile de dire si Cowens était plus précieux que Havlicek. Même les résultats le reflètent : Cowens : 444 (67-31-16) ; Kareem : 339 (44-24-27) ; Nate Archibald : 319 (44-24-27) ; Wilt : 123 (16-12-15) ; Havlicek : 88 (16-12-15). Visiblement, le bulletin de vote 1973 avait besoin d’un choix de co-MVP.

Pendant ce temps, le meilleur joueur de la ligue (Abdul-Jabbar) avait une moyenne de 30 points, 16 rebonds et 5 passes décisives, et défendait excellemment bien pour des Bucks aux prises avec une cascade de blessures, la curieuse affaire Wali Jones que son club a fini par libérer (2), et les problèmes de poids de Robertson. En plus de cela, il fut frappé par une tragédie lorsque sept coreligionnaires vivant dans sa maison de Washington furent assassinés par une faction musulmane rivale. (Un article de Sports Illustrated sur Kareem daté du 19 février a même titré « Un pivot dans la tempête ».) Et vous savez quoi ? Les Bucks ont quand même gagné 60 matchs.

En fait, ce qui s’est passé est simple : la candidature de Kareem a été plombée par un soutien douteux apporté à Archibald, premier joueur à être en tête de la ligue au nombre de points marqués et de passes décisives, avec, en plus de cela, le plus grand nombre de minutes jouées (3 681 !), de paniers marqués, de lancers-francs marqués, de tentatives de tir et de tentatives de lancers-francs pour une équipe à 36 victoires qui a raté les play-offs. Peut-on vraiment être le joueur ayant « le plus de valeur » au sein d’une équipe ayant perdu 46 matchs ? Ne parlons même pas du jeu insensé d’un meneur affichant en moyenne près de 27 tirs et 10 tentatives de lancers francs par match. Isiah Thomas aurait pu accaparer la balle de cette manière tout comme Chris Paul, Kevin Johnson ou Tim Hardaway avant sa blessure au genou. Aucun ne l’a fait. Pourquoi ? Parce qu’ils auraient plombé leurs équipes ! C’étaient des meneurs ! L’année 1973 de Tiny est unique dans l’histoire, et c’est sans doute bien mieux comme ça. Bref, tout ça pour dire que Kareem a été volé.

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4. Charles Barkley (1993)

La course au MVP 1987 est sans doute la meilleure de l’ère moderne. Magic a terminé premier avec une remarquable moyenne de 24 points, 12 rebonds et 6 passes décisives, et a enfin supplanté Kareem à la tête des Lakers. Jordan a marqué 37 points par match, est devenu officiellement le grand joueur du futur et a terminé deuxième. Et c’était la meilleure saison de Bird : 28 points, 9 rebonds, 8 passes décisives de moyenne, 53 % de réussite au tir, 40 % de réussite à 3 points, 90 % de réussite au lancer-franc et une superbe permanente blonde. Il a terminé troisième et loin derrière seulement parce que tout le monde en avait assez de voter pour lui. Quand le meilleur ailier et le meilleur meneur de jeu de l’histoire sont à leur sommet et que le plus grand joueur de l’Histoire vient s’intercaler là-dedans, c’est une sacrée course au MVP.

En 1993, la qualité des trois premiers était équivalente à celle des années 1962, 1963 et 1964, ainsi que les rivalités consécutives Bird-Magic-Jordan en 1987 et 1988. Voici les résultats :

Barkley : 835 votes (59-27-10-2-0) : 26 points, 12 rebonds, 5 passes décisives de moyenne, 52 % de réussite au tir, 62 victoires. La saison où il a été le plus complet.

Olajuwon : 647 (22-42-19-12-2) : 26 points, 13 rebonds, 4 passes décisives de moyenne, 53 % de réussite au tir, 150 interceptions, 342 contres (en tête de la ligue), dans le cinq défensif majeur de la NBA, 55 victoires. À l’époque, sa saison la plus complète.

Jordan : 565 (13-21-50-12-2) : 33 points, 7 rebonds, 6 passes décisives de moyenne, 50 % de réussite au tir, 221 interceptions (en tête de la ligue) dans le cinq défensif majeur de la NBA (3), 57 victoires. A conservé son statut de joueur dominant cette saison.

Pensez un peu : vous avez là les meilleures saisons de trois des vingt meilleurs joueurs de tous les temps ! Malheureusement, quatre-vingt-six électeurs ont négligé le fait que Jordan et Olajuwon étaient deux des meilleurs défenseurs de l’histoire et que Barkley n’arrivait pas à stopper Ron Kovic. Normalement, une équipe de basket-ball a deux tâches : marquer et empêcher l’autre équipe de marquer ! Jordan aurait dû terminer premier, Hakeem deuxième et Barkley troisième. Et la finale de 1993, dans laquelle Jordan a carbonisé les Suns, aurait confirmé le bien-fondé de cette décision. Voilà.

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3. Steve Nash (2006)

En 2005, le choix de Nash était sympathique, principalement parce qu’aucun candidat ne se détachait et qu’il y avait nettement de quoi être influencé. C’était comme se dire : « Tiens, j’en ai marre de boire toujours la même bière, je vais en essayer une autre. » Mais en 2006 ? Nash était dans le top 5 des meilleurs joueurs de la ligue, mais pour le choisir comme MVP, il n’y avait que deux possibilités : soit vous ne regardiez pas assez de basket, soit vous vouliez voir un Blanc gagner deux titres de MVP consécutifs.

Le MVP de la saison 2006 était Kobe Bryant. C’était la réponse aux trois questions concernant le MVP. (Et aussi la réponse à la question 4 : aucun fan d’une équipe adverse n’aurait été outré par le choix de Kobe.)

Réponse à la Question N°1 : Kobe a marqué 62 points dans les trois premiers quarts-temps contre Dallas, puis 81 contre Toronto quelques semaines plus tard. Il était sur le point de devenir le cinquième joueur de l’histoire de la NBA avec une moyenne de 35 points par match (avec Wilt Chamberlain, Jordan, Baylor et Rick Barry). Il s’est entendu avec Shaq, avec Phil Jackson et avec Nike. Aucun autre joueur n’a été autant critiqué par les journalistes, les télévisions et les animateurs radio au cours de cette saison, mais Kobe a paru se nourrir de cette énergie négative. Et juste au moment où il semblait que la fatigue allait le rattraper, il marquait 50 points en un match juste pour ne pas être oublié. Kobe a été impitoyable. C’est la meilleure façon de décrire sa saison. Ses stats ? 35,4 points, 5,3 rebonds et 4,5 passes décisives de moyenne, 45 % de réussite au tir à 27,2 tentatives par match et un gros temps de jeu. Et il a remporté 45 victoires avec Smush Parker, Kwame Brown, Brian Cook et Chris Mihm, un quatuor surnommé par les fans des Lakers de l’époque « le Sandwich à Merde ».

Réponse à la Question N°2 : Kobe était le joueur le plus complet de la ligue, le meilleur marqueur, le meilleur compétiteur, et il terrifiait tout le monde. Et si vous ne le choisissez pas, il va personnellement veiller à ce que vous ne voyiez que lui dans l’équipe adverse.

Réponse à la Question N°3 : si vous remplacez Kobe par un bon arrière (par exemple Jamal Crawford), les Lakers auraient gagné en 2006 entre 15 et 20 matchs. C’est absolument certain. Leur équipe était horrible. Lorsque Smush Parker et Kwame Brown sont vos troisième et quatrième meilleurs joueurs, vous ne devriez même pas être autorisé à regarder les play-offs à la télévision. Avec Kobe, les Lakers ont réussi à gagner 45 matchs. Il a donc été responsable de 25 de leurs victoires. Minimum.

Les résultats du vote en 2006 ? Nash : 924 (57-32-20-8-6) ; LeBron James : 688 (16-41-33-23-7) ; Nowitzki : 544 (14-22-25-36-17) ; Kobe : 483 (22-11-18-22-30) ; Chauncey Billups : 430 (15-13-22-18-25).

(J’abandonne.)

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2. Willis Reed (1970)

Après la retraite de Russell, les Celtics se sont trouvés en difficulté et les Knicks ont pris le commandement à l’Est. En 1970, ils ont remporté 60 matchs (record de la ligue), enflammé Manhattan et sont devenus les chouchous des médias. Leurs deux meilleurs joueurs étaient Reed et Frazier : Reed avait une moyenne de 22 points et 14 rebonds par match, tirait à 50 % de réussite et protégeait ses coéquipiers ; Frazier avait une moyenne de 21 points, 6 rebonds et 8 passes décisives, défendait sur le meilleur marqueur adverse et aurait été le meilleur intercepteur de la ligue si la statistique avait été prise en compte à l’époque. Si une saison nécessitait deux MVP, c’était bien celle-là.

Comme tout le monde pensait que les pivots avaient plus de valeur que les autres joueurs, Reed (498 votes, 61-55-28) devança de peu Jerry West (457 votes, 51-59-25). Et plus personne n’en a reparlé.

Eh bien, regardez à nouveau la saison de West. Il avait une moyenne de 31 points, 5 rebonds et 8 passes décisives pour une équipe des Lakers à 46 victoires qui avait perdu Wilt après 12 matchs suite à une déchirure au genou (il n’a plus joué en saison régulière) et dont les deux autres meilleurs joueurs (Baylor et Bonne Hairston) ont raté 55 matchs à eux deux. Les quatre meilleurs joueurs sur la liste après eux ? Mel Counts, Dick Garrett, Keith Erickson et Rick Roberson. Les Lakers ont terminé tant bien que mal deuxièmes à l’Ouest, puis Wilt est revenu pour les play-offs et ils se sont frayés un chemin jusqu’en finale.

Statistiquement, c’était la plus belle année de West : il était meilleur marqueur de la ligue, quatrième meilleur passeur, avait 50 % de réussite au tir et 83 % de réussite au lancers-francs. D’un point de vue plus général, West a porté les Lakers toute la saison et les a faits passer à une victoire du titre. D’un point de vue du joueur dominant, si vous aviez à choisir quelqu’un pour combler l’écart entre la retraite de Russell et l’ascension d’Abdul-Jabbar, vous choisiriez West. Il est l’un des dix meilleurs joueurs de tous les temps et on l’a choisi pour représenter le logo de la NBA, mais il n’a jamais remporté de MVP. Pourquoi ne l’a-t-il pas eu en 1970 ? Parce que les médias de New York étaient trop occupés à faire les louanges des Knicks (qui, admettons-le, était belle à voir). C’était un cercle vicieux débile qui a duré huit mois. Un Knick devait obtenir le MVP, point barre. Le Logo n’avait aucune chance. Et on lui a volé le trophée.

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1. Karl Malone (1997)

Ce n’était pas une course au MVP, mais un vol pur et simple. En 1996, Jordan avait une moyenne de 30 points, 7 rebonds et 4 passes décisives pour une équipe à 72 victoires, a terminé avec 109 votes de première place et aurait été élu MVP à l’unanimité s’il n’y avait pas eu quatre abrutis pour voter Penny Hardaway, Hakeem Olajuwon et Malone (4). En 1997, les références de Jordan ont « chuté » à 69 victoires et une moyenne de 30 points, 6 rebonds et 4 passes décisives. En d’autres termes, il avait fait 98 % aussi bien que la saison précédente. Sauf que Malone a volé le trophée avec une moyenne de 27 points, 10 rebonds et 5 passes décisives pour une équipe du Jazz à 64 victoires. Voici les résultats du vote cette année-là :

Malone : 986 (63–48–4–0–0)
Jordan : 957 (52–61–2–0–0)

Ce qui s’est passé est difficilement explicable, mais voici un début de piste : Malone a tourné autour des électeurs du MVP pendant dix bonnes années et n’a jamais fait mieux que troisième. Pendant ce temps, la NBA était de plus en plus diluée : la ligue était aux prises aux problèmes d’expansion, quelques stars plus jeunes (Shawn Kemp, Penny Hardaway, Larry Johnson, Chris Webber, Kenny Anderson, Derrick Coleman) ne réussissaient pas aussi bien que prévu, et Barkley, Olajuwon, Robinson, Drexler et Ewing étaient sur la pente descendante, ce qui signifiait que Utah, une équipe qui était pire en 1997 qu’ils ne l’étaient en 1988 ou même 1992, est soudain devenu une grande force à l’Ouest.

Il n’y avait pas non plus de bonne histoire en 1997. Tout était phagocyté par Jordan. Les aventures de Shaq à Hollywood et de l’arrivée d’Iverson avaient été rabâchées jusqu’à épuisement. Tout comme celle des trois futurs Hall of Famers dans la même équipe (Olajuwon, Drexler et Barkley). Latrell Sprewell n’avait pas encore étranglé PJ Carlesimo (même s’il y a à coup sûr pensé). Les Grizzlies, les Spurs, les Celtics et les Nuggets ont passé les deux derniers mois à essayer désespérément de gagner la course à la dernière place pour obtenir Tim Duncan. À la mi-mars, dès que tout le monde a compris que les Bulls ne pourraient pas gagner 73 matchs, tout le monde s’est mis à bâiller en attendant les play-offs. Puis Jackie MacMullan, une journaliste de Sports Illustrated, a écrit dans sa chronique du 19 mars un article qui commençait ainsi :

Le Roi du Jazz

Malone, le Roi du Jazz, a l’envergure d’un MVP (au cas où vous ne l’auriez pas remarqué).

L’ailier du Jazz, Karl Malone, sait que Michael Jordan va une nouvelle fois être élu MVP. […]

Vous voyez l’idée. L’article contenait à peu près 800 mots sur la façon dont les performances de Malone avaient été sous-estimées avec les années (ce qui était vrai, à un certain degré). Quelques semaines plus tard, c’est devenu la belle histoire du jour. Pourquoi le « Mailman » ne serait-il pas élu MVP ? Une question stupide, car la réponse était évidente : « Parce qu’il y a Michael Jordan ! C’est insuffisant, comme raison ? » C’était difficile à croire.

Les play-offs sont arrivés et cinquante-trois électeurs ont préféré Malone à Michael Jordan. Et c’est ainsi que Jordan s’est fait voler le MVP 1997. Heureusement pour nous, il a crié vengeance en finale contre (devinez qui ?) Karl Malone et les Utah Jazz ! Dans le Match 1, après que Malone a raté deux lancers-francs pour prendre la tête dans les 20 dernières secondes, Jordan a claqué le panier gagnant au buzzer, s’est retourné et a serré le poing. Et là, tous ceux qui avaient voté pour le « Mailman » ont dû se sentir vraiment, vraiment, vraiment stupides.

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Première partie ici.

Deuxième partie ici.

Troisième partie ici.


 

(1) Ici, la question raciale n’entre pas en compte. S’il avait ressemblé à Earl Boykins, il se serait passé exactement la même chose. Les gens ont toujours tendance à favoriser les outsiders, surtout s’ils ont une coupe de cheveux ridicule.

(2) Les Bucks soupçonnaient Jones de prendre de la drogue. Ils l’ont fait suivre par des détectives privés, l’ont placé sur la liste des joueurs blessés/hors de forme pour « perte de poids et d’endurance », puis l’ont finalement viré. Jones a clamé son innocence et poursuivi les Bucks pour obtenir le reste de son salaire. Il a obtenu son argent quand la défense de Milwaukee s’est basée sur l’argument : « Quand quelqu’un maigrit et agit de façon irrationnelle, c’est qu’il prend de la drogue ». Il a eu à peu près autant de poids juridique que l’argument : « C’est elle qui l’a cherché ».

(3) Probablement le meilleur premier cinq défensif de l’histoire : Pippen, Olajuwon, Rodman, Jordan et Dumars, tous à leur meilleur niveau. Un joli cinq de départ dans les années 90, si vous vouliez tout casser en défense.

(4) Une excellente raison pour laquelle les votes pour le MVP devraient être rendus publics. Ceux qui font des choix aussi imbéciles devraient être obligé de les défendre. Je suis contre l’incompétence anonyme dans toutes ses formes. Il s’est passé la même chose en 1993, lorsque quatre journalistes ont été assez aveugles pour mettre Patrick Ewing en première place. Totalement ridicule.

Most Valuable Player (3/4) : Catégorie 2 : les MVP douteux et finalement injustes

Ce dossier en quatre parties est la traduction française quasi-exhaustive des réflexions du journaliste sportif américain Bill Simmons. Tous les droits sur ce texte lui sont réservés.

Les nombres cités après le nom d’un joueur dans cet article représentent le nombre de votes obtenus pour la première, seconde et troisième place. Dans le cas de Pettit, par exemple, les nombres 59-7-1 signifient qu’il avait été voté 59 fois premier, 7 fois second et 1 fois troisième.

Source des photos : http://www.nba.com

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Bob Pettit (1959)

Quand vous chargez des joueurs majoritairement blancs d’élire le MVP à une époque marquée par le racisme et le ressentiment envers les athlètes noirs, il y a forcément des trucs qui clochent. Dans les années 50, une règle tacite en vigueur dans la ligue limitait le nombre de joueurs noirs à seulement un ou deux par équipe ; même assez tard, en 1958, les Hawks n’avaient pas eu un seul joueur noir. Donc, le fait que Pettit (qui était blanc) ait remporté le MVP en 1959 de manière écrasante devant le MVP en titre et le plus important joueur de la ligue (Russell, un Noir) est assez suspect, surtout quand on sait que 90 % des votants étaient des Blancs.

Examinez les effectifs en 1958 et 1961 (quand Russell a gagné le trophée) et en 1959 (quand Pettit a gagné), prenez en compte leurs capacités défensives (Pettit était médiocre ; Russell était extraordinaire), et aidez-moi à comprendre de façon cohérente comment Pettit a presque obtenu le triple des voix de Russell au vote de 1959 sans mentionner une cagoule blanche. Voici les chiffres :

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Voici les résultats du vote de 1959 : Pettit : 317 (59-7-1) ; Russell : 144 (10-25-29) ; Elgin : 88 (2-20-18) ; Cousy : 71 (4-11-18) ; Paul Arizin : 39 (1-7-13) ; Dolph Schayes : 26 (1-6-3) ; Ken Sears : 12 (1-1-4) ; Cliff Hagan: 7 (1-4-0) ; Jack Twyman : 7 (0-1-4) ; Tom Gola : 3 (0-1-0) ; Dick McGuire : 3 (0-1-0) ; Gene Shue : 1 (0-0-1).

Voici ce qui est arrivé en play-offs : l’équipe des Lakers à 33 victoires de Baylor a surpris les Hawks de Pettit en finale de la Conférence Ouest, avant de se faire balayer par les Celtics en finale. Elgin a gagné le trophée de Rookie de l’Année et a terminé avec une moyenne de 25 points et 15 rebonds par match. Malgré cela, il a eu autant de premières places que le duo Sears-Schayes. Incroyable.

Le vote de cette année-là a certainement été le plus raciste de tous les temps. Il y a eu la victoire écrasante plus que bizarre de Pettit (qui a eu six fois plus de premières places que Russell !), une moitié de la ligue qui a ignoré Elgin, Cousy qui a devancé quatre fois Russell pour la première place et quatre autres joueurs blancs (Arizin, Schayes, Sears et Hagan) qui ont eu des premières places de façon inexplicable. On ne peut même pas jouer la carte du mérite pour Pettit parce qu’il avait déjà remporté le trophée en 1956. Et si vous croyez que la couleur de peau n’a rien à voir là-dedans, n’oubliez pas le contexte de l’époque (avant Martin Luther King, avant JFK, avant Malcolm X, avant les lois anti-ségrégation) et le climat (en base-ball, les Red Sox ont signé leur premier joueur noir en 1959 : l’immortel Pumpsie Green).

Alors, oui, les choses ont fini par changer ; certains de ces changements étaient déjà en vigueur en 1959. Mais Russell et Baylor poussaient le sport dans une meilleure direction et certains de leurs pairs n’étaient pas encore, comment dire… en phase avec ces nouveautés. C’est la seule explication de ce vote déséquilibré. On ne va pas crier au scandale, mais le vote de 1959 a été influencé par la bigoterie et il n’y a rien d’autre à ajouter. Cette saison-là, Russell était le MVP.

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Wes Unseld (1969)

Au cours de sa saison rookie avec les Bullets, Unseld s’est fait un nom en posant des écrans en béton armé et en faisant de magnifiques passes après rebond pour lancer les contre-attaques. Il avait une moyenne par match de 14 points et 18 rebonds, et un pourcentage de réussite au tir de 47 % pour une équipe à 57 victoires. Willis Reed a joué un rôle tout aussi important à New York, avec une moyenne de 22 points et 14 rebonds par match à 52 % de réussite au tir, pour une équipe des Knicks à 54 victoires. Pourtant, le total de voix obtenues par Unseld à l’élection du MVP a été de supérieur au double de celui de Willis (310-137), et Unseld a eu les honneurs du premier cinq majeur de la NBA. Au premier tour des play-offs, Reed et les Knicks ont collé un sweep à Baltimore, et tout le monde a eu l’air idiot (1).

Voici le problème : si vous donnez le titre de MVP au cinquième meilleur rebondeur de la ligue et qu’il ne vous rapporte que 20 points par match (dans le cas présent, 14 points et 3 passes décisives), mieux vaut pour lui qu’il soit en défense un mélange entre Russell et Dikembe Mutombo. Le pauvre Unseld ne mesurait que 2,01 m, ne défendait pas le cercle et n’avait rien d’extraordinaire au contre. Sa valeur ne reposait que sur des qualités subtiles, comme lancer des contre-attaques et poser des écrans. « Big Wes » était un merveilleux role player, le « petit plus » parfait pour un candidat au titre, quelqu’un qui rendait son équipe meilleure. Mais il n’a jamais été un joueur dominant.

Ça n’a pas eu l’air de déranger grand-monde. En fin de saison régulière, tout le monde avait décidé que le jeune Unseld avait quelque chose ; pour faire simple, il se démarquait plus que tous les autres. Ses passes de contre-attaque étaient jolies, ses écrans amusants et ses statistiques au rebond suffisamment bonnes pour qu’il fasse un MVP crédible sans être jeté hors de la salle sous les rires et les huées. Ce qui ne signifie pas qu’il était meilleur candidat que Willis, Billy Cunningham (25 points et 13 rebonds de moyenne pour une sympathique équipe des Sixers qui avait réussi sa saison au-delà de tout espoir), ou même un bouffeur de stats comme Wilt (21 points, 21 rebonds, des contres à la pelle et 59 % de réussite au tir). Comme pour Steve Nash en 2005 et 2006, nous avons eu droit à un vote par défaut : « Personne d’autre n’a l’air de sortir du lot, j’aime beaucoup le jeu de ce gars-là… Pourquoi pas ! »

En votant pour Wes, on avait l’impression de se sentir bien, de connaître son basket-ball et d’apprécier les subtilités du sport. L’année suivante, Unseld a réussi une meilleure saison (16 points et 17 rebonds de moyenne à 52 % de réussite au tir) pour une équipe des Bullets toujours aussi bonne, sauf qu’il ne faisait plus partie de l’équipe All-Star et qu’il n’était dans aucun des deux cinq majeurs de la NBA. En fait, il n’a plus jamais fait partie du premier ou du deuxième cinq majeur de la NBA et n’a joué que quatre autres All-Star Games. Vous savez ce que j’en dis ? J’en dis que les votants se sont rendu compte qu’ils s’étaient un peu emportés lors de l’élection du MVP 1969, un peu comme lorsqu’on envoie à une jeune fille une douzaine de roses après un premier rendez-vous.

Voici les résultats du vote : Unseld : 310 (53-14-8) ; Reed : 137 (18-11-14) ; Cunningham : 130 (15-16-8) ; Russell : 93 (11-8-22).

Je pense que Cunningham méritait le titre de MVP, et voici pourquoi : même après avoir refourgué Wilt à Los Angeles pour 45 % de ce qu’il leur avait coûté, Philadelphie a grappillé 55 victoires et la deuxième place dans une Conférence extrêmement dense. La clé ? Cunningham. Après la blessure au genou du solide rebondeur Luke Jackson au vingt-cinquième match, les Sixers de Jack Ramsey se sont mis à jouer small ball, faisant passer Cunningham en ailier fort avec les arrières Archie Clark, Hal Greer et le swingman Chet Walker. Ils faisaient pression tout-terrain, couraient autant qu’ils le pouvaient et se reposaient entièrement sur Cunningham, qui devait surmonter son déficit de taille (2,01 m), avaler un temps de jeu gargantuesque (il a disputé 82 matchs et joué 3 345 minutes en tout) et lutter tous les soirs contre des joueurs comme Elvin Hayes, Jerry Lucas, Gus Johnson et Dave DeBusschere.

Eh bien, non seulement Cunningham a réussi à s’en sortir, mais il a terminé troisième meilleur marqueur de la ligue et dixième aux rebonds. Dans une saison de transition sans un joueur dominant, cela reste l’exploit individuel le plus impressionnant de l’histoire de la NBA. Pour une raison quelconque, tout le monde était plus intéressé par les écrans et les passes de Wes Unseld. Mon vote va à Cunningham. (Même si le véritable scandale de cette saison est que Russell n’ait pas gagné le trophée d’entraîneur de l’année. Citez-moi un autre entraîneur qui jouait 45 minutes par match.)

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Bob McAdoo (1975)

L’un des vingt-cinq meilleurs joueurs de l’histoire (Rick Barry) a atteint son pinacle durant la saison régulière (31 points, 6 rebonds et 6 passes décisives de moyenne, meilleur intercepteur et meilleur tireur de lancer-francs de la ligue) pour une équipe qui a terminé première à l’Ouest. Il a ensuite porté les Warriors (qui n’étaient pas favoris) jusqu’en finale (où ils ont balayé Washington) en faisant des play-offs monstrueux (28 points, 6 rebonds, 6 passes décisives de moyenne et 50 interceptions en 17 matchs).

L’un des soixante-cinq meilleurs joueurs de l’histoire (McAdoo) a atteint son pinacle au cours de la même saison (35 points et 14 rebonds de moyenne, plus 52 % de réussite au tir en 3 539 minutes) pour une équipe qui a terminé troisième à l’Est, puis a perdu au premier tour en sept matchs à Washington, même s’il faut reconnaître que « Mac » a été monstrueux au cours de cette série, avec 37 points et 13 rebonds de moyenne pour 327 (!) minutes de jeu.

McAdoo a sans doute été un joueur offensif en avance sur son temps et il a fait une excellente année, mais les passes, l’altruisme et l’allure globale de Barry le séparaient de tout le monde. Malheureusement, nous étions encore coincés dans l’ère selon laquelle les big guys avaient plus de valeur que tous les autres, un état d’esprit qui n’a pas été aidé par le manque de titres obtenus par Oscar et West dans les années 60, et qui n’a pas changé jusqu’à l’arrivée de Bird et Magic.

Mais ce n’est pas le plus énervant dans cette course au MVP. Cette fois-là, nous pouvons dire avec certitude que les joueurs ont voté pour leur favori. Regardez le top cinq : McAdoo : 547 (81-38-28) ; Cowens : 310 (32-42-24) ; Hayes : 289 (37-26-25) ; Barry : 254 (16-46-36) ; Kareem : 161 (13-21-33).

Barry était le meilleur joueur de la ligue ; il l’a prouvé en play-offs… et il a terminé quatrième. Pourquoi ? C’est très simple : Barry était le joueur le plus détesté par ses pairs. Il se plaignait à chaque coup de sifflet, adressait constamment à ses équipiers des regards sévères et des haussements d’épaules lorsqu’ils perdaient une balle, et faisait sans vergogne sa propre promotion pour faire avancer sa carrière à la télévision (il a même travaillé au noir pour CBS). Sans oublier les circonstances de son départ pour l’ABA, ainsi que sa réputation de tirer chaque fois qu’il en avait l’occasion et ne pas s’entendre en dehors du terrain avec les joueurs noirs.

Donc, que Barry avait complètement relancé sa carrière, était devenu le capitaine de l’équipe, était le meilleur intercepteur et le meilleur tireur de lancer-francs de la ligue, le deuxième meilleur marqueur, qu’il avait donné plus de passes décisives (492) que tout autre ailier dans l’histoire de la NBA et qu’il était premier au sein de son équipe pour chaque critère statistique pertinent à l’exception des rebonds n’avait pas d’importance. Rick Barry avait autant de chances d’obtenir le trophée qu’une boule de neige de rester solide en enfer. Tous les électeurs le méprisaient. À juste titre, peut-être, mais aucun autre joueur ne méritait plus le trophée en 1975.

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Julius Erving (1981)

La course au MVP cette saison-là n’en fut pas vraiment une, car aucune des deux stars de la ligue (les rivaux de division Erving et Bird) n’était au sommet de son art. Les statistiques d’Erving : 25 points, 8 rebonds et 4 passes décisives de moyenne pour une équipe des Sixers à 62 victoires. Celles de Bird : 21 points, 11 rebonds et 6 passes décisives de moyenne pour une équipe des Celtics à 62 victoires qui a décroché l’avantage du terrain en battant Philadelphie dans le tout dernier match. Erving est devenu la belle histoire des médias cette saison, car Philadelphie était devenue une équipe altruiste. Aussi, tout le monde décida de concert au milieu de la saison que c’était l’année de « Doc ».

Pendant ce temps, Bird montait tranquillement en puissance, avec une série de matchs à plus de 20 unités dans deux catégories statistiques (36 points et 21 rebonds à Philadelphie, 35 points et 20 rebonds à Chicago, 21 points et 20 rebonds à Cleveland, 28 points et 20 rebonds à New York) au cours d’une série de matchs avec un total incroyable de 25 victoires pour une défaite. Après quoi il subit une ecchymose douloureuse à la cuisse, joua malgré la douleur pendant un mois, puis se rétablit à temps pour un voyage en février sur la côte Ouest, où il totalisa 23 points, 17 rebonds, 8 passes décisives et 4 interceptions contre Seattle, puis 36 points, 21 rebonds, 5 passes décisives, 5 interceptions et 3 contres face à Los Angeles moins de vingt-quatre heures plus tard (avec un Magic blessé qui regardait le match sur la ligne de touche).

Lorsque le dernier mois de saison régulière est arrivé, tout le monde aurait dû convenir que : (a) Bird et Erving étaient à égalité parfaite, et (b) : celui dont l’équipe décrochait l’avantage du terrain devrait obtenir le MVP. Ce n’est pas arrivé. Au cours du 82ème match, Bird a contribué à la victoire de son équipe en marquant 24 points et en étant partout sur le terrain (cinq interceptions rien qu’au premier quart-temps) pendant que Erving souffrait pour tenir la comparaison avec seulement 19 points.

Lorsque les Sixers et les Celtics se sont retrouvés en finale de Conférence Est, Philadelphie a gâché un avantage de 3-1 et Bird a enquillé le panier gagnant au septième match. Les statistiques de Bird au cours de cette série : 27 points, 13 rebonds et 5 passes décisives de moyenne. Celles d’Erving : 20 points, 6 rebonds et 4 passes décisives de moyenne. Deux semaines plus tard, les Celtics ont remporté le titre à Houston. Voilà pour « l’année de Doc ».

Cela signifie-t-il que Bird était le meilleur joueur de la ligue ? Pas nécessairement. Il y avait des arguments solides en faveur de Moses Malone, meilleur pivot de la ligue de 1979 à 1983. Sauf que Malone se débattait au milieu d’une médiocre équipe des Rockets qui a terminé à 41 victoires et autant de défaites en 1980, et 40 victoires pour 42 défaites en 1981. Et il est difficile de défendre la valeur d’un joueur quand il n’arrive pas à donner à son équipe un taux de victoires de 50 %, même s’il est coincé dans une équipe qui défendait mal avec des coéquipiers trop jeunes, trop vieux ou simplement trop médiocres : Barry (qui a pris sa retraite après la saison 1980), Calvin Murphy, Rudy Tomjanovich, Allen Leavell, Billy Paultz, Mike Dunleavy, Tom Henderson, ou Bill Willoughby.

Donc, si le titre de MVP doit revenir à quelqu’un qui n’est pas le joueur dominant, il vaut mieux que ce soit un grand joueur avec une année extraordinaire (ce qui n’est pas arrivé en 1981), ce qui signifie, selon la théorie éprouvée par le temps, qu’il s’agit du « meilleur joueur de la meilleure équipe ». Et c’était Bird.

Bien sûr, on pourrait se dire : « On s’en fout. Personne n’était clairement favori pour le MVP cette année-là et tout le monde savait que Bird finirait par en avoir un, alors je suis content que Doc l’ait obtenu parce qu’il comptait beaucoup pour la ligue. » Si c’est ce que vous pensez, vous êtes un imbécile ; la ligue a montré sa reconnaissance à Doc six ans plus tard, quand il s’est fait couvrir de cadeaux lors de sa tournée de retraite. Ensuite, le trophée MVP n’est pas un signe d’affection ; c’est une récompense qui dit avec certitude que la majorité des électeurs pense qu’untel était le joueur le plus important cette saison-là. Et donc, tout le monde s’est planté.

La preuve ? Quatre mois après les play-offs de 1981, Bird a fait la couverture de Sports Illustrated pour un article intitulé : « Le joueur le plus complet de la NBA » (ils ne s’en étaient pas rendus compte lorsqu’il atteignait deux fois les 20 unités statistiques par match ?). Et si Bird était considéré comme le joueur le plus complet de la NBA au cours d’une année sans véritable MVP, que son équipe a remporté le titre, et que le trophée de MVP a été remis à quelqu’un d’autre, c’est qu’il s’agit d’une erreur. Point (2).

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Dirk Nowitzki (2007)

Si vous vous rappelez des quatre questions cruciales pour désigner le MVP, le candidat favori au titre est cité comme réponse à au moins deux des trois premières questions évoquées (et, idéalement, les trois). Les réponses pour la saison 2007 sont : Gilbert Arenas (question 1) ; Kobe Bryant (question 2) ; Nash, Tracy McGrady ou LeBron James (question 3). En se basant là-dessus (3), Nowitzki ne pouvait donc pas prétendre à devenir MVP. Mais il faisait l’unanimité. Et il a obtenu le trophée.

Statistiquement, Nowitzki avait été meilleur en 2005 et 2006. Ses stats de 2007 le classent derrière les neuf meilleures saisons de Larry Bird, les dix meilleures saisons de Charles Barkley et les onze meilleures saisons de Karl Malone. Ses pourcentages de réussite au tir étaient remarquables (50 % de réussite au tir, 90 % aux lancers francs, 42 % à trois points), mais les moyennes les plus importantes (24,6 points, 9 rebonds et 3,4 passes) équivalaient à celles d’un Tom Chambers. Seuls ses points lui permettaient de peser sur les matchs ; il ne rendait pas ses coéquipiers meilleurs et sa défense était au mieux passable. Si vous donnez le MVP à quelqu’un pour son jeu offensif, il vaut mieux que ce soit un joueur offensif de tout premier ordre. On ne peut pas dire ça du Nowitzki du 2007.

Le facteur qui a joué en faveur de l’Allemand est simple : aucun autre joueur de la ligue n’était plus fiable quand il fallait marquer en fin de possession, et il était le meilleur joueur d’une équipe à 66 victoires. Cela dit, quand les Bulls de 1997 ont remporté 69 matchs, on aurait pu décrire Jordan exactement de la même manière… Et il a terminé deuxième derrière Malone. Remarquez, il faudrait peut-être abandonner les comparaisons historiques après les deux trophées consécutifs de Steve Nash qui a fait devenir le prix ce qu’il est aujourd’hui : un concours de popularité. Les gens voulaient que Nowitzki remporte le trophée cette année-là. Et il l’a gagné.

Vous savez comment la débâcle s’est terminée. Golden State a créé l’un des plus grandes surprises de l’histoire de la NBA en battant Dallas au premier tour des play-offs, même si la chose avait cessé de paraître irréaliste quand les Warriors ont pulvérisé les Mavs au Match 3 devant une foule de supporters frénétiques. Malheureusement, le vote pour l’attribution du MVP arrivait juste après la saison régulière, de sorte que les électeurs ne pouvaient pas prendre en compte l’effondrement complet de Dirk contre Golden State. Non seulement il n’est pas parvenu à s’imposer comme un MVP doit le faire, mais il a pleuré et s’est plaint pendant toute la série, déshonorant ses coéquipiers et embarrassant ses fans.

Ironie du sort, Nash a joué sa meilleure saison à un moment où plus personne n’attendait qu’il élève son niveau de jeu, et n’accordait plus d’attention à Nowitzki… Si au lieu de Dirk, les Mavs avaient eu Duncan, Garnett, Bosh, Elton Brand ou n’importe quel autre ailier de très haut niveau, ils auraient quand même gagné entre 55 et 65 matchs. Mais les Suns de 2007 étaient construits comme une voiture de course italienne ultra-perfectionnée, avec des caractéristiques spécifiques adaptées à un certain type de pilote, et Nash s’est avéré être la seule personne de cette planète capable de conduire cette voiture sans s’écraser dans un mur. Le degré de difficulté était hors-catégorie. La saison de Nash prévaut donc sur celle de Nowitzki.

Donc, il faudrait donner à Nash le MVP 2007 parce qu’il n’aurait dû gagner ni en 2005, ni en 2006 (nous y reviendrons). D’accord, c’est un peu stupide de donner le MVP à un joueur qui ne le mérite pas (et qui est complètement passif en défense), mais après 82 matchs inintéressants au cours de l’une des pires saisons de l’histoire de la NBA, il n’y a pas d’autre option. Après tout, Nash et les Suns ont presque fait chuter San Antonio en play-offs, tout en étant pénalisés par des décisions arbitrales douteuses. Par ailleurs, le débat concernant le MVP sur les mérites comparés de Nash et Nowitzki aurait dû être réglé après un match à la mi-mars entre Dallas et Phoenix, quand Nash a émergé en tant que meilleur joueur (32 points, 8 rebonds, 16 passes décisives) et a réussi presque toutes les actions cruciales pour une victoire en double prolongation. Comment Dirk a-t-il réussi pu devenir MVP après ça ? Je n’en ai aucune idée.

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Première partie ici.

Deuxième partie ici.

Quatrième partie ici.


 

(1) Les Bullets étaient affaiblis avant les séries par la blessure au genou de Gus Johnson, mais un MVP ne peut quand même pas prendre un sweep au premier tour, non ? Apparemment, Gene Shue, l’entraîneur des Bullets, a gâché toute la série avec l’idée fort peu brillante de faire remonter le ballon en utilisant Unseld comme un meneur. Le pourcentage de bonnes idées catastrophiques émises par des entraîneurs dans l’histoire de la NBA ne doit pas être loin des 85 %.

(2) Bird s’est aussi fait avoir pour le MVP des Finales en 1981 ; Cedric Maxwell a gagné 6 à 1 dans une situation du type Duncan/Parker. Personnellement, je pense que les gens étaient simplement contents de voter pour un joueur surnommé « cornbread » (« pain de maïs »).

(3) La question 4 n’avait pas encore été créée.

Most Valuable Player (2/4) : Catégorie 1 : les MVP douteux, mais finalement mérités

Ce dossier en quatre parties est la traduction française quasi-exhaustive des réflexions du journaliste sportif américain Bill Simmons. Tous les droits sur ce texte lui sont réservés.

Les nombres cités après le nom d’un joueur dans cet article représentent le nombre de votes obtenus pour la première, seconde et troisième place. Dans le cas de Russell, par exemple, les nombres 51-12-6 signifient qu’il avait été voté 51 fois premier, 12 fois second et 6 fois troisième.

Source des photos : http://www.nba.com

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Bill Russell (1962)

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Déjà détenteur de deux titres de MVP (comme Jordan en 1993), Russell a, comme beaucoup d’autres, aligné ses meilleures statistiques en 1962 : 19 points, 24 rebonds et 5 passes décisives de moyenne pour une équipe de Boston à 60 victoires, tout en assurant une défense pratiquement surhumaine. Si les médias avaient voté, Russell aurait été boudé car il avait déjà gagné et qu’il fallait du changement (comme Jordan en 1993). Les gagnants auraient été Wilt Chamberlain (50 points et 25 rebonds de moyenne, premier cinq majeur de la NBA) ou Oscar Robertson (un triple-double par match pour la première fois en NBA).

En dehors des accomplissements de Wilt et d’Oscar (et des points qui étaient marqués comme au flipper), la meilleure performance de la saison est à mettre à l’actif d’Elgin Baylor. Contraint à ses obligations militaires, Baylor n’a joué que 48 matchs (uniquement le week-end, sans jamais s’entraîner avec les Lakers) et il a quand même réussi à atteindre une moyenne hallucinante de 38 points, 19 rebonds et 5 passes décisives (1).

À mon avis, le 38-19-5 d’Elgin était plus invraisemblable que les 50 points par match de Wilt ou le triple-double d’Oscar. Il ne s’entraînait pas ! Il se transformait en joueur NBA le week-end ! Le 50-25 de Wilt est logique compte tenu de la faible concurrence et de sa tendance à monopoliser le ballon. Le triple-double d’Oscar est logique compte tenu du style de jeu de l’époque. Mais le 38-19-5 de Elgin n’a aucun sens. Aucun. C’est inconcevable.

À l’époque, Elgin était réserviste dans l’armée américaine. Il travaillait dans l’État de Washington la semaine, vivait dans une caserne et ne la quittait que lorsqu’on lui donnait un laissez-passer pour le week-end. Même avec ce document, il devait voyager en deuxième classe sur des vols avec des correspondances multiples pour rejoindre l’endroit où les Lakers jouaient, endossait vite fait un maillot et affrontait les meilleurs joueurs NBA, puis faisait le même trajet compliqué jusqu’à Washington dans les temps pour être présent à l’appel tôt le lundi matin. Il a vécu comme ça pendant six mois (2).

Dans les années 60, la première place d’un vote comptait pour cinq points, la deuxième place trois points et la troisième place un point. On ne pouvait choisir que trois joueurs. Les votes pour le MVP 1962 ont été répartis ainsi :

Russell : 297 (51-12-6) ; Wilt : 152 (9-30-17) ; Oscar : 135 (13-13-31) ; Elgin: 82 (3-18-13) ; West : 60 (6-8-6) ; Pettit : 31 (2-4-9) ; Richie Guerin : 5 (1-0-0) ; Cousy : 3 (0-0-3).

Vous n’allez pas le croire, mais j’ai des remarques à faire :

  • D’abord, la saison d’Elgin était tellement impressionnante qu’il a réussi à terminer quatrième en manquant 40 % de la saison (il a même réussi à être trois fois premier).
  • Deuxièmement, la « légendaire » saison de Wilt a tellement impressionné ses pairs que seuls neuf joueurs (10 % de la ligue) l’ont mis en première place, ce qui prouve à quel point les statistiques de 1962 ne veulent rien dire. (Cela montre aussi à quel point Wilt était égoïste : les Knicks de 1962 ont été scandalisés par le match à 100 points qu’il a joué contre eux, particulièrement la façon dont Wilt a monopolisé le ballon et les le fait que les Warriors faisaient des fautes en fin de match pour qu’il obtienne le ballon. On peut être sûrs qu’il n’a eu aucun de leurs votes.)
  • Troisièmement, West, Pettit, Guerin et Cousy ont eu autant de votes pour la première place que Wilt, et ont volé douze deuxièmes places et quinze troisièmes places. West avait une moyenne de 30 points, 8 rebonds et 5 passes décisives et n’était pas le meilleur joueur de son équipe ; Pettit avait une moyenne de 31 points et 19 rebonds pour une équipe des Hawks à 29 victoires et 51 défaites ; Guerin avait une moyenne de 30 points, 7 rebonds et 6 passes décisives pour une équipe des Knicks à 29 victoires et 51 défaites ; et Cousy avait fait sa pire saison depuis dix ans (16 points, 8 rebonds, 4 passes décisives) et joué seulement 28,2 minutes par match.

Un seul de ces quatre-là aurait-il dû se glisser dans les trois premières places d’un vote ? On peut dire qu’ils se sont partagés le vote de ceux qui détestaient les Noirs et qui trouvaient qu’ils sabotaient la ligue. Quoi qu’il en soit, le choix de Russell me convient très bien : c’était le joueur dominant de l’équipe dominante. Si le vote avait eu lieu trente ans plus tard, Wilt ou Oscar aurait gagné et je serais en train de trépigner et m’indigner à ce sujet. Passons.

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Bill Russell (1963)

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Grosse concurrence entre Russell (17 points, 24 rebonds et 5 passes décisives de moyenne, et une défense surnaturelle pour une équipe de Boston à 60 victoires) et Baylor (34 points, 14 rebonds, 5 passes décisives de moyenne pour une équipe des Lakers à 53 victoires). Les deux légendes étaient à l’apogée de leurs compétences respectives, la valeur de Russell paraissant légèrement supérieure à celle de Baylor à l’époque.

Voici comment les votes ont été répartis : Russell : 341 (56-18-7) ; Elgin : 252 (19-36-18) ; Oscar : 191 (13-34-21) ; Pettit : 84 (3-14-27) ; West : 19 (2-1-6) ; Johnny Kerr : 13 (1-1-5) ; Wilt : 9 (0-2-3) ; Terry Dischinger : 5 (1-0-0) ; John Havlicek : 3 (0-1-0) ; John Barnhill : 1 (0-0-1) ; Walt Bellamy : 1 (0-0-1).

Le logo de la NBA aurait dû porter la cagoule du Ku Klux Klan en 1963. Les votes pour Dischinger (26 points, 8 rebonds et 3 passes décisives de moyenne en seulement 57 matchs pour une équipe de Chicago à 25 victoires) sont épouvantables. Même si certains votes étaient stratégiques à l’époque (aucun joueurs des Lakers ne votait pour Russell, aucun joueur des Celtics ne votait pour Elgin, et les Royals ne devaient sans doute jamais voter aucun des deux), les votes inexplicables semblent toujours être en faveur des Blancs (3).

Revenons à Elgin et Russell. A l’époque moderne, Elgin remporterait le MVP haut la main pour les bêtes raisons habituelles : « Il n’a encore jamais gagné » et « Il a déjà trop attendu, il faut le récompenser ». C’est cette même logique erronée qui a conduit à un grand nombre d’injustices flagrantes concernant le choix du MVP (nous y reviendrons plus tard). Je ne peux donc pas approuver le choix de Elgin. Cela dit, si l’on prend tous les joueurs « ayant trop attendu et qu’il faut récompenser avec un titre de MVP », le Elgin de 1963 est tout en haut de la liste. C’est vraiment plus que dommage qu’il n’ait jamais remporté le prix. (Si les Lakers avaient gagné le titre en 1963, j’aurais plaidé sa cause, mais ça n’a pas été le cas.)

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Kareem Abdul-Jabbar (1972)

Kareem

Nous sommes en présence du joueur dominant de la ligue, élu MVP avec sa meilleure moyenne en carrière : 34,6 points, 16,8 rebonds et 4,6 passes décisives par match pour une équipe à 63 victoires. Entre 1969 et 2016, aucun pivot n’a eu de meilleures statistiques ; le jeune Kareem était aussi le meilleur pivot défensif de cette décennie avec Nate Thurmond. Donc, je ne peux pas désapprouver ce choix.

Mais il convient de mentionner – je dis bien : mentionner – que les Lakers ont battu deux records (69 victoires, dont 33 d’affilée) pour le premier titre de Jerry West. Malheureusement, personne ne pouvait dire quel joueur des Lakers avait le plus contribué : West (26 points, 4 rebonds, 10 passes décisives en moyenne, meilleur passeur de la ligue) ou Wilt (15 points, 19 rebonds, 4 passes dévisives, 65 % de réussite au tir, meilleur rebondeur de la ligue) ? Pour la seule fois où une équipe a placé deux de ses joueurs dans le top trois, les résultats du scrutin sont assez bizarres : Kareem : 581 (81-52-20) ; West : 393 (44-42-47) ; Wilt : 294 (36-25-39).

Cela soulève une question intéressante : un choix spécial de « co-champions » devrait-il être ajouté au scrutin pour chaque saison, quand une équipe inoubliable ne dispose pas d’un joueur clairement dominant ? Les Celtics de 1958 (Cousy et Russell), les Knicks de 1970 (Reed et Frazier), les Lakers de 1972 (West et Wilt), les Celtics de 1973 (Hondo et Cowens), le Jazz de 1997 (Stockton et Malone), les Lakers de 2001 (Shaq et Kobe), le Heat de 2005 (Shaq et Wade), et les Celtics de 2008 (Pierce et Garnett) pourraient tous y prétendre et résoudraient de nombreux problèmes. La saison 1972 en est l’exemple ultime : Kareem était bien « le » MVP et West et Wilt étaient co-MVP. Non ? Bon, d’accord, vous avez raison. C’est une idée stupide.

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Bill Walton (1978)

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Même un observateur impartial admettrait que pendant onze mois, d’avril 1977 à février 1978, « The Mountain Man » était le meilleur joueur du monde et amenait l’équipe de Portland à des sommets surréalistes. Juste au moment où l’équipe atteignait des sommets, le 13 février 1978, Sports Illustrated (dans l’un des numéros qui a marqué mon enfance à cause d’un tomahawk dingue de Sidney Moncrief sur la couverture) publia un long article sur les Blazers, dans lequel Rick Barry les qualifiait de « peut-être l’équipe la plus parfaite jamais montée ». Tout tournait autour de Walton (19 points, 15 rebonds, 5 passes décisives et 3,5 contres de moyenne), le nouveau Russell, un big man altruiste qui rendait ses coéquipiers meilleurs et qui partageait même des pétards avec eux.

Deux semaines après l’histoire (ou la malédiction) de SI, Walton se blessa au pied et ne revint pas avant les play-offs, où il se fractura le même pied au cours du deuxième match, anéantissant les espoirs de titre de Portland et provoquant son départ inévitable et précipité. « Précipité » est un euphémisme : Walton a exigé un trade, a porté plainte pour faute médicale et professionnelle, a perdu des amis et signé avec les Clippers en 1979. L’une des séparations les plus douloureuses de l’histoire du sport.

Il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse être éligible pour le MVP après avoir raté vingt-quatre matchs et encore moins gagner le trophée. Mais la saison dont nous parlons a été particulièrement loufoque, comme en témoignent notre meilleur rebondeur (M. Leonard « Truck » Robinson) et notre meilleur passeur (le seul et unique Kevin Porter). Kareem a balancé un coup de poing en traître sur Kent Benson lors du match d’ouverture, a raté vingt matchs et a eu des problèmes pour le reste de la saison. La saison d’Erving a été décevante (pour un joueur comme lui). Les meilleurs candidats étaient George Gervin (27 points, 5 rebonds, 4 passes décisives de moyenne et 54 % de réussite au tir) et David Thompson (27 points, 5 rebonds, 5 passes décisives de moyenne et 52 % de réussite au tir), tous deux meilleurs scoreurs et champions de leur division, qui n’étaient pas connus pour leur défense.

Sauf que les arrières n’étaient pas supposés gagner le MVP à l’époque ; seuls Cousy et Robertson l’avaient fait, et même si tout le monde aimait bien « Skywalker » et « Ice », ils n’étaient ni Cousy, ni Oscar. Walton a donc obtenu le plus de voix (96), Gervin a terminé deuxième (80,5), Thompson troisième (28,5) et Kareem quatrième (14). (Je n’ai aucune idée de la répartition des votes de cette saison ; nous n’avons eu droit qu’au score final. J’ai l’impression que les joueurs devaient voter juste après s’être envoyé une quantité de cocaïne équivalente au contenant d’un seau de Gatorade.)

Les arguments en faveur de Walton : il a joué 58 des 60 premiers matchs et les Blazers ont amassé pendant cette période 50 victoires et 10 défaites. Il a raté les 22 prochains matchs et les Blazers sont tombés à un ratio de 8 victoires pour 14 défaites, mais ils ont quand même fini avec le meilleur total de victoires de la ligue (58) et obtenu l’avantage du terrain pour les play-offs. Walton a donc raté 24 matchs et a eu un impact profond anormal sur la saison régulière : il a fait gagner 50 matchs à son équipe au cours d’une saison où seules deux autres équipes ont terminé avec 50 victoires et plus : Philly (55) et San Antonio (52).

Les arguments contre Walton : auriez-vous accepté que Les Infiltrés obtienne l’Oscar du Meilleur Film si celui-ci terminait inexplicablement à trente-cinq minutes de la fin, sans savoir ce qui arrive à DiCaprio ou Damon ? Non.

En définitive, tout se résume à une chose : même si Walton et les Blazers n’ont survolé que 70 % de cette saison, ils l’ont quand même survolée. Personne d’autre ne se distingue en dehors de Kareem (pour avoir cogné Benson), Kermit Washington (pour avoir cogné Rudy Tomjanovich), Dawkins (pour avoir fracassé deux panneaux de basket), Thompson et Gervin (pour s’être bagarrés le dernier jour pour le titre de meilleur scoreur) et les Sonics (qui ont commencé avec 5 victoires et 22 défaites avant de faire un gros effort sur le tard pour arriver en finale). Personnellement, ça me suffit. Je préfère 70 % d’une saison extraordinaire que 100 % d’une saison relativement oubliable. Et tant pis pour tous ces matchs manqués. Nous ferons une exception, juste pour cette fois.

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Tim Duncan (2002)

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La saison 2002 a donné lieu à une grosse bataille entre Duncan (la meilleure année de sa carrière : 25 points, 13 rebonds et 4 passes décisives de moyenne, avec en plus 2,5 contres par match et une superbe défense) et Jason Kidd (15 points, 7 rebonds, 10 passes décisives et une superbe défense). Kidd a dominé la saison en raison d’un trade extrêmement discuté de l’été précédent, quand Phoenix a échangé Kidd à New Jersey contre Stephon Marbury quelques mois après que Kidd fut accusé de violences conjugales.

Stimulé par le changement de décor, Kidd a emmené des Nets habituellement en bas de classement à 52 victoires, s’est attiré les faveurs des médias de New York et s’est distingué pour son altruisme et son talent unique pour exécuter des contre-attaques, ainsi que par sa femme, Joumana, qui adorait être le centre d’attention général (4). La saison 2002 de Kidd était peut-être moins reluisante que sa saison 2001 à Phoenix (17 points, 6 rebonds, 10 passes décisives de moyenne avec 41 % de réussite au tir), mais plus par défaut qu’autre chose, Kidd est devenu la sensation d’une conférence Est qui avait toujours été atroce, amenant à l’une des élections de MVP les plus serrées (et les plus ridicules) de tous les temps : Duncan : 952 (57-38-20-5-3) ; Kidd : 897 (45-41-26-9-3) ; Shaq : 696 (15-38-40-25-5) ; McGrady : 390 (7-5-28-45-10).

Pourquoi les joueurs étaient-il tellement proches ? Duncan a dépassé les 3 300 minutes de jeu, les 2 000 points, les 1 000 rebonds, les 300 passes décisives et les 200 contres, porté les Spurs à la deuxième place de la Conférence Ouest, n’a manqué aucun match et a eu un effet plus important sur ses coéquipiers que n’importe quel joueur en dehors de Kidd. Regardez qui il avait autour de lui : Bruce Bowen, Antonio Daniels, Tony Parker, Malik Rose, Danny Ferry, Charles Smith, un David Robinson loin de ses meilleures années, un Steve Smith qui venait finir les siennes, et un Terry Porter qui en était à des années-lumières. Et ils ont gagné 58 matchs ! Si vous aviez échangé Duncan contre quelqu’un comme Stromile Swift, les Spurs aurait gagné 25 matchs. Pas plus.

Pour le titre, les Lakers ont balayé les Nets dans une finale complètement déséquilibrée, et c’est à ce moment-là que tout le monde s’est dit : « On savait que la Conférence Est était mauvaise, mais quand même pas à ce point-là ! » Qu’un joueur avec seulement 39 % de réussite au tir, évoluant dans une équipe à 52 victoires, au sein d’une conférence de faible niveau, ait presque volé le MVP au meilleur ailier fort de l’histoire, qui en était à sa meilleure saison en terme de statistiques, et qui évoluait dans une équipe à 58 victoires… Vous comprenez pourquoi je ne fais pas tellement confiance au mode d’élection du MVP. Ironiquement, Kidd réussira la meilleure année de sa carrière en 2003 (19 points, 9 rebonds, 6 passes décisives de moyenne avec 41 % de réussite au tir) et ne terminera que neuvième au vote car tout le monde était encore mortifié par la façon dont s’était terminé 2002.

(En passant, Shaq conservé son statut de joueur dominant cette saison, restant au même niveau de jeu pendant 82 matchs, en partie parce qu’il était paresseux, et en partie parce que c’est cette année-là qu’il a commencé à ne plus du tout s’entendre avec Kobe. Il s’est réveillé en play-offs et a affiché une moyenne de 36 points et 12 rebonds en finale. Après ça, il a passé tout l’été à manger et s’est fait opérer de l’orteil droit, ce qui lui fera manquer le début de la saison suivante.)

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Première partie ici.

La suite ici.


 

(1) Cela montre bien où la NBA en était en 1962 : ils ne pouvaient même tirer quelques ficelles pour éviter à leur joueur le plus spectaculaire de faire son service militaire.

(2) La seule comparaison moderne serait la saison 2004 de Kobe, quand il a été accusé de viol et a fait des aller-retours en avion entre le Colorado (où les audiences avaient lieu) et Los Angeles où l’endroit où les Lakers jouaient. Tout le monde a fait une montagne sur la saison « éprouvante » de Kobe, alors qu’il volait dans des charters et séjournait dans des hôtels première classe. Vous imaginez, si Kobe avait refait la saison 1962 de Elgin ? La Terre aurait cessé de tourner.

(3) Quoique, pas toujours : Barnhill, surnommé « le Lapin », était un arrière rookie de St. Louis afro-américain qui avait une moyenne de 12 points, 5 rebonds et 4 passes décisives. Il n’était pas All-Star en 1963, mais quelqu’un lui a donné une troisième place. Inexplicable.

(4) Elle amenait son jeune fils sur le bord du terrain et paraissait connaître l’emplacement de chaque caméra de télévision. La chose s’est retournée contre Kidd lorsqu’il a plongé dans les tribunes pour un ballon perdu, a atterri sur son fils et lui a cassé la clavicule. Cruel destin, n’est-ce pas ?

Most Valuable Player (1/4) : définir le « MVP »

Ce dossier en quatre parties est la traduction française quasi-exhaustive des réflexions du journaliste sportif américain Bill Simmons. Tous les droits sur ce texte lui sont réservés.

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NBA: Stephen Curry MVP Press Conference
Crédits photo : Kelley L Cox – USA TODAY Sports.

Le trophée de « Most Valuable Player » de la NBA est le trophée du monde des sports qui a le plus de valeur et de signification.

Vous ne me croyez pas ? Pouvez-vous citer les dix derniers MVP de la NFL ? Certainement pas. Pouvez-vous citer les dix derniers MVP de chaque ligue de baseball, et déterminer chaque année avec certitude le meilleur joueur ? Non. Connaissez-vous seulement le nom du trophée MVP de la NHL (et je ne parle même pas des dix derniers vainqueurs) ? À moins d’être Canadien, probablement pas (1).

La NBA est la seule ligue qui épouse parfaitement le concept du « Most Valuable Player » : comme toutes les équipes jouent l’une contre l’autre, il est relativement simple de comparer les statistiques, et en regardant les matchs, on peut presque toujours constater quels joueurs se démarquent. Il suffit de suivre la saison. Si vous combinez le vote du MVP avec les équipes All-Star, les résultats des play-offs, et les statistiques individuelles, vous vous retrouvez avec un aperçu raisonnable de ce qui est arrivé au cours d’une saison NBA, tout comme les quatre principaux Oscars sont à peu près le reflet de ce qui arrive à Hollywood d’année en année.

Bien sûr, il y a des exceptions. Charles Barkley a remporté le MVP 1993 alors que Jordan était de loin le meilleur joueur du monde, et il l’a prouvé avec autorité en finale. Mais le nom qui se trouve à côté de « MVP NBA 1993 » pour le reste de l’éternité est celui de Barkley. Parce que ça marche comme ça. Jordan n’a pas gagné le titre de MVP 1993 parce tout le monde en avait marre de voter pour lui. C’est la seule raison. Et c’est une raison stupide.

Ce qui nous ramène au sujet principal : ce n’est pas parce que quelqu’un a gagné un Oscar ou un MVP qu’il l’a nécessairement mérité. Par exemple, les Spurs de 2007 n’auraient jamais gagné sans Tim Duncan, pilier de la défense au poste bas, meilleur défenseur, meilleur rebondeur, meilleur contreur et leader émotionnel. Avec près de huit cents matchs (play-offs compris) au compteur et une opération au genou qui allait devenir nécessaire, Duncan avait appris à se ménager au cours de la saison régulière, en se concentrant sur la défense et les rebonds, et gardant son énergie en attaque pour les matchs à enjeux ainsi que les play-offs.

En saison régulière, il a joué 80 matchs et a terminé avec une moyenne de 20 points, 11 rebonds et 3 contres, le meilleur pourcentage de réussite au tir de sa carrière (54,6 %) et une place dans le premier cinq majeur de la NBA. En play-offs, sa moyenne a été de 22 points et 12 rebonds, et il a contré 62 tirs en 20 matchs. Les Spurs ont balayé Cleveland en finale, et qu’est-il arrivé ? Tony Parker a volé les honneurs du MVP des Finales pour avoir éclipsé les très mauvais de meneurs de Cleveland (Daniel Gibson, Damon Jones et Eric Snow), avec 30 points et 4 rebonds de moyenne, et avec un pourcentage de réussite au tir de 56,8 %.

Supposons que votre arrière-petit-fils jette un œil sur cette saison, 60 ans jour pour jour après l’instant où nous parlons. Dirk Nowitzki est MVP, Tony Parker MVP des Finales… En dehors de sa place dans le premier cinq majeur de la NBA et de ses grosses statistiques en play-offs, comment voulez-vous discerner que Duncan a été de loin le joueur décisif de la meilleure équipe lors de la saison 2006-2007 ? C’est impossible.

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Source : http://www.nba.com.

Trois aspects cruciaux du MVP doivent être mentionnés :

Aspect n°1. Le premier titre de MVP a été décerné lors de la saison 1955-1956. Les joueurs votaient pour le MVP et les journalistes s’occupaient du premier et deuxième cinq majeur de la NBA. (Il n’y avait qu’une seule règle, à savoir que les joueurs ne pouvaient pas voter pour un de leurs coéquipiers.) Je sais que l’on n’en était qu’aux balbutiements au milieu des années 50, et nous parlons d’une ligue à laquelle il a fallu huit ans pour se rendre compte qu’une limite de temps de possession de balle était nécessaire. Mais compte tenu des problèmes raciaux dans les années 50 et de la frilosité générale devant l’afflux massif de joueurs noirs, comment peut-on s’attendre à un vote équitable quand on sait que 85 à 90 % des joueurs étaient blancs ? La popularité d’un joueur ne l’emportait-elle pas sur le reste ?

Si vous appliquez le concept du « meilleur joueur élu par ses pairs » à l’époque moderne, vous pouvez voir les dangers qui y sont liés et le potentiel manque d’objectivité. Les critiques sont appelés des « critiques » pour une bonne raison : c’est leur travail d’évaluer objectivement les choses. On ne peut pas s’attendre à ce que les joueurs deviennent d’un seul coup des juges impartiaux. Supposons par exemple que les joueurs de 2008 aient considéré Kobe comme un individu méprisant, aussi faux qu’égocentrique. S’ils avaient dû voter pour le MVP 2008, Kobe aurait-il eu une chance de devancer Chris Paul, un joueur respecté et aimé de tout le monde ?

En fait, quand on voit la façon dont la NBA fonctionne aujourd’hui (avec des joueurs d’âges différents qui se rapprochent en gravissant les échelons au même moment et, dans certains cas, se connaissent depuis le niveau amateur), il n’est pas absurde de penser que la politique joue un grand rôle dans les rapports entre les personnes. La génération LeBron-Melo-CP s’apprécie énormément. Ces joueurs n’auraient-ils pas fait basculer les votes de 2008 en faveur de Paul ? Les joueurs plus âgés n’auraient-ils pas été plus tentés de choisir Garnett ? Et considérant que les Hornets adoraient Paul et voulaient qu’il gagne, n’auraient-ils pas voté pour quelqu’un sans réelle chance comme LeBron ?

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Aspect n°2. À partir de la saison 1979-1980, les votes ont été donnés à un comité trié sur le volet de journalistes et de journalistes travaillant pour la télévision, ce qui a créé davantage de problèmes pour des raisons évidentes (certains d’entre eux ne suivaient pas toute la ligue, certains étaient influencés par le joueur qu’ils regardaient toutes les nuits, certains ne comprenaient rien à la NBA) et moins évidentes (les stars les plus en vue avaient maintenant un avantage, tout comme en avait un joueur sans trophée face à un joueur l’ayant déjà gagné).

Au début des années 90, une problématique plus subtile a vu le jour : un groupe presque entièrement composé de journalistes blancs d’âge moyen n’est plus parvenu à s’identifier avec la direction prise par la ligue, regrettant les facilités d’accès qu’ils avaient autrefois et méprisant ouvertement la nouvelle génération de stars égocentriques et surpayées, qui se frappaient la poitrine, avaient leur petit cercle personnel, arboraient des tatouages et tournaient des publicités. Malgré cela, ils étaient encore appelés à choisir objectivement un MVP. Je pense que c’est un problème.

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Aspect n°3. Les électeurs actuels avouent ouvertement ne pas bien comprendre les critères de vote, principalement parce que les administrateurs de la NBA ont volontairement facilité cette confusion en ne donnant jamais de définition à la « valeur » d’un joueur. Ils aiment quand les présentateurs radio et les journalistes s’embrouillent là-dessus. Ils veulent que les électeurs se demandent si la récompense est attribuée au meilleur joueur, à celui ayant le plus de valeur, ou les deux. Ou deux tiers de l’un et un tiers de l’autre. Ou un rapport quelconque que quelqu’un finit par définir. Voici ce que nous savons :

  1. Le prix ne concerne que la saison régulière.
  2. Seuls les joueurs ayant participé à au moins 55 matchs sont éligibles.
  3. Et c’est tout.

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Source : http://www.nba.com.

Vous voyez comme c’est compliqué de faire le bon choix chaque année ? Ma définition du MVP repose sur quatre questions rangées par ordre d’importance (de la plus haute à la plus basse) :

Question n°1 : Si l’on remplace chaque candidat au MVP par un bon joueur qui évolue à son poste toute la saison, quels en seraient les effets sur les résultats de l’équipe ?

Il n’y a pas de meilleure façon de définir la « valeur » d’un joueur. Mettons que l’on remplace Chris Paul par Kirk Hinrich à l’été 2007. Comment la saison suivante se serait-elle déroulée pour les Hornets ? Ils ont gagné 57 matchs au sein d’une conférence historiquement difficile avec une offensive axée autour des capacités exceptionnelles de Paul, et pour couronner le tout, Paul était un leader, coéquipier et porte-parole très apprécié. Remplacez-le par Hinrich et l’équipe termine probablement avec 30 victoires et 52 défaites au lieu de 57 victoires et 25 défaites, sans parler de la façon dont Paul a revitalisé le basket-ball à la Nouvelle-Orléans et est devenu l’un des meilleurs ambassadeurs de la NBA.

Question n°2 : Si deux fans ayant de solides connaissances en matière de basket pouvaient choisir cinq joueurs NBA pour former une équipe qui joueraient l’une contre l’autre, et que la vie de ces deux fans dépend de l’issue du match, quel serait le premier joueur à être choisi compte tenu de la forme de chaque joueur durant la saison ?

Traduction : qui a été le joueur dominant au cours de cette saison ? Souvent, les finales permettent de répondre à cette question… mais pas toujours. Tout le monde pensait que Kobe était le joueur dominant en 2008, mais après l’avoir vu « wilter » contre Boston en finale (comparé à la façon dont LeBron avait porté une équipe des Cavs à la ramasse pendant sept matchs contre Boston et a failli faire sauter la banque au Match 7), ce n’est pas sûr. Cette question ramène tout au plus simple : il y a 11 joueurs dans mon équipe, je dois gagner, je ne peux pas me planter avec mon premier choix, et si je ne prends pas tel joueur, il va s’énerver et nous botter le cul pour avoir été pris en deuxième. Je crois que c’est comme ça que se passe le tournoi annuel de la Rucker Ligue à Harlem. Imaginez le regard sur le visage du Jordan de 1997 si quelqu’un prenait le Karl Malone de 1997 avant lui pour disputer un match.

Question n°3 : Dans dix ans, de quel joueur se souviendra-t-on immédiatement en songeant à cette saison ?

Chaque saison est liée à un joueur à des degrés divers. Pourquoi ? Parce que comme les médias politiques peuvent affecter une primaire ou une campagne présidentielle, les médias spécialisés dans le basket-ball peuvent influencer la course au MVP. Ils polissent chaque argument et chaque histoire pendant dix mois, avec pour principal objectif de discuter des côtés potentiellement provocateurs, des histoires ou des controverses qui n’avaient pas encore été décortiquées.

Il n’y a pas de meilleur exemple que la saison 1993 : Jordan était toujours le meilleur, mais le controversé Barkley venait d’être échangé à Phoenix, puis est apparu radicalement différent aux Jeux Olympiques de 1992, émergeant comme la personnalité la plus convaincante de l’équipe et le deuxième meilleur joueur. Catalogué cours de ses dernières années à Philadelphie comme un voyou impulsif et en dehors des clous qui faisait trop la fête, ne fermait jamais son clapet et multipliait les bêtises, tout le monde s’est mis d’un seul coup à applaudir le sens de l’humour et la candeur du « Chuck Wagon ». Et quand il a commencé à faire monter une équipe des Suns déjà douée à un autre niveau, Barkley est devenu la belle histoire de la saison 1992-1993, une sensation légitime sur Madison Avenue et la personnalité la plus charismatique du monde des sports (2).

Cette « transformation » faisait-elle nécessairement de lui le « Most Valuable Player » de 1993 ? Voyons : les Suns de 1992 ont remporté 53 matchs avec un pourcentage de réussite au tir de 49,2 %. Ils affichaient une moyenne par match de 112,7 points marqués et 106,2 encaissés. Les Suns de 1993 ont remporté 62 matchs avec un pourcentage de réussite au tir de 49,3 % ; ils affichaient une moyenne par match de 113,4 points marqués et 106,7 encaissés. Avec Barkley, ils étaient meilleurs au rebond mais leur défense était affaiblie. Leur équipe était peut-être globalement meilleure en 1993, mais l’agent libre Danny Ainge, les rookies Oliver Miller et Richard Dumas, la progression de Cedric Ceballos pour sa troisième année dans la ligue et le nouvel entraîneur Paul Westphal ne sont-ils pas tout autant responsables ?

Ne négligeons pas non plus ce qui est arrivé dans la Conférence Ouest : après une année 1992 particulièrement dense qui a vu quatre équipes à 50 victoires et neuf équipes avec un pourcentage de victoire supérieur à 50 %, seules six équipes ont terminé au-dessus de 50 % en 1993 et la dernière place qualificative pour les play-offs est revenue à une équipe des Lakers à 39 victoires. L’impact en saison régulière de Barkley, d’un point de vue purement basket, n’était pas aussi importante que ce que tout le monde croyait. Bien sûr, il a donné de la fierté à sa franchise, lui a apporté ses qualités de guerrier expérimenté et sa force à l’intérieur, a fait venir les supporters, a contribué à faire de la franchise un favori pour le titre et a fait monter d’un niveau une équipe déjà très bonne. C’était sa saison, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Quand on pense à la saison 1992-1993, on pense en premier à Barkley et aux Suns ; puis on se dit : « Ce n’est pas cette saison-là où Charles Smith s’est fait contrer face à Chicago et que Jordan a détruit à lui tout seul Phoenix en finale ? » Le fait que « c’était la saison d’Untel » ne devrait pas influencer le vote. En 1993, c’est arrivé. C’est un fait.

Question n°4 : Si vous expliquez votre choix de MVP à une personne dont le joueur favori est quelqu’un que vous n’avez pas choisi, dira-t-il (au minimum) quelque chose comme : « Je ne suis pas d’accord, mais je comprends comment vous êtes arrivé à ce choix » ?

J’ai créé cette question après la publication de ma colonne sur le MVP 2008, quand j’ai choisi Garnett et que j’ai reçu une avalanche de courriels de la part de fans d’autres candidats, me reprochant de choisir un joueur de mon équipe favorite. Je m’attendais à une levée de boucliers, mais pas à ce point. Avais-je fait une erreur ? J’ai rabâché mon processus de pensée et réalisé que ma logique n’était pas faussée et (semblait-il) impartiale : j’avais respecté les mêmes raisons pour lesquelles j’avais choisi Shaq en 2005 (à savoir que Garnett avait amélioré la défense et l’attitude des Celtics, avait relancé la franchise, lui avait donné de la vie ainsi qu’un leader et 42 victoires supplémentaires – un record) et inclus quelques exemples de ce que j’avais vu pour appuyer mon raisonnement.

Pourtant, mon raisonnement était biaisé pour une raison : j’avais regardé presque chaque minute de cette saison des Celtics, et seulement quelques minutes de 25 à 30 matchs des Hornets et des Lakers. Mon affection pour les Celtics n’a pas influé sur mon jugement, mais le fait de les regarder tout le temps, oui : je savais parfaitement comment Garnett avait agi sur les Celtics de 2007-2008 parce que j’avais regardé chaque match, lu chaque histoire et que je les avais suivis chaque jour pendant huit mois.

Savais-je exactement ce que Chris Paul avait fait pour les Hornets ? Pas vraiment. Si j’avais été fan des Hornets et que j’avais suivi attentivement leur transformation miraculeuse, j’aurais inévitablement fini par faire valoir les mérites de Paul. La variable essentielle est la suivante : tout fan des Lakers aurait choisi Kobe et non Paul, mais en comprenant au moins la logique de choisir le dernier nommé. Ils n’auraient pas été d’accord, mais ils auraient compris. Et ils n’ont pas compris la sagesse du choix de Garnett. Du tout. Et cela pose un problème. D’où la création de la question n°4.

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Réunissez ces questions ensemble comme de la pâte à modeler, et vous obtenez tout à coup une formule fiable. Dans l’idéal, il faut un joueur qui ne peut pas être remplacé par un autre, puis un joueur dominant, puis quelqu’un qui a fait « sa » saison dans une certaine mesure, puis un choix qui n’a pas besoin d’être défendu bec et ongles face à un contradicteur… Et pour finir, un choix qui justifie son soutien en bottant des culs en play-offs. Bien que cela semble parfait sur le papier, ça ne se produit pas chaque année, comme vous allez le voir.

Certains gagnants du MVP sont des choix logiques qui ne peuvent être débattus, mais pour d’autres, le MVP doit être mis au clair. Nous les séparerons en trois catégories : les choix douteux mais finalement justes, les choix douteux dont la stupidité est aujourd’hui très claire, et les escroqueries pures et simples qui auraient dû aboutir à des arrestations et des condamnations.

La suite, c’est par ici.


(1) C’est le trophée Hart, nommé d’après le Dr David Hart, père de Cecil Hart, coach et directeur général des Canadiens en 1924. Cette année-là, le Dr. Hart a fait don du trophée à la ligue, et ils lui ont donné son nom. Je n’invente rien.

(2) La NBA avait vraiment besoin du charisme de Barkley cette saison. Les vétérans vedette en dehors de Jordan étaient Malone, Stockton, Ewing, Olajuwon, Dumars, Drexler, Mullin, Pippen, Robinson, Brad Daugherty, et Mark Price. Ils sont tous très sympathiques, mais voudriez-vous passer le week-end à Las Vegas avec l’un d’entre eux ?

 

Maurice Stokes et Jack Twyman, la plus belle amitié de l’histoire du basket

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Maurice Stokes et Jack Twyman.

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Longtemps méconnue, la formidable histoire d’amitié entre Maurice Stokes et Jack Twyman commence à sortir de l’oubli, à travers plusieurs articles publiés sur des blogs consacrés au basket et à la NBA. Mais peu d’entre eux rendent justice aux joueurs susnommés. La personnalité, la valeur des deux hommes et ce qu’ils ont accompli pour traverser la pire des épreuves méritent plus que de simples remarques d’ordre général. Voici donc le récit complet de la plus belle amitié de l’histoire du basket, et peut-être même du sport entier.

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Le 17 juin 1933, à Rankin, une petite ville de Pennsylvanie, Monsieur et Madame Stokes ont la joie d’accueillir un heureux événement. Ou plutôt deux, car ce sont des jumeaux qui viennent au monde : un garçon et une fille. Il s’appellera Maurice, et elle, Clarice. Avec la crise économique qui frappe les États-Unis en ce début des années 30, les perspectives d’avenir ne sont guère brillantes pour deux enfants afro-américains issus d’un milieu modeste. Mais à cet instant, les parents des nouveaux-nés sont loin d’y songer ; ils savourent leur bonheur, et célèbrent joyeusement l’arrivée des petits.

Contrairement à des millions d’américains de l’époque, les époux Stokes ont tous les deux la chance d’avoir un travail stable. Monsieur est ouvrier aux aciéries de Pittsburgh, et madame exerce l’emploi de domestique. Très soucieux de sa famille, le père se rend tous les jours à son travail et n’est jamais absent. Le jeune Maurice héritera de son côté calme et sérieux ; de sa mère, il prendra une certaine exubérance. Plus tard, il deviendra un garçon terre-à-terre, mais avec une gentillesse et une affabilité qui marqueront tous ceux qui le connaîtront.

À huit ans, Maurice déménage dans la ville de Homewood, proche de son lieu de naissance. C’est là qu’il grandit et passe son adolescence. Ses parents lui donnent une éducation solide et lui inculquent la valeur du travail. Le jeune Maurice livre les journaux, tond les pelouses, gagne un dollar par-ci par-là. Très à l’aise socialement, il a beaucoup d’amis, se rend régulièrement au foyer de jeunes, sort danser les vendredis soirs et fait la cour aux jeunes filles. En revanche, malheur à celui qui tente d’approcher sa sœur : bien que ses parents soient de petite taille, Maurice est doté d’une taille et d’une carrure impressionnante pour son âge, qui décourage vite les prétendants aux idées malveillantes !

Avec un tel physique, c’est sans surprise dans le sport que Maurice s’épanouit. Après en avoir goûté plusieurs, il finit par se consacrer entièrement à celui qui lui sied le mieux : le basket-ball. Le jeune homme peaufine sa technique sur les playgrounds de Pittsburgh, et s’améliore d’année en année. Il intègre l’équipe de son lycée, Westinghouse High School, avec une motivation supplémentaire : ses parents n’ayant pas les moyens de lui payer des études universitaires, Maurice espère que ses talents de basketteur lui permettront de bénéficier d’une bourse. Après deux années passées sur le banc, Maurice intègre le cinq de départ et aide son équipe à réaliser un doublé inédit, remportant le championnat local en 1950 et 1951, pour sa dernière année d’études secondaires.

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Le talent et les performances de Maurice attirent l’attention de plusieurs universités. Durant l’été 1951, c’est une douzaine de bourses d’études qui sont proposées au jeune Stokes. À l’époque, cependant, il n’est pas facile pour un Noir d’intégrer une grande université. Le mouvement pour les droits civiques n’en est qu’à ses balbutiements, et les meilleures équipes universitaires sont principalement composées de joueurs blancs. Le père de Maurice a du mal à croire qu’une université va payer pour que son fils joue au basket ; il pense que celui-ci devrait se préparer à travailler à l’usine. Mais Maurice ne veut pas de cette vie-là. Il se croit capable d’obtenir mieux, et il est prêt à tout pour que cela arrive.

Malgré le talent de Stokes, plusieurs universités renoncent à l’engager. Non parce qu’ils doutent de ses capacités, mais parce que le contexte social de l’époque impose un quota de trois ou quatre joueurs noirs maximum par équipe. Et il y a dans le pays quantité de joueurs noirs, bien mieux cotés que Maurice. Heureusement, Skip Hughes, l’entraîneur de l’université Saint Francis de Pennsylvanie, est très intéressé par le jeune espoir. Il va jusqu’à recruter Jean Phelps, un coéquipier noir de Stokes à Westinghouse, simplement pour que celui-ci se sente plus à l’aise dans l’équipe. Touché par ce geste, Maurice intègre Saint Francis en 1951.

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Le choc subi par Maurice lors de son arrivée à Saint Francis est rude. L’université comporte moins de mille étudiants, presque tous blancs et catholiques, et le campus est situé en pleine campagne. Un monde totalement différent pour un jeune Noir qui a passé toute sa vie dans la région industrielle de de Pittsburgh. Culturellement, Maurice n’a rien en commun avec ses camarades, et il se sent un peu à part. Heureusement, il y a le basket. Maurice, qui n’a cessé de prendre du muscle, marque en moyenne 23,1 points et prend 26,5 rebonds par match lors de sa première année universitaire. Même pour l’époque, ces chiffres sont extraordinaires.

Lorsque les vacances arrivent, Maurice est bien décidé à continuer sur les mêmes bases la saison suivante. Il retourne sur les playgrounds de Pittsburgh pour garder la forme. Là-bas, le terrain est occupé toute la journée et les lycéens s’affrontent jusqu’à la tombée de la nuit. Malgré sa taille et son poids, Maurice brille par sa mobilité et son agilité. C’est aussi un formidable compétiteur : quand un équipier lui demande d’y aller doucement sur un joueur de petite taille, Maurice répond aussitôt :

« S’il ne peut pas encaisser, il n’a rien à faire là ! »

Cet été-là, Maurice travaille sur jeu tous les jours. À son retour à l’université, il découvre que la saison de son équipe est passée de 30 à 18 matchs : les équipes adverses craignent tellement de perdre la face contre la petite université de Saint Francis et leur nouvelle star que beaucoup refusent de les affronter ! À tel point que la direction est obligée de mentir sur la taille de Maurice et de lui ôter 5 cm, rien que pour trouver des adversaires !

En deuxième année, la réputation de Stokes ne fait que grandir. Toute la Pennsylvanie parle de lui, presque de façon mystique. Les billets pour les matchs de Saint Francis se vendent si bien que l’université délocalise ses matchs de basket, abandonnant son gymnase de 500 places pour un plus grand de 3 300 places. Mais ce n’est pas suffisant : la police doit intervenir à chaque rencontre pour éviter que les gens s’assoient dans les couloirs ou sur les marches autour des gradins. Cette année-là, la moyenne de Stokes atteint 27,1 points et 26,2 rebonds.

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Si Maurice domine sur le court, la vie sur le campus est considérablement plus difficile. Seul afro-américain ou presque dans un monde de blancs, le jeune homme a conscience de sa différence. Il ne peut même pas danser en soirée, car il n’y a pas de jeunes filles noires sur le campus et la ségrégation en vigueur lui interdit d’inviter de jeunes femmes blanches. Et pourtant, par sa gentillesse et son amabilité, Maurice parvient à s’intégrer. Aidé par les valeurs et la force morale que lui ont transmis ses parents, il se montre ouvert, intelligent et facile à vivre, tout en sachant rester à sa place quand il le faut. Il se fait des amis et s’adapte progressivement à son environnement. Ses coéquipiers l’apprécient et acceptent sans difficulté que l’équipe centre son jeu sur lui, conscients que Maurice donne à tous une meilleure chance de briller.

En troisième année, les performances de Stokes et le bilan de Saint Francis (22 victoires pour 9 défaites) offrent à la petite université de Pennsylvanie une invitation inédite au plus grand tournoi universitaire du pays : le NIT, qui a lieu au mythique Madison Square Garden de New York. Le rêve de tout jeune joueur, et une opportunité unique pour se faire remarquer. Stokes joue bien, et l’année suivante, Saint Francis est réinvitée. L’équipe arrive jusqu’en demi-finales, où elle perd 79-73 en prolongation contre la tête de série n°2, les Dayton Flyers. Au cours de ce match, Stokes marque 43 points et prend 19 rebonds, réalisant l’une des les performances les plus impressionnantes de l’histoire du tournoi. Il devient le seul joueur de l’histoire du tournoi NIT à obtenir le titre de MVP en terminant quatrième avec son équipe.

La valeur de Stokes n’est plus un secret pour personne. Les journalistes l’encensent. Les scouts sont aux aguets. L’avenir de Maurice est tout tracé : il jouera en NBA.

En 1955, Stokes est choisi en deuxième position de la draft NBA par les Rochester Royals, juste derrière celui qui le rejoindra un an plus tard, Dick Ricketts. Ed Fleming, un ancien coéquipier de Stokes à Westinghouse, est pris en seizième position. Juste avant lui, en huitième position, les Royals ont drafté un arrière prometteur, lui aussi originaire de Pittsburgh. Son nom ? Jack Twyman.

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L’euphorie de la sélection passée, Stokes et Fleming apprennent rapidement que leur statut de joueur NBA ne leur offre aucune protection contre le racisme à Rochester. En ville, la ségrégation est active. Les personnes de couleur sont cantonnés dans des ghettos. Si Maurice ressent des velléités de révolte, il n’en laisse rien paraître. Son humour, sa dignité, son calme lui offrent le soutien de ses équipiers. Un jour, dans un restaurant de Saint Louis, on refuse de le servir. Stokes se lève pour sortir et dit à ses coéquipiers qu’ils peuvent rester s’ils le désirent. Ceux-ci refusent d’un bloc et sortent avec lui.

Face à la situation, Maurice répond à sa manière, c’est-à-dire sur le terrain. En match d’ouverture contre les Knicks, pour ses débuts en NBA, il marque 32 points, prend 20 rebonds et fait 8 passes décisives. S’il n’est pas très grand pour un ailier fort (il mesure 2,01 m), son physique imposant fait merveille dans la peinture. Prototype du big man, il est le précurseur des ailiers forts rapides et athlétiques du futur. Maurice est clairement en avance sur son temps de plusieurs décennies.

Mais la puissance ne suffit pas pour faire un bon joueur de basket. Perfectionniste, Maurice travaille ses lancers francs et son tir en suspension pendant deux heures tous les matins. Il ne ménage pas ses efforts en défense, contre-attaque à la vitesse de l’éclair, et s’il n’est pas très bavard, il encourage par l’exemple, ne faisant de reproches à ses coéquipiers que lorsqu’ils répètent leurs erreurs. À la fin de la saison, Stokes est le meilleur rebondeur de la NBA, avec 16,3 prises par match. Sans surprise, il est élu rookie de l’année et reçoit une voiture… qu’il revend aussitôt, n’ayant pas son permis.

Trois ans après ses débuts, à seulement 25 ans, Stokes est déjà au sommet son sport. En trois saisons, il a affiché des moyennes successives de 17 points et 16 rebonds, 16 points et 17 rebonds, puis 17 points et 18 rebonds. Au cours de cette période, il a pris 3 492 rebonds, plus que tout autre joueur. Plus impressionnant encore, il a adressé 1 062 passes décisives, ce qui fait de lui le second meilleur passeur de la NBA sur les trois dernières années, derrière le légendaire meneur des Celtics Bob Cousy. Une performance incroyable pour un ailier fort. Depuis qu’il est arrivé en NBA, Stokes a également été sélectionné chaque année pour le All Star Game, et a fait partie de la deuxième meilleure équipe-type.

Qui aurait cru que sa carrière allait brutalement prendre fin quelques mois plus tard ?

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Au cours de la saison 1957-1958, Stokes est toujours sur les mêmes bases. Il affiche une moyenne de 18 rebonds, 17 points et 6 passes décisives. Ses performances donnent une chance aux Royals, qui ont déménagé entre-temps à Cincinnati, d’accéder aux play-offs pour la première fois. Les derniers matchs sont décisifs. Stokes augmente son niveau de jeu et les Royals se qualifient pour les play-offs avant la fin de la saison. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’équipe n’a plus qu’à finir tranquillement les rencontres restantes, avant de se lancer dans la course aux play-offs.

Le 12 mars 1958, les Royals jouent leur dernier match de saison régulière contre les Lakers. Comme d’habitude, Maurice fait des merveilles sur le terrain. Soudain, sur une contre-attaque banale, un adversaire tente de le contrer alors qu’il va vers le panier. Le choc est terrible. Maurice passe par-dessus son adversaire et heurte violemment le sol, inconscient. À l’époque, ce genre de choc est monnaie courante en NBA : on secoue Maurice, on le relève, et on attend quelques minutes qu’il reprenne ses esprits avant de le renvoyer sur le terrain. Les Royals remportent le match, 96-89.

Trois jours plus tard, le 15 mars, les play-offs débutent pour Cincinnati. Titulaire indiscutable, Stokes voyage jusqu’à Detroit pour le premier match contre les Pistons. Sur le terrain, il est loin d’être lui-même ; il a beau faire un double double, il paraît léthargique et apathique. Après le match, ses équipiers sont plus soucieux de son état que de la défaite. Sur le chemin du retour, Maurice est pris de vomissements dans le bus qui mène à l’aéroport. À l’arrivée, ses coéquipiers Richie Regan et Dick Ricketts le traînent jusqu’aux toilettes. Maurice confie à Ricketts qu’il se sent si mal qu’il pense qu’il va mourir.

Alors que l’inquiétude grandit, Maurice paraît soudain récupérer un peu. Il dit se sentir mieux et feuillette des magazines dans les boutiques de l’aéroport en attendant le départ. Puis, au moment de prendre place dans l’appareil, il s’effondre d’un coup sur l’escalier d’embarquement. On court chercher un médecin, qui l’examine et juge… que Maurice va bien et qu’il peut monter à bord. Stokes décolle donc avec l’équipe, direction Cincinnati.

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Au cours du trajet, l’état de Maurice empire. Il transpire abondamment. Son lourd manteau de laine est trempé. Ses yeux roulent dans tous les sens. Puis, d’un seul coup, Stokes s’étouffe et est pris de convulsions. On lui donne de l’oxygène en urgence. Le pilote de l’avion appelle Cincinnati pour qu’une ambulance soit présente à l’atterrissage. Maurice est transporté à l’hôpital trente minutes plus tard, pendant que ses équipiers restent dans l’avion, tétanisés et inquiets de savoir ce qui arrive à leur ami.

À l’hôpital, les médecins sont pessimistes. Maurice est inconscient et a 40° de fièvre. On pense qu’il ne passera pas la nuit. Les infirmières l’enveloppent de glace, pendant que ses proches l’entourent. Ils tentent de l’appeler et de le stimuler. Maurice ouvre parfois les yeux et tente de parler, mais il n’y arrive pas. Alors, il pleure, et tout le monde avec lui. Pendant ce temps, de façon macabre, on spécule sur son état : la franchise des Royals, en plein rachat, est vendue pour deux prix : 200 000 $ si Maurice ne se rétablit pas, 225 000 $ dollars s’il peut jouer à nouveau.

Quand Stokes émerge finalement après des semaines de coma, sa carrière de joueur est terminée. Le diagnostic est sans appel : lésion cérébrale affectant le centre de contrôle moteur. Il n’y a plus de connexion entre l’information partant du cerveau et le geste à réaliser. Aucun traitement n’est possible. Maurice ne peut plus parler et son corps est entièrement paralysé. En revanche, son cerveau fonctionne parfaitement. Il peut communiquer avec son entourage en clignant les paupières.

Pour Maurice, la situation est grave. Ses parents sont âgés et n’ont pas les moyens de le rapatrier à Pittsburgh pour qu’il puisse bénéficier des meilleurs soins. Des soins qui, par ailleurs, réclament de l’argent. Or, Maurice n’est pas riche. Comme tous les joueurs de l’époque, il ne touche pas un salaire énorme. Ses coéquipiers non plus. Ses amis ne sont pas davantage favorisés. La question de savoir ce qu’il va devenir, incapable de bouger sur son lit d’hôpital, se pose sérieusement.

C’est alors qu’un ange gardien inattendu va intervenir, en la personne de Jack Twyman.

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Twyman et Stokes sont coéquipiers depuis trois ans, mais ils ne sont pas amis. Ils ne passent jamais de temps ensemble et leurs relations sont amicales, sans plus. En dehors de leur ville d’origine, tout les sépare. Et pourtant, Twyman va décider de prendre les choses en main et de battre pour son équipier. Pourquoi ? Twyman dira plus tard qu’il était simplement de son devoir d’aider quelqu’un qui avait grandi dans la même ville que lui. Le fait que Stokes soit noir et lui blanc ne lui effleure même pas l’esprit. La ségrégation, les différences raciales, le contexte sociétal, tout cela n’a aucune importance. Un homme a besoin de lui, et il compte bien l’aider.

Jack se met au travail. Il commence par remplir les documents nécessaires pour devenir le tuteur légal de Maurice et obtient officiellement la charge. Puis il appelle un ami avocat pour obtenir une indemnisation suite à l’accident. Les deux hommes prouvent devant la cour que Maurice a été blessé durant un match, et obtiennent gain de cause. La somme obtenue est loin de couvrir toutes les dépenses nécessaires pour améliorer les conditions de vie du malade, mais le symbole est fort.

Twyman passe plusieurs nuits à l’hôpital, à surveiller l’état de santé de son équipier. Il communique avec lui en tenant patiemment un alphabet devant ses yeux. Dès qu’il indique la bonne lettre, Maurice cligne de l’œil, jusqu’à former un mot. Un travail long, qui nécessite de la patience. Heureusement, Maurice est bien décidé à retrouver l’usage de la parole : un travail de physiothérapie rigoureux lui permet de réussir à prononcer son nom à l’automne 1958. Un peu plus tard, Maurice est en mesure de déplacer ses doigts. On lui donne une machine à écrire et on attache ses bras juste au-dessus des touches pour lui permettre de les frapper. Le premier message de Stokes est destiné à son ami :

Jack, comment pourrai-je jamais te remercier ?

Le fait de pouvoir communiquer ainsi est un grand soulagement pour Maurice. Il peut exprimer ses pensées, et même critiquer les performances de Jack lors des matchs de basket qu’il regarde à la télévision ! Loin de s’apitoyer sur son sort, Maurice demande à être traité comme une personne normale. Ce qui n’est pas facile pour ses visiteurs. Mais Maurice sait détendre ceux qui viennent le voir, avec un regard, un sourire, une attitude cordiale. Il mettra cependant fin à sa relation avec sa petite amie de l’époque, Dorothy Parsons ; bien qu’elle vienne le voir presque tous les jours, Maurice est conscient du fardeau qu’il représente. Il veut la laisser vivre sa vie. Le couple se séparera bientôt.

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Les problèmes de Stokes sont loin d’être terminés. Les frais médicaux le concernant sont toujours importants. L’état de l’Ohio a beau en couvrir une partie, le déficit reste énorme ; la santé de Stokes dépend essentiellement de dons privés trouvés par Twyman. Celui-ci décide d’organiser un match de charité l’été suivant pour trouver de l’argent. Plus de soixante joueurs de NBA, dont Wilt Chamberlain, voyagent à leurs frais pour y participer. La somme récoltée est énorme et l’expérience se renouvellera pendant plusieurs années. Quand Maurice sera suffisamment en forme pour assister à l’un de ces matchs, les joueurs viendront le serrer dans leurs bras. Maurice essayera de se lever de son fauteuil, mais sans succès.

Pendant dix ans, la vie continue pour Maurice, bien décidé à redevenir un citoyen productif. Il écoute du jazz, lit les poèmes de Langston Hughes, s’intéresse à la politique et manifeste son soutien à Martin Luther King. Quand son état de santé le lui permet, il va dîner avec la famille de Jack Twyman et voyage tant qu’il peut. L’université Saint Francis donnera son nom à leur nouveau centre sportif. À force de travail, Maurice parviendra à refaire quelques pas, et à tenir un discours compréhensible.

Malheureusement, les efforts à fournir sont trop importants. Le cœur de Maurice fatigue. Le 6 avril 1970, douze ans après son accident, Maurice Stokes meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 36 ans. Il a vécu les douze dernières années de sa vie du mieux qu’il le pouvait, avec gentillesse et générosité. Il a beaucoup souffert et ne s’est jamais plaint. Beaucoup de gens ont été inspirés par l’histoire de Maurice. Aujourd’hui encore, des athlètes professionnels et des célébrités se rendent tous les ans dans les Montagnes Catskill de New York pour participer à un tournoi de golf portant le nom de Maurice. En 2012, la NBA a également créé le trophée « Twyman-Stokes », récompensant le « coéquipier idéal ».

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L’histoire de Stokes et de Twyman est extraordinaire à bien des égards. Sa portée symbolique a été très importante ; à l’époque, beaucoup de gens furent touchés de voir qu’un Blanc pouvait être préoccupé par le sort d’un Noir en difficulté. Le mouvement pour les droits civiques allait entrer dans son âge d’or et il fut très important pour les Américains de voir que des rapports d’amitié aussi forts entre un Noir et un Blanc était possible, alors que culturellement, tout les dépassait.

Le 5 avril 2004, un jour avant le 34ème anniversaire de sa mort et après une longue campagne dirigée par Jack Twyman, Maurice Stokes est entré au Basketball Hall of Fame. L’occasion pour Twyman de rendre un formidable hommage à son coéquipier. Des extraits de son discours (traduits) se trouvent ci-dessous.

 

 

Nous savons tous quel joueur était Maurice. Je vais parler un peu de l’homme qu’il était. Pour commencer, imaginez ceci : vous allez vous coucher le samedi soir, au sommet de votre jeu ; le monde vous appartient ; vous avez l’avenir devant vous. Et le dimanche matin, quand vous vous réveillez, vous êtes entièrement paralysé. Plus rien ne fonctionne et vous ne savez pas pourquoi.

Comment réagiriez-vous ? Je ne sais pas comment moi, je réagirais. Maurice, lui, a réagi ainsi : après une semaine ou deux, je lui ai demandé ce qu’il avait ressenti en prenant conscience de son état. Il m’a simplement dit : « J’avais deux possibilités : abandonner, ou retrousser mes manches et employer toute mon énergie à essayer de surmonter ça. » Et pendant les années qui ont suivi, c’est exactement ce qu’il a fait. Il s’est soumis à un incroyable régime, du matin jusqu’au soir : kinésithérapie, ergothérapie, exercices d’élocution. Et en même temps, il gardait un œil sur le monde qui l’entourait : le sport, la musique… Songez un peu à cela : alors qu’il était entièrement paralysé, il n’a jamais manqué de voter une seule fois à une élection locale, nationale ou d’état.

C’était extraordinaire de le voir. Pendant toutes ces années, je ne l’ai jamais vu déprimé ou en colère. Il vivait au jour le jour. C’était un homme incroyable et j’ai eu beaucoup de chance de le côtoyer. […] Il inspirait tous ceux qui étaient en contact avec lui et l’hôpital lui a souvent demandé de parler à des patients qui étaient dans une période difficile. […]

Ma famille a accueilli Maurice comme s’il en faisait partie. Nos enfants ont grandi avec lui et nous avions hâte de l’avoir avec nous pour dîner les dimanches soirs. Quand Maurice venait, après quelques minutes, Carole [l’épouse de Jack Twyman] et lui… Je ne dirais pas qu’ils se disputaient, mais ils parlaient avec animation : ils adoraient débattre, de façon très sérieuse. Vous pouvez imaginer combien notre famille a appris de Maurice. On évoque souvent ce que j’ai fait pour lui, mais tout ce que j’ai fait, il me l’a rendu par sa présence et son courage. Toutes les merveilleuses pensées charitables et la générosité venues du pays entier vous permettent rapidement de déterminer ce qui est important et ce qui ne l’est pas.

Pour terminer, mes sentiments ce soir sont un peu mitigés. Je suis très heureux d’être ici pour représenter Maurice ; il mérite d’être au Hall of Fame, c’était un joueur formidable. Je suis un peu triste parce qu’il n’est plus parmi nous. Cela dit, d’une certaine façon, il est peut-être un peu là. Maurice aimait faire la fête, surtout quand il était le centre d’attraction. Je finirai sur ces mots très simples : félicitations, mon grand – tu as réussi.


Source photos : http://www.nba.com

 

 

Very big men : histoires de géants (3/3)

Première partie disponible ici et deuxième partie ici.

En NBA, on désigne sous le nom de big man tout joueur dépassant les 2,15 m. Avoir de la taille sous les panneaux est un élément fondamental pour une équipe cherchant à remporter un titre. Peu en vue avant les années 90, les big men sont aujourd’hui très présents en NBA ; la mondialisation du basket et les nouvelles technologies permettent aux recruteurs de prospecter plus facilement à l’étranger pour dénicher des joueurs de grande taille. À l’heure actuelle, vingt-cinq joueurs ayant foulé les parquets NBA avaient une taille supérieure à 2,20 m, ce qui est plutôt remarquable sachant à quel point les hommes de plus de 2,15 m sont rares. Les trajectoires de ces vingt-cinq joueurs ont été très différentes. Le but de cet article n’est pas de se concentrer sur leurs performances seules, mais aussi sur leurs vies. Des vies bien souvent à l’image de leur physique : hors du commun.

Avertissement : cet article regroupe les joueurs de NBA mesurant 2,21 m. Certains d’entre eux ont été « officiellement » mesurés à cette taille, mais de façon biaisée (avec leurs chaussures par exemple). Aussi n’apparaissent-ils pas dans cette liste. C’est le cas de Walter Tavares, Tibor Pleiß (mesuré en Europe à 2,18 m) et Kristaps Porzingis (dont la croissance n’est pas finie et dont la taille est incertaine à l’heure actuelle).

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Randy Breuer (2,21 m). Onze ans de carrière pour ce joueur rugueux et dur et mal qui, sans atteindre le statut de star, aura été un excellent role player et un équipier précieux. Originaire du Minnesota, Breuer permet au lycée de sa ville natale de Lake City de remporter deux championnats d’État consécutifs. Après quatre ans d’université (toujours dans le Minnesota), il est choisi en 18ème position à la draft de 1983 par les Milwaukee Bucks. Une bonne pioche : non content d’être intelligent et naturellement doué au contre, Breuer est très bon passeur et possède un joli tir en bras roulé. Il restera sept ans dans le Wisconsin, atteignant lors de la saison 1987-1988 une moyenne de 12 points et 6,8 rebonds en 81 matchs.

En conflit avec l’entraîneur Del Harris, Breuer sera échangé aux Timberwolves, qu’il quittera pour les Hawks deux ans plus tard suite à une nouvelle dispute avec l’entraîneur Jimmy Rodgers. Après une dernière pige chez les Kings en 1994, Breuer met un terme à une carrière bien remplie et rentre au Minnesota élever ses trois enfants. Parmi ses faits d’armes, 40 points en un match contre les Warriors et 25 points marqués contre Houston et Olajuwon malgré plusieurs côtes cassées. Aujourd’hui, Breuer occupe les fonctions d’entraîneur dans un lycée proche de chez lui ; il aura notamment eu la joie d’entraîner ses deux fils, Kevin et Chris.


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Keith Closs (2,21 m). Né dans le Connecticut, Keith Closs a 5 ans lorsque sa famille déménage à Los Angeles. Durant son adolescence, il connaît des poussées de croissances extrêmement douloureuses qui l’affecteront jusqu’à ses 19 ans. Closs montre très vite de grandes aptitudes en matière de basket : avec l’université de son État natal, il atteint en deux ans la moyenne record de 5,9 contres par match, une performance toujours inégalée depuis.

Après un différend suite à un changement d’entraîneur, Closs décide de passer professionnel et joue avec les Norwich Neptunes dans un championnat mineur. Il se présente à la draft NBA 1997, mais rate complètement son camp d’été et n’est pas sélectionné. Les deux franchises de Los Angeles se montrent tout de même intéressées, et Closs est accueilli au sein des Clippers.

Le première saison de Closs est correcte, mais le joueur va rapidement sombrer. Car Closs est un alcoolique chronique ; il attribuera plus tard les raisons de sa maladie au whisky que son père lui faisait boire pour le faire dormir quand il était bébé. Les Lakers s’étaient montrés prudents à son sujet, et avec raison car durant son séjour chez les Clippers, Closs fait toutes les frasques possibles et imaginables : il boit comme un trou, néglige sa condition physique, fume de la marijuana, se fait tatouer dans le dos l’inscription « FUCK THE WORLD », est arrêté pour conduite en état d’ivresse, se dispute avec ses équipiers et rate des entraînements quand il est trop saoul pour se réveiller. Trois ans plus tard, les Clippers se séparent de Closs. Sa carrière NBA est terminée.

Closs poursuivra en ligue mineure, toujours miné par sa maladie, jusqu’à ce que l’ancien basketteur et alcoolique John Lucas ne parvienne à lui faire surmonter son addiction. Remis d’une pancréatite, Closs terminera sa carrière en Chine dans l’anonymat le plus complet. Aujourd’hui parfaitement sobre, il dit regretter amèrement ses années gâchées ; il reste tout de même dans le cœur des fans des Clippers, qui se souviennent de lui comme étant l’un des joueurs les plus sympathiques de la NBA. Marié et heureux, Closs vit aujourd’hui en Californie, où il élève des chiens et participe régulièrement aux réunions des Alcooliques Anonymes.


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« Swede » Halbrook (2,21 m). De son vrai nom Harvey Wade Halbrook, celui que chacun connaissait sous le nom de « Swede » montre très vite de grandes aptitudes sportives. Durant ses années lycée, il pratique le basket, mais aussi le saut en hauteur et la course de haies. Après avoir aidé son équipe à remporter le championnat d’État, Halbrook s’engage avec l’université d’Oregon, qui devient aussitôt candidate au titre. La taille de « Swede », exceptionnelle pour l’époque, intimide et impressionne.

Après deux ans passés à l’université, Halbrook rejoint l’équipe amateur de Wichita ; il y restera trois ans, remportant un titre national. Il entre en NBA en 1960, joue 79 matchs pour sa première saison et se qualifie pour les play-offs avec Syracuse. En demi-finale de Division, Halbrook fera étalage de tout son talent, défendant efficacement contre Wilt Chamberlain et contribuant à la victoire de son équipe 3 victoires à 0 contre les Warriors.

La saison suivante, Halbrook joue 64 matchs, puis disparaît brusquement, mettant un terme à sa carrière. Une décision en apparence incompréhensible, mais pas pour tout le monde. Halbrook avait toujours été un personnage excentrique ; il pouvait disparaître plusieurs semaines sans explication, comme le confiera son entraîneur à Oregon, Slats Gills :

« Il aurait pu avoir une carrière intéressante s’il avait pris soin de lui-même. Quand il était en deuxième année, il a disparu pendant une semaine et il a fallu appeler la police. Croyez-le ou non, ils n’ont pas réussi à trouver un type mesurant plus de 2,13 m ! Finalement, il est réapparu tout seul, mais il ne m’a jamais dit où il était allé. »

La vie de Halbrook après le basket sera tout aussi étrange. Il déménagera à Portland et exercera toute une série de métiers aussi bizarres les uns que les autres, officiant par exemple en tant que clown dans un cirque (il recevra à cette occasion le titre du « plus grand clown du monde »). Halbrook est décédé le 5 avril 1988, après avoir été victime d’une attaque cardiaque dans un bus à Portland. Il aura détenu le record du plus grand joueur ayant pris part à un match NBA jusqu’à l’arrivée de Mark Eaton en 1982.


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Zydrunas Ilgauskas (2,21 m). La carrière d’Ilgauskas est en montagnes russes. Excellent intérieur, des blessures aux pieds dues à sa taille et son poids l’auront fait souffrir toute sa carrière. Ilgauskas rejoint la NBA à 21 ans, après quatre ans passés dans le championnat lituanien ; sélectionné par les Cavaliers en 20ème position de la draft 1996, il manque toute sa première saison suite à une fracture au pied droit. Le pivot revient fort l’année suivante, gagnant une place dans le cinq majeur des rookies de la saison, mais se blesse à nouveau. Il joue cinq matchs en deux saisons, puis redevient titulaire pour la saison 2000-2001 qu’il attaque fort, permettant à son équipe d’amasser 15 victoires sur 23. Malheureusement, Ilgauskas se blesse une nouvelle fois au bout de deux mois et doit renoncer au reste de la saison, qui termine en fiasco pour les Cavaliers.

Après plusieurs opérations de chirurgie dans un centre spécialisé en Arizona, Ilgauskas est limité à 30 minutes de temps de jeu pour éviter de nouvelles blessures, ce qui ne l’empêche pas d’aligner régulièrement les points et les rebonds. Il sera sélectionné à deux reprises pour le All-Star Game en 2003 et 2005. Fidèle lieutenant de LeBron James, Ilgauskas le rejoindra à Miami en 2010 avant de raccrocher l’année suivante. Il travaillera par la suite au sein de l’organisation des Cavaliers, puis comme assistant coach dans un lycée. Grand lecteur, passionné d’histoire, Ilgauskas n’aura toutefois jamais semblé très concerné par sa carrière internationale ; il n’aura joué que trois matchs en tout avec l’équipe lituanienne. On ne sera donc pas étonné d’apprendre qu’il a changé de nationalité en 2014, devenant officiellement citoyen américain.


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Aleksandar Radojević (2,21 m). Ce joueur s’est retrouvé mêlé à des histoires assez curieuses. Aleksandar Radojevic commence le basketball à 16 ans, après avoir pratiqué le football et le water-polo (comme un autre géant, Mark Eaton). Devenu majeur, il joue quelques matchs professionnels au Monténégro contre de l’argent, ce qui va faire capoter son transfert à Ohio State en 1997 pour des raisons d’éligibilité. Radojevic rejoint l’université Barton County, dans le Kansas, et apprend l’anglais dont il ne parle pas un mot. Après une première bonne saison (plus de 4 contres par match), Ohio State tente de lui remettre la main dessus, mais de nouvelles histoires d’argent le contraignent à rester au Kansas.

En 1999, ses performances incitent les Raptors à retenir Radojevic en 12ème position de la draft. « Rado » joue le premier match de la saison (une minute contre Boston, aucun panier marqué), puis se déchire le ménisque gauche immédiatement après. Il revient pour les deux derniers matchs de la saison et marque ses premiers points en NBA. Des problèmes de dos lui font manquer toute la saison suivante et les Raptors l’échangent aux Denver Nuggets début 2001. Radojevic ne joue pas un match et est échangé à Milwaukee, où, encore une fois, il ne joue pas un match. Le géant bosnien repart alors en Europe et se refait une santé, incitant même Utah à l’engager pour la saison 2004-2005. Mais Radojevic ne convainc pas davantage (1,6 points et 2,3 rebonds en douze matchs). Il retournera bientôt en Europe exercer ses talents, passant par la Grèce, Chypre et le Liban. Il a fini sa carrière à Skopje en 2012.


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Arvydas Sabonis (2,21 m). Arvydas Sabonis est l’un des plus grands joueurs de l’histoire du basket. Drafté en 24ème position de la draft 1986, Sabonis n’est arrivé en NBA qu’à 31 ans en raison des restrictions posées par l’Union Soviétique. Si les blessures et un âge avancé ne lui ont pas permis de montrer toute l’étendue de son talent, le pivot lituanien aura joué sept saisons suffisamment bonnes pour le faire figurer dans le classement des 100 plus grands joueurs de l’histoire de la NBA (à retrouver ici), où un portrait de lui plus détaillé est disponible.


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Ha Seung-Jin (2,21 m). Fils d’un ancien joueur international de basket coréen, Ha remporte quatre championnats avec son lycée. Profitant d’une règle en Corée du Sud qui lui permet de jouer à l’université avant de finir ses études secondaires, Ha dispute sept rencontres avec l’équipe de basket de Yonsei et affiche une moyenne de 12,6 points, 8,6 rebonds et 1,6 contres. Cette année-là, l’université obtiendra le titre national. Le lycée terminé, Ha décide de ne pas faire d’études universitaires et s’entraîne pour la draft 2004 à laquelle il se présente. Il est sélectionné par Portland en 46ème position. La franchise l’envoie fourbir ses armes dans un club de ligue mineure, et le rappelle au milieu de la saison 2004-2005.

Malgré des qualités indéniables (un physique solide, une certaine vivacité, un tir fiable) et quelques matchs intéressants (13 points contre les Lakers), les défauts de Ha sont trop nombreux. Lourd et maladroit, il ne sait ni se positionner, ni utiliser son corps à bon escient. Ha joue donc très peu (19 matchs) ; il passe en D-League, puis profite des blessures de Theo Ratliff et Joel Przybilla pour démarrer quatre matchs en 2005-2006. Engagé par les Bucks pour la pré-saison 2006, il n’est finalement pas retenu et décide de rentrer au pays après un dernier passage en D-League. Il y poursuit aujourd’hui sa carrière tout en jouant régulièrement avec la sélection de Corée du Sud, avec laquelle il a décroché la médaille d’argent aux Jeux Asiatiques puis la médaille de bronze aux Championnat d’Asie de basket.

Pour la petite histoire, la sœur aînée de Ha, Ha Eun-Joo, est également joueuse de basket-ball professionnelle. Elle a été recrutée un temps par l’équipe WNBA des Sparks de Los Angeles, mais n’a pu y évoluer suite à un problème de contrat.


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Bruno Šundov (2,21 m). Bruno Sundov mérite sans aucun doute le titre de plus grand globe-trotter du basket. À deux ou trois exceptions près, il n’est jamais resté plus d’un an au même endroit, et a même changé d’équipe plusieurs fois dans l’année ! Né en Croatie, Sundov se révèle au championnat du monde junior 1998, au cours duquel il remporte la médaille d’or avec son pays. La même année, les Mavericks le sélectionnent à la draft en 35ème position alors qu’il n’a que 18 ans.

Sundov aura sa chance, mais sa carrière ne décollera jamais réellement. Il passera successivement par les Pacers (2000–2002), les Celtics (2002–2003), les Cavaliers (2003) et les Knicks (2003-2004). Sa moyenne en carrière est famélique : 1,7 points et 1,0 rebond en 102 matchs, dont quatre comme titulaire. En 2004, Sundov retourne en Europe et commence son incroyable tour du monde des clubs (avec un court retour chez les Knicks en 2004-2005) : en 12 ans, il jouera pour 21 clubs différents, dans des pays aussi éclectiques que les Philippines, la Lettonie, la Hongrie, le Nicaragua ou le Bahreïn, où il exerce ses talents encore aujourd’hui. À 36 ans, il lui reste quelques années pour allonger sa liste…


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Hasheem Thabeet (2,21 m). Premier joueur tanzanien à fouler les parquets NBA, Hasheem Thabeet a eu une carrière si décevante qu’il est régulièrement cité parmi les pires joueurs draftés en haut de tableau de tableau de la NBA. Thabeet commence le basket à 15 ans, puis est recruté par un lycée texan attiré par sa taille. Mais c’est à l’université que le Tanzanien va faire étalage de tout son talent. Sa présence défensive est incroyable, et ses qualités offensives vont de pair. Grâce à lui, l’université du Connecticut atteint le dernier carré du championnat en 2008-2009. Suite à cette performance, Thabeet décide de sauter sa dernière année d’université et se présente directement à la draft 2009. Il est sélectionné par les Memphis Grizzlies en deuxième position.

Les Grizzlies sont convaincus d’avoir mis la main sur une pépite, mais la première saison de Thabeet en NBA est catastrophique : 3,1 points, 3,6 rebonds et 1,3 contres de moyenne en 68 matchs ! La franchise est contrainte de l’envoyer en D-League la saison suivante, chose qui n’était encore jamais arrivée pour un joueur drafté en si bonne position. Rappelé par les Grizzlies en mars 2010, Thabeet est échangé à Houston au milieu de la saison suivante. Il n’y joue que sept matchs et fait un nouveau passage en D-League, avant d’être rappelé et à nouveau échangé, à Portland cette fois, en milieu de saison suivante.

Le Thunder donne à Thabeet une nouvelle chance en 2012, mais malgré quelques signes d’amélioration (un double-double contre les Bobcats en début du saison), le pivot tanzanien n’est toujours pas au niveau. Ses passages suivants à Philadelphie (cinq petits jours) et Detroit (libéré après un mois passé sans jouer) ne seront qu’anecdotiques. Thabeet part en D-League en juillet 2015 et sera sélectionné pour la Summer League, mais la NBA semble en avoir assez vu. Depuis, plus personne n’a entendu parler de lui.


Source photos : http://www.thetallestman.com

Very big men : histoires de géants (2/3)

Première partie disponible ici.

En NBA, on désigne sous le nom de big man tout joueur dépassant les 2,15 m. Avoir de la taille sous les panneaux est un élément fondamental pour une équipe cherchant à remporter un titre. Peu en vue avant les années 90, les big men sont aujourd’hui très présents en NBA ; la mondialisation du basket et les nouvelles technologies permettent aux recruteurs de prospecter plus facilement à l’étranger pour dénicher des joueurs de grande taille. À l’heure actuelle, vingt-cinq joueurs ayant foulé les parquets NBA avaient une taille supérieure à 2,20 m, ce qui est plutôt remarquable sachant à quel point les hommes de plus de 2,15 m sont rares. Les trajectoires de ces vingt-cinq joueurs ont été très différentes. Le but de cet article n’est pas de se concentrer sur leurs performances seules, mais aussi sur leurs vies. Des vies bien souvent à l’image de leur physique : hors du commun.

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Mark Eaton (2,24 m). Une bien belle histoire que celle de Mark Eaton. En dépit de sa taille, rien ne prédestinait ce géant de 2,24 m à devenir l’un des meilleurs défenseurs de l’histoire de la NBA. Durant son adolescence, c’est au water-polo que s’intéresse le jeune Californien ; il ne commence le basket qu’en dernière année de lycée, où il passe la majeure partie de son temps sur le banc, sous les quolibets de ses camarades qui se moquent de ses mensurations. Son diplôme obtenu, Eaton entame des études de mécanique automobile en Arizona et travaille en parallèle dans un garage de Californie. Trois années passent avant que l’un des entraîneurs-assistants de l’équipe de basket universitaire de Cypress ne le repère par hasard. Mark rejoint l’équipe, aligne deux saisons en double-double et remporte le titre de l’État de Californie.

En 1979, Eaton est drafté par les Phoenix Suns au cinquième tour. Il n’est pas incorporé à l’effectif. Eaton choisit alors de rejoindre l’Université de Californie Los Angeles (UCLA), où il se perd complètement, ne jouant que 42 minutes en tout lors de sa dernière année. Son avenir en NBA semble compromis, mais Eaton a un atout que les autres n’ont pas : sa taille. Aucun joueur de la draft 1982 n’est plus grand que lui. C’est ce qui pousse Frank Layden, l’entraîneur de Utah, à le sélectionner en 72ème position. L’année précédente, le Jazz avait fini dernier de la ligue aux contres et aux rebonds. Un pivot de 2,24 m sera certainement utile. Malgré cela, rien ne destine Eaton à une grande carrière. L’intéressé lui-même le reconnaît :

« En arrivant dans la ligue, tout ce que j’espérais, c’était d’être un bon pivot remplaçant, jouer 10 ou 15 minutes, faire de mon mieux, jouer pour quelques équipes et gagner correctement ma vie. »

L’ailier des Knicks James Bailey se rappelle bien de ses débuts :

« Quand il est arrivé dans la ligue, il était incapable de marcher et de mâcher du chewing-gum en même temps. »

Mais Eaton va rapidement exploser aux yeux du grand public. Lors de sa première saison, il claque 275 contres (record de la franchise) et devient titulaire. Lors de sa deuxième saison, il joue tous les matchs, obtient le titre de meilleur contreur de la ligue et contribue à la première apparition en play-offs de l’histoire du Jazz. Lors de sa troisième saison, Eaton est élu meilleur défenseur de la ligue avec une moyenne colossale de 5,56 contres par match. Plus personne ne remet en cause ses qualités sportives. La suite de sa carrière sera dans la même veine : au total, Eaton accumulera deux titres de meilleur défenseur de la ligue, quatre titres de meilleur contreur de la ligue et cinq apparitions dans l’un des cinq défensifs majeurs de la NBA. Il sera également une fois All-Star, en 1989, chose extrêmement rare pour un joueur non choisi dans les trois premiers tours de la draft.

Après onze ans de carrière, des blessures au dos et aux genoux ont raison de la volonté d’Eaton. Il prend une retraite méritée et deviendra un temps président de l’association des anciens joueurs de la NBA. Il travaille aujourd’hui en tant que commentateur et conférencier. Son numéro 53 a été retiré par Utah en 1996.


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Rik Smits (2,24 m). Les Néerlandais ont la taille moyenne la plus haute au monde. Pas étonnant, donc, d’en retrouver un dans cette liste de « grands », même s’ils n’ont été que cinq à fouler un jour les paquets NBA. Adolescent, Smits a du mal à trouver des chaussures à sa taille ; ses souliers trop serrés endommagent sérieusement les nerfs de ses pieds, qui seront source de douleurs toute sa vie. À dix-huit ans, Smits quitte sa ville natale d’Eindhoven pour rejoindre l’université de Marist, à New York. Quatre ans plus tard, il est sélectionné en deuxième position à la (faible) draft de 1988.

Les Pacers pensent faire de Smits la doublure de Steve Stipanovich, mais ce dernier se blesse gravement et doit mettre fin à sa carrière. Smits joue donc 71 matchs dès sa première saison, pour une très bonne moyenne de 11,7 points et 6,1 rebonds par match. Aussi doué défensivement qu’offensivement, il devient l’un des piliers de l’équipe, même s’il lui faudra plusieurs années pour s’affirmer comme leader. Adoré par le public, c’est en play-offs que Smits réalise ses meilleures performances. Il deviendra même All-Star, en 1998, mais devra mettre un terme à sa carrière en 2000, ses pieds le faisant trop souffrir. Aujourd’hui, Smits collectionne des motos de course et joue au basket-ball en ligue amateur en Indiana.


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Ralph Sampson (2,24 m). Si l’on s’intéresse de près à la carrière de Ralph Sampson, on peut légitimement se dire qu’il a été un grand joueur. Légende de la NCAA, quatre fois All-Star, élu au sein du Hall of Fame en 2012, Sampson était un formidable rebondeur et un solide contreur. Il a formé l’un des meilleurs duos d’intérieurs de l’histoire du basket avec Hakeem Olajuwon. En 1986, il a envoyé les Rockets en finale au Match 5 contre les Lakers sur un panier miraculeux, l’un des plus grands moments de l’histoire des play-offs. Sa moyenne en carrière est très bonne : 15,4 points, 8,8 rebonds et 2,4 passes décisives. Et pourtant, quel dommage quand on pense à ce qu’il aurait pu devenir ! Ralph Sampson est en effet l’un des plus gros gâchis de l’histoire du basket. Si vous vous demandez pourquoi, lisez cet article.


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Priest Lauderdale (2,24 m). Curieuse trajectoire que celle de Priest Lauderdale. De façon naturelle, sa taille et sa carrure le destinent au basket. Il commence sa carrière universitaire en 1993, à Central State (Ohio). Lors de sa première saison, il affiche une moyenne impressionnante de 20,1 points et 10,2 rebonds de moyenne. Puis, de façon incompréhensible, il disparaît l’année suivante. Il semble être retourné dans une université de l’Illinois, son État natal, mais sans intégrer une équipe de basket. Pourquoi ? On ne le sait pas. Lauderdale revient au sport en 1995 ; il part part jouer en Grèce, avant de se présenter à la draft l’année suivante, avec l’espoir d’être choisi par les Bulls, la franchise de sa ville natale.

Lauderdale est choisi en 28ème position de la draft par les Sonics et envoyé aux Hawks dans le cadre d’un trade. Les Hawks pensent faire de lui un solide remplaçant, capable de suppléer Dikembe Mutombo en sortie de banc. De fait, la première saison de Lauderdale est tout à fait correcte : malgré un pourcentage de réussite aux lancers francs horrible (56 %), il joue 35 matchs et parvient à atteindre une moyenne de 3,2 points et 1,2 rebonds en 5 petites minutes de temps de jeu (et 55 % de réussite au tir). Malheureusement, le pivot est envoyé dès l’année suivante aux pitoyables Denver Nuggets. L’équipe est en difficulté et Lauderdale coule avec elle. Son temps de jeu et ses moyennes augmentent, mais son pourcentage de réussite au tir tombe à 41 % et son pourcentage de réussite au lancer franc est toujours aussi mauvais (55 %).

En 2000, Portland donne sa chance à Lauderdale lors d’un camp d’entraînement, mais celui-ci ne la saisit pas. Il part en D-League et joue les globe-trotters, passant par le Venezuela, Chypre, la Bulgarie (pays dont il prendra la nationalité), l’Arabie Saoudite, la Chine, l’Iran, et les Émirats Arabes Unis. Il terminera sa carrière sur une escapade au Liban, qui tournera court après la disparition du club suite à des problèmes financiers. Lauderdale consacre aujourd’hui son temps à aider les jeunes en difficulté.


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Boban Marjanović (2,22 m). Fraîchement arrivé en NBA (il a rejoint les Spurs en 2015), Marjanovic mesurait déjà 2,09 m à 14 ans. Il commence sa carrière à 18 ans dans le championnat professionnel serbe, et joue en Russie et en Lituanie. Bon shooteur, doté d’une grosse présence physique, il brille en Euroligue et accumule les distinctions : meilleur rebondeur du championnat serbe en 2012-2013, nommé dans le meilleur cinq de la Ligue adriatique en 2013-2014, record du nombre de rebonds et de doubles-doubles sur une saison en 2014-2015. Ses performances lors de sa dernière saison avec l’Étoile rouge de Belgrade sont impressionnantes, et la NBA s’intéresse à lui.

Le 10 juillet 2015, Marjanovic signe chez les Spurs de San Antonio pour un an. Il s’adapte rapidement, apporte points et rebonds en sortie de banc et devient l’un des chouchous du public de San Antonio. La saison suivante, Marjanovic devient agent libre et les Pistons lui proposent un contrat. En difficulté avec leur masse salariale, les Spurs n’ont pas les moyens de s’aligner sur l’offre et doivent laisser partir leur pivot, qui évolue donc en ce moment aux Detroit Pistons.


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Peter John Ramos (2,22 m). S’il n’a pas brillé en NBA, Peter John Ramos a quand même fait un joli parcours dans son sport. Son père quitte le foyer familial alors qu’il n’a que cinq ans, poussant la famille à s’installer à New York. L’adolescence de Peter est difficile ; sa taille exceptionnelle fait de lui l’objet de multiples moqueries. En 1999, Ramos a quatorze ans et mesure déjà 2,13 m. Il travaille dans un magasin de vêtements et n’a jamais sérieusement pratiqué le basket. Un jour, un ancien joueur de basket portoricain, Santiago Gotay, entre dans la boutique et remarque ce garçon à la taille démesurée. Apprenant que Ramos est natif de Porto Rico, Gotay contacte le propriétaire du club Criollos de Caguas, qui se déplace jusqu’à New York pour faire signer un contrat au jeune homme alors qu’il ne l’a encore jamais vu jouer !

Ramos part étudier à Porto Rico et apprend les fondamentaux du basket, tout en continuant à prendre des centimètres. Avec son lycée, il remporte par deux fois le championnat national et entre dans la ligue portoricaine de basket professionnel. Il progresse rapidement et intègre l’équipe nationale de Porto Rico dès 2003. En avril de l’année suivante, Ramos annonce qu’il se présente à la draft NBA, ajoutant qu’il se retirerait s’il n’était pas choisi parmi les quinze premiers. Il est sélectionné en 32ème position, au deuxième tour, par les Washington Wizards.

Ramos n’a pas assisté à sa sélection. Déçu de lui-même, il a quitté la cérémonie dès la fin du premier tour. Après une bonne performance aux Jeux d’Athènes (il fait partie de l’équipe portoricaine qui a vaincu les États-Unis), Ramos décide tout de même de saisir l’opportunité et de rejoindre les Wizards. Hélas, il est trop jeune et fait le grand saut bien trop tôt. Il passe l’essentiel de sa première saison en réserve, ne disputant que six matchs pour cinq paniers et onze points marqués. L’année suivante, Ramos passe en D-League et ne sera rappelé qu’une seule fois par les Wizards pour rejoindre l’effectif. Il sera coupé quelques mois plus tard, avant le début de la saison 2006-2007. Ramos continuera sa carrière un peu partout dans le monde, passant par l’Europe et l’Asie, avant de revenir dans le championnat portoricain où il joue toujours aujourd’hui.

Suite et fin ici.


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Very big men : histoires de géants (1/3)

 Height Difference: 28 inches

Les deux extrêmes : Manute Bol (2,31 m) et Muggy Bogues (1,60 m).

En NBA, on désigne sous le nom de big man tout joueur dépassant les 2,15 m. Avoir de la taille sous les panneaux est un élément fondamental pour une équipe cherchant à remporter un titre. Peu en vue avant les années 90, les big men sont aujourd’hui très présents en NBA ; la mondialisation du basket et les nouvelles technologies permettent aux recruteurs de prospecter plus facilement à l’étranger pour dénicher des joueurs de grande taille. À l’heure actuelle, vingt-cinq joueurs ayant foulé les parquets NBA avaient une taille supérieure à 2,20 m, ce qui est plutôt remarquable sachant à quel point les hommes de plus de 2,15 m sont rares. Les trajectoires de ces vingt-cinq joueurs ont été très différentes. Le but de cet article n’est pas de se concentrer sur leurs performances seules, mais aussi sur leurs vies. Des vies bien souvent à l’image de leur physique : hors du commun.

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Hors-concours : Yasutaka Okayama (2,34 m). Sélectionné par les Warriors en toute fin de draft 1981 (10ème choix du huitième tour, 171ème choix), Okayama n’a jamais foulé les parquets NBA. Ceinture noire de judo, il commence le basket à 18 ans à la faculté de commerce d’Osaka et joue un an et demi à l’université de Portland dans le cadre d’un échange étudiant, sans jamais apparaître en match officiel. Les Warriors veulent le tester, mais Okayama décline l’invitation et repart au Japon. Il signe avec le club de Sumitomo Metal Industries et représentera son pays au niveau international entre 1979 et 1986. Aujourd’hui, Okayama travaille toujours chez Sumitomo Metal Industries et officie également en tant qu’entraîneur de basket. Il reste à ce jour le joueur le plus grand jamais drafté en NBA.

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Le classement

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Gheorghe Mureșan (2,31 m). Le plus grand joueur – en taille – de l’histoire de la NBA, c’est lui. Gheorghe Muresan est né en Roumanie dans la province de Cluj ; atteint d’une tumeur à l’hypophyse, il souffre de gigantisme dès son plus jeune âge. La famille Muresan est pauvre et n’a pas les moyens de payer l’opération nécessaire pour stopper la folle croissance de Gheorghe. Celui-ci grandit donc avec sa maladie, au propre comme au figuré. À 14 ans, le jeune homme va se faire examiner les dents à Cluj ; il mesure alors 2,05 m, une taille exceptionnelle pour son âge. Frappé par ses mensurations, le dentiste passe un appel à l’entraîneur de l’équipe nationale roumaine de basket. Muresan reste à Cluj et intègre l’équipe.

En 1991, alors qu’il a 20 ans et mesure 2,31 m, plusieurs facultés américaines proposent à Muresan des bourses universitaires. Celui-ci refuse : il veut gagner de l’argent pour aider les siens. Il s’engage avec Pau-Orthez, champion de France en titre. Le niveau de jeu est supérieur à tout ce que Gheorghe a connu jusqu’alors et le choc est rude : lent, lourd, voûté, le géant roumain ne sait pas comment se déplacer sur un parquet. Il progresse lentement, aidé par son entraîneur Michel Gomez qui lui fait travailler des exercices inédits, comme sauter sur un trampoline ! Petit à petit, Muresan devient un joueur complet, habile de ses mains et doté d’un joli tir. Son salaire lui permet d’acheter à ses parents une nouvelle maison ; pour la première fois, les Muresan ont l’électricité.

Gheorghe s’inscrit à la draft NBA de 1993. Retenu par les Bullets en 30ème position, le géant roumain fera une belle carrière et gagnera sa place de titulaire à Washington, remportant au passage le titre de joueur ayant le plus progressé en 1996. Figure très populaire, il tournera dans des publicités et donnera la réplique de manière plutôt convaincante à Billy Crystal dans le film Le Géant et moi. Malheureusement, son corps hors norme ne supportera pas longtemps le rythme effréné de la NBA et Muresan prendra sa retraite à seulement 29 ans, perclus de blessures. Il vit aujourd’hui à Franklin Lakes, dans le New Jersey, avec son épouse Liliana et ses enfants Gheorghe Junior et Victor.


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Manute Bol (2,31 m). Les mensurations de Bol ont probablement été uniques en leur genre. Plus petit de quatre millimètres que Muresan, il affichait une envergure de 2,59 m (la plus grande de l’histoire de la NBA), pouvait saisir des objets situés à 3,18 m de hauteur et avait des membres d’une taille exceptionnelle.

Bol est né en 1962 à Turalei (Soudan du Sud), une ville située à environ 600 kilomètres de Khartoum. Il est issu de l’ethnie Dinka, l’un des peuples les plus grands d’Afrique : selon les dires de Manute, sa mère avait atteint la taille de 2,08 m, son père et sa sœur mesuraient 2,03 m, et son arrière-grand-père… 2,39 m ! Adolescent, Bol est berger d’un troupeau de chèvres au sein de sa tribu. Le basket, il ne connaît pas. L’un de ses cousins lui propose d’aller en ville et de s’essayer au sport. Bol est repéré par Don Feeley, coach universitaire américain, qui entrevoit immédiatement ses possibilités. L’entraîneur convainc Bol de venir aux États-Unis pour rejoindre son équipe de Cleveland State. Et Manute s’envole vers l’Amérique du Nord.

L’apprentissage est difficile : le jeune soudanais a l’impression d’arriver dans une autre galaxie. Il ne connaît ni l’anglais, ni la culture américaine, et ses aptitudes sportives restent limitées : lors de sa première tentative de dunk, il se casse deux dents en se fracassant sur l’arceau ! Mais sa taille exceptionnelle attire les gens et lui ouvre toutes les portes. Drafté dès 1983 au cinquième tour par les Clippers, Bol est déclaré inéligible et doit évoluer dans une équipe universitaire de faible niveau. Il se présente de lui-même à la draft NBA de 1985, désireux de gagner de l’argent pour aider sa sœur, restée au Soudan. Les Bullets le sélectionnent en 31ème position.

C’est le début d’une magnifique carrière de douze ans et l’avènement d’un rempart défensif exceptionnel : deux fois meilleur contreur de la NBA, Bol comptera en neuf ans de carrière plus de contres que de points marqués ! En dehors du terrain, il aura également largement contribué à aider son pays d’origine pris dans une guerre civile, en versant près de 3,5 millions de dollars pour financer les rebelles, soit la quasi-totalité de ses gains lors de sa première saison avec les Bullets. À la fin de sa carrière, Manute continuera à mobiliser les consciences et à s’impliquer pour l’éducation au Soudan. Il mourra le 19 juin 2010, à 47 ans, des suites de graves problèmes rénaux et d’une maladie orpheline incurable, le syndrome de Stevens-Johnson. Il sera enterré deux semaines plus tard dans sa ville natale, selon les rites Dinkas.


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Slavko Vraneš (2,30 m). Difficile de connaître sa taille exacte avec certitude. Mesuré en NBA à 2,26 m, il semble par la suite avoir atteint les 2,30 m, mais son profil Euroligue mentionne 2,29 m… Contrairement à Bol et Muresan, la carrière du pivot monténégrin sera marquée par une constante qui l’empêchera de progresser tout au long de sa carrière : des difficultés d’adaptation. Après avoir commencé le basket chez les serbes du KK Železnik, il signe dans deux clubs turcs avant de retourner au Monténégro. Attirés par sa taille, les Knicks le draftent en 2003 à la 39ème position. Encore une fois, Vranes ne s’adapte pas ; en dépit d’une agilité et d’une rapidité appréciable pour un joueur de sa taille et de son poids, son jeu au poste bas est calamiteux et ses mensurations sont un handicap plus qu’un atout. Voyant son incapacité à progresser, les Knicks le renvoient en décembre 2003, sans lui faire disputer un match.

En janvier 2004, Portland récupère Vranes pour un contrat de dix jours. Il jouera 3 minutes en tout et pour tout contre les Timberwolves, le temps de commettre une faute et de manquer un tir. Pas convaincus, les Blazers ne renouvellent pas le contrat du pivot qui termine la saison à l’Étoile rouge de Belgrade. Par la suite, Vranes voyagera de club en club, ne restant jamais plus d’un an au même endroit. Il joue actuellement en Iran, à Téhéran.


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Shawn Bradley (2,29 m). Dans le monde de la NBA, Shawn Bradley est surtout connu comme le joueur s’étant fait dunker dessus par le plus grand nombre d’adversaires différents, ce qui fait de lui l’objet d’innombrables moqueries. Pourtant, on oublie trop vite que Bradley a été un très bon joueur, excellent défenseur, et à la carrière plus que correcte.

Né en Allemagne, Shawn grandit en Utah dans une famille de mormons. Ses performances avec l’équipe de basket de son lycée sont telles qu’un grand nombre d’universités se battent pour le recruter. Bradley choisit de rester dans l’Utah et rejoint l’université de Brigham (BYU). Sa première année est fantastique, avec des performances défensives hors du commun (5,2 contres par match !), mais à la surprise générale, Shawn quitte l’université pour partir en mission. Il passe deux ans en Australie au sein d’une communauté mormone (un épisode auquel il fera allusion dans le film Space Jam). À son retour, Bradley choisit de ne pas retourner à l’université et se présente à la draft NBA de 1993.

En raison de sa taille et de ses performances passées, Shawn est choisi en deuxième position par Philadelphie, un choix très discuté qui donnera malheureusement raison aux détracteurs : Bradley manque de dureté physique, commet beaucoup de fautes, et ses capacités offensives sont très limitées. Il fera malgré tout une bonne carrière, marquée par 14 saisons en NBA et un titre de meilleur contreur de la NBA en 2001. Une année prolifique pour Bradley, puisqu’il rempotera également une médaille de bronze au championnat d’Europe de 2001 avec son pays de naissance, l’Allemagne.

Après sa carrière, Bradley fera une brève expérience politique en tentant de devenir député de son État ; il échouera très honorablement. Il vit à l’heure actuelle en Utah avec sa femme Annette et ses six enfants, dont les prénoms commencent tous par la lettre « C ».


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Yao Ming (2,29 m). Le 4 avril 2016, Yao est entré au Hall of Fame de la NBA, devenant le plus grand joueur en taille à faire partie de ce cercle très fermé. Une juste récompense pour celui qui a été l’un des meilleurs pivots des années 2000. Yao Ming est né à Shanghai en 1980 ; sa taille exceptionnelle semble être le fruit d’un riche héritage génétique : sa mère mesure 1,91 m, et son père fait 2,08 m. Les parents de Yao étant tous les deux basketteurs professionnels, le destin du jeune homme est tout tracé. Une rumeur persistante prétend d’ailleurs que l’union des deux géniteurs a été arrangée par le Parti communiste chinois, chose qui n’a jamais été confirmée.

Yao intègre le championnat professionnel chinois à l’âge de 17 ans ; cinq ans plus tard, il domine ses adversaires de la tête et des épaules. Il est mûr pour la NBA, mais la Chine n’est pas prête à laisser filer sa perle rare aussi facilement. Une équipe de conseillers est montée pour que Yao puisse être éligible et éviter que le gouvernement refuse de le faire venir. La fédération chinoise pose deux conditions : que Yao soit toujours à disposition de l’équipe nationale et que les Houston Rockets le prennent en premier choix de draft. Les conditions sont acceptées et Yao devient le premier joueur international à être choisi en première position à la draft sans avoir joué à l’université.

L’arrivée de Yao est beaucoup commentée dans les médias ; depuis son poste de commentateur, Charles Barkley promet d’embrasser les fesses de son collègue Kenny Smith si le pivot marque 19 points en un seul match. Yao marque 20 points contre les Lakers moins de trois semaines après le début de saison, et Barkley respecte son pari en embrassant les fesses d’un âne acheté par Kenny Smith (« ass » pouvant désigner en anglais aussi bien les fesses que l’animal à grandes oreilles). En neuf ans de carrière avec les Rockets, Yao affichera une moyenne de 19,0 points, 9,2 rebonds et 1,9 contres en 486 matchs. Il sera aussi huit fois All-Star grâce à ses compatriotes, qui voteront massivement pour sa sélection chaque année.

Comme pour les autres géants, le corps de Yao finira par le lâcher. Il prendra sa retraite après la saison 2011 suite à des blessures récurrentes à la cheville et aux pieds. Depuis, Yao s’investit socialement dans diverses causes et se consacre à sa femme, la basketteuse Ye Li, et à sa fille Amy (Yao Qinlei), née à Houston en 2010.


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Sim Bhullar (2,26 m). Plus que par sa taille, c’est par ses origines que Gursimran « Sim » Bhullar a marqué la NBA : il restera à jamais le premier joueur d’origine indienne à y avoir évolué. Né au Canada de deux parents Indiens, Bhullar impressionne dans ses années lycée par son physique imposant. Auteur de bonnes performances (16 points, 14 rebonds et 8 contres de moyenne en 2009-2010), il s’entraîne dur pour améliorer sa condition physique, passant de 166 à 150 kg. Il s’engage avec l’université de New Mexico State et se présente à la draft 2014, après seulement deux années et des performances correctes. Sim n’est pas retenu, mais la franchise de Sacramento l’engage pour disputer la Summer League et l’envoie en D-League aux Reno Bighorns.

La NBA semble très loin pour Gursimran lorsque le destin vient s’en mêler. Le propriétaire indien des Kings, Vivek Ranadive, veut développer la popularité du basket-ball dans son pays d’origine. N’ayant plus rien à jouer en fin de saison régulière, l’équipe californienne offre à Bhullar un contrat de dix jours. Le joueur effectue ses débuts le 7 avril 2015, en rentrant lors des 16 dernières secondes de jeu face à Minnesota. La nuit suivante, il joue une minute et 22 secondes de garbage time contre Utah et marque un panier.

« Sim » jouera encore une minute le 10 avril contre Oklahoma avant d’être coupé par les Kings. Il est trop lent et son jeu n’est clairement pas au niveau. Bhullar retrouvera les Kings lors de la Summer League 2015, mais jouera peu et n’intégrera pas l’effectif. Il évolue aujourd’hui dans le championnat taïwanais.


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Chuck Nevitt (2,26 m). Douzième homme par excellence, Chuck Nevitt est le plus grand joueur en taille à avoir gagné un championnat (avec les Lakers en 1985). Durant sa  carrière, il a alterné les passages en ligue mineure avec des contrats de courte durée, pour des statistiques en carrière de 1,6 points, 1,5 rebonds et 0,7 contres en 155 matchs. Il travaille aujourd’hui en tant qu’ingénieur dans une compagnie où peu de gens connaissent son passé. Un portrait plus élaboré de ce joueur discret et attachant est disponible ici.


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Pavel Podkolzin (2,26 m). On en a déjà parlé : au milieu des années 2000, la NBA avait été contaminée par l’effet Nowitzki et tout le monde prospectait l’Europe dans l’espoir de trouver la nouvelle star venue d’outre-Atlantique. Pavel Podkolzin, pivot sibérien de 18 ans culminant à 2,26 m, a rapidement été repéré. Déjà professionnel (il évolue à Varèse, dans le championnat italien), sa taille, ses capacités au rebond et sa puissance le font pressentir comme un futur choix de haut de tableau. En 2003, devenu éligible, Podkolzin pense se présenter à la draft, mais un test physique de routine avec Chicago lui apprend qu’il souffre d’acromégalie, un dérèglement de la glande pituitaire responsable de sa grande taille. Bien qu’une opération simple puisse le soigner sans conséquences à long terme sur sa santé ou sa carrière, Podkolzin se retire de la draft 2003.

Lorsque Podkolzin s’inscrit à la draft l’année suivante, sa cote est en forte baisse ; il faut dire que ses performances avec Varèse (2,6 points et 2,3 rebonds de moyenne en 22 matchs) sont loin d’être prometteuses. Le géant russe est sélectionné en 21ème position par Utah et est immédiatement transféré à Dallas contre un futur choix de premier tour de la draft 2005. Après une Summer League catastrophique (6 rebonds en deux matchs pour 14 minutes de jeu), Podkolzin ne jouera que cinq matchs lors de sa saison rookie et un seul l’année suivante. Il sera définitivement coupé en août 2006. Revenu en Russie, il passe de club en club et est actuellement remplaçant au PSK Sakhalin. Ses statistiques NBA ? 0,7 points, 1,5 rebonds et 0,1 contres en 6 matchs.

La suite, c’est par ici.


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Ces « Dream Team » que personne n’a pu voir aux Jeux Olympiques

Il y a quelques semaines, l’équipe de basket masculine des États-Unis a remporté son 15ème titre olympique en 19 éditions, et ce malgré l’absence de joueurs-phare comme Stephen Curry ou LeBron James. Depuis l’arrivée des professionnels et la « Dream Team » de 1992, les USA n’ont perdu qu’une seule édition olympique, en 2004, avec une équipe dont les meilleurs joueurs étaient absents et qui fut incapable de rivaliser avec des équipes de très bon niveau, habituées au jeu FIBA. Tout le monde s’accorde sur le fait que l’équipe de 1992 était la meilleure de toutes, mais un meilleur « Team USA » aurait-il vu le jour si les joueurs de NBA avaient été éligibles avant Barcelone ? Tout cela n’est qu’utopie, mais essayons d’imaginer comment seraient bâties quelques-unes de ces « équipes de rêve ».

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Comme il faut bien commencer quelque part, nos « équipes de rêve » ne seront constituées qu’à partir de 1972, année de la première défaite des USA en finale des Jeux Olympiques. Pas seulement à cause du manque de données, mais aussi parce qu’avant les années 60, la notion de professionnalisme était assez floue ; il serait donc difficile de constituer  des équipes cohérentes.

Ensuite, les équipes constituées seront équilibrées ; il ne s’agit pas seulement de faire un empilement de stars à la va-vite. Les places au sein du groupe de douze joueurs seront réparties de la manière suivante :

  • 2 pivots de métier
  • 4 ailiers, dont au moins deux ailiers forts
  • 1 joueur polyvalent capable de jouer ailier ou arrière
  • 4 arrières, dont au moins deux meneurs de jeu
  • 1 joueur universitaire

D’autre part, parmi ces joueurs :

  • Trois devront être des défenseurs d’élite (un pivot, un ailier, un arrière)
  • Le joueur universitaire sera de préférence pivot ou ailier fort (voire polyvalent sur ces deux postes) pour servir d’assurance contre les blessures (les pivots sont les moins nombreux et les plus précieux)

On notera également six réservistes pour chaque équipe (un à chaque poste + un universitaire), moins forts que le groupe de douze mais susceptibles d’être appelés ou non en certains critères de l’époque (expérience, comportement ou, plus tristement, couleur de peau).

Une dernière information : pour l’équipe de 1972, la ligue professionnelle de basket-ball américaine était séparée entre ABA et NBA. Le jeu de l’ABA étant très éloigné celui de la NBA, et sachant qu’il aurait été difficile de faire une équipe homogène en mélangeant les joueurs des deux ligues, le parti d’ignorer l’ABA a été adopté. Dans la vraie vie, les choses n’auraient sans doute pas tourné autrement. La NBA était la « véritable » ligue de basket et les joueurs de l’ABA n’auraient pas été autorisés à participer aux Jeux. Pas de Erving, Issel ou Gilmore dans l’équipe de 1972 donc, mais ce n’est pas si dramatique, sachant qu’ils n’en étaient qu’à leurs débuts et que la concurrence était rude.

Ceci étant dit, il est temps d’établir la liste de ces « Dream Team » que personne n’aura vues.

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1972 : La grosse artillerie

Pivots : Abdul-Jabbar, Chamberlain
Ailiers : Cowens, DeBusschere (ailiers forts), Cunningham, Bob Love, Havlicek (polyvalent)
Arrières : Archibald, Frazier, Robertson (meneurs), West
Joueur universitaire : McAdoo
Réservistes : Thurmond, Silas ou Haywood, Sloan, Bing, Maravich, Dwight Davis (universitaire)

Cinq majeur : Chamberlain, Cowens, Havlicek, West, Frazier

Wilt Chamberlain a toujours eu des difficultés à jouer en équipe. Il aurait pu être écarté pour éviter de nuire au collectif et à l’ambiance de groupe, mais son attitude s’était considérablement améliorée au cours de la saison 1971-1972 : il avait cessé depuis de monopoliser continuellement le ballon et n’hésitait plus à faire des passes. De plus, sa popularité et son immense talent le rendent incontournable. Aussi est-il présent en pivot titulaire et si les choses se passent mal, Abdul-Jabbar et Cowens sont là pour le suppléer.

Spencer Haywood, en dépit d’un pedigree impressionnant (premier cinq majeur de la NBA en 1972 et des Jeux Olympiques 1968 fantastiques), a été laissé de côté en raison de son impopularité auprès des instances et du public après le procès qu’il a intenté à la NBA en 1970. Il n’aurait probablement pas intégré le groupe.

Pour le reste, en raison du climat social de l’époque, on peut se demander combien de joueurs Noirs seraient écartés au profit de joueurs Blancs. Le groupe rassemblé ci-dessus fait abstraction de la chose et se base uniquement sur la valeur des joueurs (DeBusschere est pris à la place de Silas en raison de ses qualités défensives supérieures), mais on pourrait très bien imaginer Maravich remplacer Robertson ou Sloan remplacer Bob Love.

Pour terminer, Bob McAdoo prend la place de joueur universitaire ; il est préféré à Dwight Davis (médaillé d’argent aux Jeux de 1972 et n°3 de draft la même année), loin devant le feu de paille LaRue Martin.

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1976 : Showtime

Pivots : Abdul-Jabbar, Walton
Ailiers : Barry, Cowens (ailiers forts), Erving, Havlicek (polyvalent)
Arrières : Archibald, Maravich, Jo Jo White (meneurs), David Thompson (polyvalent), Westphal
Joueur universitaire : John Lucas
Réservistes : Hayes, McAdoo, Wilkes, Gervin, Van Lier, Dantley (universitaire)

Cinq majeur : Abdul-Jabbar, Barry, Erving, Havlicek, Archibald

L’équipe la plus spectaculaire (Erving, Thompson, Maravich… !), mais aussi la moins équilibrée. Westphal est le seul véritable arrière du groupe ; Havlicek et Thompson se partagent le poste avec lui. Bob McAdoo mérite une place dans l’équipe, mais il ne peut rivaliser avec Barry et Cowens et s’il doit y apparaître, il faudrait alors écarter Jo Jo White (la couleur de peau de Westphal le protégeant d’une exclusion). Comme White vient d’être élu MVP des Finales de 1976 et est au sommet de son art, sa non-sélection paraît peu envisageable.

Le reste de l’équipe est assez logique. David Thompson est la seule « non-évidence » car il débute à peine en NBA, mais avec son  talent incroyable et sa démonstration au concours de dunks de 1976, il est difficile de le laisser de côté. John Lucas, futur n°1 de draft, est l’évidence même pour la place d’universitaire, devant Adrian Dantley ou Scott May (n°2 à la draft de 1976 et médaillé d’or aux Jeux cette même année).

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1980 : Le grand mélange

Pivots : Abdul-Jabbar, Moses Malone
Ailiers : Bird, Sikma (ailiers forts), Erving, Bobby Jones
Arrières : Magic Johnson (polyvalent), Dennis Johnson, Gus Williams (meneurs), Gervin, Westphal
Joueur universitaire : Kevin McHale
Réservistes : E. Hayes, Roundfield, Marques Johnson, Richardson, Phil Ford, Carroll (universitaire)

Cinq majeur : Abdul-Jabbar, Bird, Erving, Gervin, Magic Johnson

C’est la plus utopique de toutes les équipes puisque les USA ont boycotté les Jeux de Moscou. Cela dit, le monde n’y perd pas grand-chose car cette « Dream Team » est peut-être la plus faible. Il n’y a pas de joueur polyvalent en dehors de Magic, qui a démontré lors des Finales de 1980 qu’il pouvait jouer n’importe où, mais dont le poste d’ailier n’est pas le poste de prédilection. Les polyvalents Bobby Dandridge ou Walter Davis (malgré tout leur talent) ne sont pas à la hauteur de la concurrence.

Marques Johnson a été tristement écarté au profit de Jones en raison de sa couleur de peau ; Jones ferait sans doute un malheur en sortie de banc avec sa défense, mais Marques Johnson était meilleur en 1980 et il aurait mérité sa place. Ce qui, signalons-le, aurait fait trois Johnson dans l’équipe. Pour l’universitaire, McHale l’emporte devant Joe Barry Carroll, futur n°1 de draft, qui, malgré sa carrière relativement anonyme, était loin d’être mauvais.

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1984 : Priorité au collectif

Pivots : Abdul-Jabbar, Moses Malone
Ailiers : Bird, McHale (ailiers forts), Erving, King, Dantley (polyvalent)
Arrières : Magic Johnson, Isiah Thomas (meneurs), Moncrief, Paxson
Joueur universitaire : Ewing ou Jordan
Réservistes : Parish, Sampson, Worthy, Toney, Dennis Johnson, Ewing ou Jordan (universitaire)

Cinq majeur : Abdul-Jabbar, Bird, Erving, Moncrief, Magic Johnson

La plus grande question ici concerne le réserviste : Ewing ou Jordan ? A priori, Jordan mérite la place, mais avec le critère de préférence cité plus haut, et sachant que le jeune Ewing était un véritable monstre défensif avec des genoux encore en bon état, le choix est difficile. Il l’est tellement que la place d’universitaire est laissée ouverte. Si les deux sont intégrés au groupe, Dantley serait écarté et Magic jouerait encore une fois les polyvalents. Mais on entre dans un scénario dans lequel les spéculations sont trop nombreuses.

À noter : la titularisation de Sidney Moncrief. On peut penser qu’il fait tache à côté des autres joueurs du cinq de départ, mais pas du tout ; c’était un monstre de volonté et un excellent défenseur, qui mérite amplement sa place. La seule chose navrante est l’absence d’Andrew Toney, l’un des joueurs les plus sous-évalués de l’histoire, écarté au profit de Paxson. Pourquoi ? À cause de sa couleur de peau. Quelle tristesse.

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1988 : Dream Team 1.0

Pivots : Ewing, Moses Malone
Ailiers : Barkley, Karl Malone (ailiers forts), Bird, Wilkins, Mullin (polyvalent)
Arrières : Magic Johnson, Stockton (meneurs), Drexler, Jordan
Joueur universitaire : David Robinson
Réservistes : Abdul-Jabbar, Worthy, Michael Cooper, Alvin Robertson, Isiah Thomas, Manning (universitaire)

Cinq majeur :  Ewing, Barkley, Bird, Jordan, Magic Johnson

On retrouve dans cette équipe dix des douze joueurs de la future Dream Team de 1992. Cette première version est presque aussi forte que l’autre, malgré l’absence d’un Pippen encore loin d’être à maturité, remplacé par l’excellent Dominique Wilkins. Ewing et Olajuwon sont de loin les pivots dominants de la NBA en 1988 ; le second étant inéligible (il est toujours Nigérian), on se rabattra encore une fois sur Moses Malone, sachant que Abdul-Jabbar arrive clairement au bout de son rouleau.

La grande question est de savoir si Jordan aurait accepté, à cette époque, la présence d’Isiah Thomas dans l’équipe. On peut en douter car les « Jordan Rules » étaient déjà en place en 1988 et les Detroit Pistons étaient en train de devenir les « Bad Boys ». Thomas est donc laissé de côté et c’est encore une fois Stockton qui remplit l’espace vide.

Un grand absent dans cette liste : James Worthy, écarté au profit de Mullin qui a pour atout sa polyvalence. On peut voir aussi parmi les réservistes la présence de Danny Manning, joueur NBA à la carrière modeste, mais dont la saison universitaire 1987-1988 avait été inoubliable.

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Voilà donc ce qu’aurait pu être l’équipe de basket américaine aux Jeux Olympiques entre 1972 et 1988. Ne croyez pas que toutes les allusions faites dans ce texte à la couleur de peau au racisme soient agréables à évoquer ; mais c’était la mentalité générale de l’époque et une équipe constituée de moins de 40 % de Blancs était inenvisageable.

Au fait, parmi ces six équipes, quelle est la meilleure ? Probablement celle de 1984 (et elle monte encore d’un cran si on ajoute Toney). L’équipe de 1972 tient la corde, mais si l’on prend en compte le talent individuel et le collectif, il n’y a pas photo. Une équipe bourrée de talent, dans laquelle tout le monde s’entendrait, avec Bird et Magic en leaders, King pour les moments décisifs, Thomas, Malone et McHale en sortie de banc, la défense d’Ewing ou la présence de Jordan… Impressionnant.