Top 10 : Les records imbattables de la NBA

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Avec une saison régulière 2015-2016 à 73 victoires pour seulement 9 défaites, les Golden State Warriors ont mis aux oubliettes un record qui semblait impossible à battre : celui des Chicago Bulls de Michael Jordan et leur saison 1995-1996 à 72 victoires et 10 défaites. Qui aurait pu imaginer qu’une équipe terminerait un jour la saison régulière avec moins de 10 défaites ? Les Warriors l’ont fait. Comme quoi certains records en apparence inaccessibles peuvent être battus de nos jours. D’autres semblent toutefois difficiles, voire impossible à surpasser. Voici le top 10 des records imbattables (ou presque) de la NBA.

 

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Mentions honorables :

100 points marqués en un seul match (Wilt Chamberlain). Avec la ligne des trois points (et un arbitrage légèrement favorable), ce record pourrait être battu par un grand joueur en très bonne forme. Pour son match à 81 points de 2006 contre une très faible équipe de Toronto, Kobe Bryant a affiché les statistiques suivantes en 42 minutes de jeu : 21/33 à deux points, 7/13 à trois points et 18/20 aux lancers-francs. S’il s’était montré un peu plus égoïste et un peu plus précis, en 46 minutes, Kobe aurait pu se retrouver à 24/37 à deux points, 10/15 à trois points et 22/24 aux lancers-francs, soit exactement 100 points. Comparez les deux séries de chiffres précédemment citées. Trouvez-vous la seconde si éloignée de la première ?

422 pertes de balle en une saison (George McGinnis). Cet horrible record se serait retrouvé aux alentours du top 5 s’il n’avait pas eu lieu en ABA. McGinnis est premier (422), deuxième (401) et troisième (398) au classement des plus grand nombre de balles perdues par saison de l’histoire. Tout récemment, James Harden a approché ses records, avec 374 ballons perdus au cours de la saison 2015-2016, une première depuis Iverson et ses 344 ballons perdus en 2004-2005.

Les records en carrière ou sur une saison : 1 611 matchs de NBA joués (Robert Parish), 38 387 points marqués (Kareem Abdul-Jabbar), 72,7 % de réussite au tir (Wilt Chamberlain), 23 924 rebonds captés (Wilt Chamberlain), 15 806 passes décisives (John Stockton), 3 265 interceptions (John Stockton), 5,6 contres par match (Mark Eaton), 41 triples-doubles en une seule saison (Oscar Robertson). Ils ont beau être impressionnants, les records individuels sur une saison ou en carrière ont volontairement été écartés de ce top 10, pour la simple et bonne raison qu’un joueur ayant énormément de talent, ne se consacrant qu’à une tâche ou aidé par des circonstances favorables pourrait les battre à tout moment. Les règles de l’époque ont par exemple rendu les passes décisives plus « faciles » pour Stockton. Artis Gilmore, de son côté, a tiré à 67 % de réussite en 1981 et 65 % en 1982 (en ne se fatiguant pas et en ne se contentant quasiment que de dunks et de double-pas). Ce n’est pas si loin du record de Chamberlain. Alors, pourquoi pas ?

MAJ avril 2017 : Pour apporter de l’eau à mon moulin, Russell Westbrook vient de battre il y a quelques jours l’un des plus vieux records de la NBA : celui du nombre de triples-doubles réussis en une saison, qui appartenait jusqu’alors à Oscar Robertson. Comme lui, Westbrook finira la saison avec un triple-double de moyenne, performance qui n’avait jamais été rééditée depuis. À l’époque, Robertson avait tourné à 30,8 points, 12,5 rebonds et 11.4 passes décisives par match (pour 79 matchs joués). Il en était aussi à 80,3 % de réussite aux lancers-francs, à 47,8 % de réussite au tir, et tentait 22,9 tirs et 11 lancers-francs par match. Des chiffres ahurissants, et pourtant, Westbrook a réussi à faire (presque) aussi bien ! Vous voyez que même les records individuels qui paraissent inaccessibles peuvent être battus.

 

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Le Top 10

 

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10. 1 192 matchs de NBA consécutifs joués (A.C. Green). Le surnom de Green était « Iron Man », et ce record montre bien pourquoi : Green a joué près de 14,5 saisons sans JAMAIS manquer un match. Jamais blessé, jamais malade, jamais de problème ou d’imprévu personnel. Il n’a manqué en tout et pour tout que trois matchs de saison régulière dans sa carrière, et sa série ne s’est arrêtée que parce qu’il a pris sa retraite. Tout cela n’est pas très étonnant quand on connaît le personnage : A.C. Green était un homme profondément religieux, qui ne buvait pas, ne sortait pas, prenait soin de lui et vivait en ascète du basket. Il faudrait un joueur étonnamment résistant (ou quelqu’un en sortie de banc qui joue peu) pour surpasser cette marque.

 


 

9. 98,1 % de réussite au lancers-francs sur une saison (Jose Calderon). C’est arrivé tout récemment. Au cours de la saison 2008-2009, Calderon a réussi 151 lancers francs sur 154. Il a battu le vieux record de Calvin Murphy, qui avait marqué 206 lancers francs sur 215 en 1981 pour un pourcentage de réussite de 95,8 %. À noter que Murphy avait été un peu aidé par une règle qui donnait à l’époque trois tentatives pour mettre deux lancers francs après la limite de fautes (elle sera supprimée peu de temps après). Qu’un joueur parvienne à un pourcentage supérieur à celui de Calderon et manque moins de trois lancers-francs sur plus de 150 tentatives paraît plus qu’invraisemblable, même si la NBA voit régulièrement passer d’excellents tireurs sur la ligne de pénalité.

 


 

8. 41 fautes techniques en une saison (Rasheed Wallace). En seulement 77 matchs ! En d’autres termes, pour la saison 2000-2001, Rasheed Wallace avait une moyenne étonnante de 0,53 fautes techniques par match. Avec les règles d’aujourd’hui, difficile de croire que quelqu’un fera mieux – enfin, pire. Au fait, pourquoi Wallace prenait-il toutes ces fautes ? En dehors du tempérament explosif du personnage, l’explication réside ailleurs : Chauncey Billups, coéquipier de Wallace à Detroit entre 2003 et 2009, a déclaré que ce dernier n’arrivait pas à se concentrer tant qu’il n’avait pas pris de faute technique, et qu’il jouait formidablement bien dès qu’il devait faire attention à ne pas se faire expulser. Aussi Billups, au besoin, incitait-il régulièrement les arbitres à mettre sa technique à Wallace… Une tactique plutôt efficace, car Wallace a été l’un des joueurs-clef des Pistons lors de leur titre de 2005.

 


 

7. 30 passes décisives en un seul match (Scott Skiles). Ce record a été réalisé dans des circonstances tellement absurdes qu’il y a peu de chance que l’on revoie ça un jour. La performance de Skiles a été établie le 30 décembre 1990 contre l’horrible équipe des Nuggets de Paul Westhead, qui tentait d’imiter le style run and gun de l’université Loyola Marymount. En gros, les joueurs de Denver ne défendaient pas et attaquaient comme des fous. Un échec complet. Skiles et Orlando ont marqué 155 points au cours de ce match sans prolongation, ce qui est tout aussi exceptionnel. Avec deux ou trois prolongations, le record de Skiles pourrait être battu, mais en 48 minutes…

 


 

6. 33 victoires consécutives en saison régulière (Los Angeles Lakers, 1971-1972). Quand on sait que les Warriors 2015-2016, malgré leur saison à 73 victoires et 9 défaites, ne sont arrivés qu’à enchaîner 24 victoires consécutives, on peut dire que ce record risque de tenir encore longtemps. Comment les Lakers 1971-1972 sont-ils arrivés à une telle série ? C’est très simple : l’équipe était constitué d’un noyau de vétérans talentueux et expérimentés, qui jouaient ensemble depuis des années ; et la ligue, en dehors de Milwaukee et Baltimore, était complètement diluée car les équipes avaient connu trop d’arrivées et de départs à cause de l’expansion et de la fusion avec l’ABA.

L’entraîneur des Lakers, Bill Sharman, était aussi un fervent adepte des méthodes d’entraînement modernes et du travail physique, des choses que la génération d’aujourd’hui prend pour acquises mais que tout le monde ignorait dans les années 50 et 60. Minutieux et appliqué, il a aussi formidablement géré l’ego énorme de Wilt Chamberlain et a réussi à le faire adhérer à la philosophie altruiste de son équipe, ce qu’aucun autre entraîneur n’avait vraiment réussi à faire. La performance des Lakers 1971-1972 est remarquable quand on sait que le précédent record était de 20 victoires de suite (les Bucks de 1971).

Il faudra attendre 36 ans avant que quelqu’un ne passe la barre de 20 victoires consécutives (22 victoires consécutives pour les Rockets en 2008). Depuis, les longues séries de victoires ont réapparu : 27 victoires consécutives pour le Heat (2012-2013) et 24, donc, pour les Warriors (2015-2016).

 


 

5. Une saison à 50 points de moyenne (Wilt Chamberlain). Je sais, j’avais dit que les performances individuelles sur une saison ne seraient pas prises en compte dans ce classement. Mais celle-ci est particulière. Elle a été réalisée (comme les deux suivantes) au cours de l’incroyable saison 1961-1962, où la défense était quasi-inexistante et où les statistiques ne voulaient plus rien dire (plus d’explications ici). C’est durant la même saison qu’a eu lieu le match à 100 points de Wilt, et le triple-double de moyenne de Robertson. La NBA connaîtra peut-être un jour une période où les règles changeront et où les statistiques offensives de certains joueurs crèveront le plafond, mais même avec des circonstances incroyablement favorables, il est dur à croire que quelqu’un puisse reproduire les exploits de Chamberlain. Il y a peu de chances que l’on revoie un joueur avec une moyenne de 40 points par match, alors 50…

 


 

4. 55 rebonds pris en un match (Wilt Chamberlain). Comme personne ne s’est approché à moins de 20 rebonds de cette marque au cours des quatre dernières décennies (35 rebonds pour Charles Oakley contre les Cavaliers le 22 avril 1988), et qu’une équipe toute entière a aujourd’hui du mal à atteindre les 55 rebonds par match, on peut dire que ce record n’est pas près d’être battu. Wilt Chamberlain et Bill Russell ont plusieurs fois dépassé les 40 rebonds par match (15 fois pour Chamberlain, 11 fois pour Russell). À part eux, seuls Nate Thurmond et Jerry Lucas ont réussi (une fois chacun) à prendre plus de 40 rebonds en un match.

 


 

3. 48,5 minutes de jeu en moyenne sur une saison régulière (Wilt Chamberlain). Si vous vous demandez comment la chose est possible, sachant qu’un match dure 48 minutes, la réponse est simple : avec les prolongations… Durant la saison, Chamberlain a joué 3882 minutes sur 3890. Quand on sait que les joueurs ont de plus en plus de mal à jouer les 82 matchs d’une saison régulière, il semble acquis que ce record tiendra encore longtemps. Très longtemps.

 


 

2. Onze titres NBA (Bill Russell). Trop d’équipes, trop de transferts, trop difficile de garder une bonne équipe soudée pendant plus de quelques années. La carrière d’un très bon joueur NBA dure entre 10 et 20 ans (ce dernier cas étant très rare). Comment imaginer qu’un joueur puisse obtenir un jour douze titres ? Même si quelqu’un faisait une carrière de role player à la Robert Horry et gagnait à la loterie en étant presque tous les ans dans l’équipe gagnante, pourrait-il obtenir douze titres ? En quinze ans de carrière, Horry est arrivé à chaque fois dans la bonne équipe au bon moment et il n’a gagné que sept titres. Quelqu’un sera-t-il 55 % plus chanceux que lui ? On en doute.

 


 

1. Huit titres NBA consécutifs (Boston Celtics). Sans commentaires. Aucune franchise NBA en dehors des Celtics n’a gagné plus de trois titres consécutifs. Ce record ne sera probablement jamais battu.

 


 

Source photos : http://www.nba.com

1964 : la NBA en grève

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Bob Cousy, premier président du syndicat des joueurs NBA, passe le ballon à son successeur Tommy Heinsohn lors d’un match contre les Knicks au Madison Square Garden, le 22 janvier 1963 (1).

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Quand on parle de grève en NBA, on pense aux fameux « lock-outs » décidés par les propriétaires de franchise en 1999 et 2011, qui ont paralysé le championnat et amputé la saison régulière d’un grand nombre de matchs. Pourtant, un conflit bien plus important avait opposé joueurs et dirigeants plusieurs années auparavant, un conflit dont l’issue a changé l’avenir de la NBA et dont l’histoire reste malheureusement très ignorée, aussi bien aux États-Unis qu’ailleurs.

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C’était il y a plus de cinquante ans. Frustrés par des salaires trop bas, des déplacements excessifs et l’absence d’un régime de retraite, les joueurs de NBA prirent en 1964 l’une des décisions les plus hardies de l’histoire du sport professionnel : celle de boycotter le All-Star Game. Pour la première fois dans l’histoire du sport américain, des professionnels célèbres ont risqué leur carrière et leur paye pour une cause commune. Pour la première fois dans l’histoire du sport, un syndicat de joueurs a obtenu une véritable victoire avec la mise en place du premier plan de retraite pour sportifs de l’ère moderne. C’est en 1964 que les graines de la free agency et des gros contrats ont été plantées. Sans le mouvement de grève, la NBA ne serait sans doute jamais devenue ce qu’elle est aujourd’hui : une ligue générant 5 milliards de dollars de revenus par an et dont les joueurs gagnent un salaire annuel moyen de 5,7 millions de dollars.

Au début de son existence, la NBA est loin d’être un paradis pour les joueurs, dont le statut oscille entre amateurisme et semi-professionnalisme. Les joueurs gagnent entre 4 000 et 5000 $ par saison, une somme insuffisante pour les faire vivre uniquement de leur sport et qui les contraint à exercer un emploi en parallèle. Il n’existe ni régime de retraite, ni salaire minimum, ni prestations maladies. Le service militaire est obligatoire pour les futurs rookies et les contraint à sacrifier une à deux années de carrière. L’encadrement et les conditions de travail ne sont pas plus reluisantes, avec des entraîneurs amateurs et une hygiène de vie largement ignorée. Pas de quoi pavoiser pour une activité qui occupe les joueurs près de six mois par an. Quant aux relations avec les « patrons », elles sont inexistantes.

« Les joueurs étaient les pantins des propriétaires. Nous avions le sentiment d’être des esclaves car nous n’avions aucun droit. Nous étions payés une misère et il fallait exercer un autre emploi l’été. C’était l’âge de pierre du basket-ball. » (Jerry West au L.A. Times en 2011)

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En 1954, huit ans après la création de la NBA, un joueur se décide à prendre les choses en main. C’est Bob Cousy, l’une des plus grandes stars de l’époque. Conseillé par son agent, Joe Sharry, il adresse une lettre à huit des meilleurs joueurs (un par équipe existante) pour leur demander appui et soutien dans le projet de création d’un syndicat destiné à défendre l’intérêt des joueurs. Sept d’entre eux répondent positivement. Andy Phillip, l’arrière des Fort Wayne Pistons, est le seul à ne pas pouvoir s’engager en raison de la farouche opposition affichée par son patron, Fred Zollner. Quelques semaines plus tard, l’Association des Joueurs NBA (National Basketball Players Association ou NBPA) voit le jour, avec Cousy à sa tête en tant que premier président.

Dès janvier 1955, Cousy remet au commissionnaire de la NBA Maurice Podoloff une première liste de revendications, parmi lesquelles :

  • L’attribution des salaires n’ayant pas été versés aux joueurs des Baltimore Bullets après la disparition de leur équipe en cours de saison précédente ;
  • L’abolition de l’amende de 15 $ que les arbitres pouvaient distribuer sans restriction aux joueurs ayant discuté ou protesté contre une décision ;
  • Une limite de 20 matchs d’exhibition par saison, dont les joueurs auraient leur part de profit ;
  • La mise en place d’un comité impartial pour arbitrer les conflits entre joueurs et propriétaires ;
  • Un tribut de 25 $ pour les apparitions publiques des joueurs autres qu’à la radio, la télévision ou dans le cadre d’une œuvre de charité ;
  • Le paiement des frais de déménagement des joueurs transférés.

La NBA, qui a refusé de reconnaître le statut de la NBPA, rejette toutes les requêtes, ne consentant qu’à payer deux semaines de salaire à six des anciens joueurs de Baltimore. Loin d’être découragé, Cousy continue le combat, en profitant de son statut de joueur-phare de la ligue.

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En 1957, les choses commencent à bouger ; non seulement les joueurs menacent sérieusement de faire grève si l’on continue à les ignorer, mais les dirigeants de la NBA apprennent que Cousy est sur le point de rencontrer les responsables d’autres organisations sportives pour tenter une alliance qui augmenterait la puissance de la NBPA. Prudente, la NBA parlemente et reconnaît officieusement la NBPA au mois d’avril, tout en accédant à la plupart des requêtes émises en 1955. Une première victoire pour le syndicat, qui va cependant connaître un coup dur l’année suivante, lorsque Cousy démissionne de son poste de président après n’avoir pas reçu la cotisation syndicale annuelle de 10 $ de la part de nombreux joueurs. Son coéquipier Tommy Heinsohn, qui travaillait dans une compagnie d’assurances quand il ne jouait pas et avait aux yeux des joueurs une certaine expérience de la fonction, est choisi pour lui succéder.

La prise en main de Heinsohn fut à l’image du joueur qu’il était. Les négociations se firent plus agitées et plus agressives, pendant que Cousy et d’autres stars comme Wilt Chamberlain continuaient à se plaindre de la longueur interminable de la saison (25 et 30 matchs de préparation et 72 matchs en saison régulière, sans compter les matchs de play-offs !) ainsi que du fait de devoir voyager tout le temps, des salaires trop bas, de la programmation trop intense qui mettait à mal les organismes et du refus de la ligue de les empêcher de faire deux matchs le même jour ou deux matchs en deux jours. En janvier 1961, Heinsohn parvint à un accord avec les propriétaires de franchise pour un plan de retraite : les joueurs de plus de 65 ans ayant évolué au moins cinq ans en NBA recevraient 100 $ par mois, et ceux avec au moins dix ans de carrière recevraient 200 $ par mois. Les détails devaient être réglés avant la fin du mois de février. Mais encore une fois, les négociations flanchèrent.

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Larry Fleisher (2).

À la suite de cet échec, Heinsohn prend conscience qu’il a besoin de renfort. Après avoir rencontré plusieurs candidats, il engage comme directeur exécutif un avocat diplômé d’Harvard, Larry Fleisher. Sous l’égide de ce dernier, les exigences des joueurs se font plus concrètes : outre la reconnaissance officielle de la NBPA en tant que porte-parole des joueurs NBA et la demande toujours pressante d’un plan de retraite, les revendications portent sur les conditions de travail (repas offerts, entraîneurs à temps plein à domicile et à l’extérieur) et le calendrier (pas de matchs le dimanche après avoir joué le samedi soir). Mais la NBA continue à faire la sourde oreille….

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C’est en 1964 que la cocotte-minute explose pour de bon. Au cours des mois précédant le All-Star Game, les joueurs de la NBA et leur syndicat avaient été méprisés une fois de trop par les propriétaires de franchise et la hiérarchie de la ligue. Les dirigeants et les joueurs représentant la NBPA s’étaient rendus à une réunion du Conseil des Dirigeants, après avoir été assurés d’obtenir une audience avec les patrons. Ces derniers les laissèrent purement et simplement poireauter à l’extérieur de la salle. Le nouveau commissionnaire de la NBA, Walter Kennedy, est quant à lui sur la même ligne que son prédécesseur Maurice Podoloff, qui avait fait tout son possible pour contrecarrer les efforts des joueurs.

Tommy Heinsohn en a assez. Il décide de passer à l’action. Avec deux autres joueurs-vedette, Lenny Wilkens et Bob Pettit, il met au point le plan ultime : boycotter le All-Star Game.

Le All-Star Game de 1964, qui doit se jouer à Boston en début de semaine (et non le week-end comme aujourd’hui), est un gros événement. Les meilleurs joueurs de la ligue s’affrontent. Chamberlain, Russell, West, Robertson et Baylor sont au pinacle de leur carrière. D’autres noms célèbres (Lucas, Havlicek, Heinsohn, Lenny Wilkens, Sam Jon, Hal Greer) sont présents, sans compter le plus grand entraîneur de tous les temps (Auerbach) qui doit entraîner l’équipe de l’Est. On attend également d’importants joueurs de l’histoire des Celtics, dont l’ensemble de l’équipe de 1946 à 1947, ainsi qu’une bonne partie des stars à la retraite venues pour jouer un match de Vétérans avant l’événement principal. De plus, pour la première fois, le All-Star Game est retransmis en prime time à la télévision sur la chaîne ABC, qui a signé avec la NBA un contrat de 4 millions de dollars sur 5 ans. Autant dire que les joueurs ont plusieurs atouts pour faire pression dans leur manche. Et ils comptent bien s’en servir.

Le mardi 14 janvier, date du All-Star Game, les joueurs et les propriétaires se retrouvent à Boston l’après-midi, retardés par la tempête de neige qui sévit au-dehors. Wayne Embry et ses coéquipiers des Cincinnati Royals, Oscar Robertson et Jerry Lucas, ont été détournés vers Minneapolis et Washington avant de prendre le train pour Boston. Lorsqu’ils arrivent à l’hôtel, ils trouvent Heinsohn en train de rassembler les joueurs dans une salle, les forçant plus ou moins à signer une pétition pour boycotter le match. La rumeur d’une grève a été entendue, mais personne ne prend l’information au sérieux. Les joueurs prendraient de gros risques. Le jeune Wayne Embry, 26 ans, fait partie des meilleurs joueurs du monde, mais il n’est pas une superstar et il vit du chèque que la NBA lui remet tous les mois. Si les choses tournent mal, il peut perdre son emploi. Mais il est décidé à faire preuve de solidarité. La peur au ventre, Embry laisse sagement les anciens discuter.

Lorsque les joueurs arrivent dans les vestiaires, les discussions vont toujours bon train. Certaines vedettes influentes (dont Wilt Chamberlain) veulent jouer d’abord et négocier ensuite. Un vote est organisé. Les résultats sont partagés : 11-9 en faveur de la grève. Les négociations continuent. Finalement, deux heures avant le match, les leaders du mouvement (Heinsohn, Russell et Wilkens) informent le commissionnaire Walter Kennedy qu’ils ne joueront pas avant qu’un accord sur les retraites ne soit trouvé.

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C’est l’affolement dans les vestiaires. Interloqués, les propriétaires interviennent en personne pour demander aux joueurs de reconsidérer leur décision. Mais ceux-ci tiennent bon. La tension monte peu à peu et les menaces pleuvent, ne faisant que fortifier la résolution des joueurs. Walter Brown, le propriétaire des Celtics, hôtes de l’événement, a énormément à perdre ; il traite Heinsohn de « pire gredin du monde des sports », disant qu’il l’enverrait « jouer à Hawaii s’il avait une équipe là-bas ».

Avec le temps, une légende urbaine intéressante concernant cet instant s’est propagée : au moment où les joueurs dissidents paraissaient avoir finalement convaincu les autres de jouer, le propriétaire des Lakers, Bob Short, bloqué en dehors du vestiaire par un policier, aurait envoyé un message ordonnant à ses joueurs (West et Baylor) de s’habiller et de « ramener leur cul » sur le terrain. Bien entendu, l’effet escompté fut inverse.

Il a dit au vieux policier irlandais : « Je suis Bob Short, le propriétaire des Lakers. Va dire à Elgin Baylor que s’il ne ramène pas son cul sur le terrain en vitesse, sa carrière est finie ! »  Quand le flic lui a rapporté ça, Elgin a répondu : « Dis à Bob Short d’aller se faire f… » (Tommy Heinsohn)

Difficile de savoir si cette anecdote est vraie. Bob Pettit a confié dans une interview qu’il ne se rappelait pas d’une telle histoire. Ce qui est cependant certain, c’est que le temps s’écoulait et que le commissionnaire Kennedy était de plus en plus nerveux car les représentants de ABC le menaçaient de rompre leur association si les joueurs les laissaient tomber en prime time. Après avoir discuté avec les propriétaires, il frappa à la porte des vestiaires quinze minutes avant le début du match et s’engagea à mettre en place un plan de retraite, tout en accédant aux autres requêtes des joueurs concernant les conditions de travail et la reconnaissance de la NBPA. Malgré cela, les joueurs continuaient à se demander s’il fallait entrer sur le terrain.

« Il y avait beaucoup de discussions. Certains joueurs étaient pour, d’autres contre. Certains pensaient toujours qu’il ne fallait pas jouer. Je crois que c’est Wilt Chamberlain qui a dit : Le commissionnaire a promis de faire tout ce qui est en son pouvoir. On doit jouer ce match. » (Bob Pettit)

Un nouveau vote à main levée débouche sur un score de 18-2 en faveur du déroulement du match. Cette fois, la cause est entendue. La rencontre commence sans que personne ne se souvienne de l’heure du coup d’envoi. D’après Pettit, les joueurs sont entrés trois à quatre minutes avant l’heure prévue, se sont échauffés en faisant un ou deux double-pas et ont joué le match. Embry se rappelle d’un retard d’environ 15 minutes. D’autres sources évoquent « la grève de 22 minutes ». Quoi qu’il en soit, cette nuit-là, l’équipe de l’Est battit celle de l’Ouest 111 à 107 et Robertson fut nommé MVP avec 26 points, 14 rebonds et 8 passes décisives. Bill Russell marqua 13 points et prit 21 rebonds. Chamberlain marqua 19 points et prit 20 rebonds. Et Pettit marqua 19 points et prit 17 rebonds.

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Les vrais vainqueurs, bien sûr, furent les joueurs et leur syndicat. Le plan de retraite, initialement prévu pour couvrir uniquement les joueurs actifs, fut élargi aux joueurs ne devant commencer leur carrière que l’année suivante. Cet événement et ce qui en a découlé fut le socle de la condition des joueurs d’aujourd’hui. Aujourd’hui encore, les joueurs en sont fiers.

« Ce qui s’est passé il y a 50 ans était vraiment un grand moment dans l’histoire de la NBA et pour ses joueurs. Plus tard, je suis passé de l’autre côté de la barrière et cet événement a bénéficié aux deux parties. Il y aura toujours des négociations syndicales. Le monde serait injuste s’il n’y en avait pas. » (Wayne Embry)

« Nous ne gagnions pas beaucoup en terme de salaire. Aujourd’hui, ce serait vraiment très difficile quand on sait que les joueurs touchent plusieurs millions par an pour jouer au basket. […] Je ne suis même pas sûr que beaucoup d’entre eux sachent ce qui est arrivé. » (Oscar Robertson)

« Il est important que [les joueurs d’aujourd’hui] sachent. J’espère avoir l’opportunité de les mettre au courant. » (Bob Pettit)

Ce sera chose faite en février 2014 : pour le cinquantième anniversaire de la grève, un résumé vidéo de l’action des All-Stars de 1964 a été diffusé avant la rencontre annuelle entre représentants des joueurs.

Pour terminer, soulignons l’action déterminante de Larry Fleisher dans le combat des joueurs : après le succès de 1964, il conseillera la NBPA de façon bénévole pendant 19 ans, permettra aux joueurs d’être agents libres en défendant ce droit devant le Congrès et contribuera à la fusion NBA-ABA, à l’instauration du plafond salarial et à la mise en place de sanctions pour les joueurs consommant des drogues dures. Il est entré au Hall of Fame en 1991.

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Aucun documentaire n’a encore été consacré à la grève de 1964 et il existe peu d’informations à ce sujet. La source principale pour l’écriture de cet article provient du journaliste Steve Aschburner, de http://www.nba.com, qui a publié sur son blog « Hang Time » un compte-rendu très complet le 13 février 2014. Je le remercie pour son travail.


(1) Source : http://stlsportshistory.com/

(2) Source : http://www.hoophall.com/