#76 : Tracy McGrady

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

McGrady

TRACY MCGRADY

12 ans de carrière dont 7 de qualité.
7 fois All-Star.
Parmi les 5 meilleurs joueurs de la NBA en 2002 et 2003, top 10 en 2001, 2004 et 2007, top 15 en 2005 et 2008.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 28 points, 8 rebonds et 5 passes décisives de moyenne.
Deux fois meilleur marqueur de la saison.
33 points, 7 rebonds et 6 passes décisives de moyenne en 2003.
Play-offs : 29 points, 7 rebonds et 6 passes décisives de moyenne à 43 % de réussite au tir (38 matchs).
N’a jamais gagné une série de Play-offs.

*****

Côté pile :

Le profil de McGrady est plus ou moins similaire à celui de Pete Maravich, même si le premier nommé était bien meilleur en défense. Ils étaient tous les deux mieux connus par leurs surnoms (« T-Mac » et « Pistol »). Ils ont été les chefs de file de mauvaises équipes pendant une grande partie de leurs meilleures années. Ils étaient tous les deux incroyablement talentueux d’un point de vue offensif et avaient un poids inhabituel auprès de leurs pairs, bien que l’on n’ait jamais parlé et qu’on ne parle toujours pas de McGrady avec autant de révérence que Maravich. Ils ont tous les deux été frappés par la malchance à des moments-clé de leur carrière : Maravich n’a pas eu Erving comme coéquipier, McGrady a joué avec un Grant Hill clopinant pendant toutes ses années à Orlando. Ils ont tous les deux été échangés au sommet de leur carrière, même si Houston a eu « T-Mac » pour des clopinettes et que New Orleans a payé trop cher pour Maravich. Ils étaient tous les deux des précurseurs originaux : McGrady était le premier arrière de 2,03 m capable de tirer à trois points (un Gervin amélioré avec une touche de « Dr J. »), et aucun arrière n’a pu approcher Maravich avant ou depuis.

Côté face :

Le plus gros problème de McGrady, qui  ressort de manière criante chaque fois que l’on se penche sur sa carrière, concerne les play-offs. En 2008, « T-Mac » était le quatrième meilleur marqueur de l’Histoire en play-offs, avec 28,5 points de moyenne. Ça paraît génial sur le papier, mais son ratio victoires/défaites en play-offs est de 16–27. Peut-on sérieusement inclure parmi les meilleurs joueurs de l’Histoire quelqu’un qui n’a jamais joué un match de deuxième tour de play-offs ? Malgré ça, « T-Mac » aurait été plus haut dans ce classement s’il n’avait pas autant terni son héritage pendant la saison 2008-2009. On pouvait légitimement penser à l’époque qu’il allait faire encore deux ou trois saisons de qualité. Au lieu de cela, il a fait couler les Rockets de 2009 de manière si totale que l’économie de la NBA elle-même a été sujette à caution.

Quand un joueur de la NBA à qui il reste deux années de contrat à 44 millions de dollars est toujours hors de forme, se plaint toute l’année ou presque, laisse continuellement tomber ses coéquipiers et les fans, se retrouve dans certaines rumeurs de trade et décide d’annoncer quatre jours avant la date limite des transferts qu’il va être opéré pour une micro-fracture, afin de ne pas se retrouver dans une équipe qui ne lui convient pas, et en plus de cela, qu’il sera guéri au printemps prochain, juste à temps pour se mettre en valeur et obtenir un autre contrat, alors le système présente un problème et il faut le réparer. Tracy McGrady est indéfendable pour le reste de l’éternité. Même son cousin Vince n’aurait pas fait ça. Et ce n’est pas peu dire.

#85 : Robert Horry

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

Robert_Horry

ROBERT HORRY

16 ans de carrière dont aucune de qualité.
Jamais All-Star.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 10 points, 5 rebonds et 3 passes décisives de moyenne.
Pic de forme de 2 ans en play-offs : 13 points, 7 rebonds et 3 passes décisives de moyenne, 40 % de réussite à 3 points, 78 tirs à trois points marqués (45 matchs).
Sept titres de champion (1994 et 1995 avec les Rockets, 2000, 2001 et 2002 avec les Lakers, 2005 et 2007 avec les Spurs).
Troisième au classement des joueurs ayant disputé le plus grand nombre de matchs en play-offs de l’histoire (244).
A joué pour dix équipes à 55 victoires en une saison et huit équipes avec un pourcentage de victoires supérieur à 70 %.
A joué pour une équipe ayant remporté moins de 47 victoires en une saison (Phoenix Suns, 1993, 40 victoires pour 42 défaites).

*****

Côté face :

Celle-là, peu de gens devaient s’y attendre. Et pourtant, Robert Horry est bien l’un des cent meilleurs joueurs de l’Histoire du basket. Pourquoi ? Eh bien, en fait, c’est très simple. La carrière de Horry constitue un excellent un test de compréhension du basket-ball. Presque tous ses points forts ne sont pas des choses que les fans occasionnels remarquent, et il serait inutile parmi les « And1 ». Il n’a jamais fait de grosse saison. Il n’a jamais été le deuxième, ni même le troisième meilleur joueur de son équipe. Il a souvent démarré sur le banc, parfois en septième ou huitième homme. Ses statistiques lors de son pic de forme (voir plus haut) sont très moyennes. Il a gagné sept titres, mais il est très loin du niveau de Charles Barkley ou Karl Malone. Et même là, on peut mettre en avant le facteur chance : durant sa carrière, Horry a avancé sans faire de bruit, mais a toujours fini dans de bonnes situations (il a eu la chance de tomber trois fois dans la bonne équipe au bon moment).

(On peut presque faire une analogie entre Horry et Rasheed Wallace : si Wallace n’avait pas atterri aux Pistons, il serait resté dans les mémoires pour sa saison à 41 fautes techniques, pour avoir été le symbole des « Jail Blazers », et un autre des ces joueurs « qui aurait dû être meilleur ». Et si les Pistons n’avaient pas gagné en 2004, il serait resté dans les mémoires pour avoir laissé Horry tout seul – mais on y reviendra.)

Côté pile :

Sauf qu’on ne peut pas laisser Horry en dehors de ce top 100. Ce n’est pas possible. Et voici pourquoi. Robert Horry est comme un jambon-beurre : personne n’en parle jamais, mais il est toujours là quand on en a besoin. Il faudrait que quelqu’un passe en revue tous les matchs de play-offs de Horry, en retire toutes les actions et tirs importants qu’il a réussi, puis les mette à la suite pour en faire un montage de dix minutes. Au fil des ans, Horry a rentré entre vingt et vingt-cinq tirs faramineux. Si ce n’est pas plus. Il y en a trop pour les citer, aussi nous contenterons-nous de revenir sur ce qui a été le chef-d’œuvre de « Big Shot Rob » (ou « Bob ») : le Match 5 de la finale de 2005 avec les Spurs contre les Pistons.

Même avant qu’il ne décide de sortir de sa boîte, tout le monde se serait rappelé de « Big Shot Bob » (ou « Rob »). Mais la façon dont il a porté à bout de bras une équipe des Spurs chahutée à Detroit en rentrant, comme dire ? « D’énormes tirs à trois points » ou « un nombre incroyable d’actions cruciales » ? Ce serait presque rabaisser ce qui est arrivé. Lorsque l’on voit la situation (un effondrement imminent des Spurs qui semblait étrangement rappeler la série de 2004 contre les Lakers), les circonstances (aucun de ses coéquipiers n’osait prendre les choses en main) et l’adversaire (une équipe à la défense formidable qui jouait à domicile), le Match 5 de Horry se classe au même niveau que le Match 6 de Jordan en 1998, le Match 7 de Frazier en 1970 et toutes les autres performances décisives en finale. Si Horry n’avait pas marqué 21 des 35 derniers points de son équipe, les Spurs seraient rentrés comme des zombies à San Antonio. Au lieu de ça, ils ont remporté le match, puis ont remporté le titre.

Voici comment le match s’est terminé : les Spurs paraissaient sans cesse à une erreur de tout perdre, puis Horry les maintenait à flot, encore et encore. Il a planté un tir à trois points pour donner l’avantage à son équipe à la fin du troisième quart-temps. Puis, lorsqu’il a écrasé un incroyable dunk de la main gauche en prolongation, tout le monde savait que Horry allait en quelque sorte avoir le sort du match en main. Tout le monde, sauf Rasheed Wallace. La décision de Wallace de laisser tout seul un Horry à la main chaude pour faire une prise à deux sur Ginobili dans les neuf dernières secondes de la prolongation a été la décision la plus stupide de l’histoire des finales NBA. On ne laisse pas Robert Horry seul dans un grand match. On ne peut pas. Horry a rentré son tir et a donné un point d’avance aux Spurs, suffisant pour leur permettre de remporter le match.

Non content d’avoir sauvé la saison des Spurs, Horry a également modifié le destin de Tim Duncan. Il n’y a que dans les finales de 2005 que le meilleur joueur de l’équipe gagnante (Duncan) a joué très moyennement, même si la défense de Detroit (et les Wallace) avaient quelque chose à y voir. Si les Spurs avaient laissé échapper ce match, ils auraient perdu la série et tout le monde en aurait fait le reproche à Duncan tout l’été, principalement à cause d’un horrible tir facile manqué à un moment décisif, qui rappelait Karl Malone et Elvin Hayes. Aujourd’hui, ce n’est qu’un autre grand joueur qui a joué un match atroce au mauvais moment. C’est dire la puissance de « Big Shot Brob » (voilà, comme ça, tout le monde est content).

De manière générale, Horry était un excellent auxiliaire en défense, qui couvrait en permanence ses coéquipiers. Il était assez grand pour marquer efficacement des ailiers forts et assez rapide pour défendre sur des ailiers. Il ne faisait que ce qu’il savait faire et n’élevait son jeu que dans les situations importantes, quand son équipe avait vraiment besoin de lui. Les statistiques n’avaient pour lui aucune importance. Aucune. Comme peut-être 2 % des joueurs de la ligue. Et il devenait meilleur quand il le fallait. Qu’attendre de plus d’un joueur dont le rôle est d’aider ses coéquipiers ?

Dans une ligue chargée de joueurs qui se croient meilleurs qu’ils le sont, Horry connaissait ses points forts et ses limites mieux que personne. C’est pour cela qu’il est un grand. C’est celui qui est assis à une table de poker avec une grosse pile de jetons, qui ne suit jamais une mauvaise main, qui vous prend aux tripes quand il vous regarde. Un bon joueur qui joue petit bras pendant une heure, puis met d’un seul coup une pile de jetons au milieu. Vous voyez le coup venir. Vous ne vous rappelez jamais des mains qu’il a perdues, mais toujours de celles qu’il a gagné. Et quand il prend ses gains et se lève de la table, vous espérez ne jamais le revoir.

Posez-vous la question : préféreriez-vous avoir la carrière de Horry (beaucoup d’argent et sept bagues) ou la carrière de Barkley ou Malone (énormément d’argent et aucune bague) ? Jouer dans sept équipes championnes, avoir un joli surnom, se faire 50 millions de dollars, et gagner le respect éternel de tous ceux qui ont joué un jour avec ou contre vous sans avoir à faire face à ce statut de superstar à la con ! Faites un grand match, on vous remarque. Faites-en un mauvais, tout le monde s’en fiche. Une vie de rêve. La concordance ultime. Même lessivé, Horry pouvait changer le cours d’une série : il a fait basculer la série de 2007 entre les Suns et les Spurs pour avoir balancé Nash dans la table de presse à la fin du Match 4, ce qui a conduit aux suspensions de Amar’e Stoudemire et de Boris Diaw (pour s’être levés du banc).

Horry entrera-t-il un jour au Hall of Fame ? Impossible à dire. Mais si une chaîne rediffuse le Match 5 de la finale de 2005 et que vous en parlerez à un connaisseur en disant : « Ce soir, ils montrent le match où Robert Horry a été décisif », il est presque certain qu’il va vous répondre : « Lequel ? »

#93 : James Harden (provisoire)

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

harden

JAMES HARDEN

CV arrêté à la saison 2016-2017

8 ans de carrière, dont 5 de qualité.
5 fois All-Star.
Parmi les 5 meilleurs joueurs de la NBA de 2014 à 2017, top 10 en 2013.
Sixième homme de l’année en 2012.
Pic de forme de 3 ans en saison régulière : 29 points, 7 rebonds et 9 passes décisives de moyenne.
Pic de forme de 3 ans en play-offs : 25 points, 5 rebonds et 7 passes décisives de moyenne (33 matchs).

*****

Lors de son arrivée en NBA, rien ne laissait penser que James Harden allait devenir l’un des meilleurs joueurs de la ligue. Jeune, il ne présente aucune prédisposition ou qualité physique. Plutôt introverti, élevé par une mère célibataire dans un quartier difficile, il apprend le basket seul et s’améliore petit à petit. Au lycée, son entraîneur lui apprend à développer ses qualités et travailler ses points faibles ; il le façonne de façon à faire de lui un joueur « moderne », privilégiant la technique au physique. Doubles-pas, tirs à trois points, lancers-francs, Harden répète inlassablement ses fondamentaux jusqu’à les maîtriser parfaitement. Drafté en 2009 par le Thunder, il remplit d’abord le rôle de sixième homme, puis devient titulaire. Il se révèle si bon qu’il ressent le besoin de s’éloigner des deux autres stars du Thunder, Durant et Westbrook, et rejoint les Rockets en 2012.

Chez les Rockets, Harden explose et s’établit définitivement comme l’un des visages de la NBA. Et quel visage ! Plutôt que de s’intéresser à l’ornement pileux qui le rend reconnaissable entre tous, voyons pourquoi il mérite de figurer dans ce top 100. D’abord, ses qualités de scoreur sont uniques. Il est quasiment inarrêtable en pénétration et quand il n’arrive pas à conclure, il provoque la faute presque à tout coup. Avec ses dribbles croisés et ses feintes de gaucher, il déstabilise les défenseurs comme peu de joueurs avant lui. Il enfile comme des perles les lancers-francs et les tirs à trois points. Et tout cela nuit après nuit, avec une incroyable régularité.

Mais Harden a aussi ses défauts. Le plus gros d’entre eux est sa défense : d’abord correct dans domaine, il a presque totalement cessé de faire des efforts pour se concentrer sur l’attaque, au point d’être souvent la risée de la ligue. Il perd beaucoup de ballons et tire beaucoup trop, de manière parfois très discutable. Et puis, il ne parvient pas à faire gagner son équipe. Du moins, pas encore, même s’il a montré qu’il avait l’étoffe pour le faire.

Cela suffira-t-il à faire de James Harden un top 30 dans ce classement ? Difficile à dire. Harden profite quand même amplement de la direction prise par la ligue aujourd’hui, qui favorise l’attaque au détriment de la défense. S’il avait joué dans les années 90, les choses auraient été très différentes. Et ça, ça compte quand même pour quelque chose, malgré toutes ses qualités. Attendons de voir comment les choses vont évoluer pour lui assurer une bonne place dans ce classement.

#1 : La draft de 1984

Draft_1984

Note : Cet article est la traduction quasi-exhaustive d’un passage intitulé « Et si la draft de 1984 s’était déroulée différemment ? », extrait du Livre du Basket-ball de Bill Simmons. La façon dont cette draft a influencé l’histoire de la NBA plus que tout autre événement y est tellement bien décrite qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter.

*****

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’événement qui a eu le plus d’impact sur l’histoire de la NBA n’a pas été le fait que Portland a choisi Sam Bowie au lieu de Michael Jordan, mais bien le déroulement de la draft 1984 dans son ensemble. La somme de talents présente était si immense que cette draft a inspiré le concept de « tanking » à Houston et Chicago, qui ont délibérément saboté leur saison régulière afin d’avoir les meilleures chances d’obtenir le premier choix. Lorsque Houston a remporté la loterie et s’est réservé Hakeem Olajuwon, la course aux joueurs est devenue frénétique.

Voici ce que nous savons avec certitude :

1.

Les Blazers (qui avaient le deuxième choix) et les Bulls (qui avaient le troisième) auraient échangé leurs choix de draft contre Ralph Sampson, même si cela n’aurait pas été suffisant pour obtenir un pivot rookie hyper-coté qui avait cet été-là la troisième valeur d’échange la plus élevée derrière Magic et Bird. Bien plus tard, Jack Ramsey, l’entraîneur des Blazers, dira au journaliste Sam Smith :

« Il nous fallait un pivot. Nous aurions fait cet [échange]. »

En 1996, dans son autobiographie Living the Dream, Hakeem affirme que Houston a presque échangé Sampson à Portland contre Drexler et le deuxième choix :

« Entre 1984 et aujourd’hui, les Rockets auraient pu avoir Clyde Drexler, Michael Jordan et moi, Nous aurions progressé ensemble, joué ensemble, gagné ensemble. Mais les Rockets n’ont jamais franchi le pas. »

Que cela soit vrai ou non, on ne peut rien reprocher à Houston car Drexler n’avait pas exactement mis le feu à la NBA lors de son année rookie. Mais imaginez Hakeem, Jordan et Drexler faisant toute leur carrière ensemble. C’est comme si Microsoft et Apple avaient fusionné en 1981.

2.

L’équipe de Chicago n’était pas assez bonne pour Jordan et les requins n’ont pas tardé à se mettre en chasse après sa sélection, accréditant la thèse selon laquelle Portland s’était planté et bien planté. Après la draft, Dallas a immédiatement proposé Mark Aguirre à Chicago contre leur troisième choix. Philadelphie a offert un Julius Erving sur le déclin, le choix numéro cinq et Andrew Toney (1). Des échanges avec Seattle (Jack Sikma) et Golden State (Joe Barry Carroll) ont été évoqués. Finalement, les Bulls commencé à avoir l’impression d’être assis sur un billet de loterie gagnant. Et c’était bel et bien le cas.

3.

Patrick Ewing a failli s’inscrire à la draft avant de se raviser et de retourner à Georgetown. Si Ewing avait été là, il aurait été choisi en premier et Hakeem en second (par Portland). Et puis ? L’ancien directeur général des Bulls, Rod Thorn, a déclaré au journaliste Filip Bondy que Jordan avait priorité sur Bowie à cause des nombreuses blessures qu’avait subi ce dernier. Ils venaient d’être échaudés par deux choix de draft de haut de tableau discutables : Ronnie Lester (genoux fragiles) et Quintin Dailey (mauvais esprit). Ils voulaient une valeur sûre. Bien sûr, si Hakeem avait débarqué à Portland, tout ce qui s’est passé en NBA de 1985 à 1998 aurait été différent (d’autres finales, d’autres champions, Ewing qui ne joue pas à New York…). Ça donne mal à la tête.

4.

Le potentiel de Jordan était difficile à estimer, car il avait joué pour Dean Smith en NCAA à une époque où le temps de possession de balle était encore illimité (2). Tout le monde savait qu’il était bon, mais à quel point ? Son immense talent est resté dans l’ombre jusqu’aux épreuves de sélection pour les Jeux Olympiques de 1984, durant lesquelles Jordan a tellement dominé ses adversaires que l’entraîneur américain Bobby Knight a appelé son copain Stu Inman (le directeur général de Portland) et l’a supplié de prendre Michael. Lorsque Inman, hésitant, a dit que Portland avait besoin d’un pivot, Knight aurait crié :

« Eh bien, fais-le jouer pivot ! »

Nous savons aussi que Nike (dont le siège se trouve à Portland) a construit une ligne de baskets entière autour de Jordan avant que celui-ci ne joue un seul match NBA. Se justifier en invoquant l’ignorance du potentiel de Jordan n’est donc que mauvaise foi de la part des Blazers (3).

5.

Portland n’avait pas « désespérément » besoin d’un pivot. Ils avaient gagné 48 matchs en saison régulière avec deux très bons pivots – Mychal Thompson (16 points, 9 rebonds de moyenne en 33,5 minutes) et Wayne Cooper (10 points, 6 rebonds de moyenne en 20,5 minutes) – et avaient une bonne monnaie d’échange pour les trades, comme Drexler, Jim Paxson (deuxième cinq majeur NBA et agent libre restreint), Fat Lever (un meneur plein d’avenir), Calvin Natt (un ailier intimidant) et Cooper. Ce dont ils avaient vraiment besoin, c’était d’un rebondeur ; leurs deux ailiers forts (Natt et Kenny Carr) manquaient de taille. Tout l’été, San Diego a mis sur le marché Terry Cummings, un scoreur-rebondeur, et a fini par l’échanger contre Marques Johnson après la draft.

*****

Pourquoi les Blazers n’ont-ils pas fait aux Clippers une offre plus qu’alléchante pour obtenir Cummings (par exemple, Drexler-Natt) et pris Jordan en second ? Ou alors, ils auraient pu offrir le paquet à Houston pour Sampson : le choix numéro deux, Drexler et Fat Lever. Au lieu de ça, ils ont envoyé Lever, Cooper, Natt et leur premier choix de 1985 à Denver contre Kiki Vandeweghe, un formidable scoreur (29,8 points par match en 1984) qui se trouvait être également le pire des défenseurs. Pour vous donner une idée de l’aveuglement des négociateurs de Portland, sachez que les Nuggets sont passés d’une saison de 38 à 52 victoires et sont arrivés en finale de la Conférence Ouest 1985 uniquement à cause de ce trade. Quant à Portland, il est probable qu’ils se sont réunis la première semaine de juin et discuté de deux possibles options :

  • Option n°1 : Jordan (l’arrière universitaire le plus spectaculaire de la décennie), Lever (23 ans, qui intégrera le deuxième cinq majeur de la NBA à peine deux ans plus tard), Cooper (27 ans, 13 points et 8 rebonds de moyenne à Denver les deux années suivantes), Natt (23 points et 8 rebonds de moyenne en 1985) et un choix de premier tour en 1985 (qui sera le quinzième).
  • Option n°2 : Vandeweghe et Bowie.

N’importe quelle personne avec un minimum de bon sens choisit l’option n°1, à moins d’être raisonnablement certain que : (a) Bowie est une valeur sûre, et (b) : ne pas prendre Jordan n’entraînerait pas de regret. Mais visiblement, les cerveaux de Portland étaient « raisonnablement certains » de ces deux choses… Pour bien marquer à quel point il était inepte, ridicule et indéfendable d’avoir une telle impression, voici une rétrospective des vingt-deux premières minutes de la draft de 1984.

*****

1984draft

La draft est présentée par Al Albert et Lou Carnesecca, pour USA Network.

0’00.

Début de la draft.

0’02.

Albert fait monter la tension en annonçant qu’il y a « six futures superstars » dans la draft. Il a dû compter deux fois Charles Barkley et ses 135 kilos.

0’03.

Les yeux cachés derrière une paire de lunettes noires, Carnesecca badine d’un air gêné en agitant son stylo pendant au moins quarante secondes, et fait tout son possible pour ne pas regarder la caméra. On se demande ce qu’il fait là.

0’07.

La chaîne fait défiler l’ordre du premier tour de la draft sur un fond musical phénoménal qui ressemble à la bande-son d’un porno des années 80. David Stern marche ensuite vers le podium pour sa première draft NBA. Il a la moustache de l’acteur Gabe Kaplan. Ce n’est pas sur NBA TV qu’il faudrait rediffuser cette draft, mais sur la chaîne Comédie !.

0’10.

L’un des deux types assis à la table de Houston a une coupe mulette et une grosse moustache. Vive les années 80. Pendant qu’ils discutent au téléphone se déroule l’échange suivant :

AL : Les Rockets ont touché deux fois le gros lot. L’an dernier, ils avaient le choix numéro un d’une draft qui comprenait Ralph Sampson ; cette année, Hakeem Olajuwon a décidé de se présenter plus tôt, juste à temps pour que Houston puisse le sélectionner.

(Trois secondes de silence.)

LOU (d’une voix à peine audible) : On peut dire que le facteur a sonné deux fois.

0’11.

Hakeem (qui à cette époque s’appelait encore « Akeem ») est choisi en premier. Il a une superbe coiffure Jheri Curl coupée court, un smoking noir et un nœud papillon marron. Fantastique. Et vous savez quoi ? Le plus intéressant, c’est que Houston vient de laisser de côté le plus grand joueur de l’histoire et que malgré tout, ils ont fait le bon choix. Comme valeur sûre, il vaut toujours mieux prendre un pivot qu’un arrière. Toujours.

0’12.

Eddie Murphy trouve l’accent à donner au prince Akeem dans Un prince à New York en entendant l’interview d’Olajuwon avec Bob Doucette. Ça ne fait aucun doute. Il a même donné son prénom au personnage.

0’16.

Stern prononce l’une des phrases les plus inoubliables de l’histoire de la NBA : « Portland sélectionne Sam Bowie, de l’Université du Kentucky ». La caméra montre les représentants assis à la table de Portland avec sur leurs visages les mêmes expressions : « Aïe, j’espère qu’on ne s’est pas totalement plantés. » Au cours de cette draft, Stern a toujours prononcé le nom des franchises au complet, sauf à cet instant précis : il a sauté la partie « Trail Blazers », comme s’il avait envie de quitter la scène aussi vite que possible. On peut le comprendre. Puis Bowie monte tranquillement sur scène pendant que Al commente :

« Sam Bowie, qui a récupéré d’une fracture de stress au tibia gauche, a manqué deux saisons. Il a prolongé sa participation au programme sportif universitaire, et a fait un gros retour avec Kentucky. »

(Donc, une équipe qui vient de perdre le pivot qui soutenait la franchise six ans plus tôt en raison de fractures de stress répétées aux pieds – en l’occurrence, Bill Walton – a pris un autre pivot qui avait raté deux saisons universitaires complètes à cause de fractures de stress. Et il a trois ans de plus que le joueur qui est une valeur sûre sur le point de se faire drafter juste après lui ? C’est encourageant !)

0’17.

Lors d’une compilation peu passionnante des meilleures actions de Bowie, Al nous dit encore que Sam a récupéré pleinement de ses fractures de stress avant d’ajouter tout à fait sérieusement :

« Il a renoncé à disputer les Jeux Olympiques. »

La bonne blague. Tous les grands joueurs universitaires avaient essayé d’intégrer cette équipe, sauf Sam. Ça aurait dû mettre la puce à l’oreille de certains. Mais visiblement, non.

0’18.

La compilation des meilleures actions de Bowie se termine par une image figée du joueur et un graphique avec ses statistiques pour l’année 1984 : 10,5 points et 9,2 rebonds de moyenne, 52 % de réussite au tir, 72 % aux lancers francs. En d’autres termes, ses stats universitaires étaient pires que les stats NBA de Mychal Thompson. Tu parles d’une amélioration ! Les statistiques universitaires incroyablement banales de Bowie devraient vous rappeler quelqu’un d’autre. Un pivot d’OSU, numéro un de draft, paraissant vingt ans de plus que son âge, qui a également joué pour Portland…

Pendant ce temps, Al et Lou ont l’échange suivant :

AL : Alors, Lou, que peut-on dire d’un jeune joueur qui a raté deux années d’apprentissage cruciales et a dû se remettre à niveau ?

(Qu’il ne faut pas le choisir ?)

LOU : Eh bien, je pense que cela montre une certaine persévérance. Il ne s’est pas laissé décourager par tous ses malheurs, est revenu avec succès, et regardez où il en est maintenant.

Doucette interviewe Bowie, qui, lorsqu’on le revoit, ressemble à un personnage tragique. On a de la peine pour lui, car il était très poli et se comportait bien. Ce n’est quand même pas de sa faute s’il a été drafté à la place de Jordan, non ? Et quand il n’était pas blessé, c’était un bon pivot. Il ne l’a été que 54 % de sa carrière, mais quand même. Le premier échange :

DOUCETTE : Sam… Vous êtes l’illustration même du courage. Vous avez dû vous battre contre l’adversité, et je sais que beaucoup de gens, vous en particulier, sont heureux de voir que votre heure est enfin arrivée.

SAM : Oui, j’ai dû m’éloigner des parquets pendant deux ans suite à ma blessure à la jambe, mais j’ai été soutenu par la communauté de Lexington et de l’État du Kentucky. Je ne sais pas si j’aurais été capable d’y parvenir sans leur aide.

(Imaginez un peu ce que les fans des Blazers en train de regarder ça doivent penser. C’est formidable que Sam ait réussi son retour alors que les chances étaient limitées, mais pourquoi prendre quelqu’un dont « les chances étaient limitées » au lieu d’une valeur sûre ? Pourquoi même envisager de prendre le risque ? Pourquoi ? Ah, mais oui : rien n’enflamme davantage les fans que les termes « persévérance » et « ne pas se laisser décourager ». Tant pis pour Jordan et ses stupides dunks !)

0:19.

Ça devient de mieux en mieux…

DOUCETTE : [Les Blazers] disent qu’ils vous ont fait passer une grosse batterie de tests physiques avant de prendre une décision à votre propos. Comment cela s’est-il passé ?

SAM (avec un sourire timide) : Eh bien, je suis allé à Portland et leurs tests physiques ont duré environ sept heures. Ils n’ont vraiment rien laissé passer, donc… Je pense que ma situation est très différente de celle de Bill Walton. Je sais qu’il a eu une fracture de stress, mais en ce qui me concerne, je suis à 100 %.

(Attendez… Les tests physiques ont duré sept heures ? Vraiment ? Sept heures ?)

0:20.

Plan de coupe sur les deux représentants de Chicago à leur table, l’air satisfait (4), pendant que Al ménage le suspense pour le choix numéro trois en faisant une pause et en baissant la voix, avant de dire finalement :

« Michael Jordan devrait être le prochain à sortir. »

Pour la première fois en vingt minutes, Lou a l’air réveillé :

« Mmmmmm, celui-là, tout le monde l’attend. Il est vraiment fascinant. »

Mais des tests physiques de sept heures sont tout aussi fascinants. C’est à partir de là que ça devient vraiment formidable.

AL : Il y a eu polémique concernant le choix des Blazers. Ils avaient été tentés de prendre Michael Jordan, un joueur incroyable au talent unique, au lieu de Sam Bowie, qui revient tout de même de blessure. Il dit que tout va bien, que Portland lui a fait faire un test physique de sept heures, mais la question est de savoir maintenant si Bowie va tenir la distance avec 82 matchs par an.

LOU (hochant la tête) : C’est un risque calculé.

Sans commentaires.

0:22.

Stern, guilleret : « Les Chicago Bulls choisissent Michael Jordan, de l’Université de Caroline du Nord. » La foule applaudit tout en lançant des acclamations. Ils ont déjà compris. Un montage passionnant des meilleurs moments de la jeune carrière de MJ apparaît à l’écran.

AL : Ce jeune homme est unique.

LOU (qui s’anime soudainement) : Il marque les paniers importants, il peut se frayer un chemin jusqu’au panier, il a une maîtrise du jeu incroyable. C’est un joueur aux qualités immenses, à l’image de Dr J. Il n’est pas encore à son niveau, mais il appartient à cette classe. Michael va être un très grand joueur. C’est un peu le choix du peuple : les gens aiment voir ce jeune homme à l’œuvre.

AL : C’est une future star, excellent tireur, avec de formidables qualités athlétiques. Beaucoup d’équipes ont essayé de chiper leur troisième choix à Chicago.

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Sérieusement…

Relisez simplement l’intégralité du passage de 0:16 à 0:22. Une version révisionniste de l’histoire est apparue ces dernières années, arguant que la sélection de Bowie était défendable parce que la NBA recherchait à tout prix des joueurs de grande taille. Mais comment une équipe peut-elle parier sur un joueur avec des caractéristiques négatives comme « risque calculé », « test physique de sept heures », « éloigner des parquets pendant deux ans » et « adversité/courage/persévérance », et laisser un joueur avec des caractéristiques positives comme « talent unique », « très grand joueur », « future star », « valeur sûre », « à l’image de Dr J », « qualités immenses » et « choix du peuple » ? C’est incompréhensible. Totalement, complètement incompréhensible.

Ce qui nous amène à un petit bonus. Que se serait-il passé si, le jour de la draft, les dirigeants de Portland avaient tous pris une grande inspiration, s’étaient demandé s’ils n’étaient pas devenus fous et avaient réfléchi une dernière fois ? Apparemment, le propriétaire des Blazers, Larry Weisberg, adorait Jordan, mais c’était aussi un magnat de l’immobilier discret et sans prétention qui ne faisait ressentir aucune appréhension à son personnel. S’il s’était agi de quelqu’un d’autre, la crainte du courroux divin aurait frappé tous ceux qui avaient à décider du choix et ils en seraient venus à choisir la valeur sûre. Mais les Blazers n’avaient pas peur de Weisberg, ni des répercussions. Du coup, ils se sont orientés vers Sam Bowie… et se sont méchamment plantés.

Mais bon… Après tout, il n’en allait jamais que de l’avenir de la NBA, de centaines de millions de dollars en pertes de revenus, de quatre à dix championnats dilapidés, et d’une occasion perdue d’avoir dans son équipe le plus grand joueur de basket-ball de tous les temps. Peu de chose, n’est-ce pas ?

draft-1984

 


 

(1) L’offre de Philadelphie n’a jamais été rendue publique. Un an plus tard, Harold Katz a essayé d’échanger Erving contre Terry Cummings ; « Doc » en a parlé à voix haute et toute la ville de Philadelphie a allumé Katz.

(2) La NCAA a adopté un temps de possession de 45 secondes au cours de la saison 1985-1986. Ce temps de possession est passé à 35 secondes au cours de la saison 1993-1994, puis à 30 secondes au cours de la saison 2015-2016.

(3) Les deux meilleurs joueurs au camp d’entraînement prolongé qui incluait tous les grands noms de la draft 1984 et 1985 étaient Jordan et Barkley. Chuck a été coupé après que Knight lui a demandé de perdre du poids et que Barkley a fait le contraire. Malone, Stockton, Joe Dumars et Terry Porter n’ont pas non plus été retenus. Par contre, Jeff Turner, Joe Kleine, Steve Alford et Jon Koncak sont passés. Bizarre autant qu’étrange.

(4) Si jamais vous avez la chance de tomber sur la vidéo, observez le regard du type qui est au téléphone pour Chicago. Il a l’air tellement heureux qu’on dirait que quelqu’un le… sous la table. Incroyable.

#5 : Moses Malone, triple erreur

MosesMalone

Moses Malone sous le maillot des Houston Rockets. (1)

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Pauvre Moses Malone. Il n’a vraiment pas débarqué en NBA au bon moment. La façon dont son début de carrière a été gâché a déjà été évoquée ici ; ce qui s’est passé quelques années plus tard, lors de la fusion ABA-NBA, est tout aussi affligeant. Une décision malheureuse, et une seule, a affecté les destins de six franchises. Six titres de MVP auraient pu revenir à d’autres joueurs. Six titres de champion (au moins) auraient pu revenir à d’autres équipes. Le public a été privé de ce qui aurait pu être la plus grande équipe de tous les temps et les Clippers ont été précipités dans les bas-fonds de la NBA, où ils ont stagné pendant trois décennies. Mais n’anticipons pas…

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Tout commence en décembre 1975. Anticipant la fusion ABA-NBA, la NBA organise une draft destinée aux jeunes étudiants qui ont quitté l’université avant d’obtenir leur diplôme pour rejoindre l’ABA et devenir professionnels (2). Cinq joueurs ABA sont choisis au cours de cette « pré-draft » hivernale : Moses Malone, Mark Olberding, Mel Bennett, Charles Jordan et Skip Wise. Deux de ces sélections contraignent New Orleans (qui a choisi Malone) et les Lakers (qui ont pris Olberding) à abandonner leur premier choix de draft NBA 1977. L’été suivant, le New Orleans Jazz décide finalement de reprendre son premier choix et abandonne les droits sur Malone. Malone est reversé dans la draft de dispersion ABA/NBA qui doit avoir lieu quelques mois plus tard, et le prix à payer pour l’avoir est fixé à 350 000 $ (3).

Maintenant, vous vous demandez sans doute pourquoi New Orleans n’a pas gardé Malone. Il n’avait que vingt-et-un ans. Ne valait-il pas mieux qu’un futur premier choix ? On peut penser que la direction a mal évalué le talent de Moses, qui n’avait joué que 43 matchs la saison précédente (pour 14 points et 10 rebonds de moyenne) en raison d’une fracture du pied, mais la vraie raison est beaucoup moins défendable. Le Jazz avait jeté son dévolu sur Gail Goodrich, qui était agent libre, et avait besoin de ce premier choix en 1977 pour qu’il ne rejoigne pas Los Angeles.

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Comment une équipe à la ramasse peut-elle être suffisamment idiote pour décider d’aligner un arrière de vingt-huit ans qui ne défend pas (Pete Maravich), avec un arrière de trente-trois ans qui défend pas ? Parce qu’ils pensaient marquer plus de points et que les fans allaient adorer ça. C’est comme ça que la NBA fonctionnait à l’époque. Jerry Kirshenbaum, de Sports Illustrated, a écrit un article sur cet échange dont voici un extrait :

Goodrich avait été recruté un peu plus tôt par la direction de New Orleans, avec la bénédiction de l’entraîneur Butch van Breda Kolff, qui l’avait eu sous ses ordres lorsqu’il avait entraîné les Lakers pendant deux ans vers les fin des années 60. Van Breda Kolff pense que Goodrich est comme lui, qu’il se porte bien pour son âge. L’entraîneur du Jazz, qui en est à sa cinquième équipe professionnelle, a la voix qui sonne comme une corne de brume, vient aux matchs dans ce qu’on pourrait appeler une tenue décontractée, et a fièrement démontré son endurance lors d’une tournée des bars de neuf heures récemment effectuée pour commémorer son cinquante-quatrième anniversaire. Le basket n’y a été abordé qu’occasionnellement.

Extraordinaire. Gail Goodrich a trente-trois ans, ne défend pas, ne marque plus autant qu’avant, est au crépuscule de sa carrière après onze années passées en NBA, mais il se porte bien pour son âge ! La preuve : lors de sa première saison avec le Jazz, Goodrich s’est blessé au tendon d’Achille, n’a joué que 27 matchs et a pris sa retraite deux ans plus tard. Vous voyez qu’il se portait bien pour son âge.

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Il est également curieux que le Jazz ait décidé que la jeunesse et la voracité au rebond de Malone leur serait inutile alors qu’ils avaient dans la peinture des joueurs aussi insignifiants que Rich Kelley, Ron Behagen et Otto Moore. Le talent de Malone était loin d’être un secret ; il a été le premier joueur à passer professionnel juste à la sortie du lycée en 1974, et tout le monde pensait qu’il deviendrait l’un des meilleurs joueurs universitaires de l’Histoire avant qu’il ne décide d’entrer chez les pros. Mais le Jazz n’y a pas accordé d’importance. Van Breda Kolff a dû dire quelque chose comme : « Je me fiche qu’il ait du talent ; à ce qu’on dit, ce type est bête comme ses pieds. Je veux Goodrich ! »

Donc, non seulement le Jazz a renoncé à des droits sur un futur triple MVP, mais en échange de Goodrich (et du premier choix des Lakers en 1978), ils ont en plus abandonné aux Lakers leur premier choix de 1977, 1978 et 1979 et un choix de second tour en 1980. Les Lakers ont eu le sixième choix de draft en 1977 (Kenny Carr), le huitième choix en 1978 (envoyé à Boston contre Charlie Scott) et le premier en 1979 (Magic Johnson). Incroyable. Inimaginable. Ineffable. Inconcevable. La décision (déjà stupide à la base) de casser leur tirelire pour Goodrich a fini par coûter à New Orleans Moses Malone et Magic Johnson.

(Bon, d’accord, le Jazz n’aurait probablement pas eu le premier choix de draft en 1979 s’ils avaient gardé Malone, vu qu’il a remporté le titre de MVP trois ans plus tard, mais l’assertion « Moses et Magic » a de la gueule sur le papier. Admettez-le.)

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Mais attendez. Ce n’est pas fini. La stupide décision du Jazz a été suivie par une décision tout aussi stupide, de la part d’une équipe ayant l’habitude de se tromper dans ses choix : les Portland Trail Blazers.

Le 5 août 1976, la draft de dispersion ABA dans laquelle Malone a été rejeté suite à la décision du Jazz de ne pas le garder a lieu deux mois après la draft NBA « officielle ». Les Blazers choisissent Malone en cinquième position à des fins purement commerciales, car ils n’ont pas la moindre envie de payer son contrat à 300 000 $ par an. De plus, Malone n’avait pas été brillant au camp d’entraînement pour des raisons compréhensibles : c’était sa troisième équipe en trois saisons ; ses compétences étaient extrêmement basiques (c’était un joueur normal, très physique, bon rebondeur, avec un bon jeu de jambes et c’est tout) ; Portland avait un jeu offensif très pointu avec un entraîneur compétent, alors que Malone n’avait jamais été correctement entraîné auparavant ; et il n’a pas cherché à s’investir plus que ça parce qu’il savait qu’il était barré à la fois par Bill Walton et Maurice Lucas, et que Portland allait l’échanger.

Et puis, alors que les Blazers cherchaient à brader Malone au plus vite, Moses s’est littéralement déchaîné dans un match d’exhibition, et les joueurs et les entraîneurs se sont d’un seul coup rendus compte qu’ils avaient dans leur équipe un prodige. Sauf que les dirigeants avaient déjà accepté à ce moment-là de l’échanger à Buffalo contre leur premier choix de draft 1978 et 232 000 $ (4). Une véritable arnaque, compte tenu de la valeur du joueur. On se demande comment ils ont pu se mettre d’accord.

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Tout ceci nous amène ainsi à nous demander ce qui se serait passé si les Blazers de 1977 n’avaient pas échangé Moses Malone. Disons-le ainsi : ils ont remporté le titre sans lui et ils en étaient à 50 victoires et 10 défaites l’année suivante lorsque les blessures aux pieds de Walton l’ont forcé à s’arrêter. Un an plus tard, Walton rejoignait les Clippers et les chances des Blazers de remporter le championnat étaient tombées à zéro. S’ils avaient conservé Moses, peut-être que Walton n’aurait pas continué à jouer malgré la douleur, peut-être n’est-il pas obligé de faire un retour précipité pour les play-offs de 1978, peut-être n’est-il pas victime de toutes ces blessures aux pieds, peut-être ne se dispute-t-il pas avec les médecins de l’équipe…

En fait, peut-être que grâce à Moses, Walton joue 400 à 500 matchs de plus à Portland avec un temps de jeu moindre. Si l’on ajoute la façon dont Moses a mûri en 1977 (13 points et 13 rebonds de moyenne en seulement 30 minutes par match), 1978 (19 points et 15 rebonds), et 1979 (25 points, 17 rebonds, MVP), qui sait combien de championnats auraient basculé ? Pensez à ce manque de bonnes équipes à la fin des années 70. Combien de titres consécutifs les Blazers auraient-ils remporté si Walton ne s’était pas blessé ? Trois ? Quatre ? Cinq ?

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Et ça n’est pas tout. Le pauvre Moses a joué à Buffalo pendant exactement six jours avant qu’ils ne l’expédient à Houston contre deux choix de premier tour en 1977 et 1978, singeant fidèlement les bêtises de Portland puisque Buffalo a en fin de compte échangé un choix de premier tour contre deux choix de premier tour. Bien entendu, ils ont aussi mal géré la chose que les deux autres franchises : Moses n’a joué que six minutes en deux matchs pour les Braves. C’est vrai, quoi : quand vous avez déjà John Shumate et Tom McMillen au poste d’ailier fort, pourquoi vouloir tester le meilleur jeune espoir depuis Lew Alcindor ? Le 25 Janvier 1977, une semaine après la parution d’un article dans SI intitulé « Comment Moses a transformé les Rockets », l’entraîneur des Braves Tates Locke (qui n’avait laissé aucune chance à Moses à Buffalo) a été licencié. Ce n’était pas une coïncidence.

Le choix de premier tour donné aux Braves par Houston en 1977 a fini par être le numéro dix-huit (un certain Wesley Cox), parce que Moses a enflammé les Rockets et leur a fait gagner un titre de division. Lorsque les Rockets ont eu des problèmes la saison suivante (23 matchs manqués par Malone et les atroces séquelles de l’incident entre Tomjanovich et Washington), leur horrible saison à 24 victoires et 58 défaites a donné à Buffalo le quatrième choix de draft global. Sauf que les Braves l’avaient déjà échangé à New Jersey (avec leur premier choix de draft 1979) dans un accord désastreux pour obtenir Tiny Archibald. Et New Jersey a échangé une quatrième fois ce choix, marquant le début de la désastreuse période Micheal Ray Richardson chez les Knicks. Quel bazar.

Buffalo a déménagé à San Diego l’été suivant. Si vous avez bien suivi, techniquement, le fait qu’ils ont laissé tomber Malone et n’aient rien obtenu en échange pourrait être considéré comme leur « malédiction du Bambino » ; à partir de ce jour-là (le 24 octobre 1976), il ne leur est arrivé que des catastrophes. Et à juste titre. Le pire, c’est que la star de Buffalo, Bob McAdoo, ne se plaisait pas du tout dans l’équipe et avait râlé tout l’été pour obtenir un nouveau contrat. Pourquoi les Braves n’ont-ils pas gardé Malone comme assurance alors que leur pivot star avait de grandes chances de finir par s’en aller ? Six semaines après avoir échangé Moses, ils ont expédié McAdoo aux Knicks contre John Gianelli et de l’argent liquide. Et c’est ainsi qu’une ère sombre de trois décennies a commencé pour la franchise qui allait devenir les Clippers.

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Donc, si vous suivez toujours, « Moses la patate chaude » a fini par changer les destins de six franchises en moins de cinq mois :

  • New Orleans (ils ne s’en sont jamais remis et la franchise a déménagé quatre ans plus tard) ;
  • Les Lakers (qui ont pu prendre Magic et remporter cinq titres avec lui) ;
  • Portland (qui a mis à la poubelle l’assurance de Walton et Dieu sait combien de titres) ;
  • Buffalo (ils ne s’en sont jamais remis non plus et la franchise a déménagé deux ans plus tard, emportant avec elle une malédiction qui dure encore aujourd’hui) ;
  • Houston (la franchise est arrivée jusqu’aux Finales de 1981 avec Moses, puis a échangé Malone à Philadelphie pour mettre en place l’ère Hakeem-Sampson) ;
  • Philadelphie (qui a acheté Malone en 1982 et remporté un titre avec lui).

Nous avons également assisté à la destruction de près de l’un des plus grands joueurs de tous les temps : Moses Malone a déménagé tant de fois entre 1974 à 1976 qu’il était pratiquement détruit en arrivant à Houston ; il a fallu aux Rockets une saison entière pour le remettre en confiance. Finalement, il est entré au Hall of Fame et hante trois équipes encore aujourd’hui. Et dire que tout a commencé parce que Butch van Breda Kolff a décidé que Gail Goodrich se portait bien pour son âge.


(1) Source : http://www.nba.com

(2) Comment les dirigeants ont-ils réussi à mettre en place des règles cohérentes pour un truc pareil ? C’est un vrai miracle qu’ils aient réussi à bricoler quelque chose.

(3) C’était vraiment génial, la façon dont la NBA fonctionnait au milieu des années 70. Les dirigeants du Jazz ont dit au commissionnaire O’Brien : « Euh, en fait, on a bien réfléchi et on a changé d’avis à propos de Moses », et le bureau leur a répondu : « Pas de problème ! Reprenez votre premier choix ! » Compte tenu de la façon chaotique dont les choses marchaient à l’époque, on se demande si ça ne s’est pas passé comme ça : O’Brien était sur une autre ligne quand le Jazz l’a appelé, sa secrétaire a demandé la raison de l’appel, le Jazz le lui a dit, elle a répondu : « Ne quittez pas » et a passé le message à O’Brien, qui l’a congédiée en disant : « C’est bien, c’est bien, vous n’avez qu’à leur dire oui » avant d’en revenir à son appel téléphonique. (NDLR : Cette remarque n’est pas de moi, mais de Bill Simmons, extraite du Livre du Basket-ball.)

(4) Le choix de Buffalo a fini par être le troisième de la draft de 1978 : Portland l’a envoyé à Indiana avec Johnny Davis contre le numéro un de la draft, et ils ont choisi Mychal Thompson pour suppléer Walton.

#7 : L’explosion des Rockets de 1986

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L’équipe des Houston Rockets de 1986, qui aurait pu devenir la meilleure de l’histoire. (1)

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Entre 1980 et 1990, la NBA a sans aucun doute vécu son âge d’or. Songez un peu : une pléthore de grands joueurs (Magic, Bird, Jordan, Olajuwon, Barkley, Robinson…), trois des cinq meilleures équipes de l’histoire (les Celtics de 1986, les Lakers de 1987, et les Pistons de 1989), des rivalités légendaires (Lakers-Celtics, Sixers-Celtics, Bulls-Pistons), et j’en passe. Mais finalement, quelle a été la meilleure équipe de toute la décennie ?

Sans surprise, deux franchises sont clairement au-dessus : les Los Angeles Lakers, et les Boston Celtics. Les Lakers de Magic ont remporté les titres de 1980, 1982 et 1985. Les Celtics de Bird ont remporté les titres de 1981, 1984 et 1986 et avaient le deuxième choix d’une draft 1986 apparemment pleine de promesses. Mais le grand espoir Len Bias est décédé quelques heures après avoir été choisi par Boston ; l’absence d’un joueur aussi jeune et talentueux a forcé les Celtics à faire surjouer Bird et McHale, qui ont fini par se blesser. Après 1987, les Celtics n’étaient plus du tout les mêmes et il leur faudra attendre plus de vingt ans avant de revenir en finale.

Les Lakers, pour leur part, ont continué sur leur lancée et remporté les titres de 1987 et 1988. L’année suivante, ils sont encore parvenus en finale. On peut donc dire que les Lakers ont été l’équipe de la décennie, même si la mort brutale de Bias a sans doute beaucoup pesé dans la balance.

Mais ce dernier événement n’a pas été le seul coup de pouce du destin aux Lakers. Il y a également eu autre chose : la chute aussi incroyable qu’imprévisible de l’ère Sampson-Olajuwon.

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Parmi toutes les équipes NBA qui ont fini par s’autodétruire, personne ne pense jamais à inclure l’équipe de Pat Riley, celle qui avait un jour été surnommée « l’Équipe du Futur ». La fois où Houston a battu les Lakers en 1986 est aujourd’hui considérée de manière générale comme un coup de chance ; lors d’une période de cinquante mois qui a commencé en avril 1985 et s’est terminée en juin 1989, les Lakers n’ont perdu qu’une seule de leur dix-huit séries de play-offs, face à une équipe des Rockets jeune et insolente qui a disparu de la surface de la terre presque aussi vite qu’elle y était arrivée. Donc, il s’agissait bien d’un coup de chance.

Non ?

Eh bien, non. Car les Lakers de Magic n’ont pas seulement été battus par les Rockets en 1986 ; ils ont été démolis. Les Rockets ont perdu le premier match de leur série de play-offs et ont remporté les trois suivants par 10, 8 et 10 points d’écart, avant de gagner le match décisif sur le terrain des Lakers, alors que Olajuwon avait été expulsé à six minutes de la fin pour s’être battu avec Mitch Kupchak. (Le match a pris fin avec le célèbre tir à la sirène miraculeux de Sampson, suivi de l’image de Michael Cooper s’affalant sur le sol en signe d’incrédulité, ce qui a renfoncé le mythe de la « surprise ».) Les Rockets ont complètement dominé les Lakers au rebond lors de leurs quatre victoires. Hakeem Olajuwon a marqué 75 points en tout dans les Matchs 3 et 4. Les Rockets sont arrivés en finale avec la sensation d’avoir écrasé les Lakers. Et c’était le cas.

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En y regardant de plus près, Houston était le pire adversaire possible pour les Lakers. Ceux-ci avaient deux faiblesses : les rebonds, et l’incapacité à défendre au poste bas sur des joueurs d’élite. Avec les 2,24 m de Sampson et les moves uniques d’Olajuwon, ils n’avaient aucune chance. Abdul-Jabbar ne pouvait pas rivaliser avec la rapidité d’Olajuwon au poste bas ; ses tentatives pour défendre sur lui étaient aussi infructueuses que pathétiques. Et s’il défendait sur Sampson au poste haut, cela l’éloignait du cercle et privait les Lakers de leur seul contreur (sans compter que Ralph pouvait le battre avec ses dribbles). Ne parlons même pas du cauchemar que vivaient les ailiers sous-dimensionnés ou aux qualités athlétiques limitées comme Kupchak, A. C. Green ou James Worthy à essayer de stopper Hakeem au poste bas.

Comme si cela ne suffisait pas, Houston avait la chance de posséder des arrières grands et athlétiques comme Robert Reid, Rodney McCray ou Lewis Lloyd (2) qui pouvaient prendre des rebonds et poser des problèmes à Magic. C’était la confrontation parfaite pour Houston. Ajoutez l’empoisonnant meneur John Lucas (qui avait replongé dans la drogue deux mois avant les play-offs) et la messe était dite : il n’y avait aucune chance que les Lakers du milieu des années 80 puissent battre les Rockets de la même époque.

Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? C’est très simple : Olajuwon et Sampson ont été premiers choix de draft deux années consécutives (1983 et 1984) et, avec le combo McHale/Parish à Boston, tout le monde a paniqué au point que chaque équipe du milieu des années 80 est devenu obsédée par ajouter de la taille. Joe Kleine et Jon Koncak ont été choisis avant Karl Malone, les équipes ont misé sur des joueurs à problèmes comme Chris Washburn et William Bedford, etc. Les pauvres Lakers étaient soudain devenus une équipe jouant small ball prise au piège dans une ligue de big men ; avec les rebonds et les contres de Kareem en chute libre et la raclée collée par Houston, tout le monde pensait que l’ère Magic-Kareem était terminée.

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Qui aurait pu deviner que la prometteuse ère Sampson-Olajuwon allait s’achever aussi brusquement ? L’année suivant leur récital contre les Lakers en play-offs, Sampson et Hakeem ont voulu chacun un nouveau contrat, Lucas est parti à Milwaukee pour un nouveau départ, et l’équipe a subi un double coup de malchance avec les suspensions pour usage de cocaïne de Lewis Lloyd et de Mitchell Wiggins (ce qui signifie qu’avant la trêve All-Star de 1987, les trois meilleurs arrières de Houston avaient disparu).

Peu de temps après Sampson a commencé a ressentir les effets d’une grave chute au Boston Garden en 1986 (3), a dû modifier sa façon de courir pour soulager la pression sur son dos, et a martyrisé ses genoux. Golden State l’a échangé au cours de la saison 1987-1988 contre Joe Barry Carroll et Sleepy Floyd. Deux ans après la finale de 1986, il ne restait donc plus que le pauvre Hakeem à bord pour les Rockets, et malgré son immense talent, il faudra attendre six ans, la première retraite de Michael Jordan et une reconstruction totale de l’équipe pour que Houston décroche son premier titre. Seuls les drogues récréatives et une mauvaise chute pouvaient les arrêter la nouvelle grande équipe de l’Ouest.

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Voici la meilleure façon de mettre la chute de Houston en perspective. Supposons que les Pistons se soient effondrés après les play-offs de 1986 à cause du genou de Isiah et parce que Dennis Rodman, Vinnie Johnson et John Salley s’étaient tous les trois fait bannir de la ligue pour usage de cocaïne. Qu’advient-il de ce vide dans la Conférence Est ? Au minimum, les Celtics jouent deux finales de plus (1987 et 1988) et arrivent peut-être à en arracher une (ou deux) parce qu’ils sont frais après avoir évité de batailler contre les Pistons. Peut-être que Jordan remporte huit titres au lieu de six. Peut-être que Dominique et les Hawks parviennent à se glisser une fois en finale. Peut-être que les Blazers remportent le titre en 1990 et que la carrière de Clyde Drexler se déroule différemment. Qui sait ?

Pour les Lakers, le fait que les dieux du basket aient fait diparaître cette équipe des Rockets était un cadeau presque aussi grand que celui du premier choix de draft 1979 donné par New Orleans. La carrière de Hakeem n’aurait-elle pas eu un impact différent s’il avait pu rivaliser avec Kareem et les Lakers durant le reste des années 80 ? Et s’il avait gagné quatre ou cinq titres au lieu de deux ? Cela le propulserait-il devant Kareem, faisant de lui le deuxième plus grand pivot de tous les temps ? Jamais il n’y aura eu autant de questions autour d’une seule équipe.

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Vingt ans plus tard, Fran Blinebury, du Houston Chronicles, a écrit une colonne sur les Rockets de 1986 intitulée La Dynastie Perdue, qui incluait cette citation de Lucas :

Quand je me balade dans Houston aujourd’hui et que j’entends les gens parler des titres de 1994 et 1995, je secoue la tête. Je leur dis : « Soit vous l’avez oubliée, soit vous n’avez jamais vu la meilleure équipe des Rockets de tous les temps. Je le sais. J’en faisais partie. Et je suis en grande partie responsable de leur chute. » La plupart des équipes comme la nôtre sont compétitives pendant huit à dix ans. Nous avions une fenêtre de cette taille, sans le savoir, et elle s’est refermée violemment.

Magic, Kareem et Riley s’essuient probablement le front en soupirant « Ouf ! » chaque fois que quelqu’un évoque les Rockets de 1986. Et ils ont raison.


(1) Source : http://www.grantland.com (Bill Baptist/NBAE/Getty Images)

(2) Lloyd était dévastateur en transition et étonnamment efficace : entre 1984 et 1986, il affichait en moyenne 16 points, 4 rebonds et 4 passes décisives à 53 % de réussite au tir.

(3) Sampson est allé au dunk, s’est fait contrer, son corps s’est tordu maladroitement et il s’est écrasé au sol en atterrissant sur la tête et le dos, si violemment que le Garden a fait « ohhhhhhh » avant d’être plongé dans un silence de mort.

#8 : Ralph Sampson, arrivé trop tard

TowerofPower_1982

Ralph Sampson en couverture de Sports Illustrated, avec l’Université de Virginie.

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En avril 1980, les Boston Celtics ont de bonnes raisons de se réjouir. Pas seulement parce que l’arrivée du rookie Larry Bird a transformé une équipe moribonde et qu’elle s’apprête à affronter Philadelphie en finale de la Conférence Est. Mais aussi parce que le sort vient de leur accorder le premier choix de la prochaine draft. Et la cible des Celtics est toute trouvée. Il s’agit de Ralph Sampson.

(Note : cet article reprend de façon presque exhaustive les propos de Bill Simmons concernant Ralph Sampson dans Le Livre du basket-ball. Ce qu’il dit au sujet de Sampson est tellement juste qu’il n’y a rien à redire ou à retirer.)

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Pour bien comprendre ce qui s’est passé, revenons un peu en arrière. À l’été 1979, les Celtics font signer M. L. Carr en provenance des Detroit Pistons. Bien que Carr soit agent libre, les règles de l’époque imposent à l’équipe qui accueille un joueur de donner une compensation à l’équipe qui a perdu ce joueur (la commissionnaire se chargeant de régler les éventuels litiges). Les Pistons choisissent l’ailier des Celtics, Bob McAdoo, en guise de compensation. Comme McAdoo avait été cinq fois All-Star et que sa valeur dépassait celle de Carr, Detroit abandonna aux Celtics un grand nombre de choix de draft pour arriver à un arrangement équitable.

À la fin de la saison, les Pistons terminèrent avec le pire record de la Conférence Est (16 victoires pour 66 défaites). Cela aurait dû leur valoir au moins l’un des deux premiers choix de la prochaine draft. Mais comme ils avaient cédé leurs choix de draft aux Celtics en échange de McAdoo, les Celtics se retrouvèrent soudain avec 50 % de chances d’obtenir le premier choix de la draft 1980 !

À l’époque, le système de loterie n’existait pas ; le premier choix de draft était décidé par un tirage à pile ou face entre les deux pires équipes de chaque Conférence (ou l’équipe qui avait récupéré le choix de draft l’une de ces deux équipes). En avril 1980, donc, les Celtics et Utah (la pire équipe de l’ouest) se retrouvèrent pour le tirage au sort. Frank Layden, le manager du Jazz, qui choisissait le premier, suivit l’avis de sa fille et demanda « pile ». La pièce tomba côté face. Et c’est ainsi que les Celtics obtinrent le luxe de choisir en premier à la draft qui allait avoir lieu quelques mois plus tard.

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Immédiatement, les Celtics ciblent le meilleur joueur universitaire de l’époque, Ralph Sampson. Sampson était un géant de 2,24 m et de 19 ans qui venait d’intégrer l’Université de Virginie ; il avait réussi une première année retentissante (15 points, 11 rebonds et 5 contres par match). Aujourd’hui, beaucoup l’ont oublié, mais Sampson était à l’époque considéré comme un joueur qui allait dominer tous ses adversaires à son entrée en NBA, dans la même veine que Chamberlain, Abdul-Jabbar et Walton. Red Auerbach pensait même que Sampson avait les aptitudes physiques et l’instinct pour devenir le prochain Russell.

Sampson était comme un Abdul-Jabbar ayant dépassé la trentaine et sans bras roulé : même physique, même taille, légèrement décevant au rebond et au contre (bien que solide dans ces deux domaines), mais supérieur à presque tout le monde à cause de sa taille et de sa rapidité. Les Celtics avaient tranquillement commencé leur lobbying : Viens jouer avec nous. Tu te battras tout de suite pour un titre avec Bird, Cowens, Maxwell et Tiny Archibald au sein de la plus grande franchise de l’histoire. Pourquoi risquer une blessure ? Bird et toi, vous pourriez dominer cette ligue pendant une décennie.

L’offre était plus qu’alléchante. Mais non : Sampson a refusé de rejoindre les Celtics de façon incompréhensible et a terminé son cursus universitaire avant d’être sélectionné en première position par les Rockets trois ans plus tard. Auerbach a publiquement tourné sa veste après le refus de Sampson, en disant avec mépris que Ralph avait été « embobiné par de mauvais flatteurs » et ajoutant :

« Les gens qui lui ont conseillé de poursuivre ses études vont avoir du mal à dormir la nuit. Ils lui ont retiré une capacité d’amélioration qu’il ne retrouvera jamais, et ils oublient que s’il se fait renverser par une voiture, ce sera fini pour lui. C’est ridicule. S’il avait des capacités intellectuelles hors normes et souhaitait devenir chirurgien, on comprendrait qu’il continue à aller à l’école. »

Du coup, les Celtics sont passés au plan B : échanger leur premier choix de draft (et le treizième) contre Robert Parish et le troisième choix (Kevin McHale). Dans les six années qui ont suivi, ils ont remporté trois titres.

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Les Celtics auraient-ils gagné ces trois trophées s’ils avaient eu Sampson ? Cela dépend de la façon dont la carrière de ce dernier se serait déroulée s’il n’avait pas terminé l’université – trois ans au cours desquels il ne s’est jamais amélioré et a évolué avec des coéquipiers de faible niveau, tout en faisant face aux tactiques de ralentissement et aux prises à trois – et était rentré dans le bain au plus haut niveau possible dans une équipe favorite pour le titre.

De fait, ce qu’avait prédit Auerbach s’est exactement réalisé. Les trois années  supplémentaires passées à l’université ont affecté le potentiel de Sampson de manière significative. Il n’a jamais trouvé développé un tir fiable sur lequel s’appuyer ; en revanche, il s’est mis à croire ce que tout le monde lui répétait, à savoir qu’il était un arrière dans le corps d’un big man, et il a commencé à passer son temps à six mètres du panier, tout en essayant de mener les contre-attaques comme un Bob Cousy mutant.

Ajoutez à tout cela une première saison galère au sein d’une horrible équipe de Houston horrible et voilà comment quatre saisons ont été gaspillées dans la période où un joueur est censé se développer. Il ne s’en est jamais remis. Vu que Sampson n’a joué que quatre saisons NBA en bonne santé, et qu’il a déclaré être ruiné quelques années plus tard, on peut dire que Red savait peut-être de quoi il parlait. (Qu’il ait correctement évalué les capacités de Ralph est une autre histoire.)

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Imaginez un peu si Ralph avait appris à Boston les ficelles du métier, comment maîtriser les rebonds et les contres, avait joué des matchs de play-offs sous haute pression, et exécuter des contre-attaques avec une équipe qui excellait dans ce domaine, en obtenant des paniers faciles de la part de Bird entre 1980 à 1984. Sur le papier, cela aurait été la meilleure place pour un pivot capable de soutenir une franchise de l’histoire de la NBA. Cela aurait-il été mieux qu’un combo Parish / McHale ? Tout dépend de la façon dont on apprécie l’évaluation d’Auerbach évoquant « le prochain Russell ».

Une dernière remarque concernant Ralph : seuls dix-sept rookies de la NBA ont été considérées comme des valeurs sûres au cours des cinquante dernières années : Baylor, Chamberlain, Oscar Robertson, Kareem Abdul-Jabbar, Pete Maravich, Bill Walton, Bird, Magic, Sampson, Olajuwon, Jordan, Ewing, David Robinson, Shaquille O’Neal, Webber, Duncan et LeBron. Onze de ces valeurs sûres font partie des vingt meilleurs joueurs de l’Histoire. Sampson et Webber sont les seuls à ne pas faire partie du Hall of Fame. Sampson et Walton sont les seuls à n’avoir pas joué plus de quatre bonnes saisons, même si Walton a gagné un titre de MVP, un titre de MVP des Finales et s’est reconverti en tant que  sixième homme dans une équipe emblématique.

Plus que celle de toute autre valeur sûre, la carrière de Ralph peut être considérée comme l’une des plus grosses tragédies de l’histoire du sport : une combinaison de malchance, de mauvaises situations et un léger problème initial de surévaluation. Sampson s’est éteint aussi vite que Bo Jackson ou Dwight Gooden, mais sans la fanfare et sans les légendes qui ont marqué l’histoire. Il n’a pas seulement disparu ; il n’y a aucune trace de lui nulle part. Il a laissé des empreintes comme celles que l’on voit sur une plage. Il n’a même pas inspiré un documentaire qui aurait pu être récompensé avec un bon réalisateur. S’il y a une leçon à tirer de tout cela, je n’ai pas encore trouvé laquelle.