#7 : L’explosion des Rockets de 1986

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L’équipe des Houston Rockets de 1986, qui aurait pu devenir la meilleure de l’histoire. (1)

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Entre 1980 et 1990, la NBA a sans aucun doute vécu son âge d’or. Songez un peu : une pléthore de grands joueurs (Magic, Bird, Jordan, Olajuwon, Barkley, Robinson…), trois des cinq meilleures équipes de l’histoire (les Celtics de 1986, les Lakers de 1987, et les Pistons de 1989), des rivalités légendaires (Lakers-Celtics, Sixers-Celtics, Bulls-Pistons), et j’en passe. Mais finalement, quelle a été la meilleure équipe de toute la décennie ?

Sans surprise, deux franchises sont clairement au-dessus : les Los Angeles Lakers, et les Boston Celtics. Les Lakers de Magic ont remporté les titres de 1980, 1982 et 1985. Les Celtics de Bird ont remporté les titres de 1981, 1984 et 1986 et avaient le deuxième choix d’une draft 1986 apparemment pleine de promesses. Mais le grand espoir Len Bias est décédé quelques heures après avoir été choisi par Boston ; l’absence d’un joueur aussi jeune et talentueux a forcé les Celtics à faire surjouer Bird et McHale, qui ont fini par se blesser. Après 1987, les Celtics n’étaient plus du tout les mêmes et il leur faudra attendre plus de vingt ans avant de revenir en finale.

Les Lakers, pour leur part, ont continué sur leur lancée et remporté les titres de 1987 et 1988. L’année suivante, ils sont encore parvenus en finale. On peut donc dire que les Lakers ont été l’équipe de la décennie, même si la mort brutale de Bias a sans doute beaucoup pesé dans la balance.

Mais ce dernier événement n’a pas été le seul coup de pouce du destin aux Lakers. Il y a également eu autre chose : la chute aussi incroyable qu’imprévisible de l’ère Sampson-Olajuwon.

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Parmi toutes les équipes NBA qui ont fini par s’autodétruire, personne ne pense jamais à inclure l’équipe de Pat Riley, celle qui avait un jour été surnommée « l’Équipe du Futur ». La fois où Houston a battu les Lakers en 1986 est aujourd’hui considérée de manière générale comme un coup de chance ; lors d’une période de cinquante mois qui a commencé en avril 1985 et s’est terminée en juin 1989, les Lakers n’ont perdu qu’une seule de leur dix-huit séries de play-offs, face à une équipe des Rockets jeune et insolente qui a disparu de la surface de la terre presque aussi vite qu’elle y était arrivée. Donc, il s’agissait bien d’un coup de chance.

Non ?

Eh bien, non. Car les Lakers de Magic n’ont pas seulement été battus par les Rockets en 1986 ; ils ont été démolis. Les Rockets ont perdu le premier match de leur série de play-offs et ont remporté les trois suivants par 10, 8 et 10 points d’écart, avant de gagner le match décisif sur le terrain des Lakers, alors que Olajuwon avait été expulsé à six minutes de la fin pour s’être battu avec Mitch Kupchak. (Le match a pris fin avec le célèbre tir à la sirène miraculeux de Sampson, suivi de l’image de Michael Cooper s’affalant sur le sol en signe d’incrédulité, ce qui a renfoncé le mythe de la « surprise ».) Les Rockets ont complètement dominé les Lakers au rebond lors de leurs quatre victoires. Hakeem Olajuwon a marqué 75 points en tout dans les Matchs 3 et 4. Les Rockets sont arrivés en finale avec la sensation d’avoir écrasé les Lakers. Et c’était le cas.

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En y regardant de plus près, Houston était le pire adversaire possible pour les Lakers. Ceux-ci avaient deux faiblesses : les rebonds, et l’incapacité à défendre au poste bas sur des joueurs d’élite. Avec les 2,24 m de Sampson et les moves uniques d’Olajuwon, ils n’avaient aucune chance. Abdul-Jabbar ne pouvait pas rivaliser avec la rapidité d’Olajuwon au poste bas ; ses tentatives pour défendre sur lui étaient aussi infructueuses que pathétiques. Et s’il défendait sur Sampson au poste haut, cela l’éloignait du cercle et privait les Lakers de leur seul contreur (sans compter que Ralph pouvait le battre avec ses dribbles). Ne parlons même pas du cauchemar que vivaient les ailiers sous-dimensionnés ou aux qualités athlétiques limitées comme Kupchak, A. C. Green ou James Worthy à essayer de stopper Hakeem au poste bas.

Comme si cela ne suffisait pas, Houston avait la chance de posséder des arrières grands et athlétiques comme Robert Reid, Rodney McCray ou Lewis Lloyd (2) qui pouvaient prendre des rebonds et poser des problèmes à Magic. C’était la confrontation parfaite pour Houston. Ajoutez l’empoisonnant meneur John Lucas (qui avait replongé dans la drogue deux mois avant les play-offs) et la messe était dite : il n’y avait aucune chance que les Lakers du milieu des années 80 puissent battre les Rockets de la même époque.

Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? C’est très simple : Olajuwon et Sampson ont été premiers choix de draft deux années consécutives (1983 et 1984) et, avec le combo McHale/Parish à Boston, tout le monde a paniqué au point que chaque équipe du milieu des années 80 est devenu obsédée par ajouter de la taille. Joe Kleine et Jon Koncak ont été choisis avant Karl Malone, les équipes ont misé sur des joueurs à problèmes comme Chris Washburn et William Bedford, etc. Les pauvres Lakers étaient soudain devenus une équipe jouant small ball prise au piège dans une ligue de big men ; avec les rebonds et les contres de Kareem en chute libre et la raclée collée par Houston, tout le monde pensait que l’ère Magic-Kareem était terminée.

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Qui aurait pu deviner que la prometteuse ère Sampson-Olajuwon allait s’achever aussi brusquement ? L’année suivant leur récital contre les Lakers en play-offs, Sampson et Hakeem ont voulu chacun un nouveau contrat, Lucas est parti à Milwaukee pour un nouveau départ, et l’équipe a subi un double coup de malchance avec les suspensions pour usage de cocaïne de Lewis Lloyd et de Mitchell Wiggins (ce qui signifie qu’avant la trêve All-Star de 1987, les trois meilleurs arrières de Houston avaient disparu).

Peu de temps après Sampson a commencé a ressentir les effets d’une grave chute au Boston Garden en 1986 (3), a dû modifier sa façon de courir pour soulager la pression sur son dos, et a martyrisé ses genoux. Golden State l’a échangé au cours de la saison 1987-1988 contre Joe Barry Carroll et Sleepy Floyd. Deux ans après la finale de 1986, il ne restait donc plus que le pauvre Hakeem à bord pour les Rockets, et malgré son immense talent, il faudra attendre six ans, la première retraite de Michael Jordan et une reconstruction totale de l’équipe pour que Houston décroche son premier titre. Seuls les drogues récréatives et une mauvaise chute pouvaient les arrêter la nouvelle grande équipe de l’Ouest.

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Voici la meilleure façon de mettre la chute de Houston en perspective. Supposons que les Pistons se soient effondrés après les play-offs de 1986 à cause du genou de Isiah et parce que Dennis Rodman, Vinnie Johnson et John Salley s’étaient tous les trois fait bannir de la ligue pour usage de cocaïne. Qu’advient-il de ce vide dans la Conférence Est ? Au minimum, les Celtics jouent deux finales de plus (1987 et 1988) et arrivent peut-être à en arracher une (ou deux) parce qu’ils sont frais après avoir évité de batailler contre les Pistons. Peut-être que Jordan remporte huit titres au lieu de six. Peut-être que Dominique et les Hawks parviennent à se glisser une fois en finale. Peut-être que les Blazers remportent le titre en 1990 et que la carrière de Clyde Drexler se déroule différemment. Qui sait ?

Pour les Lakers, le fait que les dieux du basket aient fait diparaître cette équipe des Rockets était un cadeau presque aussi grand que celui du premier choix de draft 1979 donné par New Orleans. La carrière de Hakeem n’aurait-elle pas eu un impact différent s’il avait pu rivaliser avec Kareem et les Lakers durant le reste des années 80 ? Et s’il avait gagné quatre ou cinq titres au lieu de deux ? Cela le propulserait-il devant Kareem, faisant de lui le deuxième plus grand pivot de tous les temps ? Jamais il n’y aura eu autant de questions autour d’une seule équipe.

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Vingt ans plus tard, Fran Blinebury, du Houston Chronicles, a écrit une colonne sur les Rockets de 1986 intitulée La Dynastie Perdue, qui incluait cette citation de Lucas :

Quand je me balade dans Houston aujourd’hui et que j’entends les gens parler des titres de 1994 et 1995, je secoue la tête. Je leur dis : « Soit vous l’avez oubliée, soit vous n’avez jamais vu la meilleure équipe des Rockets de tous les temps. Je le sais. J’en faisais partie. Et je suis en grande partie responsable de leur chute. » La plupart des équipes comme la nôtre sont compétitives pendant huit à dix ans. Nous avions une fenêtre de cette taille, sans le savoir, et elle s’est refermée violemment.

Magic, Kareem et Riley s’essuient probablement le front en soupirant « Ouf ! » chaque fois que quelqu’un évoque les Rockets de 1986. Et ils ont raison.


(1) Source : http://www.grantland.com (Bill Baptist/NBAE/Getty Images)

(2) Lloyd était dévastateur en transition et étonnamment efficace : entre 1984 et 1986, il affichait en moyenne 16 points, 4 rebonds et 4 passes décisives à 53 % de réussite au tir.

(3) Sampson est allé au dunk, s’est fait contrer, son corps s’est tordu maladroitement et il s’est écrasé au sol en atterrissant sur la tête et le dos, si violemment que le Garden a fait « ohhhhhhh » avant d’être plongé dans un silence de mort.