Le prodige oublié

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Crédits : Ryan Inzima

Devenu professionnel juste après le lycée, comme Garnett, Bryant ou Tracy McGrady, Korleone Young aurait pu devenir une star de la NBA. Mais sa carrière n’a duré que quinze minutes. Aujourd’hui, il vit au Kansas et essaie de reprendre sa vie en main.

par Jonathan Abrams, le 19 Septembre 2013

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Korleone Young est assis dans le petit bureau du pasteur Herman Hicks. Il incline ses larges épaules vers lui. Cela fait plusieurs minutes qu’ils parlent de tout et de rien, sans aborder les vrais problèmes. Hicks, ancien colonel de l’US Air Force du Mississippi, est un homme franc et sérieux, à qui ses interlocuteurs se confient facilement. Dans son bureau, une photo dédicacée de Colin Powell est accrochée au mur. Sur une autre photo, on peut le voir serrer la main de George H.W. Bush. Mais Young ne semblait pas prêt à parler de son passé. Il avait repoussé tous ceux qui s’en approchaient de trop près. Aujourd’hui, toutefois, les choses allaient changer.

Pour les amateurs de basket-ball, Young est plus un mythe qu’un joueur. Son nom côtoie celui de joueurs passés du lycée à la NBA qui ont reçu trop d’argent trop tôt, et qui n’ont jamais réussi à s’imposer, comme Lenny Cooke, Leon Smith et DeAngelo Collins. Ils ont gaspillé leur argent et pris de mauvaises décisions. Ils sont le côté négatif d’une génération de lycéens devenus stars. Le seul héritage qu’ils ont laissé à la NBA est une règle de 2005, exigeant que les joueurs éligibles à la draft aient quitté le lycée depuis au moins un an. Pour la plupart, Korleone Young n’est rien de plus qu’une note de bas de page dans une bataille juridique.

Young s’est déclaré éligible pour la draft en 1998, après avoir quitté l’Académie Militaire de Hargrave suite à son implication dans un scandale de pots-de-vins qui avait secoué le championnat amateur de l’AAU et le basket-ball universitaire. Les Detroit Pistons ont pris Young avec le quarantième choix, entre Rafer Alston et Cuttino Mobley – deux joueurs qui ont effectué une longue carrière en NBA. Mais le rêve de Young n’a duré que quinze minutes – trois contre Washington, cinq contre Atlanta et sept contre Orlando. Il n’a rien fait d’autre avec Detroit lors de sa première et dernière saison en NBA. « Korleone aurait dû être un excellent pro. Il dominait les Rashard Lewis, Shane Battier et consorts, confie Myron Piggie Sr., cousin germain de Young et figure centrale du scandale de l’AAU. Il dominait tout le monde. »

Mais comme de nombreux jeunes récompensés trop tôt et mal préparés à la vie d’adulte, Young a mal tourné. Il n’a pas écouté ses conseillers financiers. Il a bu et fumé plus que de raison. Il s’est retrouvé mêlé à différents problèmes. Un jour, on l’a menacé avec un revolver. Young s’est éloigné de la NBA et d’une vie confortable, et il se trouvait maintenant dans l’obscurité d’un bureau de pasteur, dans sa ville natale de Wichita, au Kansas. Ses quinze minutes de jeu en NBA ont été la plénitude de son existence. Il a passé les années qui ont suivi à essayer sans enthousiasme d’y retourner. Il a voyagé et joué dans le monde entier, sans jamais rester longtemps au même endroit. Aujourd’hui, à trente-quatre ans, il cherche à donner un nouveau sens à sa vie. Mais il ne sait pas comment ni par où commencer. Il n’a plus mis les pieds dans une école depuis 1998. Il ne sait pas faire grand-chose. Il gagne un peu d’argent en entraînant des lycéens, bien qu’il sache pertinemment que les parents du quartier l’embauchent parce qu’il a besoin d’un travail. Il ne sait même pas gérer son chéquier. Ses trois filles vivent avec leur mère à Houston. Young dit qu’il ne peut pas se permettre d’habiter près d’elles.

Quand je suis arrivé à Wichita, Young était nerveux. Bien que j’aie atterri le matin, il a attendu onze heures pour retourner mes appels. Il savait que je lui poserais les questions qu’il a passé des années à esquiver. Pendant près d’une décennie, il n’avait pas voulu y répondre. Il ne sait toujours pas comment faire. Au fil des ans, il s’est excusé auprès de sa famille et de ses amis, mais sans vraiment savoir de quoi il devait s’excuser. Il s’est isolé du monde. La solitude et l’éloignement qu’il ressentait en jouant en Russie ou en Chine étaient devenus des compagnons familiers. Agréables, même. Quand il est rentré chez lui, il a continué à vivre dans la solitude.

Young avait longuement réfléchi avant d’accepter me recevoir. Il n’avait pas accordé d’interview depuis plusieurs années – c’était plus facile ainsi. Les journalistes posaient des questions qui ne les concernaient pas, en rouvrant des blessures encore à vif. Mais Young était convaincu que le moment était venu. Il avait enfin quelque chose à dire. Il n’était pas sûr de la façon dont il devait s’habiller ; il s’est dit qu’une tenue dans laquelle il se sentait bien – un T-shirt Nike, un short et des baskets – allait faire l’affaire. Il a appelé quelques amis pour voir si quelqu’un voulait bien le déposer. L’année passée, il avait vendu sa voiture, une Chevrolet Monte Carlo de 1972, pour 6 000 $. C’était le dernier bien qu’il possédait. Mais il a eu du mal à trouver quelqu’un qui accepte de le conduire. Finalement, Young a convaincu sa petite amie de le ramener à mon hôtel. Nous avons ensuite roulé jusqu’à la Grande Église pentecôtiste de Dieu en Christ, où le pasteur Hicks prêchait depuis dix ans. Young l’avait rencontré il y a six ans par l’intermédiaire d’une ex-petite amie. Sa relation avec elle n’avait pas duré, mais celle avec l’église, oui.

Hicks a chaleureusement accueilli Young. Il lui a dit qu’il ne souhaitait pas seulement le voir quand il avait besoin d’aide émotionnelle, spirituelle ou financière, mais aussi quand il voulait donner ou remercier. Hicks a imploré Young de s’ouvrir à lui : « L’une des choses que j’ai découvertes en tant que prédicateur, c’est qu’il faut être honnête avec les autres. Tu ne peux pas simplement dire qu’avoir été drafté en NBA a été l’un des grands moments de ta vie. Il en a forcément découlé des points négatifs, des décisions qui ont affecté ta carrière. Si tu es honnête avec les jeunes du quartier, tu auras un impact sur la vie de certains d’entre eux. » « Vous allez m’aider ? » a demandé Young. « Bien sûr », a répondu Hicks. Young a alors dit : « Je n’ai plus peur maintenant. » Hicks s’allonge sur sa chaise. « Je pense qu’on peut résumer ainsi l’histoire de Korleone Young : après avoir été au sommet, il s’est retrouvé au fond du trou. Et il essaye maintenant de se sortir de ce trou. Qu’il y soit prêt ou non, cela prendra du temps. »

Korleone Young a grandi dans une petite maison entre la vingt-quatrième rue et Lorraine Avenue. Tout le monde le connaît à Wichita. Les voitures ralentissent sur son passage ; les conducteurs le saluent. Le son des sirènes qui préviennent de l’arrivée des tornades sont un bruit familier. Les grands-parents de Young, Charles et Betty, ont vécu dans leur maison pendant près de cinquante ans avant de décéder respectivement en 2006 et 2008. Sa mère, Kim Young, qui avait lu Le Parrain peu de temps avant la naissance de son unique enfant, l’a nommé Suntino Korleone Young, d’après le fougueux fils aîné du livre, Santino Corleone. Young savait que son père était Juan Johnson, un ancien athlète star du lycée. Mais il ne le connaissait pas vraiment. Il voyait parfois Johnson dans les environs de Wichita, mais son père ne l’avait jamais reconnu.

À l’extérieur de la maison de son enfance, une grosse souche dépasse de la cour avant. Ce sont les restes de l’arbre sur lequel Korleone grimpait quand il était enfant. Un jour, il est tombé de cet arbre et s’est cassé le bras gauche. C’était exactement le genre de chose contre laquelle sa mère l’avait mis en garde, lorsqu’elle lui avait interdit de grimper. Un acte de désobéissance typique d’un fils à l’esprit libre. « [La façon dont il agissait] était horrible, pitoyable » déclarera plus tard Kim Young. Korleone se battait aussi constamment avec son cousin Antoine et les enfants du quartier, qui se moquaient de son bégaiement.

Mais Kim voyait dans son fils un jeune garçon énergique, et elle chercha le moyen de le faire s’épanouir. Elle inscrivit Korleone à des activités parascolaires – « pour l’occuper », selon elle. Young a appris à faire des claquettes, a pratiqué le football, mais ce qu’il aimait vraiment, c’était le basket. Il a fabriqué un panier avec une roue de vélo dont il avait retiré les rayons, et l’a installé dans leur jardin. Le vélo était modeste, la roue de petite taille, et son tir a gagné en précision. Le grand-père de Korleone, qui avait joué avec les Harlem Globetrotters dans les années 60, lui a ensuite installé un véritable panier. Young a progressé rapidement, dominant les autres enfants. À dix ans, il a rejoint l’équipe AAU de Tyrone Berry, les Wichita Blazers, jouant avec et contre d’autres collégiens. Le programme était élitiste et rigoureux ; les joueurs devaient aller à l’église tous les dimanches et avoir de bonnes notes. Young est rapidement devenu la star de l’équipe – il a réussi son premier dunk à l’âge de douze ans. Il était grand, athlétique, et a vite rejoint une équipe de l’AAU plus prestigieuse, celle de Kansas City. Berry n’était pas ravi de voir sa jeune star quitter son écurie, mais il savait qu’il ne pourrait pas le garder longtemps. Young semblait déjà destiné à de plus grandes choses. De meilleures choses.

En 1992, Young a rejoint les 76ers du Children’s Mercy Hospital, une talentueuse équipe de Kansas City entraînée par John Walker. Cette équipe comprenait plusieurs futurs joueurs de NBA : Earl Watson, Maurice Evans, Kareem Rush et Corey Maggette. Le niveau était si élevé que Mike Miller, un joueur très important pour Miami lors de la conquête de ses deux derniers titres NBA, n’avait pas réussi à l’intégrer. JaRon Rush, un ailier élégant, le frère aîné de Kareem, était le joueur le plus talentueux de l’équipe. Son mécène était le millionnaire Tom Grant, directeur général de LabOne Inc. et ancien élève de l’Université du Kansas ; il payait ses frais de scolarité et finançait les 76ers. JaRon était le meilleur ami d’un joueur nommé Myron Piggie Jr. Au cours d’un entraînement à l’été 1995, l’équipe s’est réunie et Grant leur a présenté leur nouvel entraîneur en chef : Myron Piggie Sr., un ancien dealer de crack et criminel qui avait été condamné à un an de prison pour avoir tiré sur un policier de Kansas City en 1989.

Grant savait que JaRon Rush et la famille de Piggie étaient très liés. En promotionnant ce dernier, il pensait qu’il pourrait dissuader son précieux joueur de partir. Piggie, qui était débrouillard, a gravi les échelons de l’organisation jusqu’à se retrouver au sommet. « On a été très surpris, car Myron n’était pas un entraîneur, se souvient Young. D’ailleurs, il ne nous a jamais vraiment entraînés. C’étaient d’autres personnes qui s’en chargeaient. Piggie voulait juste garder le contrôle sur nous. Tout ce qu’il faisait, c’était avoir l’air sombre, s’asseoir au bout du banc et effrayer tous les autres entraîneurs de l’AAU. »

Une importante réunion des représentants de Nike a eu lieu à l’automne suivant. Le président, Phil Knight, s’est adressé à plusieurs entraîneurs de lycée influents que sa société parrainait. À l’époque, Nike dépensait 4 millions de dollars par an pour financer des programmes d’été, selon le Chicago Sun-Times. Pourtant, l’entreprise avait récemment perdu un fameux groupe de joueurs sur le point de passer pros : Kevin Garnett, Kobe Bryant et Jermaine O’Neal, qui avaient tous signé avec Adidas. Sonny Vaccaro, le légendaire responsable de la célèbre chaussure qui avait attiré Michael Jordan chez Nike, travaillait maintenant pour Adidas et aidait la marque à faire son trou. Pour contrer cette incursion, Nike est devenu plus agressif et a embauché plus d’employés et de « consultants », afin d’accaparer le circuit AAU. Les programmes d’été sont devenus un signe d’allégeance. Si un joueur participait au camp ABCD à Teaneck, dans le New Jersey, il était considéré comme un joueur Adidas. S’il jouait au Nike All-America Camp à Indianapolis, il se consacrait à la marque à la virgule. « C’est à cause de nous qu’il y a eu toutes ces histoires, soupire Young. C’est nous qui avons commencé la guerre Nike-Adidas. Moi, Corey, JaRon et Al [Harrington], Rashard [Lewis]. »

Piggie Sr. a fait partie des nombreuses personnes recrutées par Nike, et CMH est rapidement devenu une équipe de stars itinérante pleine de futurs joueurs de haut niveau. « On vivait dans le luxe, confie Laverne Smith, cousin d’Earl Watson, qui a joué avec CMH pendant une demi-saison. On voyageait en première classe. On dormait dans des hôtels cinq étoiles. C’était comme la fac ou la NBA. Nous étions en avance sur notre temps. »

Les équipes adverses connaissaient et respectaient l’équipe bien avant leur arrivée au gymnase. « On n’était intimidés par personne, assure Piggie. Quand [il] arrivait sur le terrain, personne n’était meilleur que Korleone Young. À part un autre joueur que je ne vais pas mentionner. Ils avaient le même niveau, mais ils ont fait beaucoup de choses différemment. Ils étaient tous les deux au-dessus des autres. » Maurice Taylor, qui entraînait aux côtés de Piggie, affirme que Young abordait les matchs le jeu avec l’attitude d’un boxeur se préparant à disputer le combat de sa vie. « C’était le patron. Les autres devaient suivre. » Grant et Nike ont finalement augmenté le salaire de Piggie, ce qui a beaucoup rapporté à Young. « On a signé avec Nike et c’était génial. Ma mère et moi avions une Altima flambant neuve. J’ai eu mon Impala de 82. Je n’ai jamais porté que des Nike. Ils nous offraient des coffrets de soins tous les deux mois. Des sacs pleins de trucs. Personne n’a plus d’influence que Nike. Pourquoi pensez-vous que tous les gosses portent des Jordan ? »

Piggie a commencé à donner de l’argent à ses meilleurs joueurs – Young, les Rush, Maggette et Andre Williams. Il a ensuite été accusé de leur avoir versé des dessous-de-table, une pratique qui allait par la suite devenir courante chez les meilleurs jeunes espoirs. « Piggie est un individu nuancé, indique Jerome Stanley, un agent qui a enquêté sur lui. Je n’ai jamais vu Myron Piggie essayer de nuire à l’un de ses protégés. Il voulait sincèrement les aider… et en tirer profit. » L’été, Young se consacrait entièrement à l’AAU. Mais pendant l’année scolaire, il était sous les ordres de Ron Allen, l’entraîneur du lycée de Wichita East. Très terre-à-terre, Allen a essayé d’orienter le jeune homme dans la bonne direction. Mais il ne pouvait pas tout faire. « Mon plus grand regret n’est pas d’avoir choisi de ne pas aller à l’université, mais d’avoir quitté le lycée de Wichita, déplore Young. J’y aurais probablement fait une meilleure année de terminale. Tous mes amis étaient là-bas. Et je les ai laissés tomber. »

Allen a tout fait pour empêcher Young de quitter Wichita. Il connaissait son talent depuis qu’il l’avait vu, plus jeune, en train de dominer des élèves de sixième. Il l’avait fait entrer dans l’équipe avec la volonté de développer lentement son jeu. Son plan est tombé à l’eau au moment où son ailier de quatorze ans a quitté le banc lors de son premier match. Young a illuminé le parquet, marquant 27 points éblouissants. Allen a déclaré qu’il se souvenait d’un jeune Charles Barkley, meilleur que ce qu’il aurait dû être, attrapant des rebonds alors que ses adversaires avaient seulement commencé à sauter vers le ballon. Laverne Smith, qui a joué à Wichita East avec Young, a vu de ses propres yeux comment la célébrité l’a changé. Smith était très encadré par son père, un ancien joueur de NFL, et il se demandait parfois à quel point le fait de n’avoir aucune figure paternelle affectait Young. « Korleone était un peu condescendant avec certaines personnes. Il leur parlait avec mépris. Cela dit, c’était quelqu’un de bien, et son attitude était compréhensible. Quand on est jeune et qu’on reçoit toute cette publicité, c’est un peu difficile de garder les pieds sur terre. »

Allen a essayé de faire en sorte que les chevilles de sa star n’enflent pas trop. C’est un entraîneur à l’ancienne. Il avait joué à l’Université de l’Arizona au début des années 1970 et ne voulait pas répondre à Young quand celui-ci devenait irritable. Il l’a régulièrement expulsé de l’entraînement pour lui montrer qui était le patron. « Tu n’es pas dans un bon jour, disait-il. Reviens demain. » Mais Allen n’avait pas prévu la montée en puissance du circuit AAU. Une fois l’été commencé, il a cédé Young à Piggie. En visitant l’équipe de l’AAU un jour avant l’avant-dernière année de Young, Allen a été frappé par l’ampleur du programme – les baskets, l’équipement, la foule. Ses yeux se sont ouverts. Puis plus tard, au cours du même été, Young a disparu du Kansas. Un journaliste de USA Today a téléphoné à Allen en août 1997 et lui a demandé de confirmer que Young avait été transféré à Hargrave, un pensionnat privé de Chatham, en Virginie. La nouvelle a pris Allen de court. Il a téléphoné à Kim, la mère de son joueur. « Coach, Korleone ne vous a rien dit ? »

Allen savait que Young ne voulait pas lui dire qu’il avait décidé de partir. Mais Kim a finalement forcé son fils à lui téléphoner. « Que se passe-t-il ? » a demandé Allen. « C’est simple. Je vais rester ici », a répondu Young. « Pourquoi? » Pas de réponse. « Écoute, si c’est ce que tu veux, si c’est vraiment ta décision, je te soutiendrai, a déclaré Allen. Mais si tu fais ça pour quelqu’un d’autre, ça me pose un problème. On va s’arrêter là et quand tu reviendras à Wichita après l’AAU, je veux que tu viennes me voir. On mangera un hamburger et on discutera de tout ça. »

De retour à Wichita, Young a rencontré Allen et lui a répété qu’il voulait changer de lycée. Il était devenu trop célèbre. Sa décision avait été confortée par un incident très suivi par les médias locaux. Plus tôt cette année-là, Young, quelques joueurs et quelques pom-pom girls avaient introduit de l’alcool dans une chambre d’hôtel, lors d’un déplacement à Topeka. Young a menti sur sa présence, puis a estimé injuste d’avoir été le seul à écoper d’une suspension d’un match. L’incident avait été exagéré au point que les chaînes de télévision étaient venues camper devant la maison de sa mère. Il avait envisagé de fréquenter l’académie Oak Hill en Virginie, mais ensuite, il avait entendu parler de l’excellent effectif de Hargrave ; c’était aussi là que Myron Jr. avait prévu d’aller. Allen l’a supplié de reconsidérer sa décision, en vain. « Je l’aime toujours, a récemment déclaré Allen. Je tiens toujours à lui. C’est quelqu’un de très généreux, qui ferait n’importe quoi pour t’aider. Mais il était trop jeune pour être seul. Et c’est ce qui l’a perdu. »

Young regarde le pasteur Hicks. Tous deux sont très bavards. Ils échangent tout au long de leur conversation. Ils se trouvent des points communs. Hicks a lui aussi grandi sans père ; il lui a fallu beaucoup de temps pour accepter sa douleur, jusqu’au jour où, alors qu’il prêchait pour un groupe d’hommes, il a partagé son mal-être et sa frustration. Il leur a dit que lorsqu’il a assisté aux funérailles de son père, il a jeté un coup d’œil dans le cercueil, a dit qu’il ne connaissait pas l’homme qui s’y trouvait et est sorti. Hicks sait qu’il faut être fort pour surmonter ce genre d’épreuve. Il veut voir cette force en Young. « Si j’essaie de finir… », commence ce dernier.

Hicks le coupe. « Quel âge as-tu? » « Bientôt quarante ans », répond Young (il en a trente-quatre ; on dirait que la vie passe plus vite pour lui). « Combien de temps te reste-t-il à vivre ?  » « Je ne sais pas. À votre avis, pasteur ? » « On ne peut pas le savoir, non ? Je vais te poser une question. Penses-tu que tu rejoueras un jour en NBA ? Tu connais la réponse. » « Non », dit Young, à contrecœur. « C’est fini, n’est-ce pas ? Donc, pour le moment, tu ne dois pas chercher à devenir le prochain All-Star. Tu dois essayer de raconter ton histoire, celle d’un homme à qui Dieu a donné de nombreux dons, qui a beaucoup perdu, à cause de certains événements et de certaines de ses actions. Quand tu es venu dans cette église, tu étais au plus bas. Que vas-tu faire maintenant ? Tu peux continuer à pleurer sur ton sort pendant les prochaines années. Mais cela ne te sauvera pas. »

Hargrave a donné l’occasion à Young de se mettre en valeur. En janvier 1998, il affrontait le lycée St. Patrick et son attaquant vedette Al Harrington au Madison Square Garden, un lieu incontournable pour les amateurs de basket. Les deux joueurs étaient en tête de leur classe d’âge et les meilleurs joueurs de lycée s’affrontaient régulièrement. Harrington a été dominant ce soir-là, compilant 28 points et 7 rebonds. Young a rendu une copie inégale. Il a marqué 14 de ses 20 points en seconde période après qu’un Piggie furieux se fut adressé à l’équipe pendant la pause (comme en AAU, il s’était frayé un chemin dans le cercle restreint de Hargrave et avait gagné la confiance des entraîneurs). Young a perdu le ballon sept fois avant d’être expulsé à deux minutes de la fin alors que le score était à égalité, mais Hargrave a finalement remporté la victoire, 63-59.

Malgré ses performances décevantes, la victoire a renforcé le statut de Young en tant que l’un des futurs meilleurs joueurs de basket-ball universitaire. Mais la transition vers Hargrave n’avait pas été facile. Young faisait souvent ce qu’il voulait à Wichita. Les recruteurs appelaient si souvent que sa mère avait installé une deuxième ligne téléphonique, la première étant utilisée par son fils pour discuter avec des filles. Mais Hargrave mettait un point d’honneur à inculquer la discipline aux adolescents. Le colonel John W. Ripley, un Marine décoré, était le principal de l’école. Young n’était pas autorisé à avoir un téléphone ou une télévision. Il se réveillait tous les matins à 6 heures et se couchait dès 22 heures. Il a passé les premières semaines à pleurer au téléphone avec sa mère chaque fois qu’il pouvait l’appeler.

Pourtant, l’école avait ses avantages. Avec son prestige et son statut d’espoir national, Young pouvait aller à l’université de son choix. Il a failli aller à l’Université du Kansas. Il a failli rejoindre JaRon Rush à UCLA. Finalement, il a stupéfié tout le monde en décidant d’aller en NBA. « Ce qui est dingue, c’est qu’aucun des entraîneurs de Hargrave n’avait jamais envisagé qu’il parte immédiatement en NBA, confie Kevin Keatts, alors assistant à Hargrave et aujourd’hui entraîneur à Louisville. On ne parlait que de l’université, du processus de recrutement, et de l’endroit où il voulait aller. » Mais Young a déclaré que la NBA était son rêve depuis qu’il avait fabriqué ce panier avec une roue de vélo. Il ne voyait que les avantages ; la télévision, l’argent, les femmes. Il savait peu de choses sur la somme de travail à fournir.

Sur les conseils de George Raveling, chargé du développement du basket-ball chez Nike, Piggie a choisi Stanley comme agent pour Young. « J’aurais préféré Arn [Tellem], concède Young. Arn était honnête. Beaucoup de bons agents sont très honnêtes. Mais j’avais grandi à Wichita. Je n’avais [jamais] collaboré avec un Blanc. C’était comme ça. Je ne leur faisais pas confiance. » Allen a rencontré une fois de plus son ancien élève vedette dans un ultime effort pour le pousser vers l’université. « Les gens cherchent à faire de l’argent sur ton dos et à profiter de toi. Je ne suis pas comme ça. Je ne peux pas te supplier de rester, et je ne le ferai pas. Je veux que tu restes parce que tu sais que c’est la bonne décision à prendre. Mais si tu penses honnêtement que c’est ce que tu dois faire, après tout ce que nous avons traversé, alors je respecterai ta décision. »

Young, vêtu de l’uniforme blanc et gris de l’école, a fait son annonce à Hargrave en avril 1998. « J’ai pris [cette décision] après de nombreuses heures de discussion avec ma famille et mes amis, a-t-il déclaré. Je pense sincèrement pouvoir devenir un bon joueur de NBA. » Kim Young a ensuite félicité son fils. « Tu as bien fait, mon bébé, a-t-elle dit. Je suis très fière de toi. » Le même jour, Piggie a discuté avec un journaliste de USA Today. « Il va essuyer beaucoup de critiques, a dit celui-ci. Quand il commencera sa carrière, tout le monde va l’attendre au tournant. » Clarence Gaines Jr., un éclaireur des Bulls qui avait regardé Young jouer pendant son année de terminale, n’était pas impressionné. « Est-ce que j’envisagerais de le prendre ? écrit-il dans son rapport. Pas maintenant. Je n’aime pas son attitude et les lacunes dans son jeu. Si j’étais entraîneur universitaire, je baverais devant son potentiel. S’il suit la voie traditionnelle, il peut devenir intéressant. Mais s’il choisit d’aller en NBA dès maintenant, il pourrait être une grosse déception. »

Mais Young était déterminé et poussé par la figure paternelle qui l’avait suivi en Virginie. « Il voulait passer professionnel, se souvient Stanley. Je lui ai présenté plusieurs options. J’avais rencontré [l’entraîneur de Georgetown] John Thompson, qui m’avait demandé de lui laisser pendant un an. Mais ce n’était pas à moi de prendre cette décision. C’était à Korleone et à [Piggie]. C’était Piggie qui gérait tout. »

Young a organisé une fête à Wichita le soir de la draft. Son père, qui n’avait jusque-là été pour lui qu’un étranger, s’est présenté à l’entrée. Young raconte que Piggie lui a ordonné de partir, en lui disant qu’il n’était là que parce qu’il espérait profiter de son fils. Une vague de choc a secoué Young en voyant son père. La sensation s’est vite évaporée. Il avait attendu ce jour depuis des années. Il ne voulait aucune distraction. Il n’a donc pas insisté pour que son père reste, et il s’est préparé pour la plus longue nuit de sa vie. Il s’attendait à être pris dès le premier tour. Il a attendu. Et attendu. Detroit l’a finalement sélectionné au deuxième tour avec le onzième choix. Il était déçu, certes, mais quand même soulagé. Il a signé un contrat d’un an avec une option pour une deuxième année. Kim Young est restée à Wichita et a conservé son emploi chez Cessna.

Young s’est séparé de Stanley peu de temps après la draft. L’agent avait conclu pour lui un accord de 500 000 $ avec Nike, mais la menace d’une grève planait et Piggie voulait avoir plus. « J’ai refusé, dit Young. J’ai refusé un demi-million de dollars. C’est la vérité. Nike allait me donner un demi-million pour mon année rookie, sans aucun engagement de ma part. » Vaccaro se souvient d’un coup de fil de Piggie, qui lui avait demandé un prix exorbitant pour que Young s’engage avec Adidas. Stanley parti, Carl et Kevin Poston sont devenus les agents de Young. Les deux frères comptaient parmi leurs clients les stars de la NFL Charles Woodson, Orlando Pace et Champ Bailey. « On a engagé des agents plus connus, indique Young. Ça a été la pire décision de ma vie. » « S’il faut jeter la pierre à quelqu’un, ce sont les Poston, approuve Stanley. Ils avaient déjà les mains pleines avec Rashard Lewis. Ils ont fait ça par cupidité. Ils savaient que le gamin avait du travail devant lui. Ils savaient qu’ils ne pourraient pas obtenir mieux que moi avec Nike, mais cela ne les a pas arrêtés. Ils sont allés les voir, lui et Piggie, et ils leur ont menti juste pour qu’ils viennent signer avec leur agence. Ils ont fait plus de mal au jeune que n’importe qui d’autre dans leur entourage à l’époque. »

Young devait encore faire ses preuves sur le terrain. Lorsque la saison écourtée de 1999 a démarré, les Pistons avaient un effectif de qualité avec Joe Dumars, Bison Dele, Jerry Stackhouse et Grant Hill. « Dans les couloirs, je l’écoutais parler, dit Dumars, aujourd’hui président des opérations de basket-ball de Detroit. Il avait du talent, mais on savait que les choses allaient être difficiles pour lui parce qu’il était très jeune. Il ressemblait à un lycéen qu’on avait jeté d’un coup dans le monde de la NBA. » L’encadrement de Detroit – notamment le directeur général de l’époque, Rick Sund – était toutefois intrigué par la taille de Young. La plupart des lycéens qui entraient dans la ligue à cette époque avaient besoin de temps pour que leur corps s’adapte. Avec ses 2,01 m et son corps ciselé, Young était déjà un homme.

« Grant Hill était l’un des meilleurs jeunes joueurs de la NBA à cette époque, et même l’un des meilleurs joueurs de la ligue, confie John Hammond, un assistant des Pistons qui est maintenant le directeur général de Milwaukee. On se disait entre nous, avec ironie mais [aussi] un peu sérieusement, que personne en NBA ne défendait sur Grant Hill aussi bien que Korleone Young. » Ce qui ne voulait pas dire que Young défendait efficacement sur Hill. Personne dans la ligue ne réussissait vraiment à l’arrêter à cette époque. Mais Young parvenait à rivaliser. « La plupart des vétérans ne forçaient pas trop à l’entraînement. Ils faisaient le minimum et reposaient leur corps, raconte Steve Henson, un arrière qui jouait avec les Pistons cette saison-là. Sauf Grant. Korleone avait fort à faire. Il affrontait l’un des meilleurs joueurs de l’époque. J’espérais que Korleone irait dans une autre équipe et parviendrait à s’adapter, mais cela n’est tout simplement pas arrivé. »

Sund décrivait Young comme un pari. Il ne l’aurait jamais pris au premier tour de draft, mais au deuxième tour, le risque étant faible par rapport aux bénéfices. Alvin Gentry, l’entraîneur de Detroit à l’époque, doutait que Young devienne un bon joueur. Il était dominateur dans la raquette au lycée, mais malgré ses qualités physiques, sa taille ne lui permettrait pas de faire de même en NBA. Il aurait besoin de développer son tir extérieur. « Son jeu devait s’améliorer dans beaucoup de domaines, explique Gentry. Il ne maîtrisait pas assez bien le ballon. Il devait faire la transition nécessaire pour passer d’intérieur à ailier. Défensivement, il devait progresser. Il avait énormément de travail. » D’après lui, Young a bénéficié d’une complaisance inhabituelle. « Nous l’avons gardé un an parce que nous avions pitié de lui. Nous ne l’avons gardé dans l’effectif que pour lui rendre service. »

Au fil du temps, le rôle de Young dans l’équipe est devenu flou. Parfois, l’organisation l’envoyait assister à des événements caritatifs pendant que l’équipe s’entraînait. Young commençait à se demander s’il faisait encore partie des Pistons. L’inactivité, l’argent et la vie nocturne ont commencé à le détruire. Il passait d’Auburn Hills aux clubs de strip-tease et aux discothèques du centre-ville de Détroit. Il n’avait que dix-neuf ans, mais Young savait déjà qu’on ne lui reprocherait rien s’il venait avec un coéquipier. Certains joueurs ont veillé sur lui. Young se souvient avec émotion d’avoir passé du temps avec Christian Laettner. Bison Dele, décédé tragiquement en 2002, lui a appris à conduire avec une boîte manuelle. Mais en raison de problèmes de dos, Young a passé la majeure partie de la saison sur la liste des blessés. Lorsqu’il a enfin pu jouer, les vétérans des Pistons lui ont demandé d’entre le premier sur le terrain. Excité, Young s’y est précipité pendant que la foule commençait à applaudir. Puis il a regardé en arrière et a vu quelque chose d’horrible : il était tout seul. Ses coéquipiers attendaient dans le tunnel en riant. Cette blague, dit-il, a été l’un des meilleurs et des pires moments de sa vie.

Young n’a joué que trois matchs cette saison-là. Detroit a refusé de le prendre pour une deuxième année. Il a passé l’automne suivant à essayer de rattraper son retard au camp d’entraînement de Philadelphie (Larry Brown, qui entraînait Philadelphie, est lui aussi diplômé de Hargrave). Un matin, alors qu’il se promenait en ville, deux hommes l’ont frappé par derrière et ont volé son argent et ses bijoux. Les Sixers l’ont coupé avant le début de la saison. Il avait gâché sa chance auprès de deux franchises, mais Young n’avait que vingt ans. Il pensait qu’il avait toujours un avenir en NBA. Et puis Piggie, Young et les joueurs AAU qui avaient accepté de l’argent en cachette se sont fait rattraper. En avril 2000, Piggie a été officiellement accusé d’avoir donné 35 550 $ aux joueurs, dont 14 000 $ à Young. L’argent provenait de Grant, le mécène de l’équipe, et de Nike, qui avait rompu le contrat alors lucratif de Piggie en janvier 1999. « On ne parle pas de 50 $, d’une paire de chaussures et d’un costume, a déclaré l’avocat Stephen L. Hill Jr. Il a payé ces joueurs dans l’espoir de récupérer son argent plus tard. »

L’enquête s’est concentrée sur Piggie, pas sur les joueurs ni sur l’origine de l’argent. « Nous avions l’impression que les joueurs n’étaient que de simples pions utilisés par Piggie pour faciliter son stratagème, a déclaré l’avocat assistant William Meiners. En raison de leur jeunesse et de l’absence d’antécédents criminels, nous pensions que des poursuites ne seraient ni accordées ni justifiées. » C’est de l’intérieur du programme qu’a été dévoilé le pot aux roses. Grant avait résilié le contrat de Piggie avec une indemnité de départ de six mois, après qu’un article dans The Basketball Times eut détaillé ses antécédents criminels (des antécédents que Piggie avait minimisés). Il a également été accusé d’avoir revendu illégalement des Nike qui lui avaient été données gratuitement. Andre Williams, parti à Oklahoma State, a fait part à Grant de son malaise quant aux dessous-de-table qu’il touchait quelques mois plus tard. Grant a interrogé Piggie, qui a tout nié. D’après le Kansas City Star, Grant a dit à Piggie qu’il ne lui donnerait plus le moindre sou, et quand Piggie a de nouveau nié, Grant lui a dit : « Myron, mon pote, on t’a enregistré », ce qui n’a pas plu à l’intéressé. Grant a donné aux autorités l’enregistrement, dans lequel Piggie discutait du montant des dessous-de-table avec Williams. « [Piggie] venait de forcer un millionnaire à le payer », déplore Young.

La plainte évoquait également 76 100 $ que Stanley et les Poston avaient donnés à Piggie. D’après l’acte d’accusation, Stanley lui avait versé 49 400 $. À l’époque, il a qualifié les paiements de prêts n’ayant jamais été remboursés. La plainte indiquait que Raveling, Piggie et Stanley s’étaient rencontrés à Las Vegas en juillet 1997 et avaient discuté des futurs revenus financiers de Young. Quelques jours plus tard, Stanley a donné 20 000 $ à Piggie. Piggie a plaidé coupable à l’accusation de complot, pour avoir escroqué quatre universités et la NCAA en payant des joueurs et en affectant leur éligibilité. Un juge fédéral l’a condamné à 37 mois de prison. « Les jeunes me connaissent et je les connais. Ils savent que je n’ai pas intentionnellement voulu blesser qui que ce soit, a déclaré Piggie le jour de son jugement. Et je suis désolé de la façon dont tout ça s’est passé. »

Aujourd’hui, Piggie a 51 ans et il maintient toujours sa version. Il a refusé de s’épancher sur son passé au téléphone. « Vous avez entendu plein de choses à mon propos, mais personne n’a jamais pris le temps de parler avec moi. Personne ne sait vraiment qui je suis. Les gens ont cru que je n’étais intéressé que par l’argent, mais avant même de penser que Korleone allait devenir pro, il y avait plus que ça. On dirigeait des gamins. L’argent était secondaire. Je voulais aider ces gosses, et essayer de faire s’épanouir un jeune homme qui avait vraiment besoin de conseils, parce qu’il n’avait pas de vraie figure paternelle et qu’il était mon cousin. Quand on m’a mis au courant, ce que j’ai fait, c’est d’essayer de lui donner de bons conseils pour qu’il devienne un homme. »

Même aujourd’hui, le point de vue de Young sur Piggie est contradictoire. Oui, Piggie a essayé de profiter de son talent. Mais il était aussi dans son intérêt que Young réussisse. Piggie ne s’est pas contenté de remettre des sacs remplis d’argent liquide. Il fournissait les 50 $ supplémentaires pour une inscription à un tournoi, ou même pour les crayons dont Young avait besoin pour l’école. Piggie était devenu son soutien, la figure paternelle que Young avait toujours recherchée. « C’était mon consigliere, explique Young. S’il me disait de faire quelque chose, je le faisais. Donc, c’est difficile de lui faire porter le chapeau pour les décisions que j’ai prises. Mais cela dit, quand vous êtes un enfant, il y a beaucoup de personnes qui vous influencent. » Certains considèrent Piggie comme un bouc émissaire commode dans un vaste réseau de corruption. « Piggie a trempé dans le trafic de drogue, c’est sûr, dit Stanley. Beaucoup des membres de l’AUA ne sont pas des enfants de chœur. Beaucoup viennent de la rue et décident ensuite qu’ils veulent aider les jeunes. Ils le veulent vraiment. J’en connais plusieurs en Amérique. »

« Les gens me demandent souvent quand les choses ont mal tourné, confie Young à Hicks. Je dirais après le lock-out, l’été suivant ma première année. J’avais été bon pendant les essais à l’intersaison, puis les Pistons m’ont convoqué et m’ont fait part de la mauvaise nouvelle. » Young était dévasté. C’était son premier échec. « J’étais vraiment dévasté parce que je ne voulais pas partir. Je croyais naïvement que c’était mon équipe. Je n’avais pas l’impression de pouvoir rebondir. Cet été-là, j’étais déprimé. J’avais 300 000 $ [en banque]. C’était plus qu’il ne m’en fallait. Je pouvais faire ce que je voulais. Mais j’étais si triste de ne plus être à Detroit que je suis allé acheter 120 000 $ de bijoux. L’année suivante, à Philadelphie, on me les volés en pleine rue. Je n’avais d’assurance que sur le quart d’entre eux. On m’avait mal conseillé. J’aurais dû les faire assurer. C’était une décision stupide. »

Hicks a arrêté Young : « Korleone, tu viens de dire que tu as commis une erreur en n’assurant pas ces bijoux. C’est vraiment ça, l’erreur ? Ce que tu viens de dire est un exemple parfait de la façon dont agit un enfant, pas un adulte. Il trouve un emploi, gagne mille dollars, et va s’acheter 800 $ de bijoux au lieu de penser à économiser pour payer son loyer. » Young a voulu répondre, mais le pasteur a persisté. « Oublie cette histoire de vol. Quelle leçon peux-tu en tirer pour éviter à un autre de faire la même chose ? » « Il faut être responsable », hasarde Young. « C’est cela. Être responsable, répète Hicks. Tu n’aurais pas dû penser à assurer ces bijoux. Tu n’aurais pas dû les acheter. »

Bien qu’il n’ait jamais été un espoir aussi coté, la chute libre de Young contraste fortement avec Garnett, McGrady et Bryant. Les Poston lui ont dit qu’ils ne représentaient pas les joueurs des ligues mineures et ont mis fin à leur partenariat après son départ de la NBA. Pendant des années, Young a travaillé dur à l’échelon inférieur. Sa première destination fut l’équipe de Rockford Lightning, de la Continental Basketball Association, où il a affiché des moyennes de 18,3 points et 7,3 rebonds sous l’égide de l’ancien Bull Stacey King. Il avait cessé de parler à la plupart des journalistes pendant cette période. « Mon rêve est de rejouer en NBA, a-t-il déclaré au Wichita Eagle dans une rare interview en juin 2001. C’est là qu’est ma place. »

Stacey King jouait un système offensif en Triangle, ce qui a valu à Young une invitation pour jouer en Summer League dans l’équipe des Lakers. Il n’avait encore que vingt-deux ans. « Ce qui est intéressant chez lui, en dehors des qualités qui lui ont permis d’être drafté il y a deux ans, c’est qu’il est encore jeune », a déclaré le directeur général des Lakers Mitch Kupchak au Los Angeles Daily News. Mais Young n’a pas réussi à intégrer l’effectif et il a passé l’automne avec les Canberra Cannons, en NBA australienne. Sa carrière s’est érodée à partir de là. Il s’est rompu le tendon d’Achille lors de son premier match. En janvier, il a eu un accident de voiture à Canberra. Il avait été en boîte de nuit et avait bu. Un ami lui avait proposé de le ramener, lui et son coéquipier Emmanuel D’Cress. « Pas la peine, je maîtrise », avait répondu Young.

Embrumé par l’alcool, Young a conduit comme s’il se trouvait aux États-Unis et non en Australie. Il a pris la mauvaise voie dans un rond-point. Il a évité une autre voiture et est parti dans le fossé avec son Holden. L’airbag s’est déployé et Young a été assommé. La radio jouait un rythme entraînant avant l’accident ; quand Young s’est réveillé, la musique passait au ralenti. Il pense que sa ceinture de sécurité lui a sauvé la vie – il porte encore aujourd’hui la cicatrice qu’elle a laissée sur son cou. Lorsqu’il a repris connaissance, il a peu à peu pris conscience de la situation. Il a regardé D’Cress, toujours assommé. Young prétend qu’il a ensuite porté D’Cress sur près de trois kilomètres jusqu’à son appartement. Puis il a appelé son entraîneur et l’a informé de l’accident. D’Cress avait une fracture des vertèbres cervicales. D’après les médecins, si Young l’avait porté sur une plus grande distance, il n’aurait plus jamais marché.

Après l’accident, les Cannons ont mis fin au contrat de Young et son ​​visa a été annulé. Il a envisagé de prendre sa retraite, puis s’est laissé embarquer dans un cycle autodestructeur. Même s’il y avait encore de l’intérêt pour lui en dehors des États-Unis, il s’est laissé aller. Les essais qu’il effectuait avec des équipes étrangères étaient des vacances payées. De 1999 à 2006, Young a fait des séjours en Australie, en Russie, en Chine et en Israël. Plus il voyageait, plus il s’éloignait de son rêve de retourner en NBA. Il a commencé à se considérer comme une victime. Il a bu, fumé, fait la fête, et il est tombé en dépression, accablé par les erreurs qu’il avait commises. « J’étais tellement stupide. Je vivais à crédit. J’avais un Ford Explorer. J’avais une Corvette. J’avais des mobylettes. J’étais un gosse. J’avais des jouets. J’étais un gosse avec des jouets. »

Young a engagé un conseiller financier pour gérer ses affaires. Mais il se sabordait lui-même. Il disait à la conseillère, une jeune femme, qu’il prévoyait de rendre visite à ses filles à Houston pendant quelques semaines. La conseillère lui donnait l’argent dont il avait besoin pour le voyage, puis Young quittait Houston au bout de quelques jours, rentrait chez lui et gâchait ce qui lui restait en achetant d’autres voitures, en allant dans toujours plus de boîtes de nuit, et en donnant toujours plus d’argent à ses amis et sa famille. Son père lui demandait de l’argent de temps en temps. Young lui donnait ce qu’il pouvait, quand il le pouvait. « [La conseillère] n’arrivait pas à me dire quoi faire, déclare Young. Elle m’écoutait. C’aurait dû être le contraire. J’aurais dû l’écouter. » Le cycle s’est poursuivi jusqu’à ce que plus aucune équipe étrangère ne veuille de Young. De retour à Wichita, la police l’a arrêté pour avoir manqué une audience concernant la pension alimentaire de ses enfants. Young a déclaré qu’il ne pouvait pas se permettre de la payer. C’était il y a quatre ans.

Young expire longuement. « J’ai essayé de me soigner, affirme-t-il. Mais j’étais trop déprimé. Je fais partie de ces athlètes qui n’ont jamais fumé de marijuana avant leur majorité. D’habitude, on expérimente ce genre de choses au lycée. Je n’ai pas essayé avant l’âge adulte. Je buvais un peu de bière, je piquais à ma mère des bouteilles de Colt 45. Les médicaments n’ont fait qu’aggraver les choses. J’ai été imprudent. » Hicks l’écoute attentivement. Il pense que Young peut aider les jeunes qui vivent la même chose que lui. D’après le Wichita Eagle, il y a entre 40 et 50 gangs à Wichita, avec plus de 4 000 membres en tout. Cent-trente jeunes ont participé au camp d’été de Hicks cette année. Vingt-cinq ont dû être expulsés suite à des altercations.

Plus tôt dans la journée, Young a discuté avec une voisine qui avait perdu deux de ses enfants à cause de la violence. Son mari assistait aux funérailles d’un voisin récemment tué. Hicks croit que Wichita, plus que jamais, a besoin de Korleone Young. « Tu n’atteindras jamais le moindre objectif sans commencer quelque part, et en ce moment, tu as un problème pour démarrer. » « Cela me tient vraiment à cœur aujourd’hui, car je ne vis pas dans la même ville que mes enfants, répond Young. Je serai toujours un papa à distance. Leur mère et moi, nous ne vivrons jamais ensemble. Et je ne vivrai jamais à Houston… » « Je dis aux hommes avec qui je parle qu’il y a des choses du passé contre lesquelles nous ne pouvons rien, renchérit Hicks. Mais je pense que chaque homme a la responsabilité de faire partie de la vie de son enfant, qu’il soit marié avec sa mère ou qu’il s’entende ou non avec elle. Ils ont cette responsabilité. Mais si tu ne payes pas de pension alimentaire, ce ne sera pas possible, parce que sa mère ne te laissera pas faire. Tu dois te relever et agir en homme. Trouver un emploi et trouver le moyen de prendre soin de tes enfants. Tu dois faire partie de leur vie. C’est essentiel. Il arrive un moment où il est presque trop tard. Je dis presque parce qu’il y a toujours une opportunité de s’impliquer dans leur vie, qu’ils soient adultes ou non. »

Pendant que que sa vie s’effondrait, Young s’est coupé du monde extérieur. Un drame l’obligea à revenir à la réalité. Le soir du 19 janvier 2011, Young s’est réuni avec sa famille et ses amis pour célébrer le quarante-et-unième anniversaire de son cousin, Deon White. Ils ont joué aux dés, bu et regardé le match entre les Mavericks et les Lakers. Young vivait ce qu’il pensait être une autre soirée tranquille et agréable. Puis on a frappé à la porte et tout a tourné au cauchemar. Terrell Cole et Andre Lovett étaient arrivés pour gâcher la fête. Cole avait été en prison pour une affaire de drogue en 2002, et avait été libéré sur parole en 2006. Après sa libération, il s’est associé à Lovett, un passionné de sport qui avait joué avec Biddy Basketball, à Wichita, quelques années après que Young eut commencé son parcours dans la même ligue. Apparemment, Cole et Lovett avaient entendu dire que les enjeux de la partie de dés étaient élevés. Ils avaient l’intention de cambrioler la maison. Young a ouvert la porte, a vu l’arme à feu dans la main de Cole et s’est enfui par la porte. Cole aurait tiré dans la direction de Young alors qu’il franchissait la porte en courant. La balle a touché Lovett à l’abdomen. Puis tout le monde a fui.

Plus tard dans la soirée, une Chevrolet Uplander bleue a laissé tomber un homme couvert de sang à l’entrée du centre médical Wesley. Lovett, 30 ans, est décédé le lendemain. Les autorités ont interrogé Young en tant que principal témoin dans le procès de Cole. L’accusation a ensuite diffusé une cassette vidéo de l’interrogatoire de Young. « Il s’est précipité, a armé son revolver et je suis parti, a déclaré Young au détective Dan Harty, selon le Wichita Eagle. Tout ce que je peux dire, c’est que c’était un individu afro-américain… Si vous avez [des portraits-robots], je pourrais peut-être être plus précis. » L’attitude de Young a changé lorsque l’agent Stella Boyd a remplacé Harty et son partenaire. Elle était plus proche de lui. « Vous savez que je vis ici, lui a dit Young. Les gens me connaissent. Ils vont se méfier si je parle à la police. »

The Eagle a rapporté que Young, en larmes, a finalement plié une feuille contenant six images jusqu’à ce que la photo de Cole apparaisse, seule. En marge de l’affaire, Cole a été inculpé d’intimidation aggravée de témoin pour avoir tiré un coup de feu dans une maison quatre jours après le meurtre de Lovett. La maison, où Young séjournait souvent, appartenait à la tante de Young. Au tribunal, Young a déclaré qu’il ne connaissait ni Cole ni Lovett et qu’il ne pouvait pas identifier l’un d’eux comme étant l’un des voleurs. Il a ajouté que le pliage lors de son audition ne devait pas être considéré comme une identification positive. « Si vous avez déjà regardé à travers un judas, vous savez à quel point les proportions d’un objet sont défigurées », a déclaré Young à la barre. Il a témoigné qu’il a ouvert la porte et a vu un homme en manteau sombre avec un fusil. « Cela m’a suffi. J’ai été le premier à sortir. » Les autres personnes présentes dans la maison n’ont pas non plus identifié les voleurs potentiels.

Cole, trente-deux ans, a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire en juillet. L’incident et le procès qui a suivi ont pesé sur Young. Il a dit qu’il s’est rendu compte plus tard qu’il connaissait quelques-uns des parents de Lovett et qu’il avait joué au basket avec ses oncles. Il n’aimait pas devoir témoigner. « Je n’étais pas sur le point de commencer une nouvelle vie, mais que puis-je faire maintenant ? Non seulement ils me forcent à balancer, mais ils me font aller au tribunal. Et le plus triste, c’est que je ne peux rien faire. Mais la vie continue. »

Pendant des années, Young s’est senti coupable d’avoir été le premier à sortir. Il peut enfin se promener en ville sans gêne. « J’ai déjà affronté la mort. Si quelqu’un entrait et me mettait [un pistolet] sur la tête, cela ne me ferait rien. Si on me donnait une chance de réfléchir avant de mourir, je pourrais peut-être bluffer. Je dirais au mec de tirer. De devenir célèbre. J’ai vécu ma vie. Je vais ailleurs. Merci. J’espère que j’irai au ciel. Au paradis. Je ne suis pas suicidaire. Je n’ai pas envie de mourir. Mais quand je partirai, je veux que ce soit bien fait. »

« Je pense que tu fuis, avance Hicks. Je veux savoir ce qu’il y a en toi. Où est ta douleur ? Où est ta blessure ? Que ressens-tu ? Comment te sens-tu ? Parce que si tu te sens mal dans ta peau au point de te laisser aller, tu ne pourras aider personne parce que tu n’as pas accepté le fait que ce qui s’est passé est arrivé. Tu dois avancer. Tu ne peux pas changer le passé, mais tu peux décider de ton avenir. C’est ce que je veux te voir faire. « Je veux travailler avec les jeunes, affirme Young. Mais comment ? » « Ton but dans la vie était de devenir un joueur de basket-ball, a répondu Hicks. Maintenant, tu en as un autre. Lequel ? Découvre-le et lance-toi. »

La discussion s’est terminée de manière classique. Young a promis de venir plus souvent. Comme d’habitude, Hicks était dubitatif. « Il dit toujours que le Seigneur a besoin de moi, a déclaré Young par la suite. Il le dit depuis que nous nous sommes rencontrés. Et peut-être qu’Il a besoin de moi. Mais il faudra attendre que je sois vraiment prêt. » Young s’est assis à la table d’un restaurant local. Un client lui demande s’il a été joueur de basket. « Non. J’ai fait du golf », répond-il, le visage impassible.

Quand on l’aborde dans la rue, Young se montre poli. Il connaît sa réputation et, par sa gentillesse, il veut dévier la conversation sur un sujet autre que lui. Après avoir répondu à un coup de fil, Young poursuit son récit. « Les gens ne se rendent pas compte de ce que vit un athlète. On ne t’apprend pas tout ce que c’est. Tu dois en découvrir beaucoup par toi-même. Je suis passé par là. Je ne [connaissais] personne dans le même cas que moi. Celle qui vient de m’appeler – ma mère – je l’aime à en mourir, mais elle vit au jour le jour. Je n’ai jamais travaillé de ma vie. Un jour, j’ai quand même trouvé un travail grâce à mon meilleur ami. J’ai forcé le passage. Ils m’ont demandé mon CV. Je leur ai simplement dit : En fait, je n’en ai pas. Mais si vous voulez bien de moi, j’aimerais beaucoup travailler pour vous. Regardez qui je suis sur Internet. Mon CV, c’est ma carrière de basketteur et ma connaissance de différentes cultures. »

La voix de Young se brise. Il se met à pleurer en parlant de ses trois filles. Même s’il reste évasif, ilrévèle tout de même : « Ce qui me fait vraiment souffrir, c’est d’être un père à distance. Je n’ai rien et je n’ai même pas mes enfants. Je ne serai jamais avec eux, continue Young en serrant son téléphone portable fissuré. Les deux plus grandes ont des iPhones et tout. Je leur paye leurs factures et des trucs comme ça. Tout le monde pense que ce n’est rien. Mais putain, c’est important. Parce que j’ai traversé beaucoup de choses. Tout le monde veut être réconforté de temps en temps. Le succès, c’est bien, mais tout le monde veut savoir qu’on l’accepte. Qu’on l’aime. »

Des larmes coulent sur ses joues. Sa voix se devient dure. « Putain d’argent. Je peux le dire maintenant. À un moment donné, l’argent m’a transformé et m’a rendu heureux. J’ai failli devenir riche… Mais maintenant, c’est du passé. Je ne serai jamais chez moi avant d’être marié. Sérieusement. J’ai toujours vécu dans la maison de ma mère. J’y resterai jusqu’à ce qu’elle meure. Le plus tard possible, j’espère. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de choses. Ma mère est l’une d’entre elles. Si je ne l’avais pas, je serais mort, c’est sûr. Dans un cercueil. Mort. Nous n’avons plus que nous deux. C’est tout ce dont j’ai besoin maintenant. »

« Si je ne réussis jamais dans quoi que ce soit d’autre – je l’ai dit à mes amis – assurez-vous que les gens sachent que j’ai été quelqu’un de bien. Si je meurs, j’espère qu’on ne dira pas trop de mauvaises choses à mon sujet. Mes amis détestent quand je parle comme ça. Ils croient que je vais rebondir. Quelquefois, je n’ai plus goût à rien. Quand je regarde ma mère, je suis prêt à tout laisser tomber. Je ne suis pas assez fort. Je fais du mal à tout le monde. Je ne peux même pas lui offrir un soutien financier. Si j’étais mort, la vie serait plus facile. Une personne de moins dont elle doit s’occuper. Vous imaginez ? Un athlète professionnel qui a besoin que sa mère s’occupe de [lui]. On survit avec l’allocation pour adultes handicapés. » Le lendemain, Kim a sangloté en parlant de son fils. « On se dispute tellement que c’en est pathétique. Parfois, j’ai l’impression qu’il me déteste. C’est comme s’il ne voulait pas de moi comme mère. »

En février, après un match entre les Milwaukee Bucks et le Orlando Magic, Al Harrington a repensé à son affrontement contre Korleone Young au lycée. « C’était un bon match. Nous avions perdu. Mais c’était un match très excitant parce qu’il était juste derrière moi [dans le classement des meilleurs joueurs], deuxième ou troisième, je ne sais plus. Je pense que j’ai mieux joué. Mais son équipe a gagné. » Harrington a joué quinze saisons en NBA – une pour chaque minute de la carrière de Young. « Je me pose toujours des questions à son sujet, s’inquiète Harrington. Je n’ai plus entendu parler de lui depuis des années. Qu’est-il devenu ? »

Voilà une question qui revient souvent chez les joueurs et le personnel de la NBA qui se souviennent de l’adolescent talentueux et sculptural. « C’est vraiment triste, confie Gentry, aujourd’hui assistant des Clippers. C’était l’archétype du jeune joueur d’aujourd’hui, qui va à l’université pendant un an avant de passer pro. Je pense que ces joueurs devraient y rester au moins deux ans… Korleone était un de ces jeunes qui, s’il était allé à l’université rien qu’un an, aurait pu avoir une carrière décente. Mais il avait tellement de lacunes dans la plupart des domaines qu’il n’était tout simplement pas prêt. Il n’était pas prêt pour cette ligue. »

Stanley, l’agent de Young, n’avait pas non plus de ses nouvelles depuis des années. « La ligue ne sélectionne pas de joueurs prêts pour la NBA, a-t-il déclaré. Les équipes les développent. Ce qu’ils recherchent, ce sont des joueurs prêts à travailler, qui en montrent assez pour voir à quoi peut ressembler le résultat final. » Young avait tout, sauf la volonté de grandir. « Je me fiche de ce que disent les gens. Si Korleone avait eu un père présent pour lui et la maturité nécessaire, il aurait pu jouer au basket pendant quatorze ou quinze ans. Aucun doute là-dessus. Même avec le recul, je suis prêt à parier tout ce que je possède. »

Piggie pense que la carrière de Young se serait épanouie s’il était resté à ses côtés. « Après ce qui s’est passé, tout le monde m’a laissé tomber. À cause des mensonges que les journaux avaient écrit. Ils ne voulaient plus rien avoir à faire avec moi. Ils avaient peur. Et ils l’ont laissé tout seul, sans personne à ses côtés. C’est vraiment dommage, indique Piggie en parlant de la carrière tronquée de Young en NBA. Si j’avais su alors ce que je sais maintenant, il ne serait jamais, jamais allé jusqu’au [deuxième] tour de draft. Il serait allé à l’université. Je dirai ceci : les gens qui occupaient des postes plus importants que moi l’ont très mal guidé. »

Taylor, le deuxième entraîneur de Young en AUA, se souvient avoir dû le pousser. « En y repensant, je ne sais pas s’il aimait le basket tant que ça. Je lui ai donné tout ce qu’il fallait pour réussir, et je n’ai jamais compris pourquoi il n’en a pas profité. Je me suis disputé avec lui comme dans une relation père-fils, quand on veut que son fils fasse quelque chose et que lui ne veut pas. »

La vie continue pour Al Harrington, pour Gentry, pour Stanley et pour les autres. La vie de Young est suspendue dans le temps, un ruban de Möbius rempli d’hypothèses. Et si son père avait assumé son rôle ? Et s’il n’avait jamais quitté Wichita East ? Et s’il était allé à l’université ? Et s’il s’était vraiment consacré au jeu ? Et s’il avait su ce qui l’attendait en NBA ? Et s’il avait été responsable plus tôt ?

Où est Korleone Young maintenant ? Là où il a commencé, essayant toujours de faire quelque chose de sa vie. « J’aime être loin des gens, conclut Young. Je ne voulais pas répondre à beaucoup des questions auxquelles je devais faire face. Je me referme sur moi-même, comme une huître… Je me suis fait beaucoup de mal en fuyant, en me cachant. Je suis toujours aux prises avec ma dépression. Je n’arrive tout simplement pas à remonter la pente. »

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