#10 : Where Isiah Happens

Isiah_Thomas

Isiah Thomas : après le joueur, le dirigeant.

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Le 22 décembre 2003, Isiah Thomas a été choisi pour occuper le poste de Directeur des Opérations Basket au sein des New York Knicks. Il a passé trois ans à ce poste (avant de devenir entraîneur pour deux années supplémentaires). Au cours de cette période, il a réussi à devenir l’un des plus mauvais dirigeants de l’histoire, avec une série d’échanges et de transferts qui ont non seulement détruit son équipe, mais aussi considérablement renforcé les autres. À lui seul, Thomas a changé radicalement le destin des Knicks, et il est aujourd’hui largement responsable du déclin de la franchise. Voici un petit récapitulatif de ses « exploits ».

NB : Cet article a été construit à partir d’une colonne publiée en février 2008 par le journaliste Bill Simmons, qui présentait une version détournée de la publicité NBA « Where Amazing Happens » (« Où l’incroyable se produit ») sous le titre « Where Isiah Happens ». Dans les 90 minutes qui ont suivi la parution de l’article de Simmons, un lecteur entreprenant a fait sa propre version de la publicité et l’a postée sur YouTube. Simmons confiera « n’avoir jamais été aussi fier ».

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5 janvier 2004

La saison 2003-2004 est un calvaire pour la jeune équipe des Suns. La direction veut construire autour du jeune Amar’e Stoudemire et de l’excellent Shawn Marion, mais les contrats de Stephon Marbury et Penny Hardaway leur en ôtent la possibilité. L’un est talentueux mais égoïste ; l’autre est continuellement blessé. Personne ne veut se risquer à les engager, jusqu’à ce que Phoenix trouve un pigeon inespéré à qui fourguer les deux contrats. Vous devinez de qui il s’agit. Les Suns reconstruisent une équipe compétitive avec le futur double MVP Steve Nash ; pendant ce temps, à New York, Marbury se dispute avec l’entraîneur Larry Brown et Hardaway joue les utilités en sortie de banc.

24 février 2005

Après la retraite de David Robinson, les Spurs ont besoin d’un pivot efficace pour aider Duncan dans la peinture. De manière inespérée, ils parviennent à refiler aux Knicks le contrat de Malik Rose en échange du solide Nazr Mohammed. Mohammed jouera le reste de la saison régulière avec les Spurs, c’est-à-dire 23 matchs dont cinq en tant que titulaire, pour un total de 9,5 points, 7,6 rebonds et 1,1 contres par match. Il fera de solides play-offs et soulèvera le trophée de champion NBA. Rose, quant à lui, sera cantonné à un rôle mineur sur le banc des Knicks avant son départ en 2009.

3 octobre 2005

Chicago se débarrasse du gros Eddy Curry en l’échangeant à New York contre deux choix de loterie et une grosse quantité de marge salariale. Curry était en conflit avec les Bulls après avoir refusé de passer un test pour savoir s’il souffrait d’une maladie cardiaque ; la direction a été enchantée de trouver quelqu’un pour le prendre. Le fait que Thomas ait souhaité prendre Curry est d’autant plus incompréhensible qu’il avait déjà fait signer (beaucoup trop cher) un joueur lambda, Jerome James, au poste de pivot. Mais il avait l’occasion d’avoir Eddy Curry et Jerome James pour 90 millions de dollars en perdant deux choix de draft. C’est clair qu’il fallait sauter dessus. Pour couronner le tour, James se sentira trahi par ce geste et ne s’impliquera jamais vraiment avec les Knicks.

Janvier 2006

Anucha Browne Sanders, vice-présidente des opérations marketing et économiques des Knicks, poursuit Thomas en justice pour harcèlement sexuel, proclamant que ses protestations à cet égard auraient conduit à son licenciement abusif. Elle remporte le procès et Thomas est condamné à 11 000 000 $ d’amende. Il aurait pu régler l’affaire à l’amiable, mais il n’a même pas réussi ça.

3 février 2006

Toronto trouve un abruti à qui refiler le contrat de Jalen Rose et facilite son processus de reconstruction. Les Raptors iront en play-offs un an plus tard.

22 février 2006

S’il réalise de bonnes performances individuelles, le nouveau meneur du Magic Steve Francis n’est pas heureux à Orlando. Il traîne sa misère pendant une saison et demie, jusqu’à ce que le Magic trouve quelqu’un pour racheter son horrible contrat et libérer 15 millions de dollars de marge salariale. Vous devinez de qui il s’agit. Victime de blessures et d’un ego surdimensionné, Francis s’enterrera rapidement et restera la plupart du temps assis l’air sombre sur le banc des Knicks, qui se sépareront de lui très rapidement.

28 juin 2007

Les Blazers trouvent quelqu’un pour prendre Zach Randolph et deviennent la jeune équipe la plus sympathique de la NBA. Isiah Thomas justifiera son geste plus ou moins en ces termes  : « Tout le monde essaie d’avoir des joueurs petits et rapides. Je veux faire l’inverse. Je veux du lourd. Je veux dominer. » Une stratégie vouée à l’échec que le temps ne fera que confirmer. On obtient du lourd avec McHale et Parish, ou avec Sampson et Olajuwon. Pas avec Eddy Curry et Zach Randolph, deux joueurs lents et sans intelligence de jeu qui ne savent ni défendre, ni protéger le cercle, et coûtent trop cher.

2008

Le Madison Square Garden est presque vide. Le basket-ball professionnel s’effondre progressivement dans une ville où il est tradition depuis soixante ans.

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En résumé, Isiah Thomas a été un directeur général maladroit qui ne comprenait rien au système de la taxe de luxe, aux salaires fixes, ou comment planifier les choses à l’avance. Certes, la critique est facile, et Thomas a quand même fait de bonnes choses (des choix de draft cohérents et un soutien appréciable apporté à ses joueurs quand il était entraîneur). Mais le plus énervant dans son attitude, c’est qu’il défend tous les choix cités au-dessus. Il admet deux erreurs : l’échange de Jalen Rose, et le transfert de Steve Francis (dont il n’était pas responsable car d’après lui, Larry Brown avait insisté pour l’avoir). Il défend tout le reste, alors que rien n’a de sens. Et le procès douteux qui lui a été intenté n’arrange rien. Thomas n’a pas davantage attiré la sympathie en tant que dirigeant qu’en tant que joueur. Pas la mienne, en tout cas.

(Note additionnelle : y a-t-il un seul directeur général dans l’histoire de la NBA qui ait jamais directement modifié le destin de sept franchises pour le meilleur ? Portland, San Antonio, Phoenix, Toronto, Orlando, Chicago, New York… Ça fait presque 25 % de la ligue ! Isiah doit manquer à tous ses collègues.)