All the Kings’ Men (1/8)

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Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

La tactique du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier acte de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

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« Entre les matchs, je n’ai pas beaucoup dormi. J’ai perdu du poids. Il y avait beaucoup de stress. Je n’ai pris aucun plaisir. »

Voilà ce dont Rick Fox se rappelle des époustouflantes Finales de la Conférence Ouest de 2002 contre les Sacramento Kings. La série s’est terminée par une victoire en prolongation de Fox et des Lakers lors du septième match en territoire ennemi, malgré les encouragements des plus fervents supporters de la ligue. Les Kings ne se rapprocheraient plus jamais d’un titre NBA et allaient tomber en miettes avant de devenir la risée de la ligue. Dans le même temps, les Lakers ont facilement disposé des Nets en finale, sans savoir qu’il s’agirait de leur dernier titre avant que les relations conflictuelles entre Kobe Bryant et Shaquille O’Neal ne provoquent le départ du Shaq à Miami. La différence entre les Kings et les Lakers dans leur épique série de matchs de 2002 ? Un tir miraculeux, des lancers francs ratés, des décisions arbitrales discutables et deux paniers offerts gâchés. Rien de plus.

Cette série avait tout pour être spectaculaire : une rivalité grandissante entre la tête de gondole de la ligue et des Kings au jeu plaisant, qui faisaient des passes rapides et coupaient sans arrêt dans la raquette ; des joutes verbales entre les deux camps ; des accusations d’empoisonnement et de conspiration arbitrale ; l’affirmation de la réputation de « Big Shot Rob » ; et même l’intervention d’un improbable ancien candidat à la présidence. Les Lakers et les Kings étaient les deux meilleures équipes de basket-ball du monde ; rien de surprenant, donc, à ce que les quatre derniers matchs de la série se soient décidés dans la dernière minute de jeu. Certaines dynasties se sont implantées, d’autres n’ont jamais pris. Alors que Miami court après son propre triplé en cette année 2014, nous oublions parfois combien il est difficile de remporter trois titres consécutifs. Les Lakers de 2002 ont été la dernière équipe à réussir cette performance. Et personne ne leur a donné autant de fil à retordre que les Kings.

Les Kings n’ont pas remporté de titre depuis 1951, lorsqu’ils s’appelaient encore les Rochester Royals. Depuis, ils ont déménagé de leur lieu d’origine à Cincinnati, puis à Kansas City, puis à Sacramento – et l’année dernière, presque à Seattle. Tous ces changements ont une chose en commun : en soixante-trois ans, aucune équipe des Kings n’a accédé aux Finales NBA. Dans les années 1960, les Royals d’Oscar Robertson ont été continuellement stoppés par les Celtics de Russell et les Sixers de Wilt. En 1981, une équipe des Kings au statut d’outsider a été écrasée par Moses Malone. Et de 2000 à 2002, les Kings ont choisi le pire moment pour atteindre leur apogée, celui où Shaq et Kobe étaient devenus le duo dominant de la NBA. Le fait qu’ils aient joué pour Los Angeles n’a fait qu’aggraver la situation.

« C’était la grande ville californienne contre la petite capitale somnolente de la Californie, déclare Scott Howard-Cooper, qui couvrait la NBA pour le Sacramento Bee pendant la série. Le nord contre le sud. Une franchise au statut établi contre une ambitieuse. Il y avait énormément de choses qui les rapprochaient. »

Elles ont fini par tirer le meilleur les unes des autres. Aucune des deux équipes n’a ensuite été tout à fait la même. L’article qui suit est une histoire orale mettant en vedette de nombreux participants et témoins de cette série. La fonction de chaque personne citée au moment des séries (à l’été 2002) est indiquée entre parenthèses.

I. Avant la bataille

Avant la draft de 1996, les Lakers ont envoyé à Charlotte Vlade Divac, le chouchou des fans, contre le treizième choix, ce qui leur a permis de choisir un lycéen du nom de Kobe Bryant. L’opération a également permis au directeur général Jerry West de disposer d’une marge financière suffisante pour attirer la méga-star Shaquille O’Neal, alors agent libre, avec un contrat de 121 millions de dollars. Quatre ans plus tard, Kobe et Shaq effectuaient leur premier parcours en play-offs sous le même maillot et affrontaient une excitante équipe des Kings, qui avait fait signer Divac (agent libre) et échangé le solide All-Star Mitch Richmond contre l’énigmatique ailier Chris Webber (qui s’est épanoui à Sacramento).

En 2000, les Lakers ont triomphé des Kings au premier tour des play-offs, trois matches à deux, avant de battre Indiana en finale. La saison suivante, les Kings ont remporté 55 matchs dans le sillage d’un énorme Webber (27,1 points, 11,1 rebonds et 4,2 passes décisives de moyenne, un ratio d’efficacité sur le terrain de 24,7% , et une place dans le premier cinq majeur de la NBA), mais ont été balayés lors du deuxième tour par ce qui allait devenir une légendaire équipe des Lakers. Les Lakers de 2001 ont terminé avec un bilan de 15 victoires et 1 défaite en play-offs (un autre record), Shaq et Kobe combinant une incroyable moyenne de 59,9 points en 16 matchs.

Mais leur quête de « three-peat » a commencé à battre de l’aile après que O’Neal se fut présenté hors de forme la saison suivante, et que Bryant a commencé à se disputer avec ses coéquipiers et son entraîneur Phil Jackson. Cela ne s’est pas arrangé lorsque Sacramento a remporté 61 matchs et s’est assuré l’avantage du terrain pour les play-offs. Les Kings avaient deux jeunes stars (Mike Bibby et Peja Stojakovic) et ils faisaient bouger magnifiquement le ballon dans le secteur intérieur grâce aux talents de passeur de Divac et Webber. Dans une saison marquée par un jeu offensif hésitant, un manque de joueurs de talent et trop de un-contre-un, l’altruisme des Kings en faisaient sans conteste la plus belle équipe à voir de la ligue. Tout le monde savait que les Lakers pouvaient redevenir une machine de guerre à n’importe quel moment. Mais parviendraient-ils à réussir à temps ?

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Rick Fox (ailier des Lakers) : Nous étions double champions sortants. Notre confiance était au zénith. Nous étions tous bien dans notre peau, et nous nous soutenions à fond. Nous commencions à croire ce qu’on disait sur nous.

Mark Heisler (journaliste sportif au Los Angeles Times) : Après le premier titre, Shaquille s’était présenté en surpoids la saison suivante. Après le deuxième titre, il avait dit qu’il reviendrait cette fois en pesant dans les 135 kilos. Mais quand il est revenu, il approchait les 180 kilos ! Il faisait facilement entre 160 et 170 kilos. Il a donc passé toute la saison à se remettre en forme.

Phil Jackson (entraîneur des Lakers) : Shaq souffrait d’une blessure à l’orteil qui lui a valu d’être opéré l’été suivant, ou plutôt à l’automne.

Jim Gray (journaliste de terrain pour NBC) : Kobe et Shaq étaient… Je ne dirais pas qu’ils s’entendaient bien, mais ils avaient le même objectif.

Jim Cleamons (entraîneur adjoint des Lakers) : Nous avions un bon effectif avec des joueurs expérimentés. Nous n’avions pas besoin de donner sans arrêt le ballon à Kobe. Quand Kobe demandait le ballon et ne faisait pas ce qui était prévu, nous avions suffisamment de vétérans pour le ralentir, lui faire comprendre le plan de jeu et la nécessité de jouer en équipe. Son heure viendrait.

Phil Jackson : Nous étions un peu en sous-effectif. Nous devions commencer à baisser notre marge salariale et à nous aligner sur les contrats collectifs de la ligue. Robert Horry, qui pesait à peine 105 kilos, était passé ailier fort, et cette année-là, nous n’avions personne pour le suppléer. Nous n’avions personne non plus pour relayer Shaq de manière efficace.

Cleamons : Horry est devenu l’une de nos armes au poste 4. À l’époque, il évoluait un peu en tant que « poste 4 fuyant ». Les big men ne sortaient pas pour défendre sur lui, et cela donnait à Rob l’occasion de tirer de loin. Cela nous permettait aussi d’élargir le terrain pour pouvoir passer le ballon à Shaquille.

Kurt Rambis (entraîneur adjoint des Lakers) : La fatigue peut finir par vous rattraper. Demander à une équipe de disputer chaque match de saison régulière comme s’il s’agissait d’une rencontre décisive, et avoir assez d’énergie pour réussir la saison, se qualifier pour les play-offs et être physiquement prêt, c’est un effort énorme.

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Phil Jackson : Sacramento avait remporté la division Pacifique. Nous étions plutôt confiants, car nous les avions battus deux fois en play-offs.

J.A. Adande (chroniqueur au Los Angeles Times) : Les [Kings] venaient de faire leur meilleure saison. Ils avaient l’avantage du terrain, étaient plus talentueux, avaient plus d’atouts. Tout leur effectif, du premier joueur jusqu’au dernier, était meilleur que celui des Lakers. Aucun joueur des Lakers ne pouvait se créer de bonnes situations de tir, en dehors de Kobe et Shaq.

Chucky Brown (ailier des Kings) : Nous n’avions pas peur de Kobe. Doug [Christie] lui posait plus de problèmes que n’importe quel autre joueur. Nous n’avions pas à faire des prises à deux sur lui. En ce qui concernait l’opposition entre Vlade et Shaq, nous étions optimistes. Shaq était plus grand et plus fort, mais Vlade était malin.

Scot Pollard (pivot des Kings) : Nous avions une équipe très hétéroclite. Il y avait des Européens, des mecs qui ne savaient pas parler anglais, des mecs qui ne voulaient pas parler anglais, et des mecs venus d’une autre planète, comme moi.

Scott Howard-Cooper (journaliste NBA au Sacramento Bee) : Tout le monde dit que Rick Adelman est un entraîneur au style ennuyeux et triste, mais il a eu l’intelligence d’avoir accompagné cette équipe, qui jouait de manière très différente de sa personnalité.

Doug Christie (arrière des Kings) : Dans notre équipe, tout le monde savait dribbler, passer, tirer, faire des écrans, couper dans la raquette. Et ce à tous les postes. Quand on a cinq gars comme ça sur le terrain, on a presque une équipe All-Star.

Pete Carril (coordinateur offensif de Princeton et entraîneur adjoint des Kings) : Une rumeur circulait dans la ligue selon laquelle Chris [Webber] ne voulait pas jouer à Sacramento, ce qui s’est avéré être faux. [En 1999], [le directeur général] Geoff [Petrie] avait pour la première fois de l’argent à dépenser. Il est allé voir Rick et lui a dit : « Je peux avoir Vlade Divac si vous êtes prêt à lui donner tout l’argent que nous avons. »

Rick Adelman (entraîneur des Kings) : Notre tactique, c’était de distribuer le ballon au poste haut. Quand vos deux big men sont capables de faire des passes comme Chris et Vlade, c’est ce qu’il y a de plus logique à faire.

Carril : On profite de l’écran ou on tourne autour, et on se retrouve en deux contre deux avec un joueur au poste. Si celui-ci ne fait pas la passe, il peut ressortir, il peut tirer. On peut travailler à nouveau de l’autre côté, avec un petit écran du côté faible. C’est très efficace. Et dans ce coin-là, Webber réussissait beaucoup de tirs. Ça et passer, c’était ce qu’il réussissait de mieux.

Peja Stojakovic (ailier des Kings) : Tout tournait autour de Chris et Vlade. C’étaient un peu nos meneurs de jeu.

Vlade Divac (pivot des Kings) : Chris est l’un des meilleurs joueurs avec lesquels j’ai eu la chance de jouer. Il était intelligent et désintéressé. Il rendait tout le monde meilleur. C’était le véritable leader de l’équipe.

Pollard : Tout le monde admirait [Divac]. Tout le monde l’adorait et, sur le terrain, il avait une intelligence de jeu naturelle. Il savait défendre et avait tout un arsenal de techniques pour mettre ses adversaires directs en difficulté.

Mike Bibby (meneur des Kings) : C’est évidemment la meilleure équipe avec laquelle j’ai jamais joué. Je ne me suis jamais autant amusé. J’ai appris à aimer le basket-ball et prendre du plaisir sur le terrain.

Christie : À l’entraînement, on n’arrêtait pas de faire des passes, de couper dans la raquette et de tirer. Les jours de matchs, on n’avait donc plus grand-chose à faire. Tout était organisé et fluide. Presque mécanique.

Hedo Turkoglu (ailier des Kings) : C’était ma deuxième année en NBA et j’étais simplement heureux d’être là. J’étais un Européen qui essayait de s’adapter. L’alchimie était incroyable, comme les relations avec les autres joueurs et les entraîneurs. C’est pour cela que nous avons eu autant de succès à l’époque.

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Adelman : Nous rendions hommage à l’équipe créée par Geoff Petrie. On ne change pas les choses du jour au lendemain. Ça nous a pris quatre ans.

Pollard : Un autre entraîneur n’aurait pas réussi à tirer autant de nous. Parfois, nous manquions de concentration, ou nous étions trop sérieux. Son sens de l’équilibre a aidé notre équipe à traverser les hauts et les bas… Adelman étant ce qu’il est, il savait que parfois, nous étions tous déçus de nous-mêmes après une défaite. Il n’avait pas besoin de nous pousser à fond le lendemain à l’entraînement pour nous remettre sur la bonne voie.

Christie : Il comprenait très bien comment gérer l’équipe. Si nous devions jouer deux matchs en deux jours, il nous laissait libres le jour suivant.

Divac : Nos relations sur et en dehors du terrain étaient incroyables. Ce fut l’une des clés de notre succès, car si nous étions bons sur le terrain, nous nous sommes aussi beaucoup amusés en dehors. C’était une joie incroyable. Nous allions ensemble au restaurant, en boîte, aux fêtes de famille, comme une véritable équipe.

Christie : Sur le terrain, nous nous amusions beaucoup, mais nous nous amusions bien davantage à l’extérieur du terrain, et je pense que c’est pour cela que tout a si bien marché. Parfois, nous nous retrouvions lors d’un match avec six ou dix points de retard, mais ce n’était pas grave. Nous étions certains de revenir. Tout le monde pensait que jouer à domicile était indispensable pour nous. Je ne pensais pas que c’était important, car nous savions que nous pouvions battre n’importe qui, n’importe où, à n’importe quel moment.

Divac : En principe, il faut jouer le mieux possible en saison régulière pour avoir l’avantage du terrain. On s’en foutait. Nous savions que nous pouvions battre n’importe qui.

Gray : C’était la plus belle équipe de la NBA. Il n’y avait pas photo.

Divac : Nous avions énormément de fans en dehors des États-Unis. Un jour, nous avons joué contre Minnesota à Tokyo, et il y avait des milliers de supporters qui encourageaient Sacramento, c’était incroyable.

Steve Cohn (membre du conseil municipal de Sacramento) : Même les gens qui ne connaissaient rien au basket-ball adoraient les voir jouer.

Adande : La Conférence Est n’était pas terrible cette année-là. Dallas et Sacramento étaient les équipes les plus spectaculaires. Les Lakers n’étaient pas du tout amusants ou excitants à voir. Ils avaient la meilleure équipe, mais ils étaient meilleurs quand ils s’appuyaient sur Shaq.

Geoff Petrie (président des opérations de basketball des Kings) : Cette équipe a conquis l’admiration non seulement des amateurs de basket-ball américains, mais aussi de tous les amateurs de basket-ball du monde, pour son style de jeu, son altruisme et la solidarité dont elle faisait preuve. C’était probablement l’une des équipes les plus populaires de la planète à cette époque.

Ailene Voisin (journaliste sportive au Sacramento Bee) : Ils étaient connus dans le monde entier. Je me souviens d’être partie en vacances à l’époque, et tous ceux que je rencontrais connaissaient le cinq de départ.

Jerry Reynolds (administrateur des Kings) : Quand on jouait à l’extérieur, c’était un peu comme les grandes équipes des Bulls avec Jordan, ou comme un groupe de rock. On arrivait à Chicago à deux heures du matin et des centaines de fans attendaient pour avoir des autographes. Ce n’était jamais arrivé [aux Kings] auparavant, et ça n’est plus arrivé depuis.

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II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)