#8 : Ralph Sampson, arrivé trop tard

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Ralph Sampson en couverture de Sports Illustrated, avec l’Université de Virginie.

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En avril 1980, les Boston Celtics ont de bonnes raisons de se réjouir. Pas seulement parce que l’arrivée du rookie Larry Bird a transformé une équipe moribonde et qu’elle s’apprête à affronter Philadelphie en finale de la Conférence Est. Mais aussi parce que le sort vient de leur accorder le premier choix de la prochaine draft. Et la cible des Celtics est toute trouvée. Il s’agit de Ralph Sampson.

(Note : cet article reprend de façon presque exhaustive les propos de Bill Simmons concernant Ralph Sampson dans Le Livre du basket-ball. Ce qu’il dit au sujet de Sampson est tellement juste qu’il n’y a rien à redire ou à retirer.)

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Pour bien comprendre ce qui s’est passé, revenons un peu en arrière. À l’été 1979, les Celtics font signer M. L. Carr en provenance des Detroit Pistons. Bien que Carr soit agent libre, les règles de l’époque imposent à l’équipe qui accueille un joueur de donner une compensation à l’équipe qui a perdu ce joueur (la commissionnaire se chargeant de régler les éventuels litiges). Les Pistons choisissent l’ailier des Celtics, Bob McAdoo, en guise de compensation. Comme McAdoo avait été cinq fois All-Star et que sa valeur dépassait celle de Carr, Detroit abandonna aux Celtics un grand nombre de choix de draft pour arriver à un arrangement équitable.

À la fin de la saison, les Pistons terminèrent avec le pire record de la Conférence Est (16 victoires pour 66 défaites). Cela aurait dû leur valoir au moins l’un des deux premiers choix de la prochaine draft. Mais comme ils avaient cédé leurs choix de draft aux Celtics en échange de McAdoo, les Celtics se retrouvèrent soudain avec 50 % de chances d’obtenir le premier choix de la draft 1980 !

À l’époque, le système de loterie n’existait pas ; le premier choix de draft était décidé par un tirage à pile ou face entre les deux pires équipes de chaque Conférence (ou l’équipe qui avait récupéré le choix de draft l’une de ces deux équipes). En avril 1980, donc, les Celtics et Utah (la pire équipe de l’ouest) se retrouvèrent pour le tirage au sort. Frank Layden, le manager du Jazz, qui choisissait le premier, suivit l’avis de sa fille et demanda « pile ». La pièce tomba côté face. Et c’est ainsi que les Celtics obtinrent le luxe de choisir en premier à la draft qui allait avoir lieu quelques mois plus tard.

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Immédiatement, les Celtics ciblent le meilleur joueur universitaire de l’époque, Ralph Sampson. Sampson était un géant de 2,24 m et de 19 ans qui venait d’intégrer l’Université de Virginie ; il avait réussi une première année retentissante (15 points, 11 rebonds et 5 contres par match). Aujourd’hui, beaucoup l’ont oublié, mais Sampson était à l’époque considéré comme un joueur qui allait dominer tous ses adversaires à son entrée en NBA, dans la même veine que Chamberlain, Abdul-Jabbar et Walton. Red Auerbach pensait même que Sampson avait les aptitudes physiques et l’instinct pour devenir le prochain Russell.

Sampson était comme un Abdul-Jabbar ayant dépassé la trentaine et sans bras roulé : même physique, même taille, légèrement décevant au rebond et au contre (bien que solide dans ces deux domaines), mais supérieur à presque tout le monde à cause de sa taille et de sa rapidité. Les Celtics avaient tranquillement commencé leur lobbying : Viens jouer avec nous. Tu te battras tout de suite pour un titre avec Bird, Cowens, Maxwell et Tiny Archibald au sein de la plus grande franchise de l’histoire. Pourquoi risquer une blessure ? Bird et toi, vous pourriez dominer cette ligue pendant une décennie.

L’offre était plus qu’alléchante. Mais non : Sampson a refusé de rejoindre les Celtics de façon incompréhensible et a terminé son cursus universitaire avant d’être sélectionné en première position par les Rockets trois ans plus tard. Auerbach a publiquement tourné sa veste après le refus de Sampson, en disant avec mépris que Ralph avait été « embobiné par de mauvais flatteurs » et ajoutant :

« Les gens qui lui ont conseillé de poursuivre ses études vont avoir du mal à dormir la nuit. Ils lui ont retiré une capacité d’amélioration qu’il ne retrouvera jamais, et ils oublient que s’il se fait renverser par une voiture, ce sera fini pour lui. C’est ridicule. S’il avait des capacités intellectuelles hors normes et souhaitait devenir chirurgien, on comprendrait qu’il continue à aller à l’école. »

Du coup, les Celtics sont passés au plan B : échanger leur premier choix de draft (et le treizième) contre Robert Parish et le troisième choix (Kevin McHale). Dans les six années qui ont suivi, ils ont remporté trois titres.

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Les Celtics auraient-ils gagné ces trois trophées s’ils avaient eu Sampson ? Cela dépend de la façon dont la carrière de ce dernier se serait déroulée s’il n’avait pas terminé l’université – trois ans au cours desquels il ne s’est jamais amélioré et a évolué avec des coéquipiers de faible niveau, tout en faisant face aux tactiques de ralentissement et aux prises à trois – et était rentré dans le bain au plus haut niveau possible dans une équipe favorite pour le titre.

De fait, ce qu’avait prédit Auerbach s’est exactement réalisé. Les trois années  supplémentaires passées à l’université ont affecté le potentiel de Sampson de manière significative. Il n’a jamais trouvé développé un tir fiable sur lequel s’appuyer ; en revanche, il s’est mis à croire ce que tout le monde lui répétait, à savoir qu’il était un arrière dans le corps d’un big man, et il a commencé à passer son temps à six mètres du panier, tout en essayant de mener les contre-attaques comme un Bob Cousy mutant.

Ajoutez à tout cela une première saison galère au sein d’une horrible équipe de Houston horrible et voilà comment quatre saisons ont été gaspillées dans la période où un joueur est censé se développer. Il ne s’en est jamais remis. Vu que Sampson n’a joué que quatre saisons NBA en bonne santé, et qu’il a déclaré être ruiné quelques années plus tard, on peut dire que Red savait peut-être de quoi il parlait. (Qu’il ait correctement évalué les capacités de Ralph est une autre histoire.)

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Imaginez un peu si Ralph avait appris à Boston les ficelles du métier, comment maîtriser les rebonds et les contres, avait joué des matchs de play-offs sous haute pression, et exécuter des contre-attaques avec une équipe qui excellait dans ce domaine, en obtenant des paniers faciles de la part de Bird entre 1980 à 1984. Sur le papier, cela aurait été la meilleure place pour un pivot capable de soutenir une franchise de l’histoire de la NBA. Cela aurait-il été mieux qu’un combo Parish / McHale ? Tout dépend de la façon dont on apprécie l’évaluation d’Auerbach évoquant « le prochain Russell ».

Une dernière remarque concernant Ralph : seuls dix-sept rookies de la NBA ont été considérées comme des valeurs sûres au cours des cinquante dernières années : Baylor, Chamberlain, Oscar Robertson, Kareem Abdul-Jabbar, Pete Maravich, Bill Walton, Bird, Magic, Sampson, Olajuwon, Jordan, Ewing, David Robinson, Shaquille O’Neal, Webber, Duncan et LeBron. Onze de ces valeurs sûres font partie des vingt meilleurs joueurs de l’Histoire. Sampson et Webber sont les seuls à ne pas faire partie du Hall of Fame. Sampson et Walton sont les seuls à n’avoir pas joué plus de quatre bonnes saisons, même si Walton a gagné un titre de MVP, un titre de MVP des Finales et s’est reconverti en tant que  sixième homme dans une équipe emblématique.

Plus que celle de toute autre valeur sûre, la carrière de Ralph peut être considérée comme l’une des plus grosses tragédies de l’histoire du sport : une combinaison de malchance, de mauvaises situations et un léger problème initial de surévaluation. Sampson s’est éteint aussi vite que Bo Jackson ou Dwight Gooden, mais sans la fanfare et sans les légendes qui ont marqué l’histoire. Il n’a pas seulement disparu ; il n’y a aucune trace de lui nulle part. Il a laissé des empreintes comme celles que l’on voit sur une plage. Il n’a même pas inspiré un documentaire qui aurait pu être récompensé avec un bon réalisateur. S’il y a une leçon à tirer de tout cela, je n’ai pas encore trouvé laquelle.