Le voyageur

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Devenu agent libre, Thomas Robinson parviendra-t-il à s’installer à long terme dans une équipe NBA ?

par JONATHAN ABRAMS, le 1er juillet 2015

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Lorsque David Stern annonça sa sélection en cinquième position à la draft de 2012, Thomas Robinson fondit en larmes et embrassa sa sœur cadette. C’était une formidable récompense, après la tragédie et le chagrin qu’il avait endurés. « Il a dû passer d’un seul coup du statut d’enfant à celui d’adulte », témoigne Barry Hinson, ancien directeur des opérations basketball de l’Université du Kansas. La NBA représentait une chance de mener une vie confortable, et cette nuit-là, ce qui n’était un rêve d’enfant est devenu réalité. Huit mois plus tôt, un entraîneur adjoint avait dit à Robinson que s’il faisait une bonne troisième année, il pouvait s’attendre à être sélectionné en fin de premier tour. Robinson s’était fâché. Il ne pensait pas que vingt-sept joueurs étaient meilleurs que lui. Ses performances lui donnèrent raison et Robinson mena l’université du Kansas en finale du championnat national.

Les Sacramento Kings avaient recruté Robinson dans le but de l’associer avec le jeune joueur vedette de l’équipe, DeMarcus Cousins. Comme Cousins, Robinson avait été un intérieur dominant à l’université, et les Kings semblaient pouvoir construire autour de ce secteur. « Je pense que c’est arrivé parce que c’est là que ce joueur était supposé être, déclara à la presse Keith Smart, alors entraîneur de Sacramento, après la sélection de Robinson. Parfois, ça se passe comme ça. On atteint un certain niveau, puis, le moment venu, on finit par arriver là où l’on est supposé être. »

Si la sélection de Robinson était prédestinée, comme le prétendait Smart, son séjour à Sacramento ne dura pas longtemps. L’année suivante, lorsque la date de fin des transferts approcha, Sacramento – une franchise connue pour ses décisions énigmatiques en matière de gestion – fut la seule à échanger l’un des cinq premiers choix de la précédente draft. Robinson attaque aujourd’hui sa quatrième saison en NBA et cherche toujours sa place. Il a été échangé à plusieurs reprises, a été remercié, et a terminé la dernière saison à Philadelphie, une franchise qui paraît se reconstruire sans cesse. Il est peu probable que Robinson signe de nouveau avec les Sixers en tant qu’agent libre (il l’est depuis minuit), mais quel que soit l’endroit où il atterrira la saison prochaine (les Nets se disent intéressés), Robinson est déterminé à trouver une place à long terme en NBA.

Autrefois, Robinson jouait au basket-ball pour l’amour du jeu. C’est toujours le cas, mais les choses ne sont plus les mêmes. En attendant de signer avec sa cinquième équipe en quatre saisons, il joue pour prouver que ceux qui doutent de lui ont tort. « Je ne me suis jamais senti aussi méprisé, a-t-il déclaré à la fin de la saison dernière. Le système me dégoûte. Toutes les raisons pour lesquelles j’avais envie d’intégrer la NBA n’ont plus raison d’être. Je ne suis plus ici pour ce qui me motivait quand j’ai été drafté ou quand j’étais enfant. Mon état d’esprit a complètement changé. En dehors de quelques joueurs, on vous traite comme une marchandise. Aujourd’hui, je ne joue plus pour l’argent, ni par amour du jeu. Je joue parce que je veux qu’on me respecte. Et je garderai cet état d’esprit jusqu’à ce que les choses changent. »

On avait déjà douté de Thomas Robinson. « Honnêtement, il n’était pas si bon. Pas autant que ça, se souvient Dwight Redd, l’un de ses premiers entraîneurs dans sa ville natale de Washington. Sur le terrain, Robinson dépassait souvent ses équipiers en taille, mais en général, il se dirigeait vers la ligne des trois points et tirait de loin. Redd demanda à Robinson d’être plus présent au rebond, le laissant parfois sur le banc pour faire passer le message. S’il avait tendance à rester loin de la raquette, Robinson avait une excellente éthique de travail. Il faisait souvent des heures supplémentaires et travaillait sans relâche. Un acharnement qui porta ses fruits lorsqu’en 2008, Robinson partit jouer dans un camp d’été sponsorisé par Reebok à Philadelphie. « Lorsqu’il est revenu à Washington à la fin de la semaine, le téléphone n’a pas arrêté de sonner, confie Redd. Après l’été, Thomas avait au moins quatre-vingts offres. » En plus de vanter l’attractivité des programmes universitaires, les entraîneurs rivaux essayèrent de débaucher Robinson, en lui glissant que Redd ne pourrait pas le faire passer au niveau supérieur. Redd avait alors pris son joueur à part. « Je vais te dire une chose. C’est toi qui décides. Mais tu iras loin dans la vie en étant loyal. Quand personne ne te connaissait, quand personne ne voulait [t’entraîner], je t’ai hébergé pendant des semaines, alors qu’aucun de ces gens-là ne se souciaient de toi. Tu es le seul à pouvoir décider. »

Robinson est resté avec Redd. Sa mère, Lisa, lui avait appris à être loyal, et Robinson lui montra, ainsi qu’aux personnes qui avaient gagné son estime, qu’il avait retenu la leçon. « Pendant la semaine, Thomas restait chez [Redd] pour qu’il ne soit pas en retard à l’école, explique Lou Wilson, l’entraîneur de Robinson au lycée baptiste Riverdale du Maryland. Si l’on remettait en question son autorité, sa mère faisait preuve d’une grande fermeté. Si Thomas voulait rester le week-end, elle disait : Non. Je veux que tu sois à la maison vendredi soir. Tu as des corvées à faire. »

Voilà pourquoi Robinson cessa de chercher davantage lorsqu’il visita l’Université du Kansas, dans la ville de Lawrence. L’entraîneur, Bill Self, lui avait plu, mais il se sentait surtout attiré par l’atmosphère familiale de l’équipe des Jayhawks. Robinson se lia très vite d’amitié avec les jumeaux Morris, Marcus et Markieff ; leur mère, Angel, s’était installée au Kansas avec ses fils et aimait tous les joueurs de l’équipe. Les jumeaux téléphonaient souvent à la maison pour dire à Angel qu’ils venaient dîner, et elle demandait combien de leurs coéquipiers ils comptaient amener avec eux. « Nous l’appelions Maman. Elle s’occupait de tout le monde, raconte Hinson, le directeur des opérations basketball. Pour moi, pour le personnel, pour les joueurs, elle était comme une mère. Tout le monde l’adorait. »

Robinson se joignit à la troupe, et les jumeaux devinrent triplés. « Il étaient plus que proches, déclare Hinson à propos de la relation de Robinson avec les Morris. C’était comme s’ils étaient collés à la colle forte ou à la Super Glue. » Angel Morris fut surprise lorsqu’elle rencontra Robinson pour la première fois. Il la prit dans ses bras en lui disant : « Ma mère m’a dit de te dire de l’appeler. » Elle trouva cela étrange, car elle ne connaissait pas sa mère. Mais Lisa Robinson s’était renseignée et elle avait appris qu’Angel veillait sur tous les joueurs. Elle s’adressa à elle avec politesse et respect. « Puis-je vous demander une faveur ? Pouvez-vous vous occuper de mon bébé pendant qu’il est là ? » Angel accepta, et elle l’aurait fait quoi qu’il arrive. « Sa mère et moi sommes devenues de très bonnes amies, témoigne Angel. Elle n’aimait pas prendre l’avion. J’ai donc veillé sur son fils. Elle appelait parfois pour me dire que Thomas ne l’avait pas appelée. Je lui disais de ne pas s’inquiéter, que j’allais découvrir pourquoi il ne l’avait pas fait. »

Robinson travaillait souvent avec les jumeaux pour améliorer son jeu. En un-contre-un, ils faisaient partie des meilleurs joueurs qu’il ait jamais affrontés. Mais leur lien était plus profond que le basket-ball. « Quand je les ai rencontrés, je les ai un peu idolâtrés, déclare Robinson. Parce que j’ai rencontré des gens comme moi, avec des antécédents similaires et leur même façon de travailler. » Lorsque Robinson attaqua sa deuxième saison, sa deuxième famille du Kansas joua un rôle vital lorsque ses grands-mères, son grand-père et sa mère décédèrent subitement. Les tragédies se succédaient, avec comme point culminant la mort inattendue de la mère de Robinson, décédée à 37 ans, apparemment d’une crise cardiaque. La perte subie par Robinson fut incommensurable, comme s’en souvient Self : « Je lui ai demandé si je devais informer quelqu’un du décès de sa mère. Thomas a simplement répondu : Coach, je n’ai plus personne.« 

Ces décès affectèrent tous ceux qui étaient en relation avec Robinson. Le père de Hinson était prêtre baptiste et il avait souvent vu des gens faire face à la perte d’un être cher, mais jamais à une telle échelle. « J’ai vu sous mes yeux un gamin se transformer un homme, confie Hinson. Il a dû prendre des décisions entièrement seul. Il n’y avait personne pour l’aider. Pouvez-vous imaginer, à dix-neuf ans, quoi répondre à quelqu’un qui vous demande de choisir la tenue que votre mère va porter dans son cercueil ? » Hinson prétend avoir eu du mal à soutenir Robinson pendant cette période. « Je jouais la comédie à fond, a déclaré Hinson. Je ramais comme un fou. Puis je rentrais dans ma chambre d’hôtel [et] je me mettais à pleurer, parce qu’il était difficile de voir ce que vivait ce gamin. Je me sentais impuissant. Notre travail d’entraîneur, c’est d’ajuster les choses. Une tactique ne fonctionne pas ? On la travaille. Un joueur ne sait pas défendre ? On lui apprend. Un gosse a besoin de soutien scolaire ? On s’en occupe. Quand nos étudiants ont ces problèmes, nous les réglons. On ne pouvait pas résoudre ce problème-là. »

Robinson a tenté de rester fort pour sa sœur Jayla, âgée de neuf ans, qu’il avait toujours protégée. Son père à lui l’avait abandonné très tôt ; le père de Jayla avait déjà purgé une peine de prison avec sursis pour une affaire de drogue. Robinson a accéléré les choses. Il a disputé un match contre l’Université du Texas le lendemain du décès de sa mère, tout en organisant ses funérailles et en faisant ce qu’il fallait pour prendre soin de sa sœur. Il a joué huit minutes, a marqué deux points et pris cinq rebonds. La série de victoires à domicile de 69 matchs des Jayhawks s’est arrêtée avec une défaite de 74-63 contre les Longhorns. « À l’université, vous établissez de véritables liens de fraternité avec les autres. Nous avons donc un peu ressenti sa douleur, déclare Marcus Morris. Quand [on] perd sa famille en si peu de temps, c’est difficile à surmonter. »

À cause de cette proximité, lorsque Marcus et Markieff Morris se sont déclarés candidats à la draft NBA après le tournoi de la NCAA en 2011, Robinson a voulu quitter l’école avec eux. « C’est moi qui ai décidé, révèle Angel. Pas lui. J’ai décidé qu’il n’était pas prêt. » Robinson n’avait pas encore eu l’occasion de s’établir comme un candidat solide au premier tour de draft. Partir après sa deuxième saison universitaire aurait été une erreur à coup sûr ou presque, et la décision d’Angel a sauvé Robinson. « Je ne sais pas comment pas expliquer notre relation, dit Robinson. C’est un peu ma deuxième mère. Elle a repris ce rôle et ne l’a jamais fait d’une manière qui me mettait mal à l’aise. Elle m’a laissé m’y habituer. Elle m’a laissé arriver au point où je suis heureux de la traiter comme telle. »

Angel avait bien fait : Robinson a finalement réussi à briller lors de sa saison junior. L’équipe du Kansas avait toujours pensé que Robinson avait un avenir en NBA, mais en première année – comme tous les rookies – il avait peu joué (près de sept minutes par match derrière les jumeaux Morris et Cole Aldrich). En deuxième année, les statistiques de Robinson ont grimpé à 7,6 points et 6,4 rebonds en 14,6 minutes, mais le grand saut a eu lieu après que ses coéquipiers les plus proches, les jumeaux Morris, sont partis en NBA et ont ouvert la porte à Robinson.

« Nous avons traversé toutes les épreuves avec Thomas, déclare Self en parlant de la saison 2011-12. Je ne sais pas si j’ai déjà géré une équipe où un joueur recevait autant de passes. C’était notre shooteur attitré. » Robinson a atteint une moyenne de 17,7 points et 11,9 rebonds et a emmené les Jayhawks en finale du championnat national, où Anthony Davis et l’Université de Kentucky ont dominé celle du Kansas 67 à 59. Peu de temps après, Robinson se déclara éligible à la draft. « Au fond de moi, je regrette de ne pas l’avoir convaincu de rester une année de plus à l’université, dit Angel. J’aurais aimé qu’il en soit ainsi, mais quand j’ai vu à quel point il était bon en NCAA, j’ai su [qu’il partirait]. »

Le jour de la draft, les Kings, qui choisissaient en cinquième position, n’étaient pas sûr de leur choix. Cela dépendait en grande partie des autres équipes. Robinson avait martyrisé ses adversaires au collège, et certains experts pensaient que Charlotte pourrait le sélectionner en deuxième position. Mais les Bobcats ont finalement choisi Michael Kidd-Gilchrist, de Kentucky, et les Wizards de la ville natale de Robinson l’ont écarté pour Bradley Beal. Cleveland, qui avait recruté Tristan Thompson l’année précédente, avait peu de chances de choisir un autre ailier fort, laissant ainsi la possibilité à Sacramento d’utiliser leur cinquième choix pour prendre Robinson. « La plupart des gens pensaient qu’il serait déjà pris au moment où les Kings devraient choisir, et je sais que Thomas n’est pas venu se présenter chez nous, se souvient Grant Napear, commentateur de longue date de Sacramento. Je crois que nous avons tous pensé que c’était inespéré : il fallait qu’on le prenne. »

Les joueurs qui débutent en NBA, particulièrement les « All-American » universitaires et les cinq premiers choix de draft, peuvent avoir du mal à accepter des rôles plus limités dans la ligue. Bobby Jackson, qui a entraîné Robinson durant sa première ligue d’été en NBA, avait lui-même eu des difficultés en tant que jeune joueur. Ce n’était que lors de sa quatrième saison, à son arrivée à Sacramento, qu’il avait trouvé sa place : celle d’un arrière efficace en sortie du banc. Durant la ligue d’été, Jackson a conseillé à Robinson de ne pas forcer et de rester lui-même. « Beaucoup de jeunes joueurs ne comprennent pas [cela], confie-t-il. Certains d’entre eux viennent avec des attentes élevées. Ils essaient d’impressionner et d’en faire un peu plus, ce qui leur fait commettre bien plus d’erreurs. »

Napear se rappelle que la relation entre les Kings et Robinson avait mal commencé. « Je crois qu’il est entré dans la ligue d’été auréolé de sa gloire universitaire, presque comme s’il était destiné à être la star de l’équipe. Il a essayer de jouer meneur, il a essayé de jouer arrière, et en fin de compte, il a vraiment été très mauvais pendant la ligue d’été. » D’après Fat Lever, qui a joué onze saisons en NBA et travaillait à Sacramento en tant que responsable du développement des joueurs lorsque l’équipe a recruté Robinson, la NBA se résume à une seule question : es-tu prêt à jouer ? Robinson n’était pas prêt, et il n’y avait aucun vétéran dans l’équipe pour le guider. « Quand vous arrivez en NBA, les entraîneurs attendent de vous que vous soyez tout de suite performant, surtout si vous êtes une jeune équipe qui tente de construire quelque chose, explique Lever. Vous êtes un choix de premier tour, les attentes sont élevées et à Sacramento, où la ville n’a pas d’autre franchise que celle en NBA, vous êtes constamment sous le feu des projecteurs. Il y a une pression supplémentaire. »

Robinson accepte les critiques qui lui ont été adressées à ses débuts. « J’étais mal préparé », admet-il. Il est difficile pour un joueur de passer à la NBA après avoir été un maillon essentiel de son équipe universitaire. Cet ajustement fut particulièrement épineux pour Robinson, car il avait été drafté très haut, et pour la première fois de sa carrière, il se retrouvait dans une situation où ses efforts et ses aptitudes physiques ne suffisaient plus. Avant, Robinson pouvait surpasser tout le monde en travaillant dur ; à présent, la courbe d’apprentissage était devenue trop abrupte et le calendrier chargé de la NBA ne laissait guère place à l’amélioration. La situation difficile de la franchise lors de la première année de Robinson ne l’a pas aidé. Pendant la saison 2012-13, des rumeurs circulaient selon lesquelles l’équipe de Sacramento pourrait être transférée à Anaheim, Virginia Beach ou Seattle. Les frères Maloof, propriétaires de l’équipe, déclaraient ne plus avoir les moyens d’assumer les dépenses liées à la gestion d’une franchise NBA destinée à de petits marchés. Dans le vestiaire des Kings, l’atmosphère était sombre et les joueurs se disputaient souvent avec Smart. « Si Keith Smart m’avait eu dans une situation différente, où il aurait été plus à l’aise en tant qu’entraîneur, les choses auraient bien mieux fonctionné avec moi et avec les autres, déclare Robinson. [Il] devait en quelque sorte sauver son poste et n’avait pas le temps d’accorder l’attention dont un rookie comme moi avait besoin. Il ne pouvait pas se permettre de me laisser jouer car mes erreurs pouvaient nous coûter des matchs. Tout ce que les rookies doivent faire pour progresser, je ne l’ai pas fait. »

Lorsque les Kings ont refait signer Jason Thompson avant la première saison de Robinson, ce dernier a dû s’écarter pour lui laisser la place. Il n’a joué que 51 matchs à Sacramento et n’a dépassé qu’une seule fois les 30 minutes de jeu, à son sixième match en NBA. Avec les Kings, il n’a jamais marqué plus de 12 points. « Il ressemblait un peu à un poisson hors de l’eau », confie Napear. Aussi, lorsque la date limite des transferts s’est approchée et que les Kings ont cherché à réduire leur masse salariale, ils ont envoyé Robinson, Francisco Garcia et Tyler Honeycutt aux Rockets contre Aldrich, Patrick Patterson et Toney Douglas. « [Robinson] était un incroyable rebondeur et un athlète fantastique, mais il avait plus de lacunes que d’atouts, déclare Napear. Patrick Patterson était cinq fois meilleur que [lui]. L’occasion était trop belle. »

Robinson a appris son transfert par un SMS de Marcus Morris, qui avait été lui-même transféré de Houston à Phoenix dans le cadre d’un autre échange. « Je venais de quitter l’entraînement, se souvient Robinson. Ce qui est dingue, c’est que le manager été aimable et souriant avec moi, alors qu’il avait décidé depuis longtemps qu’il allait m’échanger. Mais c’est le métier qui veut ça. C’est le genre de chose qui vous donne envie de vomir. » Le passage de Robinson à Houston a été encore plus court : 19 matchs à peine. Il a été transféré à Portland durant l’été, avant d’avoir pu trouver sa place parmi les Rockets. À la fin de la saison, Houston avait besoin de libérer le plus d’argent possible pour avoir une chance d’obtenir Dwight Howard, et le contrat de Robinson devint précaire. « Je savais que Houston allait participer aux play-offs. Je pensais donc avoir une chance, une occasion de me mettre en avant, raconte Robinson. [Après le transfert,] j’étais tellement bouleversé que je n’ai quasiment rien fait le reste de l’année. »

Avec les Blazers, au moins, Robinson a réussi à accomplir une saison pleine en 2013-14. « Il a amené beaucoup d’énergie. Il anticipait bien les rebonds, déclare l’entraîneur de Portland, Terry Stotts. C’était un défenseur polyvalent car il pouvait aussi défendre au périmètre. Ses qualités athlétiques et sa robustesse étaient des atouts. » La foule bruyante de Portland rappelait à Robinson les supporters passionnés de la salle Allen Fieldhouse, au Kansas, et il s’en est nourri. Lors d’un match contre les Timberwolves, Robinson a réalisé l’une des plus belles actions de la saison de Portland : il a bloqué un tir de Corey Brewer et déclenché une contre-attaque qui a abouti à un dunk de Will Barton. « L’ambiance était à fond et c’est pour ça que je vis, se souvient Robinson, qui avait bloqué si fort le tir d’un adversaire au lycée qu’il s’était cassé la main. C’est comme ça que je suis. Ce genre d’action me fait me sentir vivant. J’adore ça. »

Mais si Robinson s’était installé dans la rotation des Trail Blazers, il était barré par LaMarcus Aldridge et ne disposait pas beaucoup de temps de jeu. En février, Portland a voulu renforcer l’effectif en vue des play-offs et a cédé Robinson à Denver dans un échange visant à acquérir Arron Afflalo. Les Nuggets n’ont pas voulu garder Robinson et, malgré les rumeurs selon lesquelles Brooklyn était intéressé, Philadelphie l’a réclamé avant que les Nets ne puissent le signer à nouveau. Après trois saisons instables, Robinson a qualifié de moment « probablement le plus heureux » de sa carrière le parcours en play-offs de Portland en 2014. « Je me suis tué au travail l’été [précédent] parce que je savais que si je faisais partie de la rotation en play-offs, je jouerais 15 à 20 minutes [en saison régulière]. C’était ce qu’on m’avait répété tout l’été. J’étais sûr que les choses allaient tourner en ma faveur. J’étais enthousiasmé. J’ai travaillé comme un dingue. Puis je suis revenu, et voilà. La douche froide. »

La NBA est un rêve. Et une entreprise.

Pour les joueurs de la ligue, une carrière durable signifie trouver un juste milieu entre ces deux déclarations. « En tant que basketteurs, nous sommes très compétitifs et nous voulons bien faire, dit Jackson. Mais les jeunes joueurs, surtout, ne comprennent pas les règles du jeu. Ils ne comprennent pas le jeu offensif, les circonstances. Quand on est jeune, on joue simplement avec le talent donné par Dieu. Il n’y a qu’un très petit nombre de rookies [qui] qui comprennent vraiment le jeu car [cela] leur est facile. Certains vont être des superstars. Certains vont être des role players. Certains ne vont pas quitter le banc. Si vous voulez faire une longue carrière, vous devez être capable de l’accepter. »

Jason Smith a entraîné Robinson à la Brewster Academy, une école préparatoire d’élite du New Hampshire, dans laquelle Robinson a été transféré au lycée. Au début de sa carrière en NBA, Smith remarqua que Robinson essayait trop souvent de prouver qu’il avait mérité sa sélection dans les cinq premiers choix de draft. « Souvent, les jeunes ne se rendent pas compte qu’ils exercent un métier, dit Smith. S’ils ne sont pas performants, on trouvera quelqu’un pour les remplacer. Souvent, on dit aux jeunes joueurs à quel point ils sont formidables et ils ne se concentrent plus sur le fait qu’il faut [s’améliorer] chaque jour. Je pense que l’erreur commise par Thomas lorsqu’il est entré en NBA est qu’il a pensé qu’il devait renforcer son jeu, au lieu de se concentrer sur ce qu’il faisait mieux que la plupart des autres. »

Redd, l’entraîneur de l’AUA, a donné à Robinson un conseil similaire, en lui recommandant de ne pas tirer « à moins qu’il ait de la peinture sous les pieds ». Robinson est si proche des jumeaux Morris que Redd pense qu’il a essayé d’élargir son jeu pour refléter leur façon de jouer, alors qu’il aurait du insister sur ses qualités au rebond et sa ténacité. « De deux chose l’une : soit vous faites ce que vous voulez et la ligue vous pousse dehors, soit vous faites ce qu’ils veulent et on vous paye, se souvient Redd. C’est aussi simple que ça. Vous exercez un métier et en tant qu’employé, vous devez faire ce que votre employeur veut. Pas ce que vous voulez faire et ce que vous pensez pouvoir faire. » Redd dit que Robinson était d’accord sur le moment, mais qu’il a fini par recommencer à prendre des tirs à mi-distance. « Aussi bon que soit Thomas, il ne sera jamais le meilleur joueur d’une équipe NBA, déclare Self. Avant, toutes les actions étaient pour lui ; maintenant, la seule façon pour lui de marquer dépend du jeu de quelqu’un d’autre. Je comprends que cela puisse devenir frustrant. »

Pendant des années, Robinson a vu les autres joueurs avoir des occasions de se mettre en avant, et il s’est souvent demandé quand son tour arriverait. « Cela me fait mal au ventre à chaque fois. Je ne peux pas regarder certains joueurs dans les yeux à cause de ça. Puis je suis en colère contre moi-même parce que je ne suis pas du genre à m’en prendre à qui que ce soit. » Il veut montrer ce qu’il croit – qu’il est suffisamment polyvalent et talentueux pour jouer sous le panier et vers le périmètre. C’est cette conviction qui l’a amené à ce niveau – même lorsque ses amis et les critiques lui demandent de rester dans la peinture. « Je peux faire beaucoup plus. Quand j’essaie de le montrer ou de m’exprimer, cela me donne un coup de pied dans le fondement. […] Je connais mes limites. Ce n’est pas simplement [être] un gros rebondeur. Pour l’instant, c’est ce que je fais de mieux. » Pour Robinson, le tout est de trouver la bonne occasion. « Il va y avoir une période d’ajustement, déclare Stotts, rappelant que même certains membres du Hall of Fame n’étaient pas entrés dans la NBA en tant que superstars techniquement achevées. Lorsqu’il est entré dans la ligue, Karl Malone était horrible au lancer-franc. Ce n’était pas un scoreur. C’était un gros rebondeur, très robuste. Puis il est devenu le deuxième meilleur marqueur de tous les temps. »

Au cours des derniers mois de la saison, Philadelphie a offert à Robinson l’occasion qu’il avait tant convoitée. Robinson a eu la chance de montrer sa valeur et de faire taire ses détracteurs. Durant sa courte période avec l’équipe, Robinson a enregistré 18,8 points et 7,7 rebonds en 18,5 minutes par match. L’entraîneur de Philadelphie, Brett Brown, lui a permis de jouer malgré ses erreurs. « Il a joué pour de bonnes équipes pour lesquelles il n’a pas pu s’exprimer à travers les rotations, déclare Brown. Cela arrive à beaucoup de jeunes. Ce n’est pas une critique. Ici, nous sommes dans un mode de reconstruction et en raison de ses qualités, il m’a été facile de lui trouver des minutes. » Jouer à Philadelphie a également renforcé les relations de Robinson avec sa sœur, Jayla, qui a pu regarder plusieurs de ses matchs. « Si ma sœur n’a pas les meilleures opportunités, j’ai l’impression que c’est de ma faute, a déclaré Robinson. En ce moment, j’ai tout ce qu’il faut pour lui donner une belle vie. Si j’ai des ennuis, si je ne garde pas mon travail en NBA, les choses deviendront plus difficiles pour elle. »

D’après Redd, c’est à cause de cette pression que Robinson n’a sans doute pas eu le temps de digérer le décès de sa mère. Le basket et Jayla ont pris tout son temps. « Je pense encore aujourd’hui qu’il n’a pas eu le temps de faire entièrement son deuil, déclare Redd. Il y a le basket-ball, sa sœur, le fait qu’il ait été échangé, le fait de ne pas jouer. Je pense qu’il a trop de choses en tête. Il ne sait jamais s’il intégrera une équipe de manière durable ou s’il jouera. Il doit être épuisé mentalement. »

Pour les fans, un échange ne peut représenter qu’un événement banal défilant au bas de l’écran pendant l’émission SportsCenter. Mais lorsqu’un joueur est échangé, sa vie est déracinée. Dans sa jeune carrière, Robinson a déjà été échangé, remercié et réclamé en tant qu’agent libre. Une chose lui facilite néanmoins les choses : peu importe où il atterrit, les Morris lui trouveront un endroit pour vivre. À Houston, Robinson a pris la place de Marcus parce qu’ils participaient tous deux aux transactions de date limite de février. À Philadelphie, ils ont une maison où Robinson avait déjà des vêtements entreposés. Angel Morris a vécu là-bas avec lui. Avec son travail à elle et son voyage, ils se sont rarement vus la saison dernière, mais il était toujours réconfortant d’être proche d’un être cher. Si Robinson signe de nouveau à Philadelphie, Angel l’aidera à trouver sa place en ville.

Sur la route qui mène à la NBA, le passage du rêve à la réalité est un défi. « À l’université, quand l’entraînement est fini, vous rentrez dans votre chambre avec vos coéquipiers, confie Marcus Morris. La NBA est une entreprise. Les rapports avec vos équipiers ne sont pas les mêmes. Vous ne passez pas autant de temps avec eux. La cohésion n’est pas forcément toujours là. À l’université, il est presque nécessaire d’avoir de la cohésion. Vous êtes payé pour jouer en NBA, poursuit Morris. Nous avons tous des problèmes et cela fait partie de la vie, mais quand vous êtes en NBA, vous devez vous occuper de ce que vous faites sur le terrain avant tout. »

Voilà pourquoi cet été pourrait être déterminant pour la suite de la carrière de Robinson. Son contrat de rookie a expiré. Son avenir en NBA dépend de sa capacité à signer de nouveau avec les Sixers ou une autre équipe, et à trouver enfin de la cohérence et du succès dans son nouveau rôle. Mais Robinson espère toujours devenir All-Star. « Si cela se passe mal, ce sera de ma faute, assume-t-il. Je prendrai tout sur moi-même. »