La grande histoire de la NBA

Cela faisait quelque temps que le site n’avait pas été mis à jour. La cause en est simple : mon livre sur l’histoire de la NBA, directement inspiré de ce site, est paru hier aux Éditions Solar. Celui-ci revient en détail sur chacune des saisons de NBA de 1946 à 2022 sous la forme d’un petit récit, avec des portraits mais aussi des anecdotes inédites tirées de documentaires, d’ouvrages et d’articles de journaux anglophones.

La particularité de ce livre est qu’il est aussi bien destiné aux connaisseurs qu’au grand public : le fonctionnement de la NBA, certains termes spécifiques, les faits marquants, les raisons pour lesquelles certains joueurs ont marqué la NBA plus que d’autres, tout y est expliqué. J’ai voulu aborder les choses de la manière la plus divertissante possible, en évitant d’être trop rébarbatif avec une succession de noms, de résultats et de statistiques qui n’auraient pas de sens pour le lecteur non averti.

Si vous souhaitez faire découvrir la NBA à un proche ou un fan occasionnel, ou si vous désirez vous replonger dans une histoire que vous connaissez déjà tout en découvrant de nouvelles choses, n’hésitez pas !

496 pages, format broché, disponible dans tous les points de vente classiques et sur Internet (Fnac, Amazon, etc.)

PS : Le site continue à exister et reste en activité, mais se met momentanément en pause, le temps de trouver de nouveaux sujets d’article.

Top 10 des meilleurs moments de trash-talking de Larry Bird

Quand on parle de trash-talking en NBA, Michael Jordan et Larry Bird sont généralement considérés comme les plus grands maîtres. La différence, c’est que la manière de chambrer de Jordan était très vicieuse, alors que celle de Bird était beaucoup plus subtile. Voici ses dix meilleurs moments. Dans ce classement, on tiendra uniquement compte des provocations à l’égard des adversaires, pas les piques lancées à ses coéquipiers ou les déclarations de confiance (comme le match joué entièrement de la main gauche ou la victoire proclamée à l’avance dans le concours à trois points).


10. Lors des dernières secondes d’un match contre les Knicks, alors que le score était serré, Bird prit un long tir devant son adversaire direct, Charles Smith. « Désolé, Charlie », cria aussitôt Bird. Le ballon rentra et Boston l’emporta sur ce tir victorieux.

9. « T’aurais dû rester dans ton église. » Pique lancée à Robert Reid, arrière de Houston et homonyme d’un célèbre pasteur américain.

8. À quelques secondes de la fin d’un match contre Seattle, Bird déclara à l’ailier Xavier McDaniel : « Je vais recevoir le ballon juste ici, et je vais marquer devant ta gueule. » Après avoir fait ce qu’il avait annoncé, il s’exclama : « Mince ! J’ai tiré trop vite, il reste encore deux secondes. »

7. Après avoir marqué quatre paniers de suite au nez et à la barbe de Dennis Rodman, son adversaire direct, Bird lança à Chuck Daly, l’entraîneur des Pistons : « Qui défend sur moi, Chuck ? Tu ferais mieux de mettre quelqu’un sur moi ou je vais en marquer au moins 60. »

6. Quand les Pacers assignèrent le rookie George McCloud au marquage de Bird pendant un match, celui-ci lança en direction du banc adverse : « Je sais que vous êtes désespérés, mais vous pourriez au moins mettre quelqu’un de valable sur moi ! »

5. En 1985, après trois quart-temps contre Utah, Bird en était à 30 points, 12 rebonds, 10 passes décisives et 9 interceptions. Il est resté sur le banc pour le reste de la partie. Quand les journalistes lui ont demandé pourquoi il n’était pas revenu sur le terrain pour réaliser un rarissime quadruple double, il a répondu : « Pourquoi ? J’ai fait assez de dégâts comme ça. »

4. Lors d’un match à Worchester, Bird demanda à un adversaire : « C’est quoi le record de points marqués dans ce gymnase ? Je te demande ça parce que c’est toi qui défends sur moi. »

3. Lors d’un match contre Utah, Bird lança à l’entraîneur Frank Layden, réputé pour son humour : « Hé, Frank, y’a pas un joueur de ton banc qui peut défendre sur moi ? Parce que ceux sur le terrain sont complètement dans les choux. » Réponse de Frank Layden, après avoir regardé son banc : « Non. »

2. En 1986, lors d’un match contre les Mavericks, Bird se dirigea vers le banc adverse et leur décrivit exactement ce qui allait se passer sur l’action suivante, terminant ainsi : « Vous avez compris ? Je vais me poser là, sans bouger. Ils vont me passer le ballon. Et tout ce que vous entendrez, c’est le bruit du ballon qui traverse le filet. » Tout se passa exactement comme l’avait décrit Bird, qui remonta le terrain en faisant un clin d’oeil au banc des Mavericks juste après son panier.

1. Le lendemain de Noël 1990, les Celtics devaient affronter les Pacers. Quelques jours plus tôt, dans la presse, l’ailier des Pacers Chuck Person avait déclaré dans la presse qu’il allait « chasser de l’oiseau » (« Bird hunting »). À l’échauffement, Bird s’approcha de Person et lui déclara tranquillement : « J’ai un cadeau pour toi. » Durant le match, alors que Person était sur le banc, Bird prit un tir à trois points juste devant lui. Immédiatement après avoir tiré, Bird se retourna et lâcha à Person : « Joyeux p… de Noël. » Quelques instants plus tard, le ballon passait à travers le cercle…

Le prodige oublié

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Crédits : Ryan Inzima

Devenu professionnel juste après le lycée, comme Garnett, Bryant ou Tracy McGrady, Korleone Young aurait pu devenir une star de la NBA. Mais sa carrière n’a duré que quinze minutes. Aujourd’hui, il vit au Kansas et essaie de reprendre sa vie en main.

par Jonathan Abrams, le 19 Septembre 2013

*****

Korleone Young est assis dans le petit bureau du pasteur Herman Hicks. Il incline ses larges épaules vers lui. Cela fait plusieurs minutes qu’ils parlent de tout et de rien, sans aborder les vrais problèmes. Hicks, ancien colonel de l’US Air Force du Mississippi, est un homme franc et sérieux, à qui ses interlocuteurs se confient facilement. Dans son bureau, une photo dédicacée de Colin Powell est accrochée au mur. Sur une autre photo, on peut le voir serrer la main de George H.W. Bush. Mais Young ne semblait pas prêt à parler de son passé. Il avait repoussé tous ceux qui s’en approchaient de trop près. Aujourd’hui, toutefois, les choses allaient changer.

Pour les amateurs de basket-ball, Young est plus un mythe qu’un joueur. Son nom côtoie celui de joueurs passés du lycée à la NBA qui ont reçu trop d’argent trop tôt, et qui n’ont jamais réussi à s’imposer, comme Lenny Cooke, Leon Smith et DeAngelo Collins. Ils ont gaspillé leur argent et pris de mauvaises décisions. Ils sont le côté négatif d’une génération de lycéens devenus stars. Le seul héritage qu’ils ont laissé à la NBA est une règle de 2005, exigeant que les joueurs éligibles à la draft aient quitté le lycée depuis au moins un an. Pour la plupart, Korleone Young n’est rien de plus qu’une note de bas de page dans une bataille juridique.

Young s’est déclaré éligible pour la draft en 1998, après avoir quitté l’Académie Militaire de Hargrave suite à son implication dans un scandale de pots-de-vins qui avait secoué le championnat amateur de l’AAU et le basket-ball universitaire. Les Detroit Pistons ont pris Young avec le quarantième choix, entre Rafer Alston et Cuttino Mobley – deux joueurs qui ont effectué une longue carrière en NBA. Mais le rêve de Young n’a duré que quinze minutes – trois contre Washington, cinq contre Atlanta et sept contre Orlando. Il n’a rien fait d’autre avec Detroit lors de sa première et dernière saison en NBA. « Korleone aurait dû être un excellent pro. Il dominait les Rashard Lewis, Shane Battier et consorts, confie Myron Piggie Sr., cousin germain de Young et figure centrale du scandale de l’AAU. Il dominait tout le monde. »

Mais comme de nombreux jeunes récompensés trop tôt et mal préparés à la vie d’adulte, Young a mal tourné. Il n’a pas écouté ses conseillers financiers. Il a bu et fumé plus que de raison. Il s’est retrouvé mêlé à différents problèmes. Un jour, on l’a menacé avec un revolver. Young s’est éloigné de la NBA et d’une vie confortable, et il se trouvait maintenant dans l’obscurité d’un bureau de pasteur, dans sa ville natale de Wichita, au Kansas. Ses quinze minutes de jeu en NBA ont été la plénitude de son existence. Il a passé les années qui ont suivi à essayer sans enthousiasme d’y retourner. Il a voyagé et joué dans le monde entier, sans jamais rester longtemps au même endroit. Aujourd’hui, à trente-quatre ans, il cherche à donner un nouveau sens à sa vie. Mais il ne sait pas comment ni par où commencer. Il n’a plus mis les pieds dans une école depuis 1998. Il ne sait pas faire grand-chose. Il gagne un peu d’argent en entraînant des lycéens, bien qu’il sache pertinemment que les parents du quartier l’embauchent parce qu’il a besoin d’un travail. Il ne sait même pas gérer son chéquier. Ses trois filles vivent avec leur mère à Houston. Young dit qu’il ne peut pas se permettre d’habiter près d’elles.

Quand je suis arrivé à Wichita, Young était nerveux. Bien que j’aie atterri le matin, il a attendu onze heures pour retourner mes appels. Il savait que je lui poserais les questions qu’il a passé des années à esquiver. Pendant près d’une décennie, il n’avait pas voulu y répondre. Il ne sait toujours pas comment faire. Au fil des ans, il s’est excusé auprès de sa famille et de ses amis, mais sans vraiment savoir de quoi il devait s’excuser. Il s’est isolé du monde. La solitude et l’éloignement qu’il ressentait en jouant en Russie ou en Chine étaient devenus des compagnons familiers. Agréables, même. Quand il est rentré chez lui, il a continué à vivre dans la solitude.

Young avait longuement réfléchi avant d’accepter me recevoir. Il n’avait pas accordé d’interview depuis plusieurs années – c’était plus facile ainsi. Les journalistes posaient des questions qui ne les concernaient pas, en rouvrant des blessures encore à vif. Mais Young était convaincu que le moment était venu. Il avait enfin quelque chose à dire. Il n’était pas sûr de la façon dont il devait s’habiller ; il s’est dit qu’une tenue dans laquelle il se sentait bien – un T-shirt Nike, un short et des baskets – allait faire l’affaire. Il a appelé quelques amis pour voir si quelqu’un voulait bien le déposer. L’année passée, il avait vendu sa voiture, une Chevrolet Monte Carlo de 1972, pour 6 000 $. C’était le dernier bien qu’il possédait. Mais il a eu du mal à trouver quelqu’un qui accepte de le conduire. Finalement, Young a convaincu sa petite amie de le ramener à mon hôtel. Nous avons ensuite roulé jusqu’à la Grande Église pentecôtiste de Dieu en Christ, où le pasteur Hicks prêchait depuis dix ans. Young l’avait rencontré il y a six ans par l’intermédiaire d’une ex-petite amie. Sa relation avec elle n’avait pas duré, mais celle avec l’église, oui.

Hicks a chaleureusement accueilli Young. Il lui a dit qu’il ne souhaitait pas seulement le voir quand il avait besoin d’aide émotionnelle, spirituelle ou financière, mais aussi quand il voulait donner ou remercier. Hicks a imploré Young de s’ouvrir à lui : « L’une des choses que j’ai découvertes en tant que prédicateur, c’est qu’il faut être honnête avec les autres. Tu ne peux pas simplement dire qu’avoir été drafté en NBA a été l’un des grands moments de ta vie. Il en a forcément découlé des points négatifs, des décisions qui ont affecté ta carrière. Si tu es honnête avec les jeunes du quartier, tu auras un impact sur la vie de certains d’entre eux. » « Vous allez m’aider ? » a demandé Young. « Bien sûr », a répondu Hicks. Young a alors dit : « Je n’ai plus peur maintenant. » Hicks s’allonge sur sa chaise. « Je pense qu’on peut résumer ainsi l’histoire de Korleone Young : après avoir été au sommet, il s’est retrouvé au fond du trou. Et il essaye maintenant de se sortir de ce trou. Qu’il y soit prêt ou non, cela prendra du temps. »

Korleone Young a grandi dans une petite maison entre la vingt-quatrième rue et Lorraine Avenue. Tout le monde le connaît à Wichita. Les voitures ralentissent sur son passage ; les conducteurs le saluent. Le son des sirènes qui préviennent de l’arrivée des tornades sont un bruit familier. Les grands-parents de Young, Charles et Betty, ont vécu dans leur maison pendant près de cinquante ans avant de décéder respectivement en 2006 et 2008. Sa mère, Kim Young, qui avait lu Le Parrain peu de temps avant la naissance de son unique enfant, l’a nommé Suntino Korleone Young, d’après le fougueux fils aîné du livre, Santino Corleone. Young savait que son père était Juan Johnson, un ancien athlète star du lycée. Mais il ne le connaissait pas vraiment. Il voyait parfois Johnson dans les environs de Wichita, mais son père ne l’avait jamais reconnu.

À l’extérieur de la maison de son enfance, une grosse souche dépasse de la cour avant. Ce sont les restes de l’arbre sur lequel Korleone grimpait quand il était enfant. Un jour, il est tombé de cet arbre et s’est cassé le bras gauche. C’était exactement le genre de chose contre laquelle sa mère l’avait mis en garde, lorsqu’elle lui avait interdit de grimper. Un acte de désobéissance typique d’un fils à l’esprit libre. « [La façon dont il agissait] était horrible, pitoyable » déclarera plus tard Kim Young. Korleone se battait aussi constamment avec son cousin Antoine et les enfants du quartier, qui se moquaient de son bégaiement.

Mais Kim voyait dans son fils un jeune garçon énergique, et elle chercha le moyen de le faire s’épanouir. Elle inscrivit Korleone à des activités parascolaires – « pour l’occuper », selon elle. Young a appris à faire des claquettes, a pratiqué le football, mais ce qu’il aimait vraiment, c’était le basket. Il a fabriqué un panier avec une roue de vélo dont il avait retiré les rayons, et l’a installé dans leur jardin. Le vélo était modeste, la roue de petite taille, et son tir a gagné en précision. Le grand-père de Korleone, qui avait joué avec les Harlem Globetrotters dans les années 60, lui a ensuite installé un véritable panier. Young a progressé rapidement, dominant les autres enfants. À dix ans, il a rejoint l’équipe AAU de Tyrone Berry, les Wichita Blazers, jouant avec et contre d’autres collégiens. Le programme était élitiste et rigoureux ; les joueurs devaient aller à l’église tous les dimanches et avoir de bonnes notes. Young est rapidement devenu la star de l’équipe – il a réussi son premier dunk à l’âge de douze ans. Il était grand, athlétique, et a vite rejoint une équipe de l’AAU plus prestigieuse, celle de Kansas City. Berry n’était pas ravi de voir sa jeune star quitter son écurie, mais il savait qu’il ne pourrait pas le garder longtemps. Young semblait déjà destiné à de plus grandes choses. De meilleures choses.

En 1992, Young a rejoint les 76ers du Children’s Mercy Hospital, une talentueuse équipe de Kansas City entraînée par John Walker. Cette équipe comprenait plusieurs futurs joueurs de NBA : Earl Watson, Maurice Evans, Kareem Rush et Corey Maggette. Le niveau était si élevé que Mike Miller, un joueur très important pour Miami lors de la conquête de ses deux derniers titres NBA, n’avait pas réussi à l’intégrer. JaRon Rush, un ailier élégant, le frère aîné de Kareem, était le joueur le plus talentueux de l’équipe. Son mécène était le millionnaire Tom Grant, directeur général de LabOne Inc. et ancien élève de l’Université du Kansas ; il payait ses frais de scolarité et finançait les 76ers. JaRon était le meilleur ami d’un joueur nommé Myron Piggie Jr. Au cours d’un entraînement à l’été 1995, l’équipe s’est réunie et Grant leur a présenté leur nouvel entraîneur en chef : Myron Piggie Sr., un ancien dealer de crack et criminel qui avait été condamné à un an de prison pour avoir tiré sur un policier de Kansas City en 1989.

Grant savait que JaRon Rush et la famille de Piggie étaient très liés. En promotionnant ce dernier, il pensait qu’il pourrait dissuader son précieux joueur de partir. Piggie, qui était débrouillard, a gravi les échelons de l’organisation jusqu’à se retrouver au sommet. « On a été très surpris, car Myron n’était pas un entraîneur, se souvient Young. D’ailleurs, il ne nous a jamais vraiment entraînés. C’étaient d’autres personnes qui s’en chargeaient. Piggie voulait juste garder le contrôle sur nous. Tout ce qu’il faisait, c’était avoir l’air sombre, s’asseoir au bout du banc et effrayer tous les autres entraîneurs de l’AAU. »

Une importante réunion des représentants de Nike a eu lieu à l’automne suivant. Le président, Phil Knight, s’est adressé à plusieurs entraîneurs de lycée influents que sa société parrainait. À l’époque, Nike dépensait 4 millions de dollars par an pour financer des programmes d’été, selon le Chicago Sun-Times. Pourtant, l’entreprise avait récemment perdu un fameux groupe de joueurs sur le point de passer pros : Kevin Garnett, Kobe Bryant et Jermaine O’Neal, qui avaient tous signé avec Adidas. Sonny Vaccaro, le légendaire responsable de la célèbre chaussure qui avait attiré Michael Jordan chez Nike, travaillait maintenant pour Adidas et aidait la marque à faire son trou. Pour contrer cette incursion, Nike est devenu plus agressif et a embauché plus d’employés et de « consultants », afin d’accaparer le circuit AAU. Les programmes d’été sont devenus un signe d’allégeance. Si un joueur participait au camp ABCD à Teaneck, dans le New Jersey, il était considéré comme un joueur Adidas. S’il jouait au Nike All-America Camp à Indianapolis, il se consacrait à la marque à la virgule. « C’est à cause de nous qu’il y a eu toutes ces histoires, soupire Young. C’est nous qui avons commencé la guerre Nike-Adidas. Moi, Corey, JaRon et Al [Harrington], Rashard [Lewis]. »

Piggie Sr. a fait partie des nombreuses personnes recrutées par Nike, et CMH est rapidement devenu une équipe de stars itinérante pleine de futurs joueurs de haut niveau. « On vivait dans le luxe, confie Laverne Smith, cousin d’Earl Watson, qui a joué avec CMH pendant une demi-saison. On voyageait en première classe. On dormait dans des hôtels cinq étoiles. C’était comme la fac ou la NBA. Nous étions en avance sur notre temps. »

Les équipes adverses connaissaient et respectaient l’équipe bien avant leur arrivée au gymnase. « On n’était intimidés par personne, assure Piggie. Quand [il] arrivait sur le terrain, personne n’était meilleur que Korleone Young. À part un autre joueur que je ne vais pas mentionner. Ils avaient le même niveau, mais ils ont fait beaucoup de choses différemment. Ils étaient tous les deux au-dessus des autres. » Maurice Taylor, qui entraînait aux côtés de Piggie, affirme que Young abordait les matchs le jeu avec l’attitude d’un boxeur se préparant à disputer le combat de sa vie. « C’était le patron. Les autres devaient suivre. » Grant et Nike ont finalement augmenté le salaire de Piggie, ce qui a beaucoup rapporté à Young. « On a signé avec Nike et c’était génial. Ma mère et moi avions une Altima flambant neuve. J’ai eu mon Impala de 82. Je n’ai jamais porté que des Nike. Ils nous offraient des coffrets de soins tous les deux mois. Des sacs pleins de trucs. Personne n’a plus d’influence que Nike. Pourquoi pensez-vous que tous les gosses portent des Jordan ? »

Piggie a commencé à donner de l’argent à ses meilleurs joueurs – Young, les Rush, Maggette et Andre Williams. Il a ensuite été accusé de leur avoir versé des dessous-de-table, une pratique qui allait par la suite devenir courante chez les meilleurs jeunes espoirs. « Piggie est un individu nuancé, indique Jerome Stanley, un agent qui a enquêté sur lui. Je n’ai jamais vu Myron Piggie essayer de nuire à l’un de ses protégés. Il voulait sincèrement les aider… et en tirer profit. » L’été, Young se consacrait entièrement à l’AAU. Mais pendant l’année scolaire, il était sous les ordres de Ron Allen, l’entraîneur du lycée de Wichita East. Très terre-à-terre, Allen a essayé d’orienter le jeune homme dans la bonne direction. Mais il ne pouvait pas tout faire. « Mon plus grand regret n’est pas d’avoir choisi de ne pas aller à l’université, mais d’avoir quitté le lycée de Wichita, déplore Young. J’y aurais probablement fait une meilleure année de terminale. Tous mes amis étaient là-bas. Et je les ai laissés tomber. »

Allen a tout fait pour empêcher Young de quitter Wichita. Il connaissait son talent depuis qu’il l’avait vu, plus jeune, en train de dominer des élèves de sixième. Il l’avait fait entrer dans l’équipe avec la volonté de développer lentement son jeu. Son plan est tombé à l’eau au moment où son ailier de quatorze ans a quitté le banc lors de son premier match. Young a illuminé le parquet, marquant 27 points éblouissants. Allen a déclaré qu’il se souvenait d’un jeune Charles Barkley, meilleur que ce qu’il aurait dû être, attrapant des rebonds alors que ses adversaires avaient seulement commencé à sauter vers le ballon. Laverne Smith, qui a joué à Wichita East avec Young, a vu de ses propres yeux comment la célébrité l’a changé. Smith était très encadré par son père, un ancien joueur de NFL, et il se demandait parfois à quel point le fait de n’avoir aucune figure paternelle affectait Young. « Korleone était un peu condescendant avec certaines personnes. Il leur parlait avec mépris. Cela dit, c’était quelqu’un de bien, et son attitude était compréhensible. Quand on est jeune et qu’on reçoit toute cette publicité, c’est un peu difficile de garder les pieds sur terre. »

Allen a essayé de faire en sorte que les chevilles de sa star n’enflent pas trop. C’est un entraîneur à l’ancienne. Il avait joué à l’Université de l’Arizona au début des années 1970 et ne voulait pas répondre à Young quand celui-ci devenait irritable. Il l’a régulièrement expulsé de l’entraînement pour lui montrer qui était le patron. « Tu n’es pas dans un bon jour, disait-il. Reviens demain. » Mais Allen n’avait pas prévu la montée en puissance du circuit AAU. Une fois l’été commencé, il a cédé Young à Piggie. En visitant l’équipe de l’AAU un jour avant l’avant-dernière année de Young, Allen a été frappé par l’ampleur du programme – les baskets, l’équipement, la foule. Ses yeux se sont ouverts. Puis plus tard, au cours du même été, Young a disparu du Kansas. Un journaliste de USA Today a téléphoné à Allen en août 1997 et lui a demandé de confirmer que Young avait été transféré à Hargrave, un pensionnat privé de Chatham, en Virginie. La nouvelle a pris Allen de court. Il a téléphoné à Kim, la mère de son joueur. « Coach, Korleone ne vous a rien dit ? »

Allen savait que Young ne voulait pas lui dire qu’il avait décidé de partir. Mais Kim a finalement forcé son fils à lui téléphoner. « Que se passe-t-il ? » a demandé Allen. « C’est simple. Je vais rester ici », a répondu Young. « Pourquoi? » Pas de réponse. « Écoute, si c’est ce que tu veux, si c’est vraiment ta décision, je te soutiendrai, a déclaré Allen. Mais si tu fais ça pour quelqu’un d’autre, ça me pose un problème. On va s’arrêter là et quand tu reviendras à Wichita après l’AAU, je veux que tu viennes me voir. On mangera un hamburger et on discutera de tout ça. »

De retour à Wichita, Young a rencontré Allen et lui a répété qu’il voulait changer de lycée. Il était devenu trop célèbre. Sa décision avait été confortée par un incident très suivi par les médias locaux. Plus tôt cette année-là, Young, quelques joueurs et quelques pom-pom girls avaient introduit de l’alcool dans une chambre d’hôtel, lors d’un déplacement à Topeka. Young a menti sur sa présence, puis a estimé injuste d’avoir été le seul à écoper d’une suspension d’un match. L’incident avait été exagéré au point que les chaînes de télévision étaient venues camper devant la maison de sa mère. Il avait envisagé de fréquenter l’académie Oak Hill en Virginie, mais ensuite, il avait entendu parler de l’excellent effectif de Hargrave ; c’était aussi là que Myron Jr. avait prévu d’aller. Allen l’a supplié de reconsidérer sa décision, en vain. « Je l’aime toujours, a récemment déclaré Allen. Je tiens toujours à lui. C’est quelqu’un de très généreux, qui ferait n’importe quoi pour t’aider. Mais il était trop jeune pour être seul. Et c’est ce qui l’a perdu. »

Young regarde le pasteur Hicks. Tous deux sont très bavards. Ils échangent tout au long de leur conversation. Ils se trouvent des points communs. Hicks a lui aussi grandi sans père ; il lui a fallu beaucoup de temps pour accepter sa douleur, jusqu’au jour où, alors qu’il prêchait pour un groupe d’hommes, il a partagé son mal-être et sa frustration. Il leur a dit que lorsqu’il a assisté aux funérailles de son père, il a jeté un coup d’œil dans le cercueil, a dit qu’il ne connaissait pas l’homme qui s’y trouvait et est sorti. Hicks sait qu’il faut être fort pour surmonter ce genre d’épreuve. Il veut voir cette force en Young. « Si j’essaie de finir… », commence ce dernier.

Hicks le coupe. « Quel âge as-tu? » « Bientôt quarante ans », répond Young (il en a trente-quatre ; on dirait que la vie passe plus vite pour lui). « Combien de temps te reste-t-il à vivre ?  » « Je ne sais pas. À votre avis, pasteur ? » « On ne peut pas le savoir, non ? Je vais te poser une question. Penses-tu que tu rejoueras un jour en NBA ? Tu connais la réponse. » « Non », dit Young, à contrecœur. « C’est fini, n’est-ce pas ? Donc, pour le moment, tu ne dois pas chercher à devenir le prochain All-Star. Tu dois essayer de raconter ton histoire, celle d’un homme à qui Dieu a donné de nombreux dons, qui a beaucoup perdu, à cause de certains événements et de certaines de ses actions. Quand tu es venu dans cette église, tu étais au plus bas. Que vas-tu faire maintenant ? Tu peux continuer à pleurer sur ton sort pendant les prochaines années. Mais cela ne te sauvera pas. »

Hargrave a donné l’occasion à Young de se mettre en valeur. En janvier 1998, il affrontait le lycée St. Patrick et son attaquant vedette Al Harrington au Madison Square Garden, un lieu incontournable pour les amateurs de basket. Les deux joueurs étaient en tête de leur classe d’âge et les meilleurs joueurs de lycée s’affrontaient régulièrement. Harrington a été dominant ce soir-là, compilant 28 points et 7 rebonds. Young a rendu une copie inégale. Il a marqué 14 de ses 20 points en seconde période après qu’un Piggie furieux se fut adressé à l’équipe pendant la pause (comme en AAU, il s’était frayé un chemin dans le cercle restreint de Hargrave et avait gagné la confiance des entraîneurs). Young a perdu le ballon sept fois avant d’être expulsé à deux minutes de la fin alors que le score était à égalité, mais Hargrave a finalement remporté la victoire, 63-59.

Malgré ses performances décevantes, la victoire a renforcé le statut de Young en tant que l’un des futurs meilleurs joueurs de basket-ball universitaire. Mais la transition vers Hargrave n’avait pas été facile. Young faisait souvent ce qu’il voulait à Wichita. Les recruteurs appelaient si souvent que sa mère avait installé une deuxième ligne téléphonique, la première étant utilisée par son fils pour discuter avec des filles. Mais Hargrave mettait un point d’honneur à inculquer la discipline aux adolescents. Le colonel John W. Ripley, un Marine décoré, était le principal de l’école. Young n’était pas autorisé à avoir un téléphone ou une télévision. Il se réveillait tous les matins à 6 heures et se couchait dès 22 heures. Il a passé les premières semaines à pleurer au téléphone avec sa mère chaque fois qu’il pouvait l’appeler.

Pourtant, l’école avait ses avantages. Avec son prestige et son statut d’espoir national, Young pouvait aller à l’université de son choix. Il a failli aller à l’Université du Kansas. Il a failli rejoindre JaRon Rush à UCLA. Finalement, il a stupéfié tout le monde en décidant d’aller en NBA. « Ce qui est dingue, c’est qu’aucun des entraîneurs de Hargrave n’avait jamais envisagé qu’il parte immédiatement en NBA, confie Kevin Keatts, alors assistant à Hargrave et aujourd’hui entraîneur à Louisville. On ne parlait que de l’université, du processus de recrutement, et de l’endroit où il voulait aller. » Mais Young a déclaré que la NBA était son rêve depuis qu’il avait fabriqué ce panier avec une roue de vélo. Il ne voyait que les avantages ; la télévision, l’argent, les femmes. Il savait peu de choses sur la somme de travail à fournir.

Sur les conseils de George Raveling, chargé du développement du basket-ball chez Nike, Piggie a choisi Stanley comme agent pour Young. « J’aurais préféré Arn [Tellem], concède Young. Arn était honnête. Beaucoup de bons agents sont très honnêtes. Mais j’avais grandi à Wichita. Je n’avais [jamais] collaboré avec un Blanc. C’était comme ça. Je ne leur faisais pas confiance. » Allen a rencontré une fois de plus son ancien élève vedette dans un ultime effort pour le pousser vers l’université. « Les gens cherchent à faire de l’argent sur ton dos et à profiter de toi. Je ne suis pas comme ça. Je ne peux pas te supplier de rester, et je ne le ferai pas. Je veux que tu restes parce que tu sais que c’est la bonne décision à prendre. Mais si tu penses honnêtement que c’est ce que tu dois faire, après tout ce que nous avons traversé, alors je respecterai ta décision. »

Young, vêtu de l’uniforme blanc et gris de l’école, a fait son annonce à Hargrave en avril 1998. « J’ai pris [cette décision] après de nombreuses heures de discussion avec ma famille et mes amis, a-t-il déclaré. Je pense sincèrement pouvoir devenir un bon joueur de NBA. » Kim Young a ensuite félicité son fils. « Tu as bien fait, mon bébé, a-t-elle dit. Je suis très fière de toi. » Le même jour, Piggie a discuté avec un journaliste de USA Today. « Il va essuyer beaucoup de critiques, a dit celui-ci. Quand il commencera sa carrière, tout le monde va l’attendre au tournant. » Clarence Gaines Jr., un éclaireur des Bulls qui avait regardé Young jouer pendant son année de terminale, n’était pas impressionné. « Est-ce que j’envisagerais de le prendre ? écrit-il dans son rapport. Pas maintenant. Je n’aime pas son attitude et les lacunes dans son jeu. Si j’étais entraîneur universitaire, je baverais devant son potentiel. S’il suit la voie traditionnelle, il peut devenir intéressant. Mais s’il choisit d’aller en NBA dès maintenant, il pourrait être une grosse déception. »

Mais Young était déterminé et poussé par la figure paternelle qui l’avait suivi en Virginie. « Il voulait passer professionnel, se souvient Stanley. Je lui ai présenté plusieurs options. J’avais rencontré [l’entraîneur de Georgetown] John Thompson, qui m’avait demandé de lui laisser pendant un an. Mais ce n’était pas à moi de prendre cette décision. C’était à Korleone et à [Piggie]. C’était Piggie qui gérait tout. »

Young a organisé une fête à Wichita le soir de la draft. Son père, qui n’avait jusque-là été pour lui qu’un étranger, s’est présenté à l’entrée. Young raconte que Piggie lui a ordonné de partir, en lui disant qu’il n’était là que parce qu’il espérait profiter de son fils. Une vague de choc a secoué Young en voyant son père. La sensation s’est vite évaporée. Il avait attendu ce jour depuis des années. Il ne voulait aucune distraction. Il n’a donc pas insisté pour que son père reste, et il s’est préparé pour la plus longue nuit de sa vie. Il s’attendait à être pris dès le premier tour. Il a attendu. Et attendu. Detroit l’a finalement sélectionné au deuxième tour avec le onzième choix. Il était déçu, certes, mais quand même soulagé. Il a signé un contrat d’un an avec une option pour une deuxième année. Kim Young est restée à Wichita et a conservé son emploi chez Cessna.

Young s’est séparé de Stanley peu de temps après la draft. L’agent avait conclu pour lui un accord de 500 000 $ avec Nike, mais la menace d’une grève planait et Piggie voulait avoir plus. « J’ai refusé, dit Young. J’ai refusé un demi-million de dollars. C’est la vérité. Nike allait me donner un demi-million pour mon année rookie, sans aucun engagement de ma part. » Vaccaro se souvient d’un coup de fil de Piggie, qui lui avait demandé un prix exorbitant pour que Young s’engage avec Adidas. Stanley parti, Carl et Kevin Poston sont devenus les agents de Young. Les deux frères comptaient parmi leurs clients les stars de la NFL Charles Woodson, Orlando Pace et Champ Bailey. « On a engagé des agents plus connus, indique Young. Ça a été la pire décision de ma vie. » « S’il faut jeter la pierre à quelqu’un, ce sont les Poston, approuve Stanley. Ils avaient déjà les mains pleines avec Rashard Lewis. Ils ont fait ça par cupidité. Ils savaient que le gamin avait du travail devant lui. Ils savaient qu’ils ne pourraient pas obtenir mieux que moi avec Nike, mais cela ne les a pas arrêtés. Ils sont allés les voir, lui et Piggie, et ils leur ont menti juste pour qu’ils viennent signer avec leur agence. Ils ont fait plus de mal au jeune que n’importe qui d’autre dans leur entourage à l’époque. »

Young devait encore faire ses preuves sur le terrain. Lorsque la saison écourtée de 1999 a démarré, les Pistons avaient un effectif de qualité avec Joe Dumars, Bison Dele, Jerry Stackhouse et Grant Hill. « Dans les couloirs, je l’écoutais parler, dit Dumars, aujourd’hui président des opérations de basket-ball de Detroit. Il avait du talent, mais on savait que les choses allaient être difficiles pour lui parce qu’il était très jeune. Il ressemblait à un lycéen qu’on avait jeté d’un coup dans le monde de la NBA. » L’encadrement de Detroit – notamment le directeur général de l’époque, Rick Sund – était toutefois intrigué par la taille de Young. La plupart des lycéens qui entraient dans la ligue à cette époque avaient besoin de temps pour que leur corps s’adapte. Avec ses 2,01 m et son corps ciselé, Young était déjà un homme.

« Grant Hill était l’un des meilleurs jeunes joueurs de la NBA à cette époque, et même l’un des meilleurs joueurs de la ligue, confie John Hammond, un assistant des Pistons qui est maintenant le directeur général de Milwaukee. On se disait entre nous, avec ironie mais [aussi] un peu sérieusement, que personne en NBA ne défendait sur Grant Hill aussi bien que Korleone Young. » Ce qui ne voulait pas dire que Young défendait efficacement sur Hill. Personne dans la ligue ne réussissait vraiment à l’arrêter à cette époque. Mais Young parvenait à rivaliser. « La plupart des vétérans ne forçaient pas trop à l’entraînement. Ils faisaient le minimum et reposaient leur corps, raconte Steve Henson, un arrière qui jouait avec les Pistons cette saison-là. Sauf Grant. Korleone avait fort à faire. Il affrontait l’un des meilleurs joueurs de l’époque. J’espérais que Korleone irait dans une autre équipe et parviendrait à s’adapter, mais cela n’est tout simplement pas arrivé. »

Sund décrivait Young comme un pari. Il ne l’aurait jamais pris au premier tour de draft, mais au deuxième tour, le risque étant faible par rapport aux bénéfices. Alvin Gentry, l’entraîneur de Detroit à l’époque, doutait que Young devienne un bon joueur. Il était dominateur dans la raquette au lycée, mais malgré ses qualités physiques, sa taille ne lui permettrait pas de faire de même en NBA. Il aurait besoin de développer son tir extérieur. « Son jeu devait s’améliorer dans beaucoup de domaines, explique Gentry. Il ne maîtrisait pas assez bien le ballon. Il devait faire la transition nécessaire pour passer d’intérieur à ailier. Défensivement, il devait progresser. Il avait énormément de travail. » D’après lui, Young a bénéficié d’une complaisance inhabituelle. « Nous l’avons gardé un an parce que nous avions pitié de lui. Nous ne l’avons gardé dans l’effectif que pour lui rendre service. »

Au fil du temps, le rôle de Young dans l’équipe est devenu flou. Parfois, l’organisation l’envoyait assister à des événements caritatifs pendant que l’équipe s’entraînait. Young commençait à se demander s’il faisait encore partie des Pistons. L’inactivité, l’argent et la vie nocturne ont commencé à le détruire. Il passait d’Auburn Hills aux clubs de strip-tease et aux discothèques du centre-ville de Détroit. Il n’avait que dix-neuf ans, mais Young savait déjà qu’on ne lui reprocherait rien s’il venait avec un coéquipier. Certains joueurs ont veillé sur lui. Young se souvient avec émotion d’avoir passé du temps avec Christian Laettner. Bison Dele, décédé tragiquement en 2002, lui a appris à conduire avec une boîte manuelle. Mais en raison de problèmes de dos, Young a passé la majeure partie de la saison sur la liste des blessés. Lorsqu’il a enfin pu jouer, les vétérans des Pistons lui ont demandé d’entre le premier sur le terrain. Excité, Young s’y est précipité pendant que la foule commençait à applaudir. Puis il a regardé en arrière et a vu quelque chose d’horrible : il était tout seul. Ses coéquipiers attendaient dans le tunnel en riant. Cette blague, dit-il, a été l’un des meilleurs et des pires moments de sa vie.

Young n’a joué que trois matchs cette saison-là. Detroit a refusé de le prendre pour une deuxième année. Il a passé l’automne suivant à essayer de rattraper son retard au camp d’entraînement de Philadelphie (Larry Brown, qui entraînait Philadelphie, est lui aussi diplômé de Hargrave). Un matin, alors qu’il se promenait en ville, deux hommes l’ont frappé par derrière et ont volé son argent et ses bijoux. Les Sixers l’ont coupé avant le début de la saison. Il avait gâché sa chance auprès de deux franchises, mais Young n’avait que vingt ans. Il pensait qu’il avait toujours un avenir en NBA. Et puis Piggie, Young et les joueurs AAU qui avaient accepté de l’argent en cachette se sont fait rattraper. En avril 2000, Piggie a été officiellement accusé d’avoir donné 35 550 $ aux joueurs, dont 14 000 $ à Young. L’argent provenait de Grant, le mécène de l’équipe, et de Nike, qui avait rompu le contrat alors lucratif de Piggie en janvier 1999. « On ne parle pas de 50 $, d’une paire de chaussures et d’un costume, a déclaré l’avocat Stephen L. Hill Jr. Il a payé ces joueurs dans l’espoir de récupérer son argent plus tard. »

L’enquête s’est concentrée sur Piggie, pas sur les joueurs ni sur l’origine de l’argent. « Nous avions l’impression que les joueurs n’étaient que de simples pions utilisés par Piggie pour faciliter son stratagème, a déclaré l’avocat assistant William Meiners. En raison de leur jeunesse et de l’absence d’antécédents criminels, nous pensions que des poursuites ne seraient ni accordées ni justifiées. » C’est de l’intérieur du programme qu’a été dévoilé le pot aux roses. Grant avait résilié le contrat de Piggie avec une indemnité de départ de six mois, après qu’un article dans The Basketball Times eut détaillé ses antécédents criminels (des antécédents que Piggie avait minimisés). Il a également été accusé d’avoir revendu illégalement des Nike qui lui avaient été données gratuitement. Andre Williams, parti à Oklahoma State, a fait part à Grant de son malaise quant aux dessous-de-table qu’il touchait quelques mois plus tard. Grant a interrogé Piggie, qui a tout nié. D’après le Kansas City Star, Grant a dit à Piggie qu’il ne lui donnerait plus le moindre sou, et quand Piggie a de nouveau nié, Grant lui a dit : « Myron, mon pote, on t’a enregistré », ce qui n’a pas plu à l’intéressé. Grant a donné aux autorités l’enregistrement, dans lequel Piggie discutait du montant des dessous-de-table avec Williams. « [Piggie] venait de forcer un millionnaire à le payer », déplore Young.

La plainte évoquait également 76 100 $ que Stanley et les Poston avaient donnés à Piggie. D’après l’acte d’accusation, Stanley lui avait versé 49 400 $. À l’époque, il a qualifié les paiements de prêts n’ayant jamais été remboursés. La plainte indiquait que Raveling, Piggie et Stanley s’étaient rencontrés à Las Vegas en juillet 1997 et avaient discuté des futurs revenus financiers de Young. Quelques jours plus tard, Stanley a donné 20 000 $ à Piggie. Piggie a plaidé coupable à l’accusation de complot, pour avoir escroqué quatre universités et la NCAA en payant des joueurs et en affectant leur éligibilité. Un juge fédéral l’a condamné à 37 mois de prison. « Les jeunes me connaissent et je les connais. Ils savent que je n’ai pas intentionnellement voulu blesser qui que ce soit, a déclaré Piggie le jour de son jugement. Et je suis désolé de la façon dont tout ça s’est passé. »

Aujourd’hui, Piggie a 51 ans et il maintient toujours sa version. Il a refusé de s’épancher sur son passé au téléphone. « Vous avez entendu plein de choses à mon propos, mais personne n’a jamais pris le temps de parler avec moi. Personne ne sait vraiment qui je suis. Les gens ont cru que je n’étais intéressé que par l’argent, mais avant même de penser que Korleone allait devenir pro, il y avait plus que ça. On dirigeait des gamins. L’argent était secondaire. Je voulais aider ces gosses, et essayer de faire s’épanouir un jeune homme qui avait vraiment besoin de conseils, parce qu’il n’avait pas de vraie figure paternelle et qu’il était mon cousin. Quand on m’a mis au courant, ce que j’ai fait, c’est d’essayer de lui donner de bons conseils pour qu’il devienne un homme. »

Même aujourd’hui, le point de vue de Young sur Piggie est contradictoire. Oui, Piggie a essayé de profiter de son talent. Mais il était aussi dans son intérêt que Young réussisse. Piggie ne s’est pas contenté de remettre des sacs remplis d’argent liquide. Il fournissait les 50 $ supplémentaires pour une inscription à un tournoi, ou même pour les crayons dont Young avait besoin pour l’école. Piggie était devenu son soutien, la figure paternelle que Young avait toujours recherchée. « C’était mon consigliere, explique Young. S’il me disait de faire quelque chose, je le faisais. Donc, c’est difficile de lui faire porter le chapeau pour les décisions que j’ai prises. Mais cela dit, quand vous êtes un enfant, il y a beaucoup de personnes qui vous influencent. » Certains considèrent Piggie comme un bouc émissaire commode dans un vaste réseau de corruption. « Piggie a trempé dans le trafic de drogue, c’est sûr, dit Stanley. Beaucoup des membres de l’AUA ne sont pas des enfants de chœur. Beaucoup viennent de la rue et décident ensuite qu’ils veulent aider les jeunes. Ils le veulent vraiment. J’en connais plusieurs en Amérique. »

« Les gens me demandent souvent quand les choses ont mal tourné, confie Young à Hicks. Je dirais après le lock-out, l’été suivant ma première année. J’avais été bon pendant les essais à l’intersaison, puis les Pistons m’ont convoqué et m’ont fait part de la mauvaise nouvelle. » Young était dévasté. C’était son premier échec. « J’étais vraiment dévasté parce que je ne voulais pas partir. Je croyais naïvement que c’était mon équipe. Je n’avais pas l’impression de pouvoir rebondir. Cet été-là, j’étais déprimé. J’avais 300 000 $ [en banque]. C’était plus qu’il ne m’en fallait. Je pouvais faire ce que je voulais. Mais j’étais si triste de ne plus être à Detroit que je suis allé acheter 120 000 $ de bijoux. L’année suivante, à Philadelphie, on me les volés en pleine rue. Je n’avais d’assurance que sur le quart d’entre eux. On m’avait mal conseillé. J’aurais dû les faire assurer. C’était une décision stupide. »

Hicks a arrêté Young : « Korleone, tu viens de dire que tu as commis une erreur en n’assurant pas ces bijoux. C’est vraiment ça, l’erreur ? Ce que tu viens de dire est un exemple parfait de la façon dont agit un enfant, pas un adulte. Il trouve un emploi, gagne mille dollars, et va s’acheter 800 $ de bijoux au lieu de penser à économiser pour payer son loyer. » Young a voulu répondre, mais le pasteur a persisté. « Oublie cette histoire de vol. Quelle leçon peux-tu en tirer pour éviter à un autre de faire la même chose ? » « Il faut être responsable », hasarde Young. « C’est cela. Être responsable, répète Hicks. Tu n’aurais pas dû penser à assurer ces bijoux. Tu n’aurais pas dû les acheter. »

Bien qu’il n’ait jamais été un espoir aussi coté, la chute libre de Young contraste fortement avec Garnett, McGrady et Bryant. Les Poston lui ont dit qu’ils ne représentaient pas les joueurs des ligues mineures et ont mis fin à leur partenariat après son départ de la NBA. Pendant des années, Young a travaillé dur à l’échelon inférieur. Sa première destination fut l’équipe de Rockford Lightning, de la Continental Basketball Association, où il a affiché des moyennes de 18,3 points et 7,3 rebonds sous l’égide de l’ancien Bull Stacey King. Il avait cessé de parler à la plupart des journalistes pendant cette période. « Mon rêve est de rejouer en NBA, a-t-il déclaré au Wichita Eagle dans une rare interview en juin 2001. C’est là qu’est ma place. »

Stacey King jouait un système offensif en Triangle, ce qui a valu à Young une invitation pour jouer en Summer League dans l’équipe des Lakers. Il n’avait encore que vingt-deux ans. « Ce qui est intéressant chez lui, en dehors des qualités qui lui ont permis d’être drafté il y a deux ans, c’est qu’il est encore jeune », a déclaré le directeur général des Lakers Mitch Kupchak au Los Angeles Daily News. Mais Young n’a pas réussi à intégrer l’effectif et il a passé l’automne avec les Canberra Cannons, en NBA australienne. Sa carrière s’est érodée à partir de là. Il s’est rompu le tendon d’Achille lors de son premier match. En janvier, il a eu un accident de voiture à Canberra. Il avait été en boîte de nuit et avait bu. Un ami lui avait proposé de le ramener, lui et son coéquipier Emmanuel D’Cress. « Pas la peine, je maîtrise », avait répondu Young.

Embrumé par l’alcool, Young a conduit comme s’il se trouvait aux États-Unis et non en Australie. Il a pris la mauvaise voie dans un rond-point. Il a évité une autre voiture et est parti dans le fossé avec son Holden. L’airbag s’est déployé et Young a été assommé. La radio jouait un rythme entraînant avant l’accident ; quand Young s’est réveillé, la musique passait au ralenti. Il pense que sa ceinture de sécurité lui a sauvé la vie – il porte encore aujourd’hui la cicatrice qu’elle a laissée sur son cou. Lorsqu’il a repris connaissance, il a peu à peu pris conscience de la situation. Il a regardé D’Cress, toujours assommé. Young prétend qu’il a ensuite porté D’Cress sur près de trois kilomètres jusqu’à son appartement. Puis il a appelé son entraîneur et l’a informé de l’accident. D’Cress avait une fracture des vertèbres cervicales. D’après les médecins, si Young l’avait porté sur une plus grande distance, il n’aurait plus jamais marché.

Après l’accident, les Cannons ont mis fin au contrat de Young et son ​​visa a été annulé. Il a envisagé de prendre sa retraite, puis s’est laissé embarquer dans un cycle autodestructeur. Même s’il y avait encore de l’intérêt pour lui en dehors des États-Unis, il s’est laissé aller. Les essais qu’il effectuait avec des équipes étrangères étaient des vacances payées. De 1999 à 2006, Young a fait des séjours en Australie, en Russie, en Chine et en Israël. Plus il voyageait, plus il s’éloignait de son rêve de retourner en NBA. Il a commencé à se considérer comme une victime. Il a bu, fumé, fait la fête, et il est tombé en dépression, accablé par les erreurs qu’il avait commises. « J’étais tellement stupide. Je vivais à crédit. J’avais un Ford Explorer. J’avais une Corvette. J’avais des mobylettes. J’étais un gosse. J’avais des jouets. J’étais un gosse avec des jouets. »

Young a engagé un conseiller financier pour gérer ses affaires. Mais il se sabordait lui-même. Il disait à la conseillère, une jeune femme, qu’il prévoyait de rendre visite à ses filles à Houston pendant quelques semaines. La conseillère lui donnait l’argent dont il avait besoin pour le voyage, puis Young quittait Houston au bout de quelques jours, rentrait chez lui et gâchait ce qui lui restait en achetant d’autres voitures, en allant dans toujours plus de boîtes de nuit, et en donnant toujours plus d’argent à ses amis et sa famille. Son père lui demandait de l’argent de temps en temps. Young lui donnait ce qu’il pouvait, quand il le pouvait. « [La conseillère] n’arrivait pas à me dire quoi faire, déclare Young. Elle m’écoutait. C’aurait dû être le contraire. J’aurais dû l’écouter. » Le cycle s’est poursuivi jusqu’à ce que plus aucune équipe étrangère ne veuille de Young. De retour à Wichita, la police l’a arrêté pour avoir manqué une audience concernant la pension alimentaire de ses enfants. Young a déclaré qu’il ne pouvait pas se permettre de la payer. C’était il y a quatre ans.

Young expire longuement. « J’ai essayé de me soigner, affirme-t-il. Mais j’étais trop déprimé. Je fais partie de ces athlètes qui n’ont jamais fumé de marijuana avant leur majorité. D’habitude, on expérimente ce genre de choses au lycée. Je n’ai pas essayé avant l’âge adulte. Je buvais un peu de bière, je piquais à ma mère des bouteilles de Colt 45. Les médicaments n’ont fait qu’aggraver les choses. J’ai été imprudent. » Hicks l’écoute attentivement. Il pense que Young peut aider les jeunes qui vivent la même chose que lui. D’après le Wichita Eagle, il y a entre 40 et 50 gangs à Wichita, avec plus de 4 000 membres en tout. Cent-trente jeunes ont participé au camp d’été de Hicks cette année. Vingt-cinq ont dû être expulsés suite à des altercations.

Plus tôt dans la journée, Young a discuté avec une voisine qui avait perdu deux de ses enfants à cause de la violence. Son mari assistait aux funérailles d’un voisin récemment tué. Hicks croit que Wichita, plus que jamais, a besoin de Korleone Young. « Tu n’atteindras jamais le moindre objectif sans commencer quelque part, et en ce moment, tu as un problème pour démarrer. » « Cela me tient vraiment à cœur aujourd’hui, car je ne vis pas dans la même ville que mes enfants, répond Young. Je serai toujours un papa à distance. Leur mère et moi, nous ne vivrons jamais ensemble. Et je ne vivrai jamais à Houston… » « Je dis aux hommes avec qui je parle qu’il y a des choses du passé contre lesquelles nous ne pouvons rien, renchérit Hicks. Mais je pense que chaque homme a la responsabilité de faire partie de la vie de son enfant, qu’il soit marié avec sa mère ou qu’il s’entende ou non avec elle. Ils ont cette responsabilité. Mais si tu ne payes pas de pension alimentaire, ce ne sera pas possible, parce que sa mère ne te laissera pas faire. Tu dois te relever et agir en homme. Trouver un emploi et trouver le moyen de prendre soin de tes enfants. Tu dois faire partie de leur vie. C’est essentiel. Il arrive un moment où il est presque trop tard. Je dis presque parce qu’il y a toujours une opportunité de s’impliquer dans leur vie, qu’ils soient adultes ou non. »

Pendant que que sa vie s’effondrait, Young s’est coupé du monde extérieur. Un drame l’obligea à revenir à la réalité. Le soir du 19 janvier 2011, Young s’est réuni avec sa famille et ses amis pour célébrer le quarante-et-unième anniversaire de son cousin, Deon White. Ils ont joué aux dés, bu et regardé le match entre les Mavericks et les Lakers. Young vivait ce qu’il pensait être une autre soirée tranquille et agréable. Puis on a frappé à la porte et tout a tourné au cauchemar. Terrell Cole et Andre Lovett étaient arrivés pour gâcher la fête. Cole avait été en prison pour une affaire de drogue en 2002, et avait été libéré sur parole en 2006. Après sa libération, il s’est associé à Lovett, un passionné de sport qui avait joué avec Biddy Basketball, à Wichita, quelques années après que Young eut commencé son parcours dans la même ligue. Apparemment, Cole et Lovett avaient entendu dire que les enjeux de la partie de dés étaient élevés. Ils avaient l’intention de cambrioler la maison. Young a ouvert la porte, a vu l’arme à feu dans la main de Cole et s’est enfui par la porte. Cole aurait tiré dans la direction de Young alors qu’il franchissait la porte en courant. La balle a touché Lovett à l’abdomen. Puis tout le monde a fui.

Plus tard dans la soirée, une Chevrolet Uplander bleue a laissé tomber un homme couvert de sang à l’entrée du centre médical Wesley. Lovett, 30 ans, est décédé le lendemain. Les autorités ont interrogé Young en tant que principal témoin dans le procès de Cole. L’accusation a ensuite diffusé une cassette vidéo de l’interrogatoire de Young. « Il s’est précipité, a armé son revolver et je suis parti, a déclaré Young au détective Dan Harty, selon le Wichita Eagle. Tout ce que je peux dire, c’est que c’était un individu afro-américain… Si vous avez [des portraits-robots], je pourrais peut-être être plus précis. » L’attitude de Young a changé lorsque l’agent Stella Boyd a remplacé Harty et son partenaire. Elle était plus proche de lui. « Vous savez que je vis ici, lui a dit Young. Les gens me connaissent. Ils vont se méfier si je parle à la police. »

The Eagle a rapporté que Young, en larmes, a finalement plié une feuille contenant six images jusqu’à ce que la photo de Cole apparaisse, seule. En marge de l’affaire, Cole a été inculpé d’intimidation aggravée de témoin pour avoir tiré un coup de feu dans une maison quatre jours après le meurtre de Lovett. La maison, où Young séjournait souvent, appartenait à la tante de Young. Au tribunal, Young a déclaré qu’il ne connaissait ni Cole ni Lovett et qu’il ne pouvait pas identifier l’un d’eux comme étant l’un des voleurs. Il a ajouté que le pliage lors de son audition ne devait pas être considéré comme une identification positive. « Si vous avez déjà regardé à travers un judas, vous savez à quel point les proportions d’un objet sont défigurées », a déclaré Young à la barre. Il a témoigné qu’il a ouvert la porte et a vu un homme en manteau sombre avec un fusil. « Cela m’a suffi. J’ai été le premier à sortir. » Les autres personnes présentes dans la maison n’ont pas non plus identifié les voleurs potentiels.

Cole, trente-deux ans, a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire en juillet. L’incident et le procès qui a suivi ont pesé sur Young. Il a dit qu’il s’est rendu compte plus tard qu’il connaissait quelques-uns des parents de Lovett et qu’il avait joué au basket avec ses oncles. Il n’aimait pas devoir témoigner. « Je n’étais pas sur le point de commencer une nouvelle vie, mais que puis-je faire maintenant ? Non seulement ils me forcent à balancer, mais ils me font aller au tribunal. Et le plus triste, c’est que je ne peux rien faire. Mais la vie continue. »

Pendant des années, Young s’est senti coupable d’avoir été le premier à sortir. Il peut enfin se promener en ville sans gêne. « J’ai déjà affronté la mort. Si quelqu’un entrait et me mettait [un pistolet] sur la tête, cela ne me ferait rien. Si on me donnait une chance de réfléchir avant de mourir, je pourrais peut-être bluffer. Je dirais au mec de tirer. De devenir célèbre. J’ai vécu ma vie. Je vais ailleurs. Merci. J’espère que j’irai au ciel. Au paradis. Je ne suis pas suicidaire. Je n’ai pas envie de mourir. Mais quand je partirai, je veux que ce soit bien fait. »

« Je pense que tu fuis, avance Hicks. Je veux savoir ce qu’il y a en toi. Où est ta douleur ? Où est ta blessure ? Que ressens-tu ? Comment te sens-tu ? Parce que si tu te sens mal dans ta peau au point de te laisser aller, tu ne pourras aider personne parce que tu n’as pas accepté le fait que ce qui s’est passé est arrivé. Tu dois avancer. Tu ne peux pas changer le passé, mais tu peux décider de ton avenir. C’est ce que je veux te voir faire. « Je veux travailler avec les jeunes, affirme Young. Mais comment ? » « Ton but dans la vie était de devenir un joueur de basket-ball, a répondu Hicks. Maintenant, tu en as un autre. Lequel ? Découvre-le et lance-toi. »

La discussion s’est terminée de manière classique. Young a promis de venir plus souvent. Comme d’habitude, Hicks était dubitatif. « Il dit toujours que le Seigneur a besoin de moi, a déclaré Young par la suite. Il le dit depuis que nous nous sommes rencontrés. Et peut-être qu’Il a besoin de moi. Mais il faudra attendre que je sois vraiment prêt. » Young s’est assis à la table d’un restaurant local. Un client lui demande s’il a été joueur de basket. « Non. J’ai fait du golf », répond-il, le visage impassible.

Quand on l’aborde dans la rue, Young se montre poli. Il connaît sa réputation et, par sa gentillesse, il veut dévier la conversation sur un sujet autre que lui. Après avoir répondu à un coup de fil, Young poursuit son récit. « Les gens ne se rendent pas compte de ce que vit un athlète. On ne t’apprend pas tout ce que c’est. Tu dois en découvrir beaucoup par toi-même. Je suis passé par là. Je ne [connaissais] personne dans le même cas que moi. Celle qui vient de m’appeler – ma mère – je l’aime à en mourir, mais elle vit au jour le jour. Je n’ai jamais travaillé de ma vie. Un jour, j’ai quand même trouvé un travail grâce à mon meilleur ami. J’ai forcé le passage. Ils m’ont demandé mon CV. Je leur ai simplement dit : En fait, je n’en ai pas. Mais si vous voulez bien de moi, j’aimerais beaucoup travailler pour vous. Regardez qui je suis sur Internet. Mon CV, c’est ma carrière de basketteur et ma connaissance de différentes cultures. »

La voix de Young se brise. Il se met à pleurer en parlant de ses trois filles. Même s’il reste évasif, ilrévèle tout de même : « Ce qui me fait vraiment souffrir, c’est d’être un père à distance. Je n’ai rien et je n’ai même pas mes enfants. Je ne serai jamais avec eux, continue Young en serrant son téléphone portable fissuré. Les deux plus grandes ont des iPhones et tout. Je leur paye leurs factures et des trucs comme ça. Tout le monde pense que ce n’est rien. Mais putain, c’est important. Parce que j’ai traversé beaucoup de choses. Tout le monde veut être réconforté de temps en temps. Le succès, c’est bien, mais tout le monde veut savoir qu’on l’accepte. Qu’on l’aime. »

Des larmes coulent sur ses joues. Sa voix se devient dure. « Putain d’argent. Je peux le dire maintenant. À un moment donné, l’argent m’a transformé et m’a rendu heureux. J’ai failli devenir riche… Mais maintenant, c’est du passé. Je ne serai jamais chez moi avant d’être marié. Sérieusement. J’ai toujours vécu dans la maison de ma mère. J’y resterai jusqu’à ce qu’elle meure. Le plus tard possible, j’espère. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de choses. Ma mère est l’une d’entre elles. Si je ne l’avais pas, je serais mort, c’est sûr. Dans un cercueil. Mort. Nous n’avons plus que nous deux. C’est tout ce dont j’ai besoin maintenant. »

« Si je ne réussis jamais dans quoi que ce soit d’autre – je l’ai dit à mes amis – assurez-vous que les gens sachent que j’ai été quelqu’un de bien. Si je meurs, j’espère qu’on ne dira pas trop de mauvaises choses à mon sujet. Mes amis détestent quand je parle comme ça. Ils croient que je vais rebondir. Quelquefois, je n’ai plus goût à rien. Quand je regarde ma mère, je suis prêt à tout laisser tomber. Je ne suis pas assez fort. Je fais du mal à tout le monde. Je ne peux même pas lui offrir un soutien financier. Si j’étais mort, la vie serait plus facile. Une personne de moins dont elle doit s’occuper. Vous imaginez ? Un athlète professionnel qui a besoin que sa mère s’occupe de [lui]. On survit avec l’allocation pour adultes handicapés. » Le lendemain, Kim a sangloté en parlant de son fils. « On se dispute tellement que c’en est pathétique. Parfois, j’ai l’impression qu’il me déteste. C’est comme s’il ne voulait pas de moi comme mère. »

En février, après un match entre les Milwaukee Bucks et le Orlando Magic, Al Harrington a repensé à son affrontement contre Korleone Young au lycée. « C’était un bon match. Nous avions perdu. Mais c’était un match très excitant parce qu’il était juste derrière moi [dans le classement des meilleurs joueurs], deuxième ou troisième, je ne sais plus. Je pense que j’ai mieux joué. Mais son équipe a gagné. » Harrington a joué quinze saisons en NBA – une pour chaque minute de la carrière de Young. « Je me pose toujours des questions à son sujet, s’inquiète Harrington. Je n’ai plus entendu parler de lui depuis des années. Qu’est-il devenu ? »

Voilà une question qui revient souvent chez les joueurs et le personnel de la NBA qui se souviennent de l’adolescent talentueux et sculptural. « C’est vraiment triste, confie Gentry, aujourd’hui assistant des Clippers. C’était l’archétype du jeune joueur d’aujourd’hui, qui va à l’université pendant un an avant de passer pro. Je pense que ces joueurs devraient y rester au moins deux ans… Korleone était un de ces jeunes qui, s’il était allé à l’université rien qu’un an, aurait pu avoir une carrière décente. Mais il avait tellement de lacunes dans la plupart des domaines qu’il n’était tout simplement pas prêt. Il n’était pas prêt pour cette ligue. »

Stanley, l’agent de Young, n’avait pas non plus de ses nouvelles depuis des années. « La ligue ne sélectionne pas de joueurs prêts pour la NBA, a-t-il déclaré. Les équipes les développent. Ce qu’ils recherchent, ce sont des joueurs prêts à travailler, qui en montrent assez pour voir à quoi peut ressembler le résultat final. » Young avait tout, sauf la volonté de grandir. « Je me fiche de ce que disent les gens. Si Korleone avait eu un père présent pour lui et la maturité nécessaire, il aurait pu jouer au basket pendant quatorze ou quinze ans. Aucun doute là-dessus. Même avec le recul, je suis prêt à parier tout ce que je possède. »

Piggie pense que la carrière de Young se serait épanouie s’il était resté à ses côtés. « Après ce qui s’est passé, tout le monde m’a laissé tomber. À cause des mensonges que les journaux avaient écrit. Ils ne voulaient plus rien avoir à faire avec moi. Ils avaient peur. Et ils l’ont laissé tout seul, sans personne à ses côtés. C’est vraiment dommage, indique Piggie en parlant de la carrière tronquée de Young en NBA. Si j’avais su alors ce que je sais maintenant, il ne serait jamais, jamais allé jusqu’au [deuxième] tour de draft. Il serait allé à l’université. Je dirai ceci : les gens qui occupaient des postes plus importants que moi l’ont très mal guidé. »

Taylor, le deuxième entraîneur de Young en AUA, se souvient avoir dû le pousser. « En y repensant, je ne sais pas s’il aimait le basket tant que ça. Je lui ai donné tout ce qu’il fallait pour réussir, et je n’ai jamais compris pourquoi il n’en a pas profité. Je me suis disputé avec lui comme dans une relation père-fils, quand on veut que son fils fasse quelque chose et que lui ne veut pas. »

La vie continue pour Al Harrington, pour Gentry, pour Stanley et pour les autres. La vie de Young est suspendue dans le temps, un ruban de Möbius rempli d’hypothèses. Et si son père avait assumé son rôle ? Et s’il n’avait jamais quitté Wichita East ? Et s’il était allé à l’université ? Et s’il s’était vraiment consacré au jeu ? Et s’il avait su ce qui l’attendait en NBA ? Et s’il avait été responsable plus tôt ?

Où est Korleone Young maintenant ? Là où il a commencé, essayant toujours de faire quelque chose de sa vie. « J’aime être loin des gens, conclut Young. Je ne voulais pas répondre à beaucoup des questions auxquelles je devais faire face. Je me referme sur moi-même, comme une huître… Je me suis fait beaucoup de mal en fuyant, en me cachant. Je suis toujours aux prises avec ma dépression. Je n’arrive tout simplement pas à remonter la pente. »

Le Top 10 des scandales d’arbitrage en NBA

Regrets

Attention : ce top 10 ne prend pas en compte les actions contestables qui auraient pu à elles seules changer le cours d’un match. Ce top 10 se concentre les séries de matchs mal arbitrées dans leur ensemble, et qui ont clairement favorisé une équipe. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, celles-ci ne sont pas si nombreuses (si on sait faire preuve d’objectivité). Pour réfuter toute théorie du complot, on s’appuiera sur des faits clairs, qui amènent à penser que les matchs de la série ont été au mieux suspicieux, au pire arrangés. Et comme toute accusation mérite d’être défendue, on s’efforcera de trouver des arguments pour infirmer ce qui est soulevé.

*****

Hors-série :

Curieusement, il y avait très peu de litiges concernant l’arbitrage avant l’arrivée de David Stern au poste de commissionnaire. En 1978, la ligue avait l’occasion d’assister à une spectaculaire finale entre les Sixers et les Nuggets (David Thompson contre Erving), et en 1979, à une finale plus qu’intéressante entre les Spurs et les Suns (Davis et Westphal contre Gervin). Les quatre matchs de play-offs les plus importants étaient les suivants : Denver-Seattle, 1978 (à 2 victoires partout), Washington-Philadelphie, 1978 (à 3-2 pour les Bullets), Phoenix-Seattle, 1979 (à 3-2 pour Phoenix) et San Antonio-Washington, 1979 (à 3-2 pour les Spurs). Devinez quoi ? Les équipes les moins intéressantes ont gagné ces quatre matchs. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ça n’arrive plus du tout maintenant.


Bryant_Game7_2010

10. Los Angeles Lakers – Boston Celtics (Finales NBA 2008) / Boston Celtics – Los Angeles Lakers (Finales NBA 2010)

La partie civile : Dans ces deux finales opposant les mêmes équipes, on peut déceler des choses très curieuses. En 2008, lors du Match 2, les Lakers ont tiré dix lancers francs ; les Celtics en ont tiré trente-huit. Si on peut pardonner les arbitres sur certaines fautes, lorsqu’une équipe tire vingt-huit lancers francs de plus qu’une autre, c’est qu’il y a un problème quelque part. Et en 2010, lors du Match 7 décisif, Kobe Bryant, en grosse difficulté au tir, s’est rué vers le panier pour obtenir des fautes. Il les a toutes obtenues et a tiré quinze lancers francs ; l’ensemble des joueurs des Celtics en ont tiré dix-sept. Comme Bryant avait plus d’aura que toute l’équipe adverse, on peut croire que la ligue avait tout intérêt de la ligue à ce que les Lakers gagnent (surtout que Bryant n’avait encore jamais battu les Celtics en play-offs).

La défense : Tout cela reste quand même pure spéculation. En 2008, la ligue avait plutôt intérêt à ce que les Lakers gagnent le Match 2 (ils étaient menés 1-0) ; et en 2010, la blessure de Kendrick Perkins a permis à Bryant de pénétrer dans la raquette plus facilement, ce qui explique le nombre élevé de lancers francs qu’il a obtenus. En fin de compte, on ne peut pas vraiment dire que l’une des deux équipes a été favorisée : les arbitres ont simplement été mauvais. Ce sont des choses qui arrivent.


James_2014_Pacers

9. Miami Heat – Indiana Pacers (Finales de Conférence Est 2014)

La partie civile : Rien de scandaleux dans cette série… du moins jusqu’au Match 5. Le Heat menait 3 victoires à 1 et tout laissait penser qu’ils allaient se qualifier sans trop de problèmes. Mais Paul George a alors râlé en reprochant aux arbitres de siffler trop de fautes en faveur du Heat. Du coup, lors du Match 5, le meilleur joueur de Miami (LeBron James) s’est fait surveiller étroitement et n’a pas arrêté d’être sanctionné pour des fautes mineures, voire inexistantes. Il s’est fait siffler sa cinquième faute à vingt minutes de la fin, a dû limiter le reste de son temps de jeu et les Pacers ont gagné 93-90. Il faut croire que la ligue voulait un Match 7, ou au moins un Match 6. Et ce n’était pas le seul problème cette année-là : DeAndre Jordan et Chris Paul se sont eux aussi fait siffler des fautes complètement ridicules lors de la série contre le Thunder.

La défense : Bien que l’attitude de James en match à cette période était contestable (comme on le verra plus tard), il est clair que les arbitres se sont laissés influencer par les propos de George. Mais il avait parlé sous le coup de la frustration. Si Miami obtenait plus de fautes que les Pacers, c’était parce que leurs joueurs attaquaient le panier deux ou trois fois plus, ce qui expliquait la différence à ce niveau. Ceci dit, tout cela n’a pas porté tant que ça préjudice à Miami, qui a fini le boulot au Match 6. Disons qu’il s’agissait simplement d’un match mal arbitré.


O'NealVSBlazers

8. Portland Trail Blazers – Los Angeles Lakers (2000)

La partie civile : Cette série a été incroyable de bout en bout. Personne n’aurait misé un centime sur les Blazers contre des Lakers au sommet de leur art, qui comptaient dans leurs rangs les deux plus grandes stars de la NBA (O’Neal et Bryant). Après le quatrième match, les Lakers menaient 3-1 ; mais ils ont perdu les deux matchs suivants, et la victoire de Portland est devenue crédible. C’est là que l’arbitrage s’en est mêlé. Au Match 7, les Lakers ont tiré trente-sept lancers francs contre seulement seize pour les Lakers. Deux des trois meilleurs joueurs de Portland (Scottie Pippen et Arvydas Sabonis) ont été exclus pour six fautes, alors que leur rôle était primordial car ils avaient pour mission de couvrir Kobe et Shaq. Il est déjà assez suspect de voir une équipe tirer vingt-et-un lancers francs de plus que l’autre, mais quand douze de ces fautes se font au détriment des joueurs chargés de défendre sur les deux meilleurs adversaires, c’est vraiment plus que douteux (d’autant plus que Pippen a une moyenne en carrière inférieure à trois fautes par match). Avec Sabonis hors-jeu, les Blazers ont collé sur un O’Neal à son apogée le pauvre Brian Grant, un ailier fort de 2,06 m. Et ils ont perdu le match.

La défense : Même si les Blazers étaient défavorablement jugés par les arbitres, on ne va quand même pas pleurer sur leur sort. Ils avaient réussi à avoir quinze points d’avance au quatrième quart-temps et ils ont tout gâché. Ils ont raté quelques tirs, se sont crispés et l’entraîneur Mike Dunleavy a fait n’importe quoi avec un coaching totalement illogique. Aussi mauvais qu’aient été soient les arbitres, les Blazers se sont plantés. Ils ne méritaient ni de se qualifier, ni de remporter le titre. Point.


Yao

7. Houston Rockets – Dallas Mavericks (Finales de Conférence Ouest 2005)

La partie civile : Déjà suspicieux, ce match l’a été encore plus après les allégations de l’arbitre véreux Tim Donaghy, reconnu coupable d’avoir arrangé des matchs. Dallas a perdu les deux premiers matchs en accusant Yao Ming, le pivot vedette de Houston, de faire des écrans illégaux. Au troisième match, les arbitres ont commencé à siffler davantage de fautes contre Yao, limitant son temps de jeu. Et Dallas a remporté la série 4-3. D’après Donaghy, un arbitre aurait confié à l’entraîneur des Rockets, Jeff Van Gundy, qu’ils avaient reçu l’instruction d’être plus sévères contre Yao. Van Gundy a été condamné à une amende de 100 000 $ pour avoir évoqué publiquement la conversation présumée.

La défense : Le problème dans le cas présent, c’est que tout repose sur des « on-dit ». Et on peut se demander quel crédit apporter à un homme comme Tim Donaghy. Même si certaines des fautes commises par Yao n’auraient sans doute pas dû être sifflées, mettons un point d’interrogation là-dessus.


Suns_Sonics

6. Phoenix Suns – Seattle Supersonics (Finales de Conférence Ouest 1993)

La partie civile : Il n’y a pas grand-chose à dire sur la série en elle-même. Pour le septième match, en revanche, c’est une autre histoire. Les Suns l’ont emporté 123 à 110, ce qui laisse penser que leur victoire ne souffre d’aucune contestation. Sauf que les Suns ont tiré un total de… soixante-quatre lancers-francs, contre trente-six à peine pour les Sonics. Certaines équipes n’arrivaient même pas à marquer soixante-quatre points en un seul match à l’époque. Les joueurs de Seattle ont commis trente-huit fautes personnelles et trois joueurs ont été expulsés ; Phoenix a commis vingt-sept fautes et n’a eu aucun expulsé. Comme Barkley et Jordan étaient les deux stars incontestées de la NBA, on peut penser que la ligue a donné un coup de pouce à son équipe parce qu’elle voulait voir une finale entre les Suns et les Bulls.

La défense : D’accord, les Suns ont tenté vingt-huit lancers de plus que les Sonics, mais le match était très fermé et on ne peut pas vraiment dire que toutes les fautes étaient contestables. Bien sûr, les soupçons concernant Barkley et Jordan sont légitimes. Mais ça ne constitue pas une preuve. Encore une fois, on peut accorder à la ligue le bénéfice du doute.


BucksSixers2001

5. Milwaukee Bucks – Philadelphia 76ers (Finale de Conférence Est 2001)

La partie civile : La controverse a été lancée par Ray Allen avant le Match 6 de cette série. Il a déclaré que la NBA préférerait voir les 76ers affronter les Lakers en finale plutôt que les Bucks. Les Bucks se sont plaints de l’arbitrage après le Match 4, lorsqu’ils ont estimé que Glenn Robinson avait été victime d’une faute non sifflée à un instant décisif du quatrième quart-temps, permettant aux 76ers de sceller la partie. Dans le cinquième match, une faute technique de Sam Cassell et des fautes flagrantes de Robinson et Tim Thomas se sont soldées par une possession de cinq points et deux possessions de quatre points pour Philadelphie. Les Bucks ont perdu sur le fil, 89-88. Mais en dehors de la nature discutable de ces appels, les Bucks se sont également plaints de plusieurs autres coups de sifflets (des fautes sur Cassell et Ervin Johnson en début de match et un écran mobile sur Jason Caffey à la fin du quatrième quart-temps). Cassell avait commencé à protester dès le premier quart-temps, quand Allen Iverson l’avait frappé violemment au bras sur une feinte. Aucune faute n’a été sifflée, même si l’action avait eu lieu juste devant l’arbitre Ronnie Nunn. Les 76ers se sont qualifiés pour la finale et les Bucks sont restés sur le carreau.

La défense : Voilà la première série de matchs de ce top 10 difficilement défendable. Les Bucks font sans doute preuve d’un peu de mauvaise foi, même s’ils ont admis avec lucidité après le Match 5 que leurs trois erreurs leur avaient coûté le match. Mais en revoyant la série, on se rend quand même bien compte que toutes les décisions semblent en leur défaveur. Comme l’a dit Ray Allen : « Neuf fois sur dix, les arbitres n’ont aucun parti pris. Mais pour tout le monde, Philadelphie et le MVP doivent aller en finale. »


KnicksHeat2012

4. New York Knicks – Miami Heat (premier tour des play-offs 2012)

La partie civile : Le premier match de cette série est le pire match arbitré de l’histoire récente de la NBA. En première mi-temps, les Knicks ont tiré huit lancers francs, et le Heat… vingt-cinq ! Pire encore, les Knicks se sont fait siffler huit passages en force. En d’autres termes, ils sont allés sur la ligne à peu près aussi souvent que LeBron James a floppé. Ses simulations étaient si flagrantes que plusieurs joueurs de la NBA ont fait part de leur colère sur Twitter. Klay Thompson a déclaré qu’il « ne respecterait jamais les floppeurs ». Patrick Patterson s’est demandé : « Quel genre de ligue sportive sommes-nous en train de devenir ? » Des journalistes de premier plan ont dit qu’ils « ne regardent pas les matchs truqués ». Même Jeff Van Gundy était stupéfait. Il est rare qu’un commentateur critique l’arbitrage en plein match, mais il n’a pas pu se contenir : « Je vais laisser les images parler. Personne ne peut tomber de cette manière-là. »

La défense : La seule chose qui atténue le scandale, c’est que les Knicks n’avaient aucune réelle chance de se qualifier, même dans des circonstances équitables. Mais quand même ! Ils avaient tellement peur de jouer physique au milieu du deuxième quart-temps du Match 1 que les membres du Heat ont obtenu tous les coups de sifflet qu’ils voulaient. Les arbitres ont été horribles, mais LeBron James est au moins aussi responsable qu’eux, car tout est arrivé par la faute de ses flops ridicules. La ligue a d’ailleurs dû réagir par la suite et ils l’ont plutôt bien fait. Aujourd’hui, les flops sont jugés plus sévèrement (et ce n’est que justice).


Spurs-Suns-2007

3. San Antonio Spurs – Phoenix Suns (Demi-finales de Conférence Ouest 2007)

La partie civile : Cette série a été gâchée par un ensemble de mauvaises décisions. Encore une fois, à la baguette, on retrouve l’inénarrable Tim Donaghy. Dans le Match 3, Donaghy, qui était au milieu du terrain, a sifflé une faute contre les Suns deux secondes après la fin d’une action sous le panier, alors que l’arbitre situé à quelques centimètres des joueurs n’avait rien dit. Amar’e Stoudemire a également passé toute la deuxième mi-temps avec un problème de fautes, après un flop qui a abouti à sa quatrième faute une minute seulement après le début du troisième quart-temps. Au quatrième match, Robert Horry a balancé Steve Nash sur la table de marque alors que la victoire des Suns était acquise, et Stoudemire et Diaw ont été suspendus. Pourquoi ? Parce qu’ils s’étaient levés du banc. Ils ne se sont pas allés se battre avec Horry : ils se sont juste levés du banc. Techniquement, la suspension était conforme aux règles. Mais c’est complètement stupide : si l’un de vos amis se fait frapper dans un bar, croyez-vous que la police vous arrêterait simplement pour avoir marché vers l’agresseur ? Bien sûr que non. Parce qu’il n’y a rien de mal à être en colère quand quelqu’un s’en prend à votre ami ou votre coéquipier. Ce qu’a fait Horry n’avait aucune classe. Il a directement provoqué la suspension de deux des meilleurs joueurs des Suns, et a permis aux Spurs de remporter la série.

La défense : Cette fois, on entre dans du lourd. Le fait que la NBA laisse une faute technique changer le sort d’un championnat est tout simplement indéfendable. Dans le cinquième match des demi-finales de la Conférence Est 1997, opposant Miami et les New York Knicks, Charlie Ward et P.J. Brown se sont battus et Patrick Ewing, Allan Houston et Larry Johnson ont été suspendus alors qu’ils étaient totalement étrangers à leur altercation. Mais la NBA n’avait jamais fait face à une telle situation auparavant, et l’incident n’a guère changé le cours de l’histoire car les Bulls étaient imbattables en 1997. Toutefois, ce qui s’est passé dix ans plus tard est totalement inexcusable. Les Suns avaient toutes les chances de remporter le titre. Ils avaient l’avantage du terrain. Ils venaient d’égaliser. Kurt Thomas avait réussi à contenir (à peu près) Tim Duncan. Et sans Stoudemire et Diaw, Phoenix a presque battu les Spurs dans le cinquième match. Avec ces deux joueurs, les Suns auraient certainement gagné la série. En Finale de Conférence, ils auraient affronté une médiocre équipe du Jazz, et une équipe des Cavs limitée en finale. On se souviendra différemment des carrières de Steve Nash et de Stoudemire à cause de ce match.


MIADAL2006

2. Miami Heat – Dallas Mavericks (Finales NBA 2006)

La partie civile : Cette série est l’une des plus grosses farces de l’histoire de la NBA. Dallas a remporté les deux premiers matchs de la finale, avait une avance de treize points dans les six dernières minutes du Match 3 à Miami… et là, tout s’est effondré. Wade a obtenu tous les coups de sifflet qu’il recherchait et a fait remonter Miami pour emporter la victoire. Les Mavericks ont été horribles dans le Match 4, puis se sont repris dans le Match 5 avant de se faire entuber par un arbitrage encore plus douteux, avec des décisions incompréhensibles. Wade a tenté autant de lancers francs (vingt-cinq) que l’ensemble de l’équipe de Dallas et a marqué les points gagnants sur la ligne des lancers-francs, après une course vers le panier à l’aveuglette et un coup de coude à peine perceptible de Nowitzki à douze mètres du panier, qui a été sifflé par Bennett Salvatore. Miami l’a emporté en six matchs ; en tout, Wade a tenté le nombre incroyable de quatre-vingt-dix-sept lancers francs. L’effet combiné de cette finale désastreuse et le scandale Tim Donaghy a poussé les pouvoirs en place à se rendre enfin compte que les arbitres avaient un peu trop de pouvoir. Aucune équipe dépendait des arbitres autant que le Heat. Les arbitres sifflaient tous les contacts sur Shaquille O’Neal et protégeaient Wade chaque fois qu’il allait vers le panier. Quand ils sifflaient correctement, Miami était plus que battable ; si les arbitres oubliaient des fautes, ils ne valaient plus rien.

La défense : Ce qui s’est passé ici est une histoire de circonstances. La NBA était aux prises avec une grosse crise d’identité en matière de style de jeu. Les règles avaient été changées pour limiter l’usage des mains en défense, et accélérer le jeu afin que plus de points soient marqués. Certaines équipes avaient assimilé tout cela : elles attaquaient le panier, remontaient rapidement la balle et pensaient à la ressortir ; d’autres continuaient ce qui avait marché entre 1994 et 2005 : un rythme ralenti, une défense de fer et une attaque qui tournait autour d’un seul homme. Miami et Dallas représentaient les façons de penser de la vieille école et la nouvelle école. Personne ne voulait regarder une équipe aussi prévisible offensivement que Miami. Personne ne voulait voir un joueur prendre tous les tirs dans les moments importants pendant que tout le monde le regardait faire. Personne ne voulait voir une équipe jouer entièrement la possession et marcher sur le terrain. Personne ne voulait que les arbitres décident le sort des matchs d’après leurs interprétations de « la superstar qui fonçait vers le panier et essayait d’obtenir une faute ». Mais c’est ce qu’ils ont fait et le résultat a été catastrophique. Cela dit, en fin de compte, Miami méritait quand même de gagner pour avoir été une équipe plus solide et plus expérimentée. Dallas a baissé le pied dans la dernière ligne droite ; Miami est resté calme. Dallas n’a pas arrêté de gémir pendant deux semaines d’affilée ; Miami ne s’est jamais plaint. Avery Johnson angoissait sur son banc ; Pat Riley avait toujours l’air de se préparer à déboucher une bouteille de champagne. Même le langage corporel des deux superstars était différent : Wade était frais et lucide, mais Nowitzki fronçait constamment les sourcils, arrachait son protège-dents et n’arrêtait pas de se plaindre. Il a été mauvais dans toute la série. Et ses coéquipiers ont implosé avec lui. Il s’est quand même vengé cinq ans plus tard, et on en est très heureux pour lui.


KingsLakers2002

1. Los Angeles Lakers – Sacramento Kings (Finales de Conférence Ouest 2002)

La partie civile : On ne va pas s’étendre là-dessus : tout a déjà été dit dans la série d’articles consacrée au sujet. Les Kings étaient les meilleurs. Ils étaient plus motivés. Ils avaient plus de profondeur. Chris Webber jouait aussi bien que Shaq. La dynastie des Lakers aurait dû s’arrêter là. Sans la parodie connue sous le nom de Match 6, les Kings auraient remporté cette série. Et par la suite, l’arbitre Tim Donaghy a affirmé plusieurs fois que ce match avait été truqué.

La défense : Contrairement à ce que prétend Phil Jackson, ce qui s’est passé dans cette série est bien plus scandaleux que les événements de 2006 entre Dallas et Miami. Il n’y a aucune circonstance atténuante. Aucune. Les Lakers étaient une équipe de superstars avec un gros marché qui comptait dans ses rangs Kobe et Shaq ; une finale entre deux les Kings et les Nets aurait été un désastre financier. L’infamie du Match 6 est tout simplement trop grave pour être ignorée. Les Sacramento Kings auraient dû remporter le titre en 2002. Il n’y a rien d’autre à dire.

Bobby Phills, après l’accident

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Crédits : HADI ALAEDDIN

Les amis, les équipiers et la famille de Bobby Phills reviennent sur la carrière, l’héritage et la mort tragique de l’arrière des Charlotte Hornets

par Jonathan Abrams, le 31 Mars 2015

*****

Le petit garçon hésite. Sa mère le pousse légèrement du coude. « Dis à tout le monde où est papa », souffle Kendall Phills à son fils de trois ans. « Papa est au ciel, avec les anges », déclare le petit Bobby Phills aux centaines de personnes endeuillées dans la Central Church of God de Charlotte. Puis il retourne dans la foule et embrasse Kerstie, sa petite sœur d’un an.

Toute l’église a les yeux humides. David Jovanovic, le responsable de l’équipement des Charlotte Hornets, place le maillot de Bobby Phills dans son cercueil de bronze. « Il était parti jouer au basket avec les anges, a récemment confié Jovanovic. Même au paradis, il resterait un membre de notre équipe. C’était l’un d’entre nous. Il partait pour un monde meilleur. » C’est ainsi, il y a plus de quinze ans, que la NBA pleurait la mort de Bobby Phills, qui avait commencé sa carrière avec un contrat de dix jours et était monté si haut que Michael Jordan l’avait un jour cité parmi les meilleurs défenseurs qu’il ait jamais affrontés.

Les proches de Bobby Phills avaient toujours des anecdotes sur son altruisme. Il avait arrêté sa voiture à une intersection pour porter secours à un motard dont les vêtements étaient en flammes après une collision avec un camion. Il signait des autographes jusqu’à avoir mal au poignet. Il dirigeait des camps de basket-ball et participait à des actions caritatives dans la région de Charlotte. Si vous aviez cinq minutes à perdre pour lui, il en avait dix pour vous. « Pour nous, Bobby Phills était un fils, un frère, un mari et un père, raconte Ben Jobe, l’entraîneur de Phills à la Southern University et au A&M College. Il avait tout. » Le Phills qui reste dans la mémoire de ses amis et de sa famille ressemble parfois davantage à un mythe qu’à un homme. « Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers, affirme Chucky Brown, qui avait joué avec Phills aux Hornets. Parfois, les gens ne croient pas que de telles personnes existent. C’est difficile à croire. Mais Bobby était comme ça. »

Le matin du 12 janvier 2000, les Hornets venaient de terminer une séance d’entraînement. Phills s’est entretenu avec son entraîneur, Paul Silas, avant de prendre le volant de sa Porsche 993 Cabriolet 1997. La voiture noire portait une plaque sur laquelle était inscrit « SLAM’N ». « C’était la voiture de ses rêves, se souvient le jeune frère de Phills, Dwayne. C’était la seule voiture qu’il avait toujours désiré. » Phills a retrouvé son coéquipier David Wesley, lui aussi au volant d’une Porsche, à un kilomètre à peine du Charlotte Coliseum. Les deux joueurs sont partis vers l’est sur West Tyvola Road, à une vitesse que les autorités estimeraient plus tard à 160 km/h. Phills a perdu le contrôle de sa voiture dans un virage vallonné. Le véhicule a dérapé sur plusieurs centaines de mètres et s’est engagé sur la voie inverse, où une voiture l’a percuté de plein fouet. Phills est mort sur le coup. « Je raconte souvent à quel point Bobby était intelligent, dit son père, Bobby Phills Sr. C’était un bon élève et un grand sportif. Mais malgré tout ce qu’il avait pour lui, il a commis une erreur stupide et cela lui a coûté la vie. » Ce moment – cette erreur – a mis un terme à l’existence de Phills, décédé à l’âge de trente ans. Elle a également changé la vie de nombreuses autres personnes, encore touchées par la tragédie des années plus tard.

Bobby Phills était devenu tout ce que son entraîneur à l’Université de Southern, Ben Jobe, avait espéré. Pourtant, Phills n’avait rejoint l’équipe que parce que Jobe avait échoué à transférer l’un de ses coéquipiers. Jobe considérait Phills comme un joueur de banc, dont les bons résultats scolaires pouvaient augmenter la moyenne cumulative dont l’équipe avait besoin. « Je donnais parfois des bourses aux étudiants en sachant pertinemment qu’ils n’allaient pas jouer, explique Jobe, aujourd’hui âgé de 82 ans. Mais j’en avais besoin à cause de leurs notes. Quand le doyen me demandait la moyenne de l’équipe, je voulais être bien vu. » Phills a surpris Jobe en le prenant à part après sa première saison, et en déclarant qu’il voulait gagner sa place dans la rotation. Jobe lui a rappelé qu’il lui avait dit vouloir être médecin, pas basketteur : « Si tu veux devenir docteur, profite de ta bourse. Tu n’as pas besoin de jouer. »

Mais Phills a insisté. Jobe a donc reconstruit sa mécanique de tir, en l’exhortant à garder son coude droit sous le ballon, avant de lui ordonner : « Maintenant, tu vas faire mille tirs tous les jours. Familiarise-toi avec le ballon. Le tir est ce qu’il y a de plus simple à réussir. Je sais que tout le monde ne le pense pas, mais c’est facile. Il n’y a que toi et le panier. » Jobe a ensuite demandé à Phills de s’asseoir : avant de l’envoyer sur le terrain, il avait encore une leçon à lui donner. Il a attrapé une serviette et l’a utilisée pour bander les yeux de son joueur. « Maintenant, enlève tes chaussures et tes chaussettes, [puis] remets-les. » Phills s’est exécuté. « Tu sais pourquoi tu as réussi sans voir ni tes pieds, ni tes chaussures ? C’est parce que tu mets tes chaussures et tes chaussettes depuis l’âge de 6 ou 7 ans. Pour le tir, c’est pareil. »

Jobe a dit à Phills qu’il ne vérifierait pas s’il faisait bien ses mille tirs quotidiens, mais qu’il serait en mesure de dire s’il l’avait fait avant la reprise des entraînements à l’automne. Bientôt, Jobe remarqua des feuilles glissées sous la porte de son bureau : Phills avait commencé à dresser un tableau de ses réussites et de ses échecs. Un jour, Jobe est entré dans le gymnase pour trouver le jeune frère de Phills en train de lui renvoyer la balle. Jobe a demandé à Phills de s’exercer tout seul. Phills a accepté, et quelques semaines plus tard, il est venu voir son entraîneur. « Je sais pourquoi vous ne vouliez pas qu’on me renvoie le ballon. » « Vraiment ? » a demandé Jobe. « Oui, je m’applique davantage, parce que je ne veux pas aller chercher le ballon dans les gradins. »

Phills est entré dans le cinq de départ et lors de sa dernière année, il était le meilleur tireur à trois points du pays avec une moyenne de 4,4 tirs marqués par match. Cette saison-là, il a marqué 52 points contre Alcorn State, dont dix tirs à trois points, dans un match auquel assistaient plusieurs scouts de NBA. « Les agents ont commencé à se ruer sur lui, se souvient Jobe. J’ai essayé d’éloigner tous ces charognards. Il avait déjà décidé ce qu’il voulait faire dans la vie. Il fallait le laisser tranquille. » Phills avait obtenu une moyenne de 13 à ses examens et un diplôme en sciences animales. « Il avait déjà été admis à l’école vétérinaire, mais quelqu’un l’a convaincu qu’il pouvait gagner de l’argent [en jouant au basket-ball], explique Jobe. C’est l’appât du gain qui l’a attiré. J’aurais aimé qu’il soit aussi idéaliste que je le pensais. »

Jobe était persuadé que Phills réussirait en NBA dès qu’on lui aurait accordé une opportunité. Les Milwaukee Bucks l’ont sélectionné au deuxième tour de la draft de 1991, mais ils l’ont coupé avant la saison. Phills a joué en ligue mineure avant de rejoindre les Cleveland Cavaliers en 1992. Lorsque Phills s’est révélé comme l’un des meilleurs défenseurs de la ligue, Jobe a été surpris. Chez Southern, l’entraîneur donnait la priorité aux points. « Nous étions tournés vers l’attaque. La défense venait ensuite, même si nous mettions parfois les deux au même niveau. » En 1995, Phills a appelé Jobe après avoir affronté Michael Jordan, heureux d’avoir réussi à maintenir le meilleur marqueur de la NBA en dessous de sa moyenne habituelle. Dans un match, Phills a forcé Jordan à un 9 sur 27 au tir. Deux jours plus tard, Jordan avait un bilan similaire de 9 tirs marqués sur 26 contre Phills. Jobe a demandé à Phills combien de points il avait marqué. Phills a répondu : « Environ six. » « Cela ne m’a pas du tout impressionné, se souvient Jobe. Je me suis même mis en colère. J’ai dit à Bobby que je ne comprenais pas. Mais il était fier de lui. »

Jobe a perdu tout intérêt pour son métier d’entraîneur après la mort de Phills. « Les choses avaient changé. Les jeunes avaient changé. Ils n’agissaient plus de la même façon. » L’un de ses amis de longue date était Donnie Walsh, consultant des Indiana Pacers et ancien directeur général des New York Knicks. Lorsque les Knicks ont embauché Walsh en 2008, Jobe l’a suivi, obtenant un poste de scout, et il fait toujours partie de l’organisation des Knicks.

« Sans Donnie, je ne serais pas là où je suis maintenant, affirme Jobe. Mon activité m’a aidé à sortir de ma dépression. Ce qui s’est passé avec Bobby Phills a failli me faire perdre la foi en l’existence. C’était la dernière personne à laquelle une telle chose devait arriver. Ce type avec lequel il roulait à toute vitesse, je ne sais pas ce que j’aurais fait si je l’avais eu en face de moi. Je ne sais ni son nom, ni son visage. Je ne sais rien de lui, et je lui a tout mis sur le dos. Quand une telle tragédie arrive, vous en voulez au monde entier. J’ai accusé ses parents. J’ai accusé les Charlotte Hornets. J’ai accusé tout le monde. J’étais tellement mal que j’ai même accusé Dieu. Cela n’avait aucun sens. Il avait tout ce qu’on pouvait imaginer. Le physique, l’intelligence. Il avait tout. N’importe qui voudrait avoir un jeune comme lui dans son équipe. Il était parfait. Je me sentais si mal à propos de [sa mort] que je me demandais pourquoi cela n’était pas arrivé à un autre de mes gars. Certains étaient de vrais demeurés. Ils ne s’intéressaient à rien d’autre qu’au sport. C’était tout ce qu’ils étaient intellectuellement capables de faire. Alors que Bobby était parfait. Il avait tout ce que l’on veut chez un être humain. Il avait tout. »

Paul Silas avait presque abandonné son rêve d’entraîner à nouveau en NBA. Plus de quinze ans s’étaient écoulés depuis sa dernière expérience avec les médiocres San Diego Clippers en 1983. Silas a rejoint Charlotte en 1997 en tant qu’entraîneur assistant de Dave Cowens. Lorsqu’un conflit salarial a conduit à la brusque démission de Cowens en 1999, Silas a hérité du poste. Les Hornets avaient joué quinze matchs au cours d’une saison 1998-99 raccourcie par la grève et en avaient perdu onze lorsque Silas a pris le relais. Le nouvel entraîneur était proche de Phills, que Charlotte avait fait signer pour un contrat de sept ans à 33 millions de dollars en 1997. En tant qu’assistant, Silas avait souvent dirigé Phills pendant les séances d’entraînement. Tous deux vivaient tout près l’un de l’autre, et après les matchs au Charlotte Coliseum, l’épouse de Phills, Kendall, ramenait souvent chez elle Carolyn, la femme de Silas. Après que Silas fut nommé entraîneur par intérim, Phills lui a demandé : « Vous tenez beaucoup à ce poste ? » Silas a répondu oui, et Phills lui a dit : « D’accord. Vous allez le garder. » Phills a encouragé ses coéquipiers à se donner sur le terrain et à terminer les 50 derniers matchs en jouant à fond. Charlotte a obtenu un bilan de 22 victoires et 13 défaites avec Silas cette année-là. Un bilan assez bon pour que les Hornets le nomment entraîneur à temps plein.

La saison suivante, le matin de la mort de Phills, Silas s’en est pris à son équipe. Les Milwaukee Bucks avaient battu Charlotte par 50 points d’écart deux jours plus tôt. Le soir, Charlotte devait accueillir les Chicago Bulls. Silas a passé la séance du matin à montrer à son équipe le film de la grosse défaite contre les Bucks. Phills l’a approché juste après. « Coach, vous ne pouvez pas nous faire ça. Nous montrer tout ce qui a mal tourné contre Milwaukee ne sert à rien d’autre qu’à nous plomber le moral. Vous ne pouvez pas nous laisser revoir tout ça. Ce n’est pas bon pour nous. » Silas a réfléchi : « Tu sais quoi, Bobby ? Tu as raison. On ne recommencera plus. » Phills a quitté le bureau de Silas. Quelques minutes plus tard, l’entraîneur a reçu un appel de David Wesley. « Coach. Bobby et moi… On a eu un accident. »

Au départ, Silas n’a pas été alarmé. Il est monté dans une voiture avec les autres entraîneurs des Hornets et a fait le court trajet en voiture jusqu’à Tyvola. Il a regardé la carcasse et l’intérieur de la voiture de Phills. Il n’avait pas l’air d’être en vie. Silas, qui avait été l’un des plus gros durs à cuire de l’histoire de la NBA, a fondu en larmes. Quelqu’un lui a rappelé que la mort de Phills n’était pas encore une certitude : il était peut-être juste dans le coma. Ces mots ont donné un peu d’espoir à Silas, qui s’est approché de la voiture. Il a vu Phills la bouche ouverte et les yeux fermés. Finalement, un policier a couvert son visage. « Je savais qu’il était mort, déclare Silas. C’est l’une des pires choses que j’ai jamais vécues. » Peu de temps après l’accident, les Hornets se sont retrouvés au centre d’entraînement. « Je me souviens juste que des gars pleuraient, raconte Stephen Silas, qui travaillait comme scout dans l’équipe de son père. Anthony Mason se demandait : pourquoi lui ?. »

« Bobby aimait rouler vite, se souvient Paul Silas. Un jour, après un match, nous rentrions chez nous. J’étais parti avant lui, et il m’a dépassé à près de 160 km/h. » Silas a approché Phills à l’entraînement le lendemain. « Bobby, tu ne peux pas faire ça. Tu as deux beaux enfants. Tu as une femme formidable. Tu ne peux pas conduire aussi vite. » Phills lui a dit que ce n’était pas un gros problème. « Mais lui et David Wesley, ils s’amusaient à se dépasser et à se redépasser, poursuit Silas. Et il est arrivé ce qui est arrivé. Ils ont agi comme des imbéciles… Même [aujourd’hui], quand je suis sur la route sur laquelle Bobby est mort, je me rappelle de tout ça. C’était terrible, et c’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Jamais. »

La journée se déroulait normalement pour Robert Woolard Jr. Woolard, expert en assurance originaire de Caroline du Nord, venait de terminer l’inspection d’un véhicule et se dirigeait vers la ville pour en vérifier un autre. Cela ne faisait pas très longtemps qu’il possédait l’Oldsmobile Cutlass qu’il conduisait vers Tyvola. Après avoir appris que sa femme était enceinte, il avait acheté la nouvelle voiture en prévision de l’arrivée de leur enfant. Woolard adorait les voitures et la Porsche noire qu’il repéra attira son attention. Il lui fallut une fraction de seconde pour se rendre compte qu’elle tournoyait vers lui de manière incontrôlable, dans un hurlement de pneus et de fumée. Il était trop tard pour réagir et sa Cutlass heurta la Porsche, avant qu’un taxi minibus ne fonce dans l’arrière de l’Oldsmobile de Woolard. « Je ne pouvais rien faire pour éviter la collision, se souvient Woolard. C’est arrivé si vite. »

Le corps entier de Woolard le faisait souffrir. Hébété, il regarda la Porsche. L’autre conducteur était affalé, immobile, avec du sang coulant de son nez. Woolard avait trop mal pour bouger. Une minute passa, puis quelques autres. Woolard laissa retomber sa tête avant d’entendre une voix. « Monsieur ? Monsieur ? » « Oui », répondit Woolard. « D’accord, vous êtes en vie. Vous êtes blessé ? Est-ce que l’autre conducteur a bougé ? « Non, a dit Woolard. D’après ce que je vois, il n’a pas bougé ni fait quoi que ce soit. » À un moment donné, Woolard regarda par la fenêtre et vit seulement une paire de longues jambes. Ce mec doit être grand, pensa-t-il. Il a entendu le nom « Phills ». Une pensée le frappa : « Oh mon Dieu. C’est un joueur des Hornets. »

Le personnel médical a sorti Woolard de la voiture et l’a envoyé à l’Hôpital Presbytérien. Il a failli mourir d’un rétrécissement de l’aorte subi lors de l’accident, et avait d’autres blessures à soigner comme une main cassée, un ligament du genou déchiré et de nombreuses coupures et ecchymoses. Il a eu de la chance d’avoir survécu. « Bien sûr, quand j’ai découvert l’identité de l’autre conducteur, j’ai commencé à douter de moi. Je me demandais si j’avais fait quelque chose de mal. Et la réponse était non. Les semaines qui ont suivi ont été difficiles. Beaucoup de journalistes venaient me parler. Certains étaient gentils et pleins de compassion. D’autres étaient plus agressifs et j’ai refusé de leur répondre. Et puis, j’ai fini par passer à autre chose. Je ne peux pas remonter le temps et je suis très triste qu’il ait perdu la vie comme ça. »

AP Photo/Chuck Burton

Le jour de l’accident, George Shinn, alors propriétaire des Hornets, s’apprêtait à quitter une réunion lorsqu’il a reçu un coup de fil de Paul Silas, qui lui a simplement dit : « Bobby est mort. » « J’ai peut-être mal compris », pensa Shinn, essayant de prendre la mesure de ce qu’il avait entendu. En faisant le court trajet jusqu’au lieu de l’accident, Shinn n’arrêtait pas de penser : « Peut-être que j’ai mal compris. » Il a malheureusement vu ses pires craintes confirmées. Lorsque les Hornets ont poursuivi leur saison, Shinn est entré au vestiaire avant un match peu de temps après l’accident. Les joueurs ne bavardaient pas comme ils le faisaient habituellement. Tout le monde était silencieux. « Comme pour un enterrement », indique Shinn. Seuls deux de ses joueurs n’avaient jamais refusé de se rendre à des événements caritatifs : Bobby Phills et Muggsy Bogues. « On m’a toujours dit : ne vous attachez pas à vos chevaux – en parlant des joueurs. Mais je me suis vraiment attaché à ces deux-là. »

Hugh Wallace considérait la compétitivité de Phills comme l’une des plus grandes forces du joueur. Phills était arrivé au lycée de Southern Lab après que son père fut devenu doyen de l’école d’agriculture et des sciences de la consommation de l’université. Wallace était professeur et entraîneur de basket au lycée, et Kendall avait été l’une de ses élèves. « Elle avait un gros béguin pour Bobby », se souvient Wallace. Wallace exigeait de tous ses joueurs qu’ils apprennent à jouer au poste. Phills a passé la majeure partie de sa carrière au lycée dans la peinture, où il était souvent sous-dimensionné mais rarement surpassé. Il a atteint une moyenne de 26 points et 13 rebonds lors de sa dernière année, et a aidé l’équipe à remporter le championnat d’État.

Wallace pensait que Phills avait assez de talent pour jouer en NBA, mais seulement si sa carrière partait dans le bon sens. Il a conseillé à Phills de se lancer dans le basket-ball professionnel pendant quelques années et, si cela ne fonctionnait pas, de retourner à l’école. Lorsque Wallace a appris la mort de Phills, il a repensé aux bons moments qu’ils avaient passés ensemble, comme lorsque Phills et ses coéquipiers du lycée avaient soulevé et déplacé la voiture de Wallace après un match. Wallace avait soupçonné qu’une équipe rivale avait volé son véhicule, avant de réaliser que ses joueurs lui avaient fait une farce. Ou les fois où Phills l’avait appelé – lui, un entraîneur de lycée – pour avoir des conseils sur la façon de défendre sur Michael Jordan. « Si vous aviez un fils, a déclaré Wallace, vous voudriez qu’il soit comme Bobby Phills. » Wallace a mis un terme à sa carrière d’entraîneur peu de temps après la mort de Phills. « J’ai tenu le coup pendant les deux années qui ont suivi, mais finalement, j’ai tout arrêté, a-t-il déclaré. J’étais dévasté. »

Bobby Phills veillait sur toute l’équipe et sur toute l’organisation des Hornets. À sa mort, Brad Miller et Baron Davis commençaient tous les deux leur carrière en NBA. Leur parcours était radicalement différent. Miller n’avait pas été drafté après la fin de ses études à l’Université de Purdue et avait brièvement joué en Italie avant de rebondir à Charlotte. Les Hornets avaient choisi Davis avec le troisième choix de draft de 1999. Il était l’avenir de la franchise – un meneur impétueux qui s’attendait à un célébrité immédiate. « Dès que je suis arrivé [en ligue d’été], [Phills] m’a incité à m’entraîner sérieusement, se souvient Davis. JE devais prendre du muscle. Je devais travailler. »

Phills était dur avec les recrues, mais il les aimait et leur donnait de bons conseils pour les aider à devenir titulaires en NBA. Ses conseils étaient précieux pour Miller, qui admirait Phills et Wesley, des joueurs qui avaient été snobés au premier tour de draft mais qui avaient réussi à faire une brillante carrière dans la ligue. « [Ils discutaient de] beaucoup de petites choses auxquelles vous ne pensez pas lorsque vous êtes un jeune entrant dans la ligue. » Miller, qui rejoignait souvent Phills et Wesley pour manger des crêpes et des pancakes avant le match, a maintenu cette habitude pendant ses quatorze ans de carrière. Davis a également appliqué ce que lui avait enseigné Phills au cours de ses treize saisons passées en NBA. « C’était un père et un mari aimant. Il comptait beaucoup pour la communauté. Pour un rookie comme moi, c’était le vétéran dont il fallait s’inspirer. Plus on vieillit, plus on apprécie les gens comme lui. Je suis heureux d’avoir rencontré quelqu’un comme lui si tôt dans ma carrière. »

Le jour de l’accident, Miller était resté au centre d’entraînement pour soulever des poids. Il a entendu la nouvelle à peu près dix minutes plus tard. Il ne savait pas quoi faire. Il n’avait jamais connu la mort d’un proche, quelqu’un de jeune et dynamique et qui semblait destiné à une vie longue et heureuse. « On espère que personne n’aura jamais à ressentir cela », a déclaré Miller. Davis était dans sa voiture lorsque l’accident s’est produit. Il était derrière Phills et Wesley sur Tyvola, à moins d’une minute. Il s’était arrêté à un feu rouge, avait tourné à gauche, puis s’était approché de la scène. Il avait inspecté l’épave, conclu que Phills n’avait pas survécu et s’était dirigé vers Wesley, qui était debout, sans voix, les mains sur la tête. « Je m’en rappelle encore aujourd’hui », affirme Davis.

(AP Photo/Chuck Burton)

Kendall Phills était allée courir avec une amie le matin de la mort de Bobby. Après son jogging matinal, elle est rentrée chez elle et a emmené leur fils à l’école, où elle est restée environ une heure à bavarder avec d’autres parents. De retour à la maison, Bobby était parti pour l’entraînement. Elle l’a appelé peu de temps après, se demandant si elle devait préparer des crêpes ou si elle devait le retrouver pour manger dehors. Bobby n’a pas répondu, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Puis la fiancée de David Wesley, Shannon, a appelé. Il y avait eu un accident. Kendall devait se rendre à Tyvola. Elle est montée dans sa voiture. Venue de nulle part, une voix souffla dans sa tête : Bobby est mort. Elle a répondu à la voix : « Non, ce n’est pas possible. »

Elle a appelé Wesley. Il lui a répondu, en larmes. Elle s’est rapprochée et a vu la police et le personnel d’urgence. Elle s’est garée derrière la voiture de George Shinn. Si le propriétaire s’était déplacé, ce n’était pas bon signe. Elle sortit de sa voiture pour voir les coéquipiers de Bobby, Elden Campbell et Anthony Mason, en train de pleurer. Elle a vu des ambulanciers sur les lieux et a craint le pire en se tournant vers la Porsche de son mari. Un corps recouvert d’un drap blanc reposait à l’intérieur. Quelques-uns des entraîneurs ont essayé de la retenir. Elle s’est libérée. « J’ai soulevé le drap, dit Kendall. Il était dans sa voiture, sans vie. » Elle a prié pour lui, lui a dit qu’elle l’aimait et a promis de prendre soin de leurs enfants.

Kendall a appelé Dwayne Phills, le frère de Bobby, qui était chez sa mère, Mary, à Baton Rouge. « Rob a eu un accident, dit-elle en utilisant le nom par lequel sa famille avait toujours appelé Bobby. Je suis en route, et c’est très sérieux. » Dwayne a décidé de ne rien dire à sa mère jusqu’à ce qu’il en sache plus. Le fait que son frère n’ait pas survécu ne lui traversa pas l’esprit jusqu’à ce que Kendall appelle à nouveau et qu’il entende les mots : « Il est mort. » « Ce moment est resté dans mon esprit, a déclaré Dwayne. Honnêtement, je ne sais pas ce qui s’est passé après ça. C’est tout ce dont je me souviens : Il est mort. C’est à peu près tout. » Le père de Bobby Phills se souvient avoir reçu un appel de Dwayne. « Qu’est-ce que tu fais ? demanda Dwayne. Est-ce que tu es assis ? » Bobby Phills Sr. savait que quelque chose n’allait pas. « J’ai de mauvaises nouvelles, a dit Dwayne à son père. Bobby a eu un accident, et il n’a pas survécu. » Phills Sr. ne se souvient pas avoir crié, mais les gens ont dit plus tard qu’ils l’avaient entendu hurler depuis son bureau.

À Noël, le père de Phills avait rendu visite à son fils à Charlotte, quelques semaines à peine avant l’accident. Là-bas, il avait glissé d’un pont et est tombé dans un lac près de la maison de Bobby. Il pense que sa tête aurait pu facilement frapper le pont. « Je me demande souvent, ou je demande à Dieu : pourquoi m’a-t-Il épargné et trois semaines plus tard, a-t-Il pris la vie de mon fils ? » confie Phills Sr. « Je crois que j’ai pleuré tous les jours pendant les deux années qui ont suivi, déclare Dwayne Phills. Quand je conduisais, je versais une larme, juste à cause des souvenirs… Et on se demande pourquoi. Il avait une famille, il faisait le bien dans la communauté, dans la ligue, [pour sa] famille, tout. Vous vous dites : Pourquoi lui et pas moi ? Une erreur, un accident. Qui sait ce qui s’est vraiment passé ? Je ne sais pas qui était en faute. Seuls Rob, David et Dieu savent ce qui s’est vraiment produit. »

AP Photo/Nell Redmond

« Le matin, on est allés prendre le petit-déjeuner, raconte David Wesley. Chaque jour de match, à l’extérieur ou à domicile, on allait à l’Original Pancake House, juste en sortant de la salle. » C’est ce qu’ils ont fait le matin de l’accident. « Il est monté dans sa Porsche et moi dans la mienne. On arrive devant l’entrée de la salle, on s’arrête au feu rouge, et j’appelle ma femme pour qu’on se retrouve à la crêperie. Il fait pareil avec sa femme. Le feu devient vert, j’avance, et je crois qu’il passe au rouge juste après que je suis passé. Bobby était assez loin derrière et je n’étais pas sûr qu’il m’ait suivi, mais il l’a fait. » Wesley déclare qu’ils avaient tous les deux accéléré : « On est allés un peu plus vite, mais pas tant que ça. Ce n’était pas planifié. On n’a jamais roulé côte à côte en se défiant d’aller plus vite. La route était assez droite. On n’irait pas à toute vitesse, mais on serait tenté de le faire. »

Wesley a pris un virage et a regardé dans son rétroviseur. « Je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé, mais quand j’ai regardé dans mon rétroviseur, sa voiture tournoyait sur place. Elle est partie au milieu du trafic en sens inverse et a heurté une autre voiture. Je me suis arrêté au milieu de la rue. J’étais au téléphone avec ma femme à ce moment-là et je lui ai dit que Bobby venait d’avoir un accident. J’ai fait demi-tour. J’avais un peu d’avance sur lui, et [quand je suis revenu], il n’était plus avec nous. »

Phills et Wesley avaient tous deux signé de longs contrats avec les Hornets à l’été 1997. Tous deux avaient joué en ligue mineure avant de gagner leur place en NBA, et ils avaient une revanche à prendre. « On croit toujours avoir quelque chose à prouver, déclare Wesley, qui a fait sa carrière en tant que meneur de jeu fort et réfléchi. Les deux se sont rapidement liés d’amitié. « Il vous donnait l’impression d’être l’un de ses meilleurs amis, alors que vous n’étiez peut-être qu’un simple camarade, a déclaré Wesley. Je pense que c’est la raison pour laquelle nous nous sommes toujours si bien entendus. »

Le jour de l’accident, la NBA a reporté le match des Hornets contre Chicago. Deux jours plus tard, des membres des Hornets et des Knicks ont assisté au service commémoratif en l’honneur de Phills. (Le match de Charlotte contre les Knicks ce soir-là a également été reporté.) Peu de temps après que le fils de Phills s’est adressé aux personnes en deuil, Wesley est monté sur le podium. « C’était mon acolyte, a-t-il déclaré. Il pensait être capable de tout faire. Il devait toujours gagner. Et quand il ne gagnait pas, il en disait assez pour vous faire croire qu’il avait gagné. Nous avons eu de très bonnes discussions et de bons moments. C’est le Bobby que je connais. » Les Hornets sont revenus au tribunal le 15 janvier, trois jours après la mort de Phills, avec une défaite contre les Knicks à New York. « Écoutez, je comprends ce que vous ressentez, a déclaré Silas à son équipe assommée. Mais Bobby Phills voudrait que nous jouions à fond, et il voudrait qu’on gagne. » Wesley a été titulaire contre les Knicks cette nuit-là et a raté neuf de ses onze tirs. Ensuite, l’équipe a affrété un avion à Charlotte, avant de s’envoler pour Baton Rouge pour les funérailles de Phills.

Le mois suivant, Wesley a été chargé de deux chefs d’accusation : course de vitesse sur l’autoroute et conduite imprudente. Le Charlotte Observer a rapporté que Phills et Wesley avaient déjà été pris en excès de vitesse. Wesley avait été arrêté à deux reprises dans le comté de Mecklenburg, où se trouve la ville de Charlotte. Au moment de l’accident de Phills, Wesley conduisait illégalement sans permis, après avoir omis de se conformer aux termes d’une citation qu’il avait reçue plusieurs mois plus tôt en Alabama. Quelques jours après avoir été inculpé, Wesley a fait sa première déclaration publique concernant l’incident. Il a dit que la mort de Phills le hanterait pour le reste de sa vie. « Chaque jour, chaque nuit, a-t-il déclaré aux journalistes. J’ai parlé à des gens qui m’ont dit que ça ne disparaît pas. La douleur diminue, mais il n’y aura probablement pas un jour où je n’y penserai pas. »

Wesley avait toujours utilisé le basket-ball comme thérapie ; quand quelque chose le dérangeait, il pouvait se plonger dans le jeu. « Je savais que si je pouvais simplement aller sur le terrain après que cela se soit produit, cela me donnerait un moment de paix, même si ce n’était que cinq minutes », a déclaré Wesley. Mais dès que Wesley a commencé à parler de l’accident, les journalistes n’arrêtaient pas de lui demander de revivre le pire matin de sa vie. Chaque ville dans laquelle les Hornets jouaient signifiait que Wesley était invité à raconter la tragédie, pour qu’un autre journal local puisse raconter la façon dont Wesley et son équipe faisaient face à la mort de Phills. « Une fois que j’ai ouvert la vanne, dit Wesley, je devais le dire à une personne, puis une autre, et encore une autre. » Les performances sportives de Wesley en ont souffert. « David ne voulait tout simplement plus jouer, se souvient Silas. Il pensait que c’était sa faute si c’était arrivé. »

Silas a dit à Wesley que l’équipe ne pourrait pas fonctionner s’il ne jouait pas au mieux de ses moyens, et celui-ci s’est finalement repris. Charlotte a terminé la saison avec 49 victoires et 33 défaites, mais a perdu contre Philadelphie au premier tour des play-offs. Dans cette série, Silas a senti que ses joueurs n’avaient plus rien à donner. Les Hornets s’étaient réunis et avaient fait preuve d’une résilience admirable après la mort de Phills, mais à l’arrivée des play-offs, leur réservoir était vide. « Nous ne pouvions tout simplement plus jouer à fond, a déclaré Silas. Je n’ai rien dit là-dessus à mes joueurs. Je savais qu’ils avaient déjà fait tout ce qu’ils pouvaient [juste] pour que nous puissions participer aux play-offs. » En juillet, Wesley a témoigné dans un procès sans jury pour statuer sur les accusations criminelles contre lui. « Faisiez-vous la course avec Bobby Phills ce jour-là ? » a demandé son avocat. « Absolument pas, » a répondu Wesley. Il a été reconnu coupable de conduite imprudente et condamné à des travaux d’intérêt général, mais un juge a décidé qu’il existait un doute suffisant pour l’acquitter de l’autre chef d’accusation.

Le jour du premier anniversaire de l’accident, Wesley a marqué un long tir à trois points à 3,5 secondes de la fin pour donner à Charlotte une victoire sur les Bulls, 86-85. Wesley est resté avec la franchise lorsque les Hornets ont déménagé de Charlotte à la Nouvelle-Orléans en 2002. Il a passé ses dernières années de carrière avec les Houston Rockets et les Cleveland Cavaliers avant de prendre sa retraite en 2007, et il travaille maintenant comme analyste pour les Pelicans. « Pendant longtemps, il n’y avait pas un moment où je ne pensais pas à lui, a déclaré Wesley. Au fil du temps, c’est devenu moins fréquent, mais cela reste. Et il y a toujours de bons souvenirs. »

Kendall a décidé de rester à Charlotte après la mort de Phills. Elle n’a jamais vraiment envisagé de retourner en Louisiane. Elle est restée impliquée dans la communauté et a créé un fonds boursier au nom de son mari. Lorsque Malik Sealy, le joueur de Minnesota, est décédé dans un accident de voiture la même année que Phills, elle a offert à la veuve de Sealy, Lisa, un soutien financier et émotionnel. « Vous êtes entrée dans ma vie comme un ange le 20 mai 2000, a écrit Lisa Sealy dans une note pour un événement marquant le premier anniversaire de la mort de Phills. Peut-être que Malik vous a envoyé vers moi parce qu’il savait que vous seriez mon soutien en son absence. »

Toutes ces activités ont donné à Kendall un but et l’ont aidée à survivre à la perte de son mari, mais il y avait des moments où la tristesse la submergeait. « Je dois choisir les moments où je dois pleurer, a-t-elle déclaré à ESPN à l’approche du premier anniversaire de l’accident. Je vais regarder une vidéo de Bobby. Je vais parcourir les albums photo. Quand je suis seule, je pleure. Parce que je dois être forte pour mes enfants… L’autre jour, je remplissais un formulaire, et il y avait une question où je devais choisir entre célibataire, veuve ou mariée. Et j’ai réalisé que je n’étais plus mariée. Ce sont des choses comme ça. » Elle n’a jamais blâmé Wesley. « Beaucoup de gens ont accusé David, mais Bobby a fait le choix de conduire à une vitesse élevée, a déclaré Kendall. Je sais qu’il y a pour tout le monde a un jour où Dieu va vous rappeler à Lui, et le 12 janvier 2000 a été le jour que Dieu a choisi pour Bobby. Donc, peu importe s’il courait ou marchait dans la rue. Son heure était venue. Je ne pense pas que l’on puisse éviter cela. »

Derrick Brewer voyait que le joueur de onze ans n’était pas prêt à entrer dans son équipe en AAU. Après le match, il s’est approché de Kendall Phills, la mère du garçon. « Vous devez me laisser l’entraîner, a déclaré Brewer. Nous venons de perdre et ça ne l’affecte guère. Il est content. Il devrait être en colère. Les autres enfants pleurent. Trey n’est pas encore prêt. » Kendall a décidé de laisser Brewer entraîner Bobby Phills, troisième du nom, surnommé Trey par ses coéquipiers. Trey adorait le basket, mais sa mère pouvait voir qu’il manquait de confiance. « Personne n’était là pour le valoriser. C’est une chose pour moi de lui dire qu’il était bon. Mais quand on avait un père joueur de NBA… Certains des [anciens coéquipiers de Bobby] jouaient encore, et s’ils m’appelaient régulièrement, personne n’a eu le temps de prendre mon fils sous son aile. »

Que Trey et sa sœur Kerstie se soient tournés vers le basket-ball n’avait rien de surprenant. Mais c’était comme si Trey essayait de suivre une ombre, comme s’il cherchait son chemin dans le noir sans que son père soit là pour l’aider à y voir clair. « Tout le monde pensait que j’allais être aussi bon que mon père, a déclaré Trey, maintenant âgé de dix-huit ans. Mais à un moment, je n’étais vraiment pas terrible. » C’est finalement Stephen Silas qui a aidé Trey à développer sa confiance et son jeu. Silas avait été ami avec Phills avant sa mort, et il est entré dans la famille quand il a épousé la sœur de Kendall, Keryl, en 2002. Trey et Silas ont travaillé dur pour améliorer le tir de Trey. Il a dû serrer son coude, de la même manière que son père avait appris à tirer avec Ben Jobe à Southern, des décennies plus tôt. « Nous y avons passé de très longues journées, et j’ai parfois eu droit à des regards noirs [de la part de Trey], mais nous avons fini par corriger son tir, raconte Silas. C’est un peu comme mon père et moi – nous avons passé beaucoup de temps sur le terrain. Le basket-ball était notre façon de nous connecter, et c’est ce qui s’est passé avec Trey et moi. »

D’autres facteurs ont contribué à améliorer la confiance naissante de Trey. Né en juillet, Trey avait toujours été parmi les plus jeunes de sa classe ; Kendall a alors décidé de lui faire redoubler sa quatrième. Elle a remarqué son changement sur le terrain peu de temps après. Brewer l’a également remarqué : « Il travaillait assez pour être bon. Avec une année en plus, il n’était plus un petit garçon maigre. Ses adversaires ne pouvaient plus le maltraiter. Il ne les laissait plus faire. » Trey, arrière d’1,80 m, a récemment terminé sa carrière au lycée à Charlotte Christian, la même école que Steph et Seth Curry. « Trey est un bourreau de statistiques, a déclaré l’entraîneur Shonn Brown. Il prend des rebonds, fait des déviations, intercepte, fait des passes décisives. » Pour sa dernière année d’études, Trey a mené Charlotte Christian à un record de 20 victoires et 9 défaites, dont le point culminant a été un tir gagnant à couper le souffle que Trey a marqué contre Charlotte Country Day.

Trey ne se souvient pas d’avoir parlé aux funérailles de son père, mais regarder la vidéo le réconforte. Il a encore de vagues souvenirs de son père en train de le jeter dans les airs. « Il semblait être quelqu’un de formidable sur et en dehors du terrain, a déclaré Trey. Il faisait toujours de son mieux pour être un bon mari et un bon père. Il était toujours décontracté, avec un sourire sur son visage, en train de plaisanter. Et il était déterminé. Il avait une passion pour ce qu’il faisait, et il disait qu’il voulait être vétérinaire si le basket-ball ne fonctionnait pas. J’ai donc l’impression qu’il savait qu’il y avait plus dans la vie que le sport. En même temps, il a profité au maximum de ses opportunités et cela l’a vraiment poussé à devenir quelqu’un. »

Trey s’est lancé ans des rêves tout aussi grands. A Charlotte Christian, il suivait des cours supplémentaires et sa moyenne approchait le 20/20. Princeton, Stanford, Harvard et d’autres collèges d’élite lui ont fait une offre de recrutement. Il a choisi Yale, où il commencera sa première année à l’automne. « Il a un grand sens du jeu, il sait utiliser ses capacités physiques et son sang-froid sur le terrain, a déclaré l’entraîneur de Yale James Jones. [Ce] sont quelques-uns des éléments qui ont attiré notre attention. » Sa sœur cadette Kerstie suit la même voie. Elle vient de terminer son avant-dernière année et elle est suivie par plusieurs grandes universités. « Pour être honnête, a déclaré Trey, elle est peut-être plus dure que moi sur le terrain. » Aussi prometteuse que soit la carrière des enfants Phills, Jobe, l’entraîneur universitaire de leur père, espère les voir honorer l’héritage de ce dernier en dehors du terrain. « Peu importe s’il ne marque aucun point, a déclaré Jobe à propos de Trey. L’important est qu’il aille là-bas, qu’il obtienne son diplôme et qu’il fasse les choses que son père n’a pas faites. »

Les Hornets ont déménagé dans la Louisiane natale de Phills, où il n’a jamais joué en tant que pro. Les Charlotte Hornets avaient retiré son maillot peu de temps après sa mort. À la Nouvelle-Orléans, l’organisation a accroché son n°13 au centre d’entraînement, mais pas au Smoothie King Center. Kendall espérait voir l’héritage de son mari revenir dans une arène de la NBA lorsque la Nouvelle-Orléans a changé son nom pour les Pélicans la saison dernière. Peu de temps après, le propriétaire des Charlotte Bobcats, Michael Jordan, a annoncé que la franchise avait demandé à redonner le nom des Hornets à Charlotte. Le conseil des propriétaires de la NBA a approuvé la demande à l’unanimité, donnant aux nouveaux Hornets l’occasion d’honorer une fois de plus Phills en accrochant son maillot à Charlotte, ce qu’ils ont fait à la mi-temps d’un match en novembre dernier. « Il comptait beaucoup pour cette ville, a déclaré Jordan lors d’une conférence de presse avant la cérémonie. Évidemment, j’ai joué contre lui. Il est devenu celui qu’il était quand il est arrivé à Charlotte… Il avait une excellente relation avec les fans. Ils ont grandi avec lui et ils ont compris ce qu’il apportait à cette ville. Et ramener son maillot et leur permettre de profiter de ce moment, ce que ces souvenirs de Bobby Phills représentaient pour eux, signifie beaucoup pour l’organisation. »

Les anciens coéquipiers de Phills Todd Fuller, Chucky Brown et David Wesley ont assisté à la cérémonie. Wesley a regardé Trey cette nuit-là et a presque semblé surpris de devoir lever les yeux pour dévisager le fils de son ami. Kendall est entrée sur le terrain, accompagné de Trey, Kerstie et Brittany Dixon (la fille de Bobby issue d’une autre union). Bobby Phills Sr., Mary Phills et Dwayne Phills étaient également présents. Les fans ont offert à la famille une ovation prolongée. L’émotion était présente dans la voix de Kendall Phills alors qu’elle s’adressait à la foule. Elle a remercié les fans pour les appels téléphoniques et les vœux de bonne chance. Elle était reconnaissante du soutien de l’organisation des Hornets. Elle a déclaré que Bobby Phills avait toujours voulu être un All-Star, mais que pour elle, l’héritage qu’il avait laissé à Charlotte était plus important. Il comprenait à la fois les contributions de Bobby pour la communauté et sur le terrain.

Un joueur des Hornets était sorti des vestiaires pour assister à la cérémonie. Gerald Henderson avait été repêché par Charlotte en 2009, et au cours de ses cinq saisons en NBA, il était devenu proche de la famille Phills. Trey leva les yeux vers Henderson ; il raconta avoir observé des aspects du jeu du swingman qui lui rappelaient celui de son père. Henderson a vu Kendall éprouver une telle fierté et un tel chagrin sur le terrain que lorsqu’elle eut fini de parler, il se dirigea vers elle et l’embrassa.

Kendall avait terminé son discours. Elle a quitté le terrain toujours privée d’une partie d’elle-même, mais en sachant que son mari n’avait pas été oublié. Le n°13 était là où il devait être.

All the Kings’ Men (8/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

*****

I. Avant la bataille (1/8)
II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)

VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche »

Les Lakers sont allés en Finales NBA et ont gagné le titre 2002 en balayant les Nets à l’issue d’une série sans éclat. Ensuite, ils ont continué leur joute verbale contre Sacramento durant tout l’été. Lors d’un spectacle comique dont la cible était Emmitt Smith, Shaq a hurlé de rire en entendant le comédien Guy Torry se moquer des Kings alors que les Maloofs étaient présents, un sourire forcé aux lèvres. Lors de la pré-saison 2002-2003, Rick Fox et Doug Christie se sont bagarrés dans le tunnel du Staples Center, et la tristement célèbre épouse de Christie elle-même s’est impliquée dans la bataille. Shaq a résumé ainsi les sentiments des Lakers : « Nous ne sommes pas inquiets pour les Queens de Sacramento. Pas du tout. Je ne vais pas passer l’année à faire des échanges verbaux avec eux. Le titre de l’année dernière, c’est déjà du passé. Concentrez-vous sur l’année à venir. Je ne suis pas inquiet pour les Queens de Sacramento. Écrivez-le. Prenez une photo. Envoyez-la-leur. Je m’en fiche. »

Personne n’aurait imaginé que la rivalité entre les deux équipes avait déjà atteint son apogée. Les Spurs ont détrôné les Lakers au deuxième tour des séries éliminatoires de 2003, et Dallas a créé la surprise en battant Sacramento au même niveau. Webber s’est déchiré le cartilage du genou gauche au cours de cette même série, une blessure qui le ralentira pour le reste de sa carrière et qui fera aussi dérailler les Kings, qui lui avaient accordé de manière invraisemblable une prolongation de contrat de 122 millions de dollars le même été. Coincés par le contrat onéreux de Webber, les Kings se sont débarrassés de lui en l’expédiant à Philadelphie contre trois joueurs médiocres (Brian Skinner, Kenny Thomas et Corliss Williamson). Puis ils ont échangé Stojakovic contre Ron Artest un peu plus d’un an après qu’Artest ait commencé la plus grande bagarre de l’histoire récente de la NBA. Les Kings ont renvoyé Adelman en 2006 et ne sont pas retournés en play-offs depuis.

Pendant ce temps, la crise économique de 2008 a gravement nui aux Maloof et à l’organisation, les transformant en une équipe de petit marché avec une faible masse salariale. Des rumeurs ont couru que les Maloof voulaient déplacer la franchise vers une ville à plus gros marché plutôt que de simplement la vendre à un propriétaire déterminé à rester à Sacramento. Lorsque les habitants se sont retournés contre eux, les Maloof, devenus impopulaires, ont tenté de déplacer l’équipe à Anaheim et à Seattle, pour en être empêchés à plusieurs reprises par la ligue. L’été dernier, les Maloof ont finalement vendu la franchise à un groupe dirigé par le milliardaire Vivek Ranadivé, qui a immédiatement lancé un projet pour construire une nouvelle arène. De manière amusante, Shaquille O’Neal a acheté une part minoritaire, surnommant la ville « Shaqramento ».

Il semble que la ville puisse finalement oublier les Maloof et de tout ce qui s’est passé en 2002. Bien sûr, la légende de la série 2002 perdure. Après les séries éliminatoires, le militant politique Ralph Nader a appelé à une enquête sur l’arbitrage du sixième match. En 2008, l’arbitre Tim Donaghy, qui avait été très critiqué, a rouvert la blessure en affirmant que la ligue avait truqué le sixième match controversé, bien que peu aient pris les affirmations de Donaghy très au sérieux. « Nous sommes prêts pour un examen minutieux, a répondu le commissaire David Stern aux journalistes. C’est quelque chose qui mérite qu’on s’y arrête. »

Ralph Nader (militant politique) : Je n’avais jamais rien vu de tel. C’était presque comme si les arbitres et les officiels avaient eu le cerveau lavé par les Lakers. On spéculait énormément sur le fait que la ligue voulait un septième match parce que cela rapportait plus d’argent. J’ai donc appelé Stern et je lui ai écrit une lettre.

Delaney : Les arbitres veulent bien faire les choses, les fans veulent un match équitable, et bien entendu, les joueurs et les entraîneurs le veulent aussi. Nous faisons de notre mieux pour nous améliorer et atteindre un niveau proche de la perfection. Bien que les gens comprennent que le facteur humain entre en ligne de compte à un certain point, tout cela n’a plus d’importance quand quelqu’un comme Ralph Nader qui s’en mêle. Si vous demandez à la plupart des joueurs de NBA, je pense qu’ils préfèrent que j’arbitre le match plutôt que Ralph Nader.

Madsen : Quand j’ai vu le nom de Ralph Nader circuler, je me suis dit : « Mince ! Ralph est un fan des Sacramento Kings ? »

Nader : J’ai donc dit à Stern qu’il devait faire une enquête. C’est déjà déjà assez que les Lakers aient plus d’argent que les Kings pour acheter de bons joueurs. Ils allaient en plus truquer le système ? Il n’a pas apprécié.

Howard-Cooper : Les gens utilisent la [lettre] de Donaghy comme preuve ultime du trucage du Match 6. Soudain, Tim Donaghy était la raison crédible de croire à toute théorie folle. En Tim Donaghy, ils avaient leur preuve, ce qui, bien sûr, est risible.

Delaney : Mes antécédents sont bien documentés et je travaille avec des criminels depuis longtemps. Les criminels balanceront n’importe qui pour sauver leur peau. Cela ne m’a pas surpris, et tout à fait honnêtement cela ne me concerne pas, car je sais qui je suis et je suis droit dans mes bottes. Mon CV est plus que un peu plus reluisant que celui de Tim Donaghy. (Avant de devenir arbitre, Delaney a été un officier de police pendant de nombreuses années ; il a même un jour infiltré la mafia du New Jersey.)

O’Neal : Voilà pourquoi je ne parlerai jamais de l’affaire Donaghy. Chaque équipe de la ligue avait l’habitude de mettre dans le journal : « Ouais, on va le forcer à tirer des lancers francs. Hack-a-Shaq. On va l’envoyer sur la ligne. » Alors…

Bernhardt : Je ne comprends pas du tout pourquoi on en fait tout un plat. Je viens de l’Indiana. Il y a de vrais problèmes dans le monde. C’est un match de basket, un divertissement. Pourquoi un tel battage médiatique ?

Delaney : J’adorerais amener les fans sur le terrain avec moi et leur demander d’arbitrer un quart-temps ou deux, pour qu’ils comprennent ce qu’on ressent. Parce que je pense qu’ils nous donnent beaucoup plus d’importance que nous ne le méritons. Il est déjà assez difficile de siffler une faute ; en plus de ça, il faut être certain de celui qui l’a commise et de ce qui s’est passé sur l’action. On ne peut pas réfléchir à tout ça pour prendre la décision la plus juste. Voici la façon la plus simple de décrire ce qui se passe lorsqu’on arbitre un match de NBA : c’est comme avoir dix joueurs dans un mixeur qui tourne à toute vitesse. Et vous voulez me faire croire que je suis assez fort pour juger une action, puis de penser au joueur qui le fait, et changer instantanément ma décision parce que c’est un Michael Jordan et pas un autre joueur ? Je devrais léguer mon cerveau à la science.

Madsen : Un type de Los Angeles a fait une chanson de rap qui parlait de Vlade et de ses flops. C’était une période merveilleuse et excitante pour faire partie des Lakers et vivre à L.A.

Adande : Shaq s’est rendu à un déjeuner l’année où il avait des problèmes à un orteil. Et il a dit : « Mon pied va mieux. J’ai demandé à la femme de Doug Christie de le masser. »

Christie : [Le combat de pré-saison avec Rick Fox] est l’une de ces images indélébiles qui vous restent dans la tête. C’était plus que lui et moi. C’était dirigé contre eux, qui nous battaient année après année, et nous devions nous défendre.

Fox : Ils devaient donner le ton. C’était un peu une loi tacite de la pré-saison, en particulier lors du dernier match. Les vétérans jouent généralement quelques minutes pour se dérouiller pendant un quart-temps, puis ils passent le reste du match sur le banc. Et ils sont arrivés comme si c’était le Match 8 de la série.

Adande : Personne ne se bat dans un match de pré-saison. C’est dire à quel point cette série a été passionnée et à quel point les rancœurs ont persisté. C’est pour cela qu’aujourd’hui, au Staples Center, il y a des rideaux qui séparent les deux équipes et deux zones séparées dans les couloirs. C’est à cause de cette série.

Fox : La règle de Rick Fox.

*****

Beck : On considère les Lakers de cette époque comme étant une équipe surpuissante, une dynastie importante, parce qu’ils ont remporté trois championnats d’affilée. Mais les gens oublient à quel point ils avaient été proches de tout perdre lors de la première et de la troisième fois. Il n’y a que l’équipe de 2001 qui était au-dessus des autres. Mais cette série contre les Kings était un exemple de la fragilité de leur emprise sur la NBA, car ils ont été plusieurs fois à quelques centimètres de perdre, et de ne pas revenir en finale.

Derek Fisher (arrière des Lakers) : C’est épuisant de gagner un championnat et de faire une saison complète. Pour retourner plusieurs fois en finale et gagner des titres, il faut être très chanceux. Vos stars doivent être en bonne santé. Le sort doit souvent vous être favorable, et ce n’est pas facile. Très peu d’équipes sont parvenues à le faire, et ces équipes resteront dans l’histoire de la NBA comme les rares équipes qui ont réussi.

Madsen : Personne ne pouvait arrêter Shaq. Personne ne pouvait arrêter Kobe. Et personne ne pouvait arrêter les deux en même temps. Ajoutez de grands joueurs comme Robert Horry, Rick Fox, Derek Fisher, et vous comprendrez à quel point c’était formidable de s’entraîner tous les jours et de participer aux matchs avec ces gars-là.

Beck : [La rupture] était en marche depuis des années à certains égards, et au cours de [l’année 2004], elle s’est produite pour de nombreuses raisons. D’abord, Shaq et Kobe se disputaient à nouveau. C’était un numéro auquel ils s’étaient déjà souvent livrés : ils se battaient, s’expliquaient, se réconciliaient, remportaient un titre. Puis ils se disputaient à nouveau avant de se rabibocher et de remporter un autre titre. C’étaient les montagnes russes depuis déjà quelques années. Mais je pense que le point de non-retour entre eux a fini par être atteint [en 2004]. Et entre-temps, la relation de Shaq avec l’organisation avait également atteint le point de non-retour, car il était intransigeant sur la prolongation de contrat qu’il voulait obtenir.

Wilbon : [Sacramento] aurait peut-être gagné l’année suivante. Mais les genoux de Chris ont lâché.

Adande : C’est dommage que nous n’ayons pas eu une dernière série entre les Lakers et les Kings, mais quand Webber s’est blessé, la cause était entendue. Ils étaient finis.

Stojakovic : Notre période dorée a commencé à prendre fin après 2004. On ne pouvait pas faire mieux, je suppose, que ces trois à cinq ans passés ensemble.

Phil Jackson : Je compatis – je ne sais pas si c’est le bon mot – avec Rick pour ce qu’il a vécu dans cette série, car je sais à quel point c’est difficile. Il avait été l’entraîneur de Portland lorsque nous avions remporté la série contre les Blazers en 1992. Rick et moi avions donc une certaine habitude d’entraîner l’un contre l’autre. J’avais vraiment du respect pour ses talents d’entraîneur.

*****

Joe Maloof (copropriétaire des Kings) : Quand Robert Horry a marqué ce fameux tir, je pense l’avoir revu dans ma tête au moins dix fois par jour. Perdre cette série au profit des Lakers était… Il n’y a pas de mots pour le décrire. J’en étais malade. Jerry Tarkanian m’a appelé après la série et je lui ai demandé : « Est-ce que mon frère [Gavin] et moi oublierons jamais ça ? » Il a dit : « Vous n’oublierez jamais. Croyez-moi. Vous devrez vivre avec. »

Brian Shaw (arrière des Lakers) : Je m’entends plutôt bien avec Chris Webber. Aujourd’hui encore, il répète qu’ils auraient dû nous battre.

Napear : Les retombées sont toujours présentes. Elles ne disparaîtront que lorsque les Kings battront les Lakers en play-offs. Si vous interrogez un fan des Red Sox de Boston sur toutes leurs défaites les plus difficiles contre les Yankees, ils vous citera le home run de Bucky Dent ou le home run d’Aaron Boone, qui n’ont jamais été oubliés. Mais le titre de 2004 a tout effacé. Et jusqu’à ce que les Kings remportent une série de play-offs significative contre les Lakers, ils ressentiront toujours ce manque.

Wilbon : Tout le monde se rappellerait différemment de Chris Webber s’ils n’avaient pas été baisés. Ils allaient battre les Nets cette année-là. Tout le monde savait que la Finale de la Conférence Ouest était la finale du championnat. Toute la carrière de Webber serait différente. Toute la carrière de Vlade serait différente. Un titre change la perception que le public a de vous.

Cohn : À mon avis, [un titre] aurait été le plus grand événement survenu à Sacramento depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Bibby : Ce sera toujours une grande ville de basket-ball. J’ai été surpris quand ils ont essayé de transférer l’équipe. Je croise tout le temps des gens qui me disent : « Je suis de Sacramento et j’ai adoré cette équipe. »

Richmond : Je pense que les Kings et leurs fans méritaient vraiment un titre, mais je ne voulais tout simplement pas que ce soit contre moi. Je pense que cela aurait été très dur pour moi si les Kings avaient gagné.

Kevin Johnson (ancien All-Star de la NBA et actuel maire de Sacramento) : Chaque fois que vous vous approchez d’une Finale NBA et que vous échouez, vous avez des regrets. Jusqu’à ce que Sacramento atteigne la finale, les fans vont toujours penser à cette série et se demander : « Et si ? »

Christie : Quand je retourne à Sacramento, je m’aperçois que les gens aiment toujours cette équipe. Ils aiment tout ce qu’elle représentait. S’ils remportent un jour un titre, ce sentiment disparaîtra. Mais quand on est tellement proche, qu’on sait qu’on le mérite, et qu’il suffit simplement de battre une équipe pour ça, c’est quelque chose de vraiment difficile à avaler.

Johnson : Je ne pense pas que les événements survenus après cette série aient eu un impact quelconque sur le sort de la franchise. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles, pendant des années, nous n’avons pas pu faire construire une nouvelle salle à Sacramento. Heureusement, tout cela est maintenant derrière nous et je suis impatient que les Kings accrochent une bannière de champion dans la nouvelle arène de Sacramento qui ouvrira en 2016.

Cohn : La mise en place [d’un vote pour une nouvelle arène] aurait vraisemblablement été plus rapide [si les Kings avaient remporté un titre en 2002]. Mais je ne pense pas que les Maloof étaient capables d’élaborer un plan pour financer une arène et de s’y tenir. Tôt ou tard, il y aurait eu des problèmes.

Johnson : Depuis près de vingt-huit ans, cette communauté a une histoire avec les Kings. Pendant une bonne partie de ces années, les supporters des Kings étaient parmi les plus nombreux de la ligue, alors que la plupart du temps, ils perdaient plus qu’ils ne gagnaient et ne participaient même pas aux play-offs. C’est pourquoi je n’ai pas été le moins du monde surpris lorsque nos fans se sont levés et se sont battus pour garder cette équipe à Sacramento alors que les Kings étaient sur le point de déménager.

Cohn : À long terme, c’était peut-être le bon côté de notre défaite. Nous avons dû traverser une période horrible au cours de ces dernières années juste pour pouvoir obtenir de nouveaux propriétaires avec lesquels il serait possible de construire un avenir plus durable. Je ne pense tout simplement pas que nous aurions eu un avenir durable avec les Maloof en tant que propriétaires.

Pollard : Si les Kings avaient remporté le titre, peut-être que les Maloof n’auraient pas essayé de relocaliser la franchise et qu’ils auraient déjà une nouvelle arène ? Il y a beaucoup de choses qui auraient pu arriver et des choses qui auraient pu être différentes. Combien de carrières de joueurs auraient été différentes ?

O’Neal : Ouais, c’est un peu [bizarre de posséder une part des Kings]. Chaque fois que je vais là-bas, on m’en fait la remarque. Mais je pense qu’une fois que les gens me voient échanger avec la communauté et apprennent à me connaître, ils comprennent que je ne faisais que plaisanter.

Cohn : Il est difficile d’être encore en colère contre [O’Neal]. C’est un personnage tellement sympathique.

Vivek Ranadivé (principal propriétaire des Kings) : Nous adorons Shaq. Il a eu beaucoup de succès. C’est une icône mondiale, il est très, très intelligent, très charismatique. Il était assailli partout où il allait. Il a été très bien accueilli par le gouverneur, par l’Assemblée nationale et le Sénat, par les fans, par le public. Il a eu un énorme succès à Sacramento.

Fox : C’est un peu bizarre, c’est clair. Mais c’est tout à fait normal, parce que c’est Shaq. Shaq se fera toujours aimer du public… Cela en dit long sur son charisme et sa manière de penser.

Voisin : Je pense qu’ils ont changé d’opinion sur lui. Le temps guérit tout et il y a tellement de choses qui se sont produites. Il y a le fait que l’équipe reste et ne parte pas. Je pense que les gens sont soulagés et reconnaissants. Il est aussi populaire que lorsqu’il était joueur. Il y a un élément là-dedans qui est bon pour Sacramento et bon pour les Kings.

Ranadivé : Nous pensons être sur la bonne voie. Pour notre première saison, on ne va pas nous parler de victoires et de défaites, on va nous demander si nous avons une culture, un système, si on joue défensif. Ce que je veux faire, c’est créer un groupe de jazz. Le modèle du vingtième siècle était une fanfare, où tout le monde marchait robotiquement au rythme d’un tambour. Ce que j’essaie de faire, c’est de créer un groupe de jazz, où chacun peut faire son propre truc, être celui qu’il veut et improviser, mais en faisant de la belle musique. Nous allons créer ce groupe de jazz.

Shaw : Sacramento aurait pu avoir une histoire différente si les Lakers n’avaient pas été composés de Kobe, Phil et Shaq. C’était une bonne équipe qui est arrivée au mauvais moment. La place des Kings dans la légende de la NBA est toujours vide à cause des Lakers.

*****

Chris Webber, Rick Adelman et la famille Maloof ont refusé les demandes d’interview répétées pour cette histoire.

All the Kings’ Men (7/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

*****

I. Avant la bataille (1/8)
II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)

VII. Le quinzième round

Naturellement, nous en sommes arrivés à l’un des Matchs 7 les plus mémorables de tous les temps. Ce n’était que le deuxième Match 7 d’une Finale de Conférence à aller en prolongation depuis 1993. Le match, très serré, a vu 16 égalités, 19 changements de leader et, très probablement, plusieurs tympans percés à cause du bruit assourdissant de la foule de l’Arco Arena. Les Lakers tentaient de devenir la première équipe à remporter le septième match d’une finale de Conférence à l’extérieur, depuis que Philadelphie avait surpris les Celtics au Boston Garden en 1982.

Howard-Cooper : Ils sont revenus à Sacramento, et c’est là qu’ils ont vraiment ressenti le contrecoup. C’était pire que de perdre le premier match à domicile, pire encore que quand Horry leur a collé ce panier à la dernière seconde. Ils avaient perdu le Match 6, étaient rentrés à la maison, et ils avaient cette sensation dont les gens parleraient plus tard, cette sensation d’avoir laissé passer leur chance.

Voisin : Avant le match, je suis allé dans les vestiaires. Ce qui m’a marqué, c’est que les joueurs se plaignaient toujours du Match 6 et de la façon dont ils s’étaient fait voler. Tout le monde, de Rick Adelman à Geoff Petrie. Ils n’avaient toujours pas digéré le Match 6.

George : Quarante minutes avant le début du match, tous les sièges de la salle étaient remplis. Les supporters portaient des T-shirts blancs, agiraient des serviettes blanches, applaudissaient très fort. Et ce n’était que l’échauffement. Le match n’avait même pas encore commencé. Je me souviens que le titre de James Brown « The Payback » passait en boucle, comme si leur temps était venu.

Napear : C’était une chance pour la communauté, la ville, l’équipe de faire quelque chose que personne ne pensait jamais voir : aller en finale NBA.

Brown : Ce dont je me souviens, c’est que nous avions travaillé les lancers francs toute l’année. Nous n’avons pas tenté beaucoup de lancers francs avant le septième match.

Pollard : Les gens me demandent si le basket me manque. Je suis à la retraite depuis cinq ans. Quand je leur dis que non, ils me demandent pourquoi. Je regrette mon salaire, mais pas ce que je devais faire pour l’obtenir. La seule chose qui me manque, c’est cette poussée d’adrénaline. Entrer sur le terrain et faire hurler 20 000 personnes. Les stars du rock font de la scène jusqu’à 70 ans pour ressentir ça. Les joueurs prolongent leur carrière juste à cause de ça.

Fox : Nous étions l’équipe la plus expérimentée. J’ai essayé de me concentrer là-dessus. J’ai essayé de me concentrer sur le fait que nous avions joué un Match 7 à Portland quelques années plus tôt.

Christie : Je n’avais jamais eu affaire à quelque chose comme ça. J’étais ému. Je n’avais pas compris ce que je traversais. Quand vous êtes déjà arrivé à ce stade, vous savez à quoi vous attendre. Donc j’étais sûr qu’à l’autre bout du terrain, ils étaient tranquilles comme Baptiste.

O’Neal : Pendant l’hymne national, j’aime regarder les gens dans les yeux. Je garde la tête baissée pendant la majeure partie du chant jusqu’à « l’éclat rouge des fusées ». C’est là que je lève la tête et que je regarde les gens, et quand je les regarde dans les yeux et qu’ils baissent la tête, je sais qu’ils ont peur.

Fox : Nous savions à quel point un Match 7 pouvait être émotionnellement et physiquement épuisant. Nous savions, au fur et à mesure du match, combien les possessions devenaient intenses et combien la pression pesait. Je savais que nous savions ce que ça faisait. Et je savais que les Kings ne savaient pas à quoi cela ressemblait.

Christie : J’étais ému. C’était un Match 7 contre les Lakers. Dans mon esprit, c’était ça. Si nous les battons, nous allions écraser les New Jersey Nets. Ce fut un moment fort à plusieurs points de vue. Toute votre vie, vous travaillez pour ça.

Brown : Je n’ai pas vraiment vu qui que ce soit être nerveux. Je sais que Webb et les autres voulaient gagner. Je n’ai pas vu Doug avoir peur. Je n’ai pas vu ça. Je ne l’ai pas vu. Je sais que Bobby Jackson a joué un rôle important dans le Match 7.

Rambis : Je me souviens d’avoir dit à Phil : « Ils ont peur de tirer. » Les joueurs étaient libres de tout marquage et ils ne rentraient rien, à l’exception de Bibby.

Heisler : En fin de partie, [Webber] a eu le ballon dans ses mains et c’était comme s’il avait attrapé une grenade. Il l’a secoué dans tous les sens, sans même songer à le passer à Mike Bibby.

Richmond : J’avais une peur bleue de perdre contre les Kings. Je pensais que ces sept années de succès allaient prendre fin et que les Kings iraient en finale. J’avais beaucoup de choses en tête. Quand j’étais sur le banc, je transpirais, alors que je ne jouais même pas.

Christie : Vers la fin du temps réglementaire, je pensais que le toit allait tomber. Ça tremblait de partout. Les supporters faisaient sonner leurs cloches, mais on ne les entendait même pas. Les gens étaient devenus fous. Le sol tremblait et en me dirigeant vers l’un des arbitres, je me suis dit que c’était incroyable.

Howard-Cooper : Comme un grand mur de son, de chaleur et de stress.

Wallace : On était assis sur le banc avec des boules Quiès.

*****

Dans les dernières secondes, alors que le score était à égalité, Stojakovic a complètement raté un tir à trois points qui aurait pu envoyer les Kings en finale. En prolongation, Christie a nettement raté un tir à trois points crucial. Finalement, ce sont ces deux tirs dont on se souvient le mieux. À part Bibby et Jackson, tous les autres Kings semblaient timides et écrasés par la pression. Sacramento a raté 14 lancers francs sur 30 et 18 tirs à trois points sur 20. Pendant ce temps, Shaquille O’Neal, Derek Fisher et Kobe Bryant ont marqué leurs huit lancers francs en prolongation. Les Lakers ont gagné 112-106.

Voisin : La plupart des joueurs étaient tendus, à l’exception de Bobby Jackson. Mais il était sur le banc, Dieu sait pour quelle raison. Rick avait remis les titulaires. Il a fait rentrer Peja, qui était blessé à la cheville, et Doug Christie.

Pollard : Au quatrième quart-temps, personne ne pouvait rentrer un tir. Cela m’a énervé parce que je faisais un bon match, peut-être l’un des meilleurs matchs de ma carrière en play-offs. Et je n’ai pas mis un pied sur le terrain au quatrième quart-temps. Après ce match, j’étais assez énervé parce que j’avais l’impression de contribuer, de faire quelque chose et de libérer mes coéquipiers.

Christie : Nous étions l’une des meilleures équipes de la ligue au lancer franc. Et puis, Peja a fait ce tir qui n’a même pas touché le panier. Ça ne lui arrive jamais. Pas même exprès.

Napear : Je ne sais pas si Bobby aurait réussi le dernier tir, mais je sais qu’il aurait au moins touché le panier. Bobby savait être décisif. Il ne ressentait jamais la pression, quelle que soit la situation.

Bobby Jackson : On suit les consignes de l’entraîneur. On respecte ses instructions et on fait ce qu’il dit. Au début de ma carrière, j’aurais probablement protesté, mais nous avions une si bonne alchimie, nous comptions en quelque sorte les uns sur les autres et nous avons respecté ce que l’entraîneur voulait en terme de temps de jeu et de prise de décision. Et nous ne l’avons pas remis en question.

Fox : Le seul joueur que je n’avais pas laissé seul durant toute la série s’est retrouvé seul pendant une seconde. J’étais parti en aide sur une pénétration, le ballon est ressorti pour Stojakovic, et s’il avait rentré ce tir qu’il met toujours habituellement, la série aurait été différente.

Divac : Peja était blessé, il avait un problème à la jambe. Mais bon, quand vous savez que votre tir peut vous envoyer en finale, et que celui qui va en finale gagne…

Stojakovic : Parfois, je me fais des reproches. Je pense que beaucoup de joueurs pensent à cette série et à ce que chacun d’entre nous aurait pu faire mieux. Personnellement, je pense encore à ce tir raté. Cela aurait peut-être pu faire la différence. C’est toujours dans ma tête.

Fox : Il a complètement raté son tir. Probablement parce qu’il était surpris d’être aussi seul.

Stojakovic : Maintenant que j’y pense, je me rappelle de ce tir et ça ne me fait pas du bien. Hedo me l’a ressorti dans le coin et je me suis peut-être un peu précipité. Il est bien parti, mais j’ai mal visé. J’ai simplement mal visé.

Turkoglu : Il était blessé à ce moment-là. Il avait pris la décision d’aller sur le terrain et d’essayer de faire de son mieux pour aider l’équipe. S’il n’avait pas été blessé, j’aurais mis tout mon argent sur le fait qu’il allait rentrer ce tir.

Christie : J’ai moi-même raté le panier sur un tir [en prolongation]. Il était bien parti. En y repensant maintenant, quand Bib m’a passé le ballon, je pense que j’avais encore quelques secondes. J’aurais pu me ruer vers le panier. Dans l’ensemble, c’était un match bizarre.

Wilbon : Le [tir] de Doug était en courbe, comme s’il avait lancé un boomerang ou quelque chose comme ça.

Voisin : Doug n’y arrivait pas. Il ne rentrait aucun tir.

Pollard : Je pense que [Doug] était psychologiquement cuit. Il avait eu des difficultés toute la série. Il n’a pas bien tiré, en particulier lors du septième match, mais personne n’a vraiment bien tiré lors du septième match. On a vraiment été mauvais.

Fox : Je savais que certains d’entre eux allaient être tendus, mais je ne savais pas qui. Je savais que les douze joueurs ne seraient pas aussi libérés et fluides qu’ils l’étaient probablement dans les six premiers matchs.

George : Quand nous étions assis sur leur banc, leurs fans pouvaient littéralement nous taper sur l’épaule en tendant la main. Ils étaient juste derrière nous. Et ils faisaient du bruit. Ils faisaient sonner leurs cloches de vaches et je me souviens que lorsque nous étions pratiquement sûrs d’avoir la victoire en poche, tout est devenu très calme. Les cloches se sont arrêtées et je me souviens que l’entraîneur s’est adressé au gars derrière le banc en disant : « Je croyais que tu allais sonner cette cloche toute la journée ? Je ne l’entends plus. » Et le gars s’est remis à faire sonner sa cloche, en nous perçant les tympans.

Adande : Le Match 7 était si intense que j’en ai attrapé mal à la tête. Mes oreilles bourdonnaient. Mon estomac était noué.

Adelman : Si vous voulez écrire qu’ils ont été meilleurs, faites-le. Mais je ne suis pas d’accord.

Christie : Nous les avons regardés droit dans les yeux et nous avons rivalisé avec eux. À mon avis, ils savaient que le vainqueur de cette rencontre allait gagner le titre. Quand ils nous ont battus, c’était plié.

O’Neal : La salle était très, très bruyante. Si nous pouvons surmonter ça, alors nous pouvons surmonter n’importe quel adversaire de la Conférence Est. C’était bien de jouer là. Vous arrivez dans une arène hostile et on s’attend à ce qu’ils gagnent, et vous gagnez en faisant le boulot dans un Match 7. J’aime ça.

Pollard : On peut parfaitement mettre la défaite du Match 6 sur le compte des arbitres. Mais il y avait toujours le Match 7. On a craqué et on a perdu. Nous aurions dû gagner. Même si ça fait mal, j’ai l’impression que je devrais avoir une bague.

Adande : Si votre arrière titulaire est terrifié avant le Match 7 à domicile, vous n’êtes pas prêt et vous ne méritez pas de gagner ce match ou la série. Les Lakers ont remporté un Match 7 à l’extérieur. Vous rendez-vous compte à quel point c’est rare ? Un Match 7 à l’extérieur après prolongation ? Les Kings n’étaient pas tout à fait prêts. Ils ont perdu le premier match à domicile. Ils ont perdu le Match 7 à domicile. Ce sont deux choses qui ne devraient pas arriver.

Gerould : L’expérience des Lakers dans les gros matchs a vraiment payé. Les Kings étaient trop conscients de l’opportunité qui se présentait dans le septième match, et en prolongation. Je pense que la pression a fait des ravages.

Phil Jackson : Vous ne pouviez rien demander de mieux dans le septième match d’une série.

Adelman : Je suis extrêmement déçu pour notre équipe. Ils ont joué avec leur cœur et on dirait qu’on leur a arraché. Nous avons fait tout ce que nous pouvions… Je ne sais pas comment nous avons fait pour perdre cette série.

Webber : Il y a tant de choses dans cette série qui auraient pu tourner en notre faveur. C’est stupide de passer tout son temps à y penser. Ça ne sert à rien.

Pollard: J’ai l’impression que ma carrière se serait peut-être déroulée différemment si nous avions gagné cette année-là. Mais c’est arrivé comme ça.

Divac : En gros, les lancers francs nous ont coûté la partie.

Howard-Cooper : Les Kings ont raté leurs lancers francs. C’est ce qu’il y a à retenir. On ne pouvait pas rattraper ça.

Phil Jackson : Ce sont finalement les lancers francs qui ont fait la différence. Ils étaient trop tendus. Les gens s’interrogent souvent sur les joueurs qui n’arrivent pas à tirer des lancers francs, ces grands gaillards qui arrivent sur la ligne. Ils marquent 80 % d’entre eux à l’entraînement et 50 % en match. Ils se demandent pourquoi ces joueurs, qui sont des professionnels, n’y arrivent pas. C’est à cause de la pression. C’est ce qui arrive dans un match comme celui-là, et nous avions l’expérience d’un septième match, et cette équipe avait été dans une position où elle avait connu des échecs. Ils avaient été balayés deux fois en séries éliminatoires deux ans avant que je vienne les entraîner en 1999 et en 2000. Ils en étaient donc vraiment conscients.

Bobby Jackson : Nous nous sommes battus nous-mêmes. Revoyez le match, regardez toutes les erreurs que nous avons faites, tous les lancers francs que nous avons ratés. Nous étions une très bonne équipe aux lancers francs. Nous nous sommes tirés une balle dans le pied.

Brown : Les gars étaient un peu abattus. Mais c’était une équipe assez jeune, alors on se disait qu’on avait eu un petit avant-goût. Il faut ramper avant de savoir marcher.

Phil Jackson : Je me souviens du moment où Shaq a chambré les supporters adverses alors que nous sortions du parking. Ils nous avaient chambrés en entrant.

Adande : Ce dont je me souviens en particulier est que Kobe est sorti de la salle avec moi après le Match 7, et j’ai posé des questions sur leur rivalité. Il a dit : « Attends. Ils doivent d’abord nous battre pour qu’on puisse en parler. C’est comme ça que ça se passe. »

Devin Blankenship (coordinateur du contenu Web, Kings) : Après avoir perdu le Match 7, on est restés au centre d’entraînement jusque tard dans la nuit. Après la conférence de presse, on retourne dans un petit espace ouvert où on parle avec les médias. Mon patron à l’époque était Troy Hanson, qui était directeur des relations publiques. Dans le reste du département, nous avions toujours entendu des histoires selon lesquelles l’équipe devait d’abord encaisser des défaites difficiles avant de remporter la mise. Donc, dans notre esprit, nous nous disions que ce n’était que le début. Troy nous a surpris en train de parler et il s’est dit : « Et si on avait laissé passer notre unique chance ? »

*****

VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)

All the Kings’ Men (6/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

*****

I. Avant la bataille (1/8)
II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)

VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens

MATCH 6, 31 MAI 2002

Le Match 6 a été l’un des plus controversés de l’histoire de la NBA, avec un résultat final que Sacramento n’a toujours pas digéré. Les Lakers se sont montrés agressifs, en donnant continuellement le ballon à Shaquille O’Neal. O’Neal a marqué 41 points, pris 17 rebonds, et a provoqué les sorties pour six fautes de Divac et Pollard. Lorsque Webber a pris sa cinquième faute au quatrième quart-temps, les Kings ont été forcés de faire rentrer Lawrence Funderburke, un ailier au temps de jeu très limité, pour défendre sur Shaq. Les Lakers ont tiré 40 lancers francs en tout, dont un incroyable total de 27 lancers au quatrième quart-temps (O’Neal a terminé avec un remarquable 13 sur 17). Bien qu’ils aient passé près de la moitié du quatrième quart-temps sans marquer sur une action de jeu, les Lakers ont marqué 18 lancers francs au cours des six dernières minutes pour arracher une victoire 106-102. Tout allait se jouer au Match 7. Mais les Kings étaient furieux de l’issue du Match 6. La sixième faute de Divac, la grosse faute de O’Neal sur Funderburke et le coup de coude de Kobe Bryant dans le visage de Mike Bibby avaient été jugés de manière incompréhensible. Leur fureur a éclipsé la grosse performance de Shaq, inspirée par une source inattendue.

O’Neal : Je dormais, avec ma fille à côté de moi. On était serrés l’un contre l’autre, puis le téléphone a sonné aux alentours de 2h30. C’était Kobe. Il m’a dit quelque chose comme : « Mon gars, demain, j’ai besoin de toi. On va marquer l’histoire. »

Phil Jackson : C’est comme ça que fonctionne Kobe. Il ne dort pas beaucoup. J’ai déjà eu des joueurs similaires. Michael Jordan ne dormait pas beaucoup non plus pendant les play-offs. Il y a une telle intensité que votre cerveau fait des heures supplémentaires. C’est quelque chose que Kobe arrivait bien à faire avec ses équipiers. Il n’était pas un ami proche de Shaq, mais il entretenait une bonne relation professionnelle avec lui.

Jones : Je crois qu’à ce moment-là, tous les habitants de Sacramento avaient l’impression d’avoir la meilleure équipe et qu’ils ne pouvaient pas perdre le match. Tout le monde pensait que c’était leur chance de remporter un titre.

Bob Delaney (arbitre NBA lors du Match 6) : Quand on est arbitre, on arrive dans les vestiaires en espérant faire le match parfait. Mais lorsqu’on quitte les vestiaires pour aller sur le terrain, il est clair que quel que soit le match – et j’en ai arbitré plus de 1 800 – il y aura toujours de coups de sifflet que vous auriez voulu donner et d’autres vous souhaiteriez ne pas avoir donnés.

Heisler : Vlade donnait beaucoup de mal à Shaquille avec son « flopping ». Il l’a perturbé ainsi pendant près de quatre matchs, puis Shaquille a finalement compris son petit jeu. Il a complètement changé sa manière de jouer. Il allait rester à distance pour que Vlade puisse pas flopper.

O’Neal : Quand mes adversaires floppent, cela veut dire qu’ils ont peur de moi. Quand je ressens leur peur, j’attaque et c’est ce que Vlade et Scot et tous les autres ont essayé de faire. Ils ont essayé de me mettre en difficulté.

Divac : [Pollard] essayait de le bloquer sous le panier et j’essayais [de] courir et de le fatiguer. Comme cela, il serait un peu fatigué en attaque et il ne marquerait pas à chaque fois.

Pollard : De temps en temps, j’essayais de m’écarter de Shaq, mais il me suivait partout, me renversait à chaque fois et finissait toujours par un dunk. Ce n’était donc pas une bonne tactique. Il valait mieux essayer de jouer dur ou de le repousser.

Richmond : À un moment donné, Shaq nous a dit : « Donnez-moi le ballon. Appuyez-vous sur moi et tirez-en tout ce que vous pouvez. » Et c’est ce qu’on a fait. On a fait tourner et on a commencé à donner le ballon à Shaq au poste bas.

O’Neal : Tout le temps. Je le leur répétais tout le temps.

Divac : On ne peut pas vraiment défendre sur lui. Il peut marquer à tout moment. Tenter de rivaliser physiquement avec Shaq, c’est c’est du suicide. J’ai essayé de remonter le terrain rapidement, de prendre des fautes offensives et de faire pression sur lui pour qu’il soit en difficulté. J’ai parfois forcé les arbitres à siffler des fautes, puis ils ont commencé à dire que c’était du flopping. C’est la seule façon de défendre sur lui.

Delaney : Nous savions tous que Vlade floppait. Nous avions regardé suffisamment de vidéos pour ne plus être dupes. Lorsque le « flop » est arrivé pour la première fois dans la ligue, on s’est souvent fait avoir. Mais à mesure que le temps passait, on finissait par ne plus se laisser prendre à ce petit jeu car nous pouvions faire la différence après l’avoir vu souvent en vidéo. On pouvait faire la différence entre une simulation et une vraie faute.

*****

Pollard : Dans les vestiaires, à la mi-temps, on s’est répétés ce qu’on s’était dit durant toute la série : « Hé, les gars, ils ne vont pas nous donner la victoire. Nous devons gagner. Nous devons battre le cinq des Lakers et apparemment, les trois autres gars en uniforme, les arbitres, sont contre nous aussi, mais nous devons tous les battre. N’y pensons pas. Faisons-le. »

Richmond : Nous essayions de provoquer des fautes, de faire siffler les arbitres et de ralentir le jeu. Ils voulaient aller un peu plus vite que nous.

Voisin : Le sixième match a été le match important le moins bien arbitré que j’ai jamais couvert, et je suis la ligue depuis 1981. Je pense que les arbitres ont été mauvais, tout simplement. Il y a eu quelques fautes vraiment ridicules sifflées contre Pollard et Divac au quatrième quart-temps, qui les ont tout simplement sortis du match.

Divac : Je me sentais mal, mais que pouvais-je y faire ? Scot et moi, on s’est fait sortir très rapidement pour cinq fautes, mais que pouvait-on y faire ?

Delaney : Shaq aurait dû aller sur la ligne beaucoup plus souvent, parce qu’il passait en force là où d’autres joueurs auraient laissé échapper la balle, ou n’auraient pas pu passer. Donc, quand il prenait des coups, les autres arbitres et moi ne pensions pas qu’il avait été touché – c’était accidentel parce qu’il défonçait tout. Mais en réalité, quand on revoit les images, on se dit : « Il a vraiment été touché. » Ce dont il se plaignait était vrai.

Ted Bernhardt (arbitre NBA, Match 6) : Quand [O’Neal] se retournait et pivotait, ça faisait du dégât. Souvent, [il était difficile] de juger si c’était une faute offensive, s’il avait été victime d’une faute ou s’il n’y avait rien du tout. Il y avait tellement de choses qui pouvaient arriver à chaque fois qu’il se retournait.

Delaney : Je sais que l’expulsion de Divac a fait beaucoup parler. Mais d’après la vidéo, la faute aurait dû être sifflée à Webber sur la première action offensive de Horry. Il attrape son poignet, ce qui lui fait perdre la balle. J’ai raté cette faute, et si j’avais été parfait, j’aurais sifflé la première faute, et je pense que cela aurait été la sixième faute de Webber. Je ne savais pas que c’était la sixième faute de [Divac]. Robert va au rebond, et quand Vlade entre en collision avec lui, il perd le ballon à nouveau. Donc à mon avis, c’est une faute, que ce soit sa première ou sa sixième. Quand quelqu’un perd la possession du ballon à cause d’un contact, c’est qu’il y a faute. J’ai manqué la première [faute], pas la deuxième, et c’était la sixième de Divac, ce qui a provoqué tout ce battage.

Pollard : Lorsque vous comptez les fautes sifflées en faveur de Shaq et celles qu’il a commises, vous vous rendez compte que quelque chose ne va pas. Il est normal que trois de nos joueurs commettent plus de fautes que Shaq. Mais trois ou quatre de ses adversaires directs se sont fait expulser. Nous ne marquions pas et il ne se faisait pas expulser pour six fautes. Et Samaki Walker non plus.

*****

Bernhardt : L’action la plus difficile à juger était celle de Kobe en fin de match [contre Bibby à 12 secondes de la fin], quand il va vers le ballon. J’aurais pu siffler ou non. Comme mes deux autres confrères.

Gerould : Il a carrément renversé Mike Bibby, juste devant nous. J’ai regardé Bob Delaney. Il n’y avait pas de coup de sifflet, pas de faute. Et je me demandais ce qu’il fallait faire pour qu’on nous en siffle une.

Delaney : Je vois Mike Bibby défendre sur Kobe Bryant, je vois son bras enroulé autour de sa taille, et pour moi, c’est une faute. Je suis en train de mettre le sifflet à ma bouche, me préparant à siffler une faute antisportive car le ballon n’est pas encore en jeu. Si une faute a lieu avant que le ballon ne soit remis en jeu, elle est considérée comme une faute d’anti-jeu, ce qui signifie un lancer franc et la possession. N’importe quel joueur pouvait tirer le lancer franc pour les Lakers, puis les Lakers conserveraient la possession à l’endroit de la faute.

Bernhardt : On pouvait siffler une faute avant le coup de coude au visage.

Delaney : Pendant que je réfléchis à tout cela, Kobe essaie de se libérer, le ballon est remis en jeu puis une faute est commise. Et il devient [clair] pour moi que d’une manière ou d’une autre, Mike a été touché au visage, de toute évidence lorsque Kobe levait les bras. Tout cela en quelques microsecondes.

Bernhardt : [Kobe] essayait vraiment de se dégager après que le défenseur l’a saisi. C’était une action difficile à juger. Point final. Quand on voit ça, on peut avoir deux opinions contraires, mais tout à fait valables.

Delaney : J’avais déjà vu des coups de coude ; pour moi, celui-ci n’en était pas un. Mais si j’avais fait le match parfait, j’aurais sifflé une faute d’anti-jeu, ce qui signifie que les Lakers auraient tiré un lancé franc et a conservé la possession ; puis j’aurais sifflé une faute technique contre Kobe. Sacramento aurait tiré un lancer franc pour faute technique, Los Angeles aurait fait de même, et les Lakers auraient remis le ballon en jeu au même endroit.

Bibby : Cela m’a énervé parce que quand je me suis levé, je pensais qu’ils avaient sifflé contre lui. Je ne savais pas ce qui s’était passé. Je me souviens avoir demandé : « Vous avez sifflé contre moi ? » J’avais le nez qui saignait. J’ai craché un peu de sang sur le terrain juste pour leur montrer.

Pollard : On en rigolait tellement c’était ridicule. Sur chaque lancer franc, Shaq allait au-delà de la ligne, et on avait beau hurler, ils ne faisaient rien. Vlade défendait sur Shaq comme il l’avait fait toute l’année et ils n’ont pas arrêté de le saquer. Je prenais des coups d’épaule qui me faisaient bouger de cinquante centimètres, puis Shaq me donnait un coup de coude dans le menton en allant au panier et c’est moi qui prenais la faute. Lawrence Funderburke faisait tout ce qu’il pouvait contre quelqu’un qui pesait cinquante kilos de plus que lui, car nous n’avions plus que lui et Chris Webber. Mike Bibby se fait éclater le visage par Kobe, et la faute est sifflée contre lui. Et on ne pouvait rien faire d’autre que de regarder ça en rigolant.

Adelman : Tout ce que j’ai à dire, c’est qu’en saison régulière, le coup de coude de Kobe dans la bouche de Mike et la faute de Shaq sur Lawrence Funderburke auraient été jugées comme des fautes flagrantes.

Chris Webber (ailier des Kings) : C’était un drôle de match. Pas un match drôle.

*****

Rambis : Même si les arbitres disent qu’ils arbitrent les matchs de play-offs comme ceux de saison régulière, je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense que le jeu devient de plus en plus physique et que les arbitres permettent plus de choses.

Phil Jackson : Ce n’était pas aussi ridicule que, par exemple, la série entre Miami et Dallas de 2006, lorsque Dwyane Wade tirait une vingtaine de lancers francs par match.

Michael Wilbon (chroniqueur au Washington Post) : Je pense que les arbitres sont les personnes les plus injustement critiquées du monde des sports. Je pense qu’ils ne suivent les directives de personne, et j’inclus là-dedans des arbitres de NBA que je connais. Je pense qu’ils sont de loin les personnes les plus impartiales dans le domaine du sport et qu’ils n’ont pas de préférence. Je pense que les scouts et les arbitres sont les personnes les plus honnêtes dans le domaine du sport. Mais ce match était une abomination.

Brown : On nous a volé ce match. Je ne pensais pas du tout que nous allions commettre toutes ces fautes. Notre équipe jouait en finesse.

O’Neal : Tout le monde veut m’envoyer sur la ligne des lancers francs. Tout le monde veut faire faute sur moi. Donc, tout ce truc avec les fautes, ça faisait partie de leur stratégie. C’est ce qu’ils ont fait. Il y avait peut-être un ou deux coups de sifflet injustes, mais ça arrive à chaque match, chaque année depuis que je joue en NBA. Leur stratégie était de commettre tout le temps des fautes.

Brown : Les arbitres peuvent parfois se tromper, comme sur un ballon qui sort des limites du terrain. Ce genre de chose arrive. Mais avec les fautes, c’est un peu différent.

Wilbon : Je ne crois pas que David Stern ait appelé qui que ce soit, ou que mes patrons du réseau aient appelé qui que ce soit. Je ne crois rien de tout cela, car quelqu’un aurait forcément fini par lâcher le morceau. Je pense juste que certaines personnes ont eu une mauvaise nuit.

Bernhardt : Ed Rush, mon patron à l’époque, m’a appelé et m’a demandé ce que je pensais du match. J’ai dit : « Je préfère ne rien dire. » Il a dit : « Dis-le-moi quand même, Ted. » J’ai dit : « Vous me connaissez bien, Ed. Je préfère ne rien dire. » Il a dit : « Ted, dis-moi. » J’ai dit : « Eh bien, je pense que mes confrères ont été très mauvais. » Il a dit : « O.K., merci. J’étais sûr que tu dirais ça. » Et il a raccroché. C’est pour ça que je déteste en parler, parce que j’ai vraiment beaucoup d’estime pour Delaney et [le troisième arbitre Dick] Bavetta.

Reynolds : Ce quart-temps en particulier était tout simplement incroyable. Il y a toujours des éléments qui sont avec vous et contre vous. Je l’ai vu pendant de nombreuses années. Mais là, c’était frappant. Je n’avais jamais vu autant de fautes sifflées contre une seule équipe de manière aussi constante.

Bernhardt : Je n’étais pas content du match. Je n’étais pas content de mes partenaires dans leur ensemble. Dans l’ensemble, je ne pense pas que quelqu’un a été acheté ou quelque chose du genre. C’était un match difficile.

Christie : Shaq a été très bon. Nous étions sans arrêt sur lui. Bien sûr, il a eu des coups de sifflet en sa faveur, mais ça n’enlève rien à sa valeur. Quand on joue contre un type avec des statistiques aussi monstrueuses – 40 points et 20 rebonds tous les soirs – il y a quand même de quoi être époustouflé. On a fait tout ce qu’on pouvait contre lui et on n’a pas réussi à l’arrêter.

Heisler : Il n’y a pas eu un seul coup de sifflet scandaleux. Les Lakers l’ont servi sous le panier et il a attaqué le panier sans arrêt. Shaq marquait généralement des dizaines de lancers francs par match.

Bobby Jackson : C’était ridicule. 27 lancers francs en un quart-temps ? Ça n’avait jamais eu lieu dans toute l’histoire de la NBA. À la fin de la journée, nous avions un peu l’impression de nous être fait avoir.

Wallace : Nous étions à un arbitre d’aller en finale.

Pollard : On était complètement découragés. On s’était battus, on était revenus après une grosse désillusion et ce tir au Match 4 avant la mi-temps, et nous avions toujours l’impression d’avoir gagné ce match. En gros, nous avons gagné ce match et nous avons manqué de temps.

*****

VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)

All the Kings’ Men (5/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

*****

I. Avant la bataille (1/8)
II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)

V. Avantage psychologique ?

MATCH 5, 28 MAI 2002

Au milieu du tapage concernant l’arbitrage dans cette série, on ne parle curieusement jamais ou presque de ce qui s’est passé dans le cinquième match. Comme le dit aujourd’hui Christie, c’est « un match que presque tout le monde a oublié ». Webber a encore une fois été magnifique (29 points et 13 rebonds) et Mike Bibby (23 points) a été décisif, mais Shaq (qui n’a joué que 32 minutes) a été pénalisé par ses fautes tout au long du match et a fini par être exclu ; plus étonnant, il n’a tenté qu’un seul lancer franc de toute la nuit. Et Bibby a rentré un tir en suspension gagnant à 8,2 secondes de la fin après une série d’actions controversées. Tout d’abord, Webber a paru sortir le ballon des limites du terrain, mais les arbitres ont jugé que Robert Horry l’avait dévié. Ensuite, Webber a semblé faire tomber Derek Fisher en remettant le ballon à Bibby, le laissant tout seul pour le tir gagnant. Sur la dernière action, Bobby Jackson a touché Kobe Bryant sur sa tentative de tir gagnant, mais aucun coup de sifflet n’a retenti et Sacramento a arraché la victoire 92-91. Divac a envoyé des baisers à la foule après la victoire et le copropriétaire Gavin Maloof a sauté sur la table de marque, les poings levés. La série avait de nouveau basculé.

Turner : Vlade jouait bien. Il était intelligent et rusé. Il savait se coller à Shaq, le retenir et le lâcher au bon moment, en jouant le jeu. La plupart du temps, cela fonctionnait. Vlade tenait bon. Ce n’était pas un joueur imposant. Il avait de l’expérience et il était intelligent.

O’Neal : J’essayais d’être agressif, de jouer dur. On m’a sifflé des fautes stupides.

Beck : Tout le monde oublie les autres matchs où l’arbitrage était controversé. Quand Webber a sorti le ballon hors des limites du terrain, mais qu’ils ont dit que c’était Horry et l’ont rendu aux Kings, c’était un moment-clé.

Phil Jackson : Nous pensions que le ballon était à nous, qu’ils l’avaient sorti. Et Jack Nies le leur a donné juste devant nous. On a cru qu’il s’était trompé. Tout le monde était en colère.

Howard-Cooper : Il est clair que les Kings ont eu de grosses décisions en leur faveur. Personne à Sacramento ne parle jamais de ça. Il y avait des actions litigieuses qui allaient dans les deux sens. Ce n’étaient pas seulement les Lakers qui en bénéficiaient à chaque match.

Phil Jackson : On s’est rassemblés et on a essayé de se calmer, en se disant qu’on menait toujours au score et ainsi de suite.

Reynolds : [Bibby] adorait prendre de gros tirs; [il] devenait meilleur dans les moments cruciaux.

Pollard : À l’université, quand j’étais en dernière année, Mike faisait partie des Wildcats de l’Arizona et j’étais avec la tête de série n°1, les Kansas Jayhawks. Nous étions les meilleurs ; nous dominons tout le monde. Puis on a joué contre les Wildcats et Mike nous a dézingués. J’avais ça en tête quand je suis devenu son équipier. Il a toujours réussi de gros tirs.

Christie : En donnant le ballon à Webb à la remise en jeu, Adelman a été extrêmement intelligent. Il pensait que les Lakers croiraient qu’il allait prendre le dernier tir. Donc, après avoir fait la passe, Bibs allait avoir un peu de champ libre. Et c’est arrivé.

Bibby : J’ai dit à Webb que s’il ne voulait pas tenter le tir, je le ferais. Webb était assez bon pour m’ouvrir le terrain. Presque tout le monde pensait qu’il allait tenter le panier. Il a fait un écran solide, qui m’a laissé complètement seul.

Christie : Nos tactiques n’étaient pas élaborées pour un seul joueur. Nous essayions à chaque fois de lire la défense. Nous prenions ce que la défense nous donnait.

Reynolds : Les Kings ont probablement effectué un écran illégal pour donner le champ libre à Bibby. À mon avis, Webber avait l’air de vouloir empêcher ses adversaires de passer par n’importe quel moyen. Mais ce n’était pas flagrant.

Adande : J’ai commencé à spéculer sur l’arbitrage dès la fin du Match 5, avant même que les choses ne s’aggravent.

Christie : Bib a réussi l’un des plus gros tirs de l’histoire des Sacramento Kings et il nous a donnés un gros coup de pouce.

Bibby : J’avais passé des heures et des heures au gymnase à m’entraîner pour ce tir. J’étais donc à l’aise pour le tenter.

Breen : C’était la soirée de Mike Bibby. Il a été sensationnel. Au moment critique, on aurait dit qu’il était le seul à vouloir prendre le tir gagnant pour Sacramento.

Reynolds : Mike était un excellent tireur, très précis. Il adorait ce genre d’occasion. Chris était bon aussi dans ce domaine, mais je pense qu’il avait une très grande confiance en Mike.

Cleamons : On a fait gagner beaucoup d’argent à Bibby. Il devrait nous remercier. Il s’est fait un nom dans ces matchs.

Adande : Bibby a marqué son tir et nous a fait passer en tête. Sur l’action suivante, c’est Kobe qui s’y est collé. Au départ, son maillot était rentré dans son short. À la fin de l’action, il ne l’était plus. Bobby Jackson l’avait marqué à la culotte. Kobe a raté son tir. Aucune faute n’a été sifflée. Les Kings ont gagné le cinquième match.

Bobby Jackson : Je suis à peu près sûr d’avoir fait faute sur lui. Mais en fin de compte, c’était plutôt une bonne défense. Je lui ai fait prendre un tir difficile. Je pense que c’était une très bonne défense.

Bryant : Si je suis en parfaite santé, peut-être que je marque tous ces tirs. Qui sait ? S’il y a faute ? Vous avez vu les images ; ce n’est pas évident. Shaq était sorti pour six fautes. C’était à moi de créer quelque chose, de marquer ou d’aller sur la ligne des lancers francs.

Phil Jackson : Bibby a réussi de gros tirs. Il a marqué un gros panier et, en gros, a sauvé leur série. Ils devaient gagner ce match. Cette défaite nous a fait vraiment mal, mais nos joueurs étaient bons. Nos joueurs étaient toujours très confiants quant à leur manière de jouer.

Bibby : Je pensais que la série était terminée, à voir la façon dont nous jouions et comment les choses se déroulaient. Au début du Match 6, nous étions vraiment imbattables.

*****

VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)

All the Kings’ Men (4/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

*****

I. Avant la bataille (1/8)
II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)

IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe

MATCH 4, 26 MAI 2002

Dans le Match 4, Sacramento a pris une avance de 24 points, réduisant au silence la foule du Staples Center. Un panier à trois points désespéré de Samaki Walker en fin de première mi-temps a réduit l’écart à 14 points, redonnant de l’espoir aux Lakers. Les arbitres ont accordé le panier, à la grande frustration de Sacramento. La vidéo – qui n’était pas utilisée par les arbitres à l’époque – prouvera que le tir avait été pris après la sirène.

Voisin : Tout laissait penser que les Kings allaient prendre les devants dans cette série. Ce qui signifiait, en gros, qu’ils allaient aller en finale.

Christie : On avait vingt points d’avance en première mi-temps.

Napear : Je commentais le match à la radio. À un moment, j’ai dit : « On a l’impression d’être à la bibliothèque publique de Los Angeles. » C’est dire à quel point l’ambiance était calme.

Albert : Je me souviens avoir affirmé que [le panier de Samaki Walker] avait été trop tardif, mais ils l’ont accordé pour une raison quelconque.

Walker : Je n’avais aucune intention de tirer. J’ai dû prendre deux tirs à trois points en tout et pour tout dans ma carrière. Et je crois les avoir réussis tous les deux ! C’était un coup de chance.

Phil Jackson : Nous avions besoin de quelque chose qui nous redonnerait confiance.

Walker : Techniquement, le ballon était peut-être encore dans ma main. En fait, je [n’ai] revu l’action qu’environ trois ans plus tard. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi on en faisait toute une histoire. Une fois que j’ai eu la chance de le voir, j’ai compris. Un peu.

Christie : Le panier n’aurait pas dû être accordé. Ça les a complètement remis en selle. Ils allaient rentrer au vestiaire sur une action positive, alors que nous étions en train de les écraser.

Walker : Je pense qu’il a tout à fait raison. Dans un match comme celui-là, lorsqu’on est en retard au score et que les choses ne se passent pas comme on veut, on s’accroche à tout ce qui peut desserrer le nœud autour de son cou.

Adande : Et s’il ne met pas ce panier, bien entendu, celui de Robert Horry ne compte plus.

*****

Les Lakers ont continué à se rapprocher en seconde période pendant que Sacramento perdait en adresse, avec seulement 34 points marqués après la mi-temps. Kobe et Shaq avaient marqué 52 points à eux deux dans le Match 4, mais Horry (qui a terminé avec 18 points, 14 rebonds et 5 passes décisives) était le joueur le plus complet des Lakers. À ce stade de sa carrière, personne ne l’appelait encore « Big Shot Rob ». Tout cela allait changer sur la dernière possession, alors que les Lakers avaient deux points de retard.

Heisler : Ils avaient réussi à revenir dans le match et ils se rapprochaient de plus en plus.

Mitch Richmond (arrière des Lakers) : J’ai beaucoup appris avec Phil. Quand il ne restait plus que quatre secondes à jouer, il disait que tout allait bien, qu’on avait le temps. Pendant treize ans, j’avais pensé que quatre secondes, ce n’était pas beaucoup. Tout le monde était calme quand nous avions le ballon avec seulement quatre, cinq ou six secondes à jouer. C’était une éternité pour notre équipe. Tout se déroulait au ralenti. Phil nous donnait confiance.

Horry : Je suis du genre à prendre le tir à trois points gagnant, quelles que soient les circonstances. Mais la tactique était de mettre Kobe en isolation contre Doug Christie.

Christie : Quand nous jouions contre les Lakers, je disais généralement à mes coéquipiers : « Je me charge de lui. » Je n’allais pas arrêter [Kobe] par la seule force de mon imagination, mais je ne voulais pas de prise à deux. Shaq était inarrêtable sous le panier. Kobe ratait un tir sur deux à l’extérieur, et c’était suffisant pour moi. J’essayais juste de le coller et de lui faire rater son tir. J’ai réussi, mais Vlade s’est souvenu de ce qu’avait fait Magic Johnson contre Portland, et il a essayé d’envoyer la balle à l’autre bout du terrain.

Divac : En 1991, je jouais les finales de la Conférence Ouest avec les Lakers. C’était ma deuxième année en NBA. Nous avions un point d’avance et [Terry] Porter a tenté un tir. Magic a attrapé le rebond, et il a simplement balancé le ballon à l’autre bout du terrain, le temps que le chronomètre s’écoule.

O’Neal : J’avais le ballon de l’égalisation. J’ai essayé de marquer rapidement pour que Vlade ne fasse pas faute sur moi – ce qu’il a fait, soit dit en passant – et j’ai raté mon coup.

Divac : Avec Shaq sur le dos et Kobe qui partait en double-pas, j’ai bloqué le tir, mais le ballon m’avait échappé. Je ne pouvais pas l’atteindre. J’ai essayé de le balancer au loin pour que le temps s’écoule.

Bobby Jackson (arrière des Sacramento Kings) : Je pensais : « Attrapez ce putain de rebond. Ne paniquez pas. Prenez le rebond. Il est à votre portée. Prenez la faute. La seule chose qui peut nous battre est un tir à trois points. Shaq ne peut qu’égaliser. »

Pollard : Sur un tir à la dernière seconde, il faut éloigner le ballon du cercle. Ne pas laisser l’adversaire gagner sur une claquette au rebond. Avec Shaq, Vlade luttait contre le pire adversaire possible. On ne peut pas laisser Shaquille O’Neal prendre le ballon dans cette situation, ou on va probablement se prendre un dunk et une faute en prime. Il faut sortir le ballon.

O’Neal : Il a essayé de l’éloigner et l’a envoyé directement à Robert.

Divac : En gros, j’ai fait une bonne passe à Robert Horry.

Reynolds : Je continue à croire que c’était très mal joué de la part de Horry. Les Lakers avaient deux points de retard, et leur ailier fort se trouvait à huit mètres du panier. Il aurait dû garer ses fesses sous le panier. Que voulait-il faire ? Protéger la zone arrière ?

Horry : Je voulais être là-bas parce que je recherche toujours le trois points gagnant. Je déteste ces conneries de match nul et de prolongations.

Phil Jackson : Il traînait toujours autour de la ligne à trois points dans des situations comme celle-là. On lui avait demandé de rester dans les coins et face au panier. Et il était là. Son tir a sauvé la série. Nous avions besoin de ce rush d’énergie pour notre équipe.

Turner : C’est comme si Horry avait eu un aimant. Le ballon est venu directement vers lui. S’il avait été 1,50 m plus loin, un de nos joueurs l’aurait récupéré.

Horry : Le ballon est arrivé jusqu’à moi de manière parfaite.

George : C’était la plus belle des passes. Je ne pense pas qu’une passe à deux mains aurait été meilleure.

Heisler : Neuf joueurs sous le panier et Rob était derrière l’arc, comme si Dieu allait lui donner le ballon.

Christie : Vlade pourrait tenter de refaire cette passe cent fois qu’il n’y arriverait pas.

Pollard : Il n’a pas eu à se pencher ni à tendre la main. Le ballon était directement sur lui, et tout ce qu’il avait à faire était de tirer. C’était la passe parfaite.

Christie : J’aurais probablement dû courir vers lui, mais j’ai vu « Webb » et je me suis dit qu’il avait plus de chances parce qu’il était plus proche que moi.

Reynolds : Il faut le reconnaître : Webber a réagi au quart de tour une fois que le ballon est sorti de la raquette. Il a vraiment contesté le tir.

Christie : Quand on court vers un joueur, si on sent qu’on ne pourra pas contester le tir en levant la main, il vaut mieux s’abstenir et simplement passer devant lui. Cela va le perturber un peu plus. Lorsqu’on lève la main, cela lui donne un peu le temps de se régler.

Richmond : Dès que le tir est parti, on pouvait voir qu’il était réussi.

*****

Gerald Wallace (ailier des Kings) : Le ballon a mis une éternité à atteindre le cercle.

Fox : Le ballon est rentré, et là… On avait la tête sous l’eau, et c’était comme si on avait trouvé une bouteille d’oxygène.

Reynolds : J’ai eu l’impression que mon fils aîné avait eu un accident de voiture ou quelque chose comme ça.

Richmond : Je pense que j’ai été le premier à rejoindre Horry. Je me précipité du banc pour sauter dans ses bras.

George : Ils nous ont offert le match. S’ils l’avaient gagné, ça aurait été terminé. Il n’y aurait pas eu de Match 7 sans ce tir.

Divac : Après coup, j’ai essayé leur mettre la pression, à lui et aux Lakers, en disant qu’ils avaient eu de la chance. Mais il est clair que Robert est un grand shooteur.

Steve « Snapper » Jones (analyste sur NBC) : Les Kings ont fait tout ce qu’il fallait faire. Ils se sont massés sous le panier, le ballon a rebondi, ils l’ont repoussé et les Kings vont battre les Lakers, et ils vont aller en finale, et le ballon va à Horry et il est en rythme parfait et le ballon rentre. Voilà comment il a obtenu le surnom de « Big Shot Rob ».

Christie : Mon fils est un grand fan de Kobe. Il y a des trucs sur lui et sur les Lakers partout dans ma maison. Je lui ai acheté la photo de Robert Horry en train de tirer par-dessus Chris – elle est signée et elle est sur son mur. Je regarde cette photo tous les jours dans la chambre de mon fils. Webb lève son bras et sa main le plus haut possible, il essaie de toucher le ballon, mais la passe de Vlade était trop parfaite.

Cleamons : Pour gagner, il faut être bon et avoir de la chance. Et si on a un peu de malchance ou de déveine, on peut perdre. À ce niveau-là, la différence entre un titre et une finale perdue est minime.

Jones : La chance fait partie du monde des sports. Il faut avoir un minimum de chance pour remporter un titre… Les Kings ont tout fait à la perfection, et ça s’est mal terminé. À cause de la malchance.

Bibby : Quand le panier est rentré, on a pris un bon coup sur la tête. Cela dit, on retournait chez nous, dans la meilleure salle de la ligue à ce moment-là. Je pensais que nous allions gagner la finale à domicile.

Divac : Dans une série éliminatoire, tout ce qui compte, c’est d’avancer. Quand un match est perdu, on ne peut plus rien y faire.

Reynolds : Un jour, j’ai dit à Horry : « Tu m’as fait perdre un sacré paquet de fric. » Il a répondu : « Qu’est-ce tu veux que ça me fasse ? » Il avait raison.

*****

V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)