Top 10 des meilleures performances individuelles lors d’un match de Finales NBA

nba-finals-trophy-png-nba-mvp-trophy-png

La saison régulière de la NBA est une chose ; les play-offs en sont une autre. C’est au moment des play-offs, et particulièrement lors des rencontres décisives, que les grands joueurs doivent se révéler et justifier leur statut. Plus facile à dire qu’à faire, mais possible ! Voici le top 10 des performances individuelles qui, en Finale NBA, signifient réellement quelque chose.

*****

Mentions honorables

Les performances réalisées en luttant contre une blessure ou contre la douleur. Même si elles sont (pas toujours, mais souvent) déterminantes pour leur équipe, les performances évoquées dans ce top 10 sont celles où le joueur a tiré son équipe vers le haut par sa valeur pure et sa performance sportive, et non par son courage face à l’adversité. Mais comme les exemples dans ce dernier cas ne manquent pas et méritent un hommage, ces performances feront l’objet d’un classement séparé.

Les matchs de play-offs en dehors des Finales. Ce classement aurait pu être élargi à l’ensemble des play-offs, mais en fin de compte, les performances vraiment décisives (sur un match) en Finale de Conférence ou ailleurs ne sont pas si nombreuses. Seules deux d’entre elles méritent d’être citées : celle de Wilt Chamberlain lors du Match 5 de la Finale de Conférence Est 1967, quand il écrasa Boston avec un incroyable triple double (29 points, 36 rebonds et 13 passes décisives avec 62 % de réussite au tir) ; et celle de Hakeem Olajuwon au Match 5 de la Finale de Conférence Est 1995 (42 points, 9 rebonds, 8 passes décisives, 5 contres, 57 % de réussite au tir). Impressionnant, mais insuffisant pour entrer dans un classement spécifique.

Les performances qui se sont achevées par une défaite. Parfois, la performance individuelle ne suffit pas pour donner un titre à son équipe. Et comme la victoire est, en fin de compte, ce qui importe le plus, les grands matchs de certains joueurs ont été écartés, comme le Match 5 d’Elgin Baylor lors des Finales de 1962 (61 points, 22 rebonds) ou celui de Jerry West au Match 7 des Finales de 1969 (42 points, 13 rebonds et 12 passes décisives). Dans les deux cas, les stars des Lakers n’ont pas réussi à donner le titre à leur équipe (deux défaites au Match 7 contre les Celtics). Dommage.

*****

Le Top 10

Walton_1977

10. Bill Walton (Finales NBA 1977, Match 6)
20 points, 23 rebonds, 7 passes décisives, 8 contres

Ravagé par les blessures pendant toute sa carrière professionnelle, Bill Walton n’a joué qu’une saison entière de NBA à 100 % de ses moyens. Mais quelle saison ! En 1976-77, Walton était la plaque tournante et le seul joueur valable d’une équipe de Portland qui n’existait que depuis six ans et était loin d’être favorite pour le titre face aux Sixers. Ça ne l’a pas empêché de faire des Finales monstrueuses, avec une moyenne de 19 points, 19 rebonds, 5 passes décisives et 4 contres. Le Match 6 sera sa performance la plus aboutie : Walton va frôler le quadruple-double, établir un record de contres et offrir le titre à son équipe. Une juste récompense pour le pivot le plus complet de l’histoire, qui aurait été l’un des meilleurs joueurs de tous les temps s’il était resté en bonne santé.


Jordan_1998

9. Michael Jordan (Finales NBA 1998, Match 6)
45 points, 1 rebond, 1 passe décisive, 4 interceptions, 12/15 au lancer franc

Le dernier match de Michael Jordan a été le point d’orgue de sa formidable carrière. Lors du Match 6 des Finales contre Utah en 1998, Jordan avait l’occasion de donner le titre à son équipe ; il ne l’a pas manquée, se chargeant de marquer 41 des 83 premiers points de Chicago. À une minute de la fin, quand Utah s’est retrouvé avec trois points d’avance, Jordan a marqué un panier pour faire revenir son équipe à un point, a volé le ballon à Karl Malone sur l’action suivante, et a rentré à quelques secondes de la fin le tir décisif qui a donné la victoire et le titre aux Bulls. Dommage que ses statistiques générales n’aient pas été aussi impressionnantes que son total de points. Il aurait à coup sûr figuré plus haut dans ce classement.


Heinsohn_1957

8. Tommy Heinsohn (Finales NBA 1957, Match 7)
37 points, 23 rebonds, 2 passes décisives

Drafté en même temps que Russell pour renforcer la raquette des Celtics, Heinsohn s’est affirmé dès sa première année comme un joueur-clef de l’effectif. Au Match 7 des Finales NBA 1957, dans un match dont le vainqueur remporterait le titre, Heinsohn a joué l’un des plus grands matchs jamais disputés par un rookie : avec Bob Pettit (MVP l’année passée) comme adversaire direct, il a décroché un surprenant total de 37 points et 23 rebonds, permettant à son équipe de tenir le coup dans le temps réglementaire alors que Cousy et Sharman peinaient pour marquer. Puis il a sangloté dans une serviette après avoir été exclu pour six fautes. Les Celtics ont gagné en double prolongation grâce aux efforts combinés de Bill Russell et Frank Ramsey, mais sans Heinsohn, rien n’aurait été possible. Il mérite largement sa place dans ce classement.


Duncan defended by Jefferson

7. Tim Duncan (Finales NBA 2003, Match 6)
21 points, 20 rebonds, 10 passes décisives, 8 contres

Il s’agit peut-être du match de Finales où un joueur s’est montré le plus dominant. Au cours du Match 6 des Finales NBA 2003, Tim Duncan, MVP en titre et meilleur joueur de la ligue, a totalement écrasé les Nets, dominant Kenyon Martin, Dikembe Mutombo et Jason Collins – trois des meilleurs intérieurs défensifs de la ligue. Avec 8 contres, il a rejoint le record de Walton, Olajuwon, Ewing et O’Neal sur un match de Finales NBA. Personne n’avait autant frôlé le quadruple-double depuis Walton en 1977. Grâce à sa performance, les Spurs ont remonté un retard de neuf points dans le quatrième quart-temps, et gagné le match ainsi que le titre. Le plus incroyable, c’est que Duncan avait  déjà réalisé une performance similaire au Match 1 (32 points, 20 rebonds, 6 passes décisives, 7 contres, et 3 interceptions). Il était injouable cette année-là. C’était le meilleur joueur de la ligue, sans contestation.


Bird_1986

6. Larry Bird (Finales NBA 1986, Match 6)
29 points, 11 rebonds, 12 passes décisives, 3 interceptions, 11/12 aux lancers francs

L’équipe des Celtics de 1986 était (probablement) la meilleure de l’Histoire, et Larry Bird son meilleur joueur. Boston a dominé la saison en ne perdant qu’un seul match à domicile, dans une ligue où la densité et la concurrence n’ont jamais été aussi fortes. Le Match 6 des Finales contre Houston fut le couronnement de la carrière de « Larry Legend ». MVP cette année-là pour la troisième fois consécutive, il a littéralement survolé la rencontre, offrant aux Celtics leur seizième titre. Il confiera plus tard : « C’était le seul match auquel j’étais totalement préparé. Jamais je ne me suis senti mieux. Jamais. J’aurais dû prendre ma retraite juste après. »


James_2016

5. LeBron James (Finales NBA 2016, Match 7)
27 points, 11 rebonds, 11 passes décisives, 3 contres, 2 interceptions

Contre ce qui est peut-être la meilleure équipe de l’Histoire en saison régulière (mais qui tirait sérieusement la langue en play-offs), James a réalisé une sacrée performance. En 2016, il a aligné contre les Warriors une moyenne en Finales de 30 points, 11 rebonds, 9 passes décisives, 2 contres et 3 interceptions. Sa performance au Match 7 fut extraordinaire, avec un triple-double et peut-être l’action la plus importante du match (le contre iconique sur Andre Iguodala). Il a aussi définitivement clos la rencontre en marquant un lancer franc, permettant aux Cavaliers de remporter le premier titre de l’histoire de la franchise tout en apportant à la ville de Cleveland son premier championnat dans un sport américain majeur depuis 1964. S’il avait marqué le panier décisif pour la victoire finale – le tir à trois points d’Irving à quelques secondes de la fin – il aurait été sur le podium.


Frazier_1970

4. Walt Frazier (Finales NBA 1970, Match 7)
36 points, 7 rebonds, 19 passes décisives, 12/12 aux lancers francs, 70 % de réussite au tir

Les Finales de 1970 opposaient deux « Big Three » : celui des Lakers (West-Baylor-Chamberlain) et celui des Knicks (Reed-DeBusschere-Frazier). Les Lakers étaient largement favoris, mais les Knicks ont quand même emmené la série jusqu’à un Match 7. un Match 7 que tout le monde les voyait perdre après la blessure de leur capitaine et leader Willis Reed au Match 5. Mais à la surprise générale, Reed va se présenter sur le terrain juste avant le début du match. Sa réapparition enflammera la foule du Madison Square Garden, permettant aux Knicks d’emporter la victoire et le titre. Mais le vrai responsable de la victoire n’est pas Reed, mais Frazier. Il a littéralement détruit Jerry West, avec 36 points, 7 rebonds, 19 passes décisives et Dieu sait combien d’interceptions (elles n’étaient pas comptabilisées à l’époque). Quand on voit l’enjeu final et le niveau des Lakers de cette époque, ce match est l’un des matchs les plus impressionnants et les plus complets disputés par un joueur.


Pettit_1958

3. Bob Pettit (Finales NBA 1958, Match 6)
50 points, 19 rebonds, 56 % de réussite au tir et 80 % de réussite au lancer franc

Comme l’année précédente, les Finales de 1958 ont été extrêmement serrées. Après avoir remporté d’un souffle trois des cinq premiers matchs (avec moins de quatre points d’écart à chaque fois), les Hawks sont déterminés à remporter le sixième match à domicile pour ne pas revivre le crève-cœur de l’année passée (défaite au Match 7 contre ces mêmes Celtics). Pettit a évité un septième match à Boston en marquant 50 points, dont 18 des 21 derniers de Saint Louis, ainsi qu’un tir en suspension et une claquette au rebond décisive dans les dernières secondes pour sceller la victoire et le titre de 1958. D’accord, Russell était blessé à la cheville et n’a joué qu’à 30 % de ses moyens, mais il s’agit quand même de l’une des meilleures performances de l’Histoire des Finales NBA. Pettit a été absolument brillant du début à la fin. L’entraîneur des Boston Celtics, Red Auerbach, lui rendra un bel hommage : « Il joue toujours à fond, que son équipe ait 50 points d’avance ou 50 points de retard ».


BILL RUSSELL

2. Bill Russell (Finales NBA 1962, Match 7)
30 points, 40 rebonds, 4 passes décisives, 14/17 aux lancers francs

Tout le monde s’accorde à dire que ce match est le meilleur de Bill Russell. Il a marqué 30 points et pris 40 rebonds pour vaincre les Lakers de West et Baylor après prolongation. On se souvient surtout du fameux tir ouvert manqué par Frank Selvy à quelques secondes de la fin, qui aurait pu donner la victoire aux Lakers, mais c’est bien la performance de Russell qu’il faut retenir. Ce que les statistiques ne montrent pas est son abattage défensif : vers la fin du temps réglementaire, tous les ailiers de Boston (Heinsohn, Sanders et Loscutoff) étaient sortis pour six fautes, et Russell devait protéger le panier tout seul. Cet incroyable record de 40 rebonds en Finales NBA ne sera sans doute jamais battu. Les Lakers étaient obligés de marquer tous leurs tirs car ils savaient que s’ils en manquaient un, ils n’auraient pas de seconde chance. La domination de Russell sous les panneaux était unique. Il est bien le meilleur pivot défensif de l’Histoire.


Magic_1980

1. Magic Johnson (Finales NBA 1980, Match 6)
42 points, 15 rebonds, 7 passes décisives, 1 contre, 14/14 aux lancers francs

La meilleure performance individuelle d’un joueur lors d’un match de Finales NBA, c’est celle-ci, sans le moindre doute. Quarante ans plus tard, personne n’a pu reproduire ce que Magic Johnson a réalisé contre Philadelphie lors du Match 6 des Finales de 1980. Après la blessure de Kareem Abdul-Jabbar lors du Match 5, les Lakers se sont retrouvés privés de leur meilleur joueur et du meilleur pivot de la ligue alors qu’il restait encore un match à gagner. Magic, âgé seulement de vingt ans, démarra le match à la place d’Abdul-Jabbar au poste de pivot, joua à tous les postes, rendit une feuille de stats avec 42 points, 15 rebonds et 7 passes décisives, porta les Lakers vers la victoire et le titre, reçut le trophée de MVP des Finales (une performance unique pour un rookie) et se tailla une réputation en époustouflant tout le monde. Pouvez-vous imaginer quelqu’un reproduire une telle performance aujourd’hui ? Au vu des circonstances (le statut des Lakers et la pression sur les épaules du rookie), ce qu’a réalisé Magic cette nuit-là est sans doute la plus grande performance de l’Histoire des finales NBA.

#73 : Lenny Wilkens

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

Lenny_Wilkens

LENNY WILKENS

15 ans de carrière dont 9 de qualité.
9 fois All-Star.
Vice-MVP en 1968.
Un titre de meilleur passeur de la saison.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 21 points, 5 rebonds et 9 passes décisives de moyenne.
Play-offs : 16 points, 6 rebonds et 6 passes décisives de moyenne.

*****

Côté face :

Les cinq majeurs de la NBA sont loin d’être fiables, mais comment Wilkens peut-il terminer deuxième au vote du MVP 1968 sans faire partie du premier ou du deuxième cinq majeur de la NBA cette même saison ? Parmi le groupe des 50 meilleurs joueurs de l’histoire de la NBA choisis en 1996, il est le seul à n’avoir jamais fait partie d’un cinq majeur et a raté les play-offs lors de ses sept dernières années de carrière. Wilkens était très bon, mais pas excellent ; les statistiques et le nombre de victoires obtenues par ses équipes renforcent cette assertion. Wilkens illustre aussi parfaitement la façon dont la fusion NBA/ABA a faussé toutes les statistiques entre 1969 et 1976. Regardez l’évolution de ses moyennes en carrière, sachant qu’il a fêté ses trente ans juste avant la saison 1967-1968 :

  • Wilkens (de 1966 à 1968) : 18 points, 5 rebonds, 7 passes décisives (43 % de réussite au tir)
  • Wilkens (de 1969 à 1973) : 20 points, 5 rebonds, 9 passes décisives (44 % de réussite au tir)

Entre trente-et-un et trente-cinq ans, Wilkens se serait amélioré ? Bien sûr que non. Il a légèrement augmenté ses statistiques en raison de l’appauvrissement du jeu et de la répartition homogène des joueurs dans la ligue. Ce qui est bien. Mais il ne aurait pas dû faire être sélectionné dans le top 50 des meilleurs joueurs de l’histoire à la place de Dennis Johnson, un joueur plus complet qui a gagné davantage à une époque où la concurrence était rude.

Côté pile :

S’il faut complimenter Wilkens, félicitons-le pour avoir été le dernier entraîneur-joueur de qualité ; il a joué les deux rôles pour les Sonics alors qu’il était au sommet de sa carrière et a fait remporter à son équipe à 47 victoires en 1972, en étant leur deuxième meilleur joueur sur le terrain. Il était à sa place parmi les All-Stars, et pour l’ensemble de son œuvre, on peut lui attribuer une note entre 15/20 et 16/20. Ce qui correspond à peu près à la place à laquelle il se trouve dans ce classement.

#89 : Arvydas Sabonis

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

Arvydas_Sabonis

ARVYDAS SABONIS

7 ans de carrière dont 1 de qualité.
Jamais All-Star.
Pic de forme d’un an en saison régulière : 16 points, 10 rebonds et 3 passes décisives de moyenne.
Pic de forme de 2 ans en play-offs : 11 points, 8 rebonds et 2 passes décisives de moyenne (29 matchs).
33 % de réussite à 3 points en carrière (135 tirs réussis sur 415 tentés).
Meilleur joueur d’une équipe championne olympique (URSS, 1988).
4 fois Joueur Européen de l’Année.

*****

Côté face :

Arvydas Sabonis est né dix ans trop tôt. Et au mauvais endroit. S’il avait rejoint la NBA plus jeune et si ses jambes ne l’avaient pas trahi, il serait certainement devenu l’un des plus grands pivots de l’histoire. À condition de rester en bonne santé suffisamment longtemps (les joueurs de plus de 2,20 m qui disputent 82 matchs par an depuis leurs vingt-deux ans sans compter les play-offs finissent toujours par être rattrapés par les blessures). Pour Sabonis, les chances de devenir une star de la NBA étaient compromises dès le départ : Portland a pris une option sur lui au premier tour de la draft en 1986, puis a passé une éternité à essayer de l’attirer en NBA. Mais comme les autorités soviétiques lui interdisaient de quitter le pays, Sabonis ne put rien faire d’autre que de poursuivre sa carrière dans son club de Kaunas, et laisser les médecins soviétiques flinguer davantage ses genoux et ses pieds par des soins mal adaptés.

Lorsque l’URSS fut fragmentée en 1989 et qu’il eut finalement l’autorisation de quitter le pays, Sabonis surprit tout le monde en signant en Espagne au lieu de rejoindre les Blazers. Quand Portland parvint enfin à l’obtenir en 1995, le physique vieillissant de Sabonis et ses blessures mal soignées avaient complètement sapé sa rapidité, et le pauvre « Saba » se déplaçait sur le terrain comme un zombie. En Amérique, les fans occasionnels de NBA se rappellent de lui pour deux choses : sa tête énorme qui le faisait ressembler à un catcheur professionnel, et les deux arrestations de sa femme pour conduite en état d’ivresse pendant l’ère des « Jail Blazers », ce qui a permis à tout le monde de faire la blague : « Dans cette équipe, même les épouses des joueurs ont des problèmes ! »

Côté pile :

Dieu merci, grâce à YouTube, nous pouvons voir un « Saba » jeune et en bonne santé fracasser allègrement les panneaux, enquiller des tirs à trois points et faire des passes aveugles ; ce n’est pas pour rien que tout le monde le comparait à Bill Walton avec une envergure de 7,50 m. Vous vous souvenez peut-être d’un Sabonis de vingt-trois ans conduire les Soviétiques jusqu’à l’or olympique en 1988 (même s’il se remettait d’une rupture du tendon d’Achille), dominer David Robinson en demi-finale, contrôler le jeu aux deux extrémités et amener tout le monde à réaliser à quel point les rumeurs sur son compte étaient sérieuses. Dino Radja témoignait en 1995 : « Sans ses blessures, [Saba] aurait été meilleur que David Robinson. J’en suis sûr. Il avait le talent pour. En 1985, il était énorme. Il remontait le terrain comme Ralph Sampson, il savait tirer à trois points, dunker… Il aurait été All-Star dix années de suite. »

Même en boitant sur le terrain comme s’il portait des Nike en béton, Sabonis a joué un rôle clé dans une équipe des Blazers de 2000 qui aurait pu gagner un titre s’ils n’avaient pas craqué en route. Comme il ne pouvait ni courir ou sauter mais restait efficace, imaginez ce qu’il aurait pu être à son apogée. Rappelez-vous, Portland est arrivé en finale en 1990 et 1992, et l’équipe de 1991 a remporté 63 matchs avec Kevin Duckworth en pivot titulaire. Imaginez ce qui se serait passé si, à la place de « Duck », Portland avait eu l’un des meilleurs pivots de l’époque. S’il faut intégrer dans ce classement de grands joueurs en fonction de ce qui aurait pu arriver, Sabonis doit y figurer. Sa carrière raccourcie l’empêche d’être plus haut, mais tout de même.

#1 : La draft de 1984

Draft_1984

Note : Cet article est la traduction quasi-exhaustive d’un passage intitulé « Et si la draft de 1984 s’était déroulée différemment ? », extrait du Livre du Basket-ball de Bill Simmons. La façon dont cette draft a influencé l’histoire de la NBA plus que tout autre événement y est tellement bien décrite qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter.

*****

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’événement qui a eu le plus d’impact sur l’histoire de la NBA n’a pas été le fait que Portland a choisi Sam Bowie au lieu de Michael Jordan, mais bien le déroulement de la draft 1984 dans son ensemble. La somme de talents présente était si immense que cette draft a inspiré le concept de « tanking » à Houston et Chicago, qui ont délibérément saboté leur saison régulière afin d’avoir les meilleures chances d’obtenir le premier choix. Lorsque Houston a remporté la loterie et s’est réservé Hakeem Olajuwon, la course aux joueurs est devenue frénétique.

Voici ce que nous savons avec certitude :

1.

Les Blazers (qui avaient le deuxième choix) et les Bulls (qui avaient le troisième) auraient échangé leurs choix de draft contre Ralph Sampson, même si cela n’aurait pas été suffisant pour obtenir un pivot rookie hyper-coté qui avait cet été-là la troisième valeur d’échange la plus élevée derrière Magic et Bird. Bien plus tard, Jack Ramsey, l’entraîneur des Blazers, dira au journaliste Sam Smith :

« Il nous fallait un pivot. Nous aurions fait cet [échange]. »

En 1996, dans son autobiographie Living the Dream, Hakeem affirme que Houston a presque échangé Sampson à Portland contre Drexler et le deuxième choix :

« Entre 1984 et aujourd’hui, les Rockets auraient pu avoir Clyde Drexler, Michael Jordan et moi, Nous aurions progressé ensemble, joué ensemble, gagné ensemble. Mais les Rockets n’ont jamais franchi le pas. »

Que cela soit vrai ou non, on ne peut rien reprocher à Houston car Drexler n’avait pas exactement mis le feu à la NBA lors de son année rookie. Mais imaginez Hakeem, Jordan et Drexler faisant toute leur carrière ensemble. C’est comme si Microsoft et Apple avaient fusionné en 1981.

2.

L’équipe de Chicago n’était pas assez bonne pour Jordan et les requins n’ont pas tardé à se mettre en chasse après sa sélection, accréditant la thèse selon laquelle Portland s’était planté et bien planté. Après la draft, Dallas a immédiatement proposé Mark Aguirre à Chicago contre leur troisième choix. Philadelphie a offert un Julius Erving sur le déclin, le choix numéro cinq et Andrew Toney (1). Des échanges avec Seattle (Jack Sikma) et Golden State (Joe Barry Carroll) ont été évoqués. Finalement, les Bulls commencé à avoir l’impression d’être assis sur un billet de loterie gagnant. Et c’était bel et bien le cas.

3.

Patrick Ewing a failli s’inscrire à la draft avant de se raviser et de retourner à Georgetown. Si Ewing avait été là, il aurait été choisi en premier et Hakeem en second (par Portland). Et puis ? L’ancien directeur général des Bulls, Rod Thorn, a déclaré au journaliste Filip Bondy que Jordan avait priorité sur Bowie à cause des nombreuses blessures qu’avait subi ce dernier. Ils venaient d’être échaudés par deux choix de draft de haut de tableau discutables : Ronnie Lester (genoux fragiles) et Quintin Dailey (mauvais esprit). Ils voulaient une valeur sûre. Bien sûr, si Hakeem avait débarqué à Portland, tout ce qui s’est passé en NBA de 1985 à 1998 aurait été différent (d’autres finales, d’autres champions, Ewing qui ne joue pas à New York…). Ça donne mal à la tête.

4.

Le potentiel de Jordan était difficile à estimer, car il avait joué pour Dean Smith en NCAA à une époque où le temps de possession de balle était encore illimité (2). Tout le monde savait qu’il était bon, mais à quel point ? Son immense talent est resté dans l’ombre jusqu’aux épreuves de sélection pour les Jeux Olympiques de 1984, durant lesquelles Jordan a tellement dominé ses adversaires que l’entraîneur américain Bobby Knight a appelé son copain Stu Inman (le directeur général de Portland) et l’a supplié de prendre Michael. Lorsque Inman, hésitant, a dit que Portland avait besoin d’un pivot, Knight aurait crié :

« Eh bien, fais-le jouer pivot ! »

Nous savons aussi que Nike (dont le siège se trouve à Portland) a construit une ligne de baskets entière autour de Jordan avant que celui-ci ne joue un seul match NBA. Se justifier en invoquant l’ignorance du potentiel de Jordan n’est donc que mauvaise foi de la part des Blazers (3).

5.

Portland n’avait pas « désespérément » besoin d’un pivot. Ils avaient gagné 48 matchs en saison régulière avec deux très bons pivots – Mychal Thompson (16 points, 9 rebonds de moyenne en 33,5 minutes) et Wayne Cooper (10 points, 6 rebonds de moyenne en 20,5 minutes) – et avaient une bonne monnaie d’échange pour les trades, comme Drexler, Jim Paxson (deuxième cinq majeur NBA et agent libre restreint), Fat Lever (un meneur plein d’avenir), Calvin Natt (un ailier intimidant) et Cooper. Ce dont ils avaient vraiment besoin, c’était d’un rebondeur ; leurs deux ailiers forts (Natt et Kenny Carr) manquaient de taille. Tout l’été, San Diego a mis sur le marché Terry Cummings, un scoreur-rebondeur, et a fini par l’échanger contre Marques Johnson après la draft.

*****

Pourquoi les Blazers n’ont-ils pas fait aux Clippers une offre plus qu’alléchante pour obtenir Cummings (par exemple, Drexler-Natt) et pris Jordan en second ? Ou alors, ils auraient pu offrir le paquet à Houston pour Sampson : le choix numéro deux, Drexler et Fat Lever. Au lieu de ça, ils ont envoyé Lever, Cooper, Natt et leur premier choix de 1985 à Denver contre Kiki Vandeweghe, un formidable scoreur (29,8 points par match en 1984) qui se trouvait être également le pire des défenseurs. Pour vous donner une idée de l’aveuglement des négociateurs de Portland, sachez que les Nuggets sont passés d’une saison de 38 à 52 victoires et sont arrivés en finale de la Conférence Ouest 1985 uniquement à cause de ce trade. Quant à Portland, il est probable qu’ils se sont réunis la première semaine de juin et discuté de deux possibles options :

  • Option n°1 : Jordan (l’arrière universitaire le plus spectaculaire de la décennie), Lever (23 ans, qui intégrera le deuxième cinq majeur de la NBA à peine deux ans plus tard), Cooper (27 ans, 13 points et 8 rebonds de moyenne à Denver les deux années suivantes), Natt (23 points et 8 rebonds de moyenne en 1985) et un choix de premier tour en 1985 (qui sera le quinzième).
  • Option n°2 : Vandeweghe et Bowie.

N’importe quelle personne avec un minimum de bon sens choisit l’option n°1, à moins d’être raisonnablement certain que : (a) Bowie est une valeur sûre, et (b) : ne pas prendre Jordan n’entraînerait pas de regret. Mais visiblement, les cerveaux de Portland étaient « raisonnablement certains » de ces deux choses… Pour bien marquer à quel point il était inepte, ridicule et indéfendable d’avoir une telle impression, voici une rétrospective des vingt-deux premières minutes de la draft de 1984.

*****

1984draft

La draft est présentée par Al Albert et Lou Carnesecca, pour USA Network.

0’00.

Début de la draft.

0’02.

Albert fait monter la tension en annonçant qu’il y a « six futures superstars » dans la draft. Il a dû compter deux fois Charles Barkley et ses 135 kilos.

0’03.

Les yeux cachés derrière une paire de lunettes noires, Carnesecca badine d’un air gêné en agitant son stylo pendant au moins quarante secondes, et fait tout son possible pour ne pas regarder la caméra. On se demande ce qu’il fait là.

0’07.

La chaîne fait défiler l’ordre du premier tour de la draft sur un fond musical phénoménal qui ressemble à la bande-son d’un porno des années 80. David Stern marche ensuite vers le podium pour sa première draft NBA. Il a la moustache de l’acteur Gabe Kaplan. Ce n’est pas sur NBA TV qu’il faudrait rediffuser cette draft, mais sur la chaîne Comédie !.

0’10.

L’un des deux types assis à la table de Houston a une coupe mulette et une grosse moustache. Vive les années 80. Pendant qu’ils discutent au téléphone se déroule l’échange suivant :

AL : Les Rockets ont touché deux fois le gros lot. L’an dernier, ils avaient le choix numéro un d’une draft qui comprenait Ralph Sampson ; cette année, Hakeem Olajuwon a décidé de se présenter plus tôt, juste à temps pour que Houston puisse le sélectionner.

(Trois secondes de silence.)

LOU (d’une voix à peine audible) : On peut dire que le facteur a sonné deux fois.

0’11.

Hakeem (qui à cette époque s’appelait encore « Akeem ») est choisi en premier. Il a une superbe coiffure Jheri Curl coupée court, un smoking noir et un nœud papillon marron. Fantastique. Et vous savez quoi ? Le plus intéressant, c’est que Houston vient de laisser de côté le plus grand joueur de l’histoire et que malgré tout, ils ont fait le bon choix. Comme valeur sûre, il vaut toujours mieux prendre un pivot qu’un arrière. Toujours.

0’12.

Eddie Murphy trouve l’accent à donner au prince Akeem dans Un prince à New York en entendant l’interview d’Olajuwon avec Bob Doucette. Ça ne fait aucun doute. Il a même donné son prénom au personnage.

0’16.

Stern prononce l’une des phrases les plus inoubliables de l’histoire de la NBA : « Portland sélectionne Sam Bowie, de l’Université du Kentucky ». La caméra montre les représentants assis à la table de Portland avec sur leurs visages les mêmes expressions : « Aïe, j’espère qu’on ne s’est pas totalement plantés. » Au cours de cette draft, Stern a toujours prononcé le nom des franchises au complet, sauf à cet instant précis : il a sauté la partie « Trail Blazers », comme s’il avait envie de quitter la scène aussi vite que possible. On peut le comprendre. Puis Bowie monte tranquillement sur scène pendant que Al commente :

« Sam Bowie, qui a récupéré d’une fracture de stress au tibia gauche, a manqué deux saisons. Il a prolongé sa participation au programme sportif universitaire, et a fait un gros retour avec Kentucky. »

(Donc, une équipe qui vient de perdre le pivot qui soutenait la franchise six ans plus tôt en raison de fractures de stress répétées aux pieds – en l’occurrence, Bill Walton – a pris un autre pivot qui avait raté deux saisons universitaires complètes à cause de fractures de stress. Et il a trois ans de plus que le joueur qui est une valeur sûre sur le point de se faire drafter juste après lui ? C’est encourageant !)

0’17.

Lors d’une compilation peu passionnante des meilleures actions de Bowie, Al nous dit encore que Sam a récupéré pleinement de ses fractures de stress avant d’ajouter tout à fait sérieusement :

« Il a renoncé à disputer les Jeux Olympiques. »

La bonne blague. Tous les grands joueurs universitaires avaient essayé d’intégrer cette équipe, sauf Sam. Ça aurait dû mettre la puce à l’oreille de certains. Mais visiblement, non.

0’18.

La compilation des meilleures actions de Bowie se termine par une image figée du joueur et un graphique avec ses statistiques pour l’année 1984 : 10,5 points et 9,2 rebonds de moyenne, 52 % de réussite au tir, 72 % aux lancers francs. En d’autres termes, ses stats universitaires étaient pires que les stats NBA de Mychal Thompson. Tu parles d’une amélioration ! Les statistiques universitaires incroyablement banales de Bowie devraient vous rappeler quelqu’un d’autre. Un pivot d’OSU, numéro un de draft, paraissant vingt ans de plus que son âge, qui a également joué pour Portland…

Pendant ce temps, Al et Lou ont l’échange suivant :

AL : Alors, Lou, que peut-on dire d’un jeune joueur qui a raté deux années d’apprentissage cruciales et a dû se remettre à niveau ?

(Qu’il ne faut pas le choisir ?)

LOU : Eh bien, je pense que cela montre une certaine persévérance. Il ne s’est pas laissé décourager par tous ses malheurs, est revenu avec succès, et regardez où il en est maintenant.

Doucette interviewe Bowie, qui, lorsqu’on le revoit, ressemble à un personnage tragique. On a de la peine pour lui, car il était très poli et se comportait bien. Ce n’est quand même pas de sa faute s’il a été drafté à la place de Jordan, non ? Et quand il n’était pas blessé, c’était un bon pivot. Il ne l’a été que 54 % de sa carrière, mais quand même. Le premier échange :

DOUCETTE : Sam… Vous êtes l’illustration même du courage. Vous avez dû vous battre contre l’adversité, et je sais que beaucoup de gens, vous en particulier, sont heureux de voir que votre heure est enfin arrivée.

SAM : Oui, j’ai dû m’éloigner des parquets pendant deux ans suite à ma blessure à la jambe, mais j’ai été soutenu par la communauté de Lexington et de l’État du Kentucky. Je ne sais pas si j’aurais été capable d’y parvenir sans leur aide.

(Imaginez un peu ce que les fans des Blazers en train de regarder ça doivent penser. C’est formidable que Sam ait réussi son retour alors que les chances étaient limitées, mais pourquoi prendre quelqu’un dont « les chances étaient limitées » au lieu d’une valeur sûre ? Pourquoi même envisager de prendre le risque ? Pourquoi ? Ah, mais oui : rien n’enflamme davantage les fans que les termes « persévérance » et « ne pas se laisser décourager ». Tant pis pour Jordan et ses stupides dunks !)

0:19.

Ça devient de mieux en mieux…

DOUCETTE : [Les Blazers] disent qu’ils vous ont fait passer une grosse batterie de tests physiques avant de prendre une décision à votre propos. Comment cela s’est-il passé ?

SAM (avec un sourire timide) : Eh bien, je suis allé à Portland et leurs tests physiques ont duré environ sept heures. Ils n’ont vraiment rien laissé passer, donc… Je pense que ma situation est très différente de celle de Bill Walton. Je sais qu’il a eu une fracture de stress, mais en ce qui me concerne, je suis à 100 %.

(Attendez… Les tests physiques ont duré sept heures ? Vraiment ? Sept heures ?)

0:20.

Plan de coupe sur les deux représentants de Chicago à leur table, l’air satisfait (4), pendant que Al ménage le suspense pour le choix numéro trois en faisant une pause et en baissant la voix, avant de dire finalement :

« Michael Jordan devrait être le prochain à sortir. »

Pour la première fois en vingt minutes, Lou a l’air réveillé :

« Mmmmmm, celui-là, tout le monde l’attend. Il est vraiment fascinant. »

Mais des tests physiques de sept heures sont tout aussi fascinants. C’est à partir de là que ça devient vraiment formidable.

AL : Il y a eu polémique concernant le choix des Blazers. Ils avaient été tentés de prendre Michael Jordan, un joueur incroyable au talent unique, au lieu de Sam Bowie, qui revient tout de même de blessure. Il dit que tout va bien, que Portland lui a fait faire un test physique de sept heures, mais la question est de savoir maintenant si Bowie va tenir la distance avec 82 matchs par an.

LOU (hochant la tête) : C’est un risque calculé.

Sans commentaires.

0:22.

Stern, guilleret : « Les Chicago Bulls choisissent Michael Jordan, de l’Université de Caroline du Nord. » La foule applaudit tout en lançant des acclamations. Ils ont déjà compris. Un montage passionnant des meilleurs moments de la jeune carrière de MJ apparaît à l’écran.

AL : Ce jeune homme est unique.

LOU (qui s’anime soudainement) : Il marque les paniers importants, il peut se frayer un chemin jusqu’au panier, il a une maîtrise du jeu incroyable. C’est un joueur aux qualités immenses, à l’image de Dr J. Il n’est pas encore à son niveau, mais il appartient à cette classe. Michael va être un très grand joueur. C’est un peu le choix du peuple : les gens aiment voir ce jeune homme à l’œuvre.

AL : C’est une future star, excellent tireur, avec de formidables qualités athlétiques. Beaucoup d’équipes ont essayé de chiper leur troisième choix à Chicago.

*****

Sérieusement…

Relisez simplement l’intégralité du passage de 0:16 à 0:22. Une version révisionniste de l’histoire est apparue ces dernières années, arguant que la sélection de Bowie était défendable parce que la NBA recherchait à tout prix des joueurs de grande taille. Mais comment une équipe peut-elle parier sur un joueur avec des caractéristiques négatives comme « risque calculé », « test physique de sept heures », « éloigner des parquets pendant deux ans » et « adversité/courage/persévérance », et laisser un joueur avec des caractéristiques positives comme « talent unique », « très grand joueur », « future star », « valeur sûre », « à l’image de Dr J », « qualités immenses » et « choix du peuple » ? C’est incompréhensible. Totalement, complètement incompréhensible.

Ce qui nous amène à un petit bonus. Que se serait-il passé si, le jour de la draft, les dirigeants de Portland avaient tous pris une grande inspiration, s’étaient demandé s’ils n’étaient pas devenus fous et avaient réfléchi une dernière fois ? Apparemment, le propriétaire des Blazers, Larry Weisberg, adorait Jordan, mais c’était aussi un magnat de l’immobilier discret et sans prétention qui ne faisait ressentir aucune appréhension à son personnel. S’il s’était agi de quelqu’un d’autre, la crainte du courroux divin aurait frappé tous ceux qui avaient à décider du choix et ils en seraient venus à choisir la valeur sûre. Mais les Blazers n’avaient pas peur de Weisberg, ni des répercussions. Du coup, ils se sont orientés vers Sam Bowie… et se sont méchamment plantés.

Mais bon… Après tout, il n’en allait jamais que de l’avenir de la NBA, de centaines de millions de dollars en pertes de revenus, de quatre à dix championnats dilapidés, et d’une occasion perdue d’avoir dans son équipe le plus grand joueur de basket-ball de tous les temps. Peu de chose, n’est-ce pas ?

draft-1984

 


 

(1) L’offre de Philadelphie n’a jamais été rendue publique. Un an plus tard, Harold Katz a essayé d’échanger Erving contre Terry Cummings ; « Doc » en a parlé à voix haute et toute la ville de Philadelphie a allumé Katz.

(2) La NCAA a adopté un temps de possession de 45 secondes au cours de la saison 1985-1986. Ce temps de possession est passé à 35 secondes au cours de la saison 1993-1994, puis à 30 secondes au cours de la saison 2015-2016.

(3) Les deux meilleurs joueurs au camp d’entraînement prolongé qui incluait tous les grands noms de la draft 1984 et 1985 étaient Jordan et Barkley. Chuck a été coupé après que Knight lui a demandé de perdre du poids et que Barkley a fait le contraire. Malone, Stockton, Joe Dumars et Terry Porter n’ont pas non plus été retenus. Par contre, Jeff Turner, Joe Kleine, Steve Alford et Jon Koncak sont passés. Bizarre autant qu’étrange.

(4) Si jamais vous avez la chance de tomber sur la vidéo, observez le regard du type qui est au téléphone pour Chicago. Il a l’air tellement heureux qu’on dirait que quelqu’un le… sous la table. Incroyable.

#5 : Moses Malone, triple erreur

MosesMalone

Moses Malone sous le maillot des Houston Rockets. (1)

*****

Pauvre Moses Malone. Il n’a vraiment pas débarqué en NBA au bon moment. La façon dont son début de carrière a été gâché a déjà été évoquée ici ; ce qui s’est passé quelques années plus tard, lors de la fusion ABA-NBA, est tout aussi affligeant. Une décision malheureuse, et une seule, a affecté les destins de six franchises. Six titres de MVP auraient pu revenir à d’autres joueurs. Six titres de champion (au moins) auraient pu revenir à d’autres équipes. Le public a été privé de ce qui aurait pu être la plus grande équipe de tous les temps et les Clippers ont été précipités dans les bas-fonds de la NBA, où ils ont stagné pendant trois décennies. Mais n’anticipons pas…

*****

Tout commence en décembre 1975. Anticipant la fusion ABA-NBA, la NBA organise une draft destinée aux jeunes étudiants qui ont quitté l’université avant d’obtenir leur diplôme pour rejoindre l’ABA et devenir professionnels (2). Cinq joueurs ABA sont choisis au cours de cette « pré-draft » hivernale : Moses Malone, Mark Olberding, Mel Bennett, Charles Jordan et Skip Wise. Deux de ces sélections contraignent New Orleans (qui a choisi Malone) et les Lakers (qui ont pris Olberding) à abandonner leur premier choix de draft NBA 1977. L’été suivant, le New Orleans Jazz décide finalement de reprendre son premier choix et abandonne les droits sur Malone. Malone est reversé dans la draft de dispersion ABA/NBA qui doit avoir lieu quelques mois plus tard, et le prix à payer pour l’avoir est fixé à 350 000 $ (3).

Maintenant, vous vous demandez sans doute pourquoi New Orleans n’a pas gardé Malone. Il n’avait que vingt-et-un ans. Ne valait-il pas mieux qu’un futur premier choix ? On peut penser que la direction a mal évalué le talent de Moses, qui n’avait joué que 43 matchs la saison précédente (pour 14 points et 10 rebonds de moyenne) en raison d’une fracture du pied, mais la vraie raison est beaucoup moins défendable. Le Jazz avait jeté son dévolu sur Gail Goodrich, qui était agent libre, et avait besoin de ce premier choix en 1977 pour qu’il ne rejoigne pas Los Angeles.

*****

Comment une équipe à la ramasse peut-elle être suffisamment idiote pour décider d’aligner un arrière de vingt-huit ans qui ne défend pas (Pete Maravich), avec un arrière de trente-trois ans qui défend pas ? Parce qu’ils pensaient marquer plus de points et que les fans allaient adorer ça. C’est comme ça que la NBA fonctionnait à l’époque. Jerry Kirshenbaum, de Sports Illustrated, a écrit un article sur cet échange dont voici un extrait :

Goodrich avait été recruté un peu plus tôt par la direction de New Orleans, avec la bénédiction de l’entraîneur Butch van Breda Kolff, qui l’avait eu sous ses ordres lorsqu’il avait entraîné les Lakers pendant deux ans vers les fin des années 60. Van Breda Kolff pense que Goodrich est comme lui, qu’il se porte bien pour son âge. L’entraîneur du Jazz, qui en est à sa cinquième équipe professionnelle, a la voix qui sonne comme une corne de brume, vient aux matchs dans ce qu’on pourrait appeler une tenue décontractée, et a fièrement démontré son endurance lors d’une tournée des bars de neuf heures récemment effectuée pour commémorer son cinquante-quatrième anniversaire. Le basket n’y a été abordé qu’occasionnellement.

Extraordinaire. Gail Goodrich a trente-trois ans, ne défend pas, ne marque plus autant qu’avant, est au crépuscule de sa carrière après onze années passées en NBA, mais il se porte bien pour son âge ! La preuve : lors de sa première saison avec le Jazz, Goodrich s’est blessé au tendon d’Achille, n’a joué que 27 matchs et a pris sa retraite deux ans plus tard. Vous voyez qu’il se portait bien pour son âge.

*****

Il est également curieux que le Jazz ait décidé que la jeunesse et la voracité au rebond de Malone leur serait inutile alors qu’ils avaient dans la peinture des joueurs aussi insignifiants que Rich Kelley, Ron Behagen et Otto Moore. Le talent de Malone était loin d’être un secret ; il a été le premier joueur à passer professionnel juste à la sortie du lycée en 1974, et tout le monde pensait qu’il deviendrait l’un des meilleurs joueurs universitaires de l’Histoire avant qu’il ne décide d’entrer chez les pros. Mais le Jazz n’y a pas accordé d’importance. Van Breda Kolff a dû dire quelque chose comme : « Je me fiche qu’il ait du talent ; à ce qu’on dit, ce type est bête comme ses pieds. Je veux Goodrich ! »

Donc, non seulement le Jazz a renoncé à des droits sur un futur triple MVP, mais en échange de Goodrich (et du premier choix des Lakers en 1978), ils ont en plus abandonné aux Lakers leur premier choix de 1977, 1978 et 1979 et un choix de second tour en 1980. Les Lakers ont eu le sixième choix de draft en 1977 (Kenny Carr), le huitième choix en 1978 (envoyé à Boston contre Charlie Scott) et le premier en 1979 (Magic Johnson). Incroyable. Inimaginable. Ineffable. Inconcevable. La décision (déjà stupide à la base) de casser leur tirelire pour Goodrich a fini par coûter à New Orleans Moses Malone et Magic Johnson.

(Bon, d’accord, le Jazz n’aurait probablement pas eu le premier choix de draft en 1979 s’ils avaient gardé Malone, vu qu’il a remporté le titre de MVP trois ans plus tard, mais l’assertion « Moses et Magic » a de la gueule sur le papier. Admettez-le.)

*****

Mais attendez. Ce n’est pas fini. La stupide décision du Jazz a été suivie par une décision tout aussi stupide, de la part d’une équipe ayant l’habitude de se tromper dans ses choix : les Portland Trail Blazers.

Le 5 août 1976, la draft de dispersion ABA dans laquelle Malone a été rejeté suite à la décision du Jazz de ne pas le garder a lieu deux mois après la draft NBA « officielle ». Les Blazers choisissent Malone en cinquième position à des fins purement commerciales, car ils n’ont pas la moindre envie de payer son contrat à 300 000 $ par an. De plus, Malone n’avait pas été brillant au camp d’entraînement pour des raisons compréhensibles : c’était sa troisième équipe en trois saisons ; ses compétences étaient extrêmement basiques (c’était un joueur normal, très physique, bon rebondeur, avec un bon jeu de jambes et c’est tout) ; Portland avait un jeu offensif très pointu avec un entraîneur compétent, alors que Malone n’avait jamais été correctement entraîné auparavant ; et il n’a pas cherché à s’investir plus que ça parce qu’il savait qu’il était barré à la fois par Bill Walton et Maurice Lucas, et que Portland allait l’échanger.

Et puis, alors que les Blazers cherchaient à brader Malone au plus vite, Moses s’est littéralement déchaîné dans un match d’exhibition, et les joueurs et les entraîneurs se sont d’un seul coup rendus compte qu’ils avaient dans leur équipe un prodige. Sauf que les dirigeants avaient déjà accepté à ce moment-là de l’échanger à Buffalo contre leur premier choix de draft 1978 et 232 000 $ (4). Une véritable arnaque, compte tenu de la valeur du joueur. On se demande comment ils ont pu se mettre d’accord.

*****

Tout ceci nous amène ainsi à nous demander ce qui se serait passé si les Blazers de 1977 n’avaient pas échangé Moses Malone. Disons-le ainsi : ils ont remporté le titre sans lui et ils en étaient à 50 victoires et 10 défaites l’année suivante lorsque les blessures aux pieds de Walton l’ont forcé à s’arrêter. Un an plus tard, Walton rejoignait les Clippers et les chances des Blazers de remporter le championnat étaient tombées à zéro. S’ils avaient conservé Moses, peut-être que Walton n’aurait pas continué à jouer malgré la douleur, peut-être n’est-il pas obligé de faire un retour précipité pour les play-offs de 1978, peut-être n’est-il pas victime de toutes ces blessures aux pieds, peut-être ne se dispute-t-il pas avec les médecins de l’équipe…

En fait, peut-être que grâce à Moses, Walton joue 400 à 500 matchs de plus à Portland avec un temps de jeu moindre. Si l’on ajoute la façon dont Moses a mûri en 1977 (13 points et 13 rebonds de moyenne en seulement 30 minutes par match), 1978 (19 points et 15 rebonds), et 1979 (25 points, 17 rebonds, MVP), qui sait combien de championnats auraient basculé ? Pensez à ce manque de bonnes équipes à la fin des années 70. Combien de titres consécutifs les Blazers auraient-ils remporté si Walton ne s’était pas blessé ? Trois ? Quatre ? Cinq ?

*****

Et ça n’est pas tout. Le pauvre Moses a joué à Buffalo pendant exactement six jours avant qu’ils ne l’expédient à Houston contre deux choix de premier tour en 1977 et 1978, singeant fidèlement les bêtises de Portland puisque Buffalo a en fin de compte échangé un choix de premier tour contre deux choix de premier tour. Bien entendu, ils ont aussi mal géré la chose que les deux autres franchises : Moses n’a joué que six minutes en deux matchs pour les Braves. C’est vrai, quoi : quand vous avez déjà John Shumate et Tom McMillen au poste d’ailier fort, pourquoi vouloir tester le meilleur jeune espoir depuis Lew Alcindor ? Le 25 Janvier 1977, une semaine après la parution d’un article dans SI intitulé « Comment Moses a transformé les Rockets », l’entraîneur des Braves Tates Locke (qui n’avait laissé aucune chance à Moses à Buffalo) a été licencié. Ce n’était pas une coïncidence.

Le choix de premier tour donné aux Braves par Houston en 1977 a fini par être le numéro dix-huit (un certain Wesley Cox), parce que Moses a enflammé les Rockets et leur a fait gagner un titre de division. Lorsque les Rockets ont eu des problèmes la saison suivante (23 matchs manqués par Malone et les atroces séquelles de l’incident entre Tomjanovich et Washington), leur horrible saison à 24 victoires et 58 défaites a donné à Buffalo le quatrième choix de draft global. Sauf que les Braves l’avaient déjà échangé à New Jersey (avec leur premier choix de draft 1979) dans un accord désastreux pour obtenir Tiny Archibald. Et New Jersey a échangé une quatrième fois ce choix, marquant le début de la désastreuse période Micheal Ray Richardson chez les Knicks. Quel bazar.

Buffalo a déménagé à San Diego l’été suivant. Si vous avez bien suivi, techniquement, le fait qu’ils ont laissé tomber Malone et n’aient rien obtenu en échange pourrait être considéré comme leur « malédiction du Bambino » ; à partir de ce jour-là (le 24 octobre 1976), il ne leur est arrivé que des catastrophes. Et à juste titre. Le pire, c’est que la star de Buffalo, Bob McAdoo, ne se plaisait pas du tout dans l’équipe et avait râlé tout l’été pour obtenir un nouveau contrat. Pourquoi les Braves n’ont-ils pas gardé Malone comme assurance alors que leur pivot star avait de grandes chances de finir par s’en aller ? Six semaines après avoir échangé Moses, ils ont expédié McAdoo aux Knicks contre John Gianelli et de l’argent liquide. Et c’est ainsi qu’une ère sombre de trois décennies a commencé pour la franchise qui allait devenir les Clippers.

*****

Donc, si vous suivez toujours, « Moses la patate chaude » a fini par changer les destins de six franchises en moins de cinq mois :

  • New Orleans (ils ne s’en sont jamais remis et la franchise a déménagé quatre ans plus tard) ;
  • Les Lakers (qui ont pu prendre Magic et remporter cinq titres avec lui) ;
  • Portland (qui a mis à la poubelle l’assurance de Walton et Dieu sait combien de titres) ;
  • Buffalo (ils ne s’en sont jamais remis non plus et la franchise a déménagé deux ans plus tard, emportant avec elle une malédiction qui dure encore aujourd’hui) ;
  • Houston (la franchise est arrivée jusqu’aux Finales de 1981 avec Moses, puis a échangé Malone à Philadelphie pour mettre en place l’ère Hakeem-Sampson) ;
  • Philadelphie (qui a acheté Malone en 1982 et remporté un titre avec lui).

Nous avons également assisté à la destruction de près de l’un des plus grands joueurs de tous les temps : Moses Malone a déménagé tant de fois entre 1974 à 1976 qu’il était pratiquement détruit en arrivant à Houston ; il a fallu aux Rockets une saison entière pour le remettre en confiance. Finalement, il est entré au Hall of Fame et hante trois équipes encore aujourd’hui. Et dire que tout a commencé parce que Butch van Breda Kolff a décidé que Gail Goodrich se portait bien pour son âge.


(1) Source : http://www.nba.com

(2) Comment les dirigeants ont-ils réussi à mettre en place des règles cohérentes pour un truc pareil ? C’est un vrai miracle qu’ils aient réussi à bricoler quelque chose.

(3) C’était vraiment génial, la façon dont la NBA fonctionnait au milieu des années 70. Les dirigeants du Jazz ont dit au commissionnaire O’Brien : « Euh, en fait, on a bien réfléchi et on a changé d’avis à propos de Moses », et le bureau leur a répondu : « Pas de problème ! Reprenez votre premier choix ! » Compte tenu de la façon chaotique dont les choses marchaient à l’époque, on se demande si ça ne s’est pas passé comme ça : O’Brien était sur une autre ligne quand le Jazz l’a appelé, sa secrétaire a demandé la raison de l’appel, le Jazz le lui a dit, elle a répondu : « Ne quittez pas » et a passé le message à O’Brien, qui l’a congédiée en disant : « C’est bien, c’est bien, vous n’avez qu’à leur dire oui » avant d’en revenir à son appel téléphonique. (NDLR : Cette remarque n’est pas de moi, mais de Bill Simmons, extraite du Livre du Basket-ball.)

(4) Le choix de Buffalo a fini par être le troisième de la draft de 1978 : Portland l’a envoyé à Indiana avec Johnny Davis contre le numéro un de la draft, et ils ont choisi Mychal Thompson pour suppléer Walton.

#23 : Chris Paul, occasion perdue

paul-noh.jpg

Chris Paul, meilleur joueur de la draft 2005, a été choisi par les New Orleans Hornets suite à un concours de circonstances particulièrement favorable (1).

Gagner le gros lot à la draft NBA est aléatoire. Une équipe peut être parmi les premières à choisir, miser sur le meilleur joueur disponible, choisir la personne idéale pour renforcer l’équipe, et se retrouver déçue malgré tout. Une blessure, un problème d’adaptation, un mauvais comportement… Autant de facteurs pouvant contribuer à ce qu’un joueur ne soit jamais à la hauteur des espoirs placées en lui.

On peut pardonner un mauvais choix fait par une équipe, si la décision de drafter le joueur était logique à l’époque. Qu’un joueur moins bon soit choisi devant un autre contre l’évidence même est moins pardonnable. Qu’un même joueur soit affecté par plusieurs décisions discutables dans une même draft est assez exceptionnel. C’est ce qui est arrivé à Chris Paul en 2005. Voyons la chose en détail.

*****

En 2005, la draft NBA a lieu à New York. La loterie a attribué le premier choix aux Milwaukee Bucks, qui sortent d’une saison difficile à 52 défaites et n’ont pas disputé les play-offs pour la première fois en trois ans. Les choix suivants, dans l’ordre, sont attribués à Atlanta, Portland, New Orleans et Charlotte.

À la draft 2005 se présentent plusieurs joueurs de qualité, dont l’un se démarque des autres : Chris Paul. Les observateurs le considèrent comme le meilleur joueur du lot, et celui qui a le plus de chance de réussir en NBA. Quelques heures avant le début de la draft, l’équipe de Portland décide de céder son troisième choix à l’équipe de Utah, contre le sixième choix, le vingt-septième choix et un choix de premier tour en 2006. Une transaction qui aura toute son importance, comme nous allons le constater.

*****

La draft commence. Avec Michael Redd et Mo Williams, l’équipe des Bucks a une belle ligne arrière. En revanche, elle manque cruellement de poids dans la peinture, comme en témoignent les noms des pivots passés chez les Bucks au cours de la saison 2004-2005 : Daniel Santiago, Zaza Pachulia et Dan Gadzuric. Pas vraiment reluisant. Les Bucks décident sagement d’ignorer Chris Paul et de sélectionner Andrew Bogut, un imposant pivot australien de l’université de Utah qui sort d’une très belle saison à 20,4 points, 12,2 rebonds et 2,3 passes de moyenne. Ses qualités défensives et son adresse balle en main font de lui l’homme de la situation. La décision de le choisir à la place de Paul était tout à fait justifiée de la part des Bucks, et n’a surpris personne à l’époque. Aucune controverse, donc, concernant ce choix.

La prochaine équipe à choisir est Atlanta, qui sort d’une horrible saison à 69 défaites et a désespérément besoin d’un meneur de jeu (ils n’ont sous la main que Tony Delk, Tyronn Lue et Royal Ivey, autant dire de simples bouche-trou). Les Hawks ont les équipiers parfaits pour un joueur comme Paul  : Joe Johnson, qui vient de signer des Suns, Josh Smith et d’autres. L’équipe est faite pour lui. Il n’y a pas de meilleur choix.

Mais pas pour le directeur général des Hawks, Billy Knight, apparemment. En lieu et place de Paul, il choisit un ailier costaud du nom de Marvin Williams. Williams a du potentiel et des aptitudes appréciables – les Bucks avaient même hésité à le prendre à la place de Bogut – mais il n’était même pas titulaire à l’université ! Pourquoi  Knight a-t-il choisi un ailier quelconque dont son équipe aurait pu largement se passer à la place d’un meneur comme Chris Paul dont ils avaient plus que grand besoin ? Sa décision sera critiquée de façon tout à fait justifiée et elle est de plus en plus inexplicable à mesure que les années passent. Avec Paul, Atlanta aurait pu devenir un « top team ». Mais non (2).

Au tour de l’équipe suivante. Utah, qui a hérité du choix de Portland, ne sélectionne pas non plus Chris Paul mais choisit Deron Williams, un meneur capable de porter leur franchise et un futur All-Star. Auraient-il dû prendre Paul au lieu de Williams ? Probablement, car Paul était sans aucun doute meilleur, mais Utah a quand même eu de très bons résultats en construisant leur équipe autour de Williams. On peut leur pardonner cette sélection. Et voilà comment l’équipe avec le quatrième choix, New Orleans, se retrouve avec Paul.

*****

Parmi les équipes ayant ignoré Paul, Atlanta est donc celle qui a le plus perdu au change. Le destin des Hawks avec Paul aurait pu être radicalement différent. Mais la question la plus intéressante concernant la draft 2005 est probablement celle-ci : Que serait-il arrivé si les Blazers avaient gardé le choix n°3 au lieu de le donner à Utah ?

Voilà sans doute ce qui se serait passé : les Blazers auraient logiquement pris Paul parce qu’après tout, c’était le meilleur joueur de la draft. Le cinq majeur de Portland pour la saison à venir se compose alors de Joel Przybilla, Zach Randolph, Viktor Khryapa, Juan Dixon et Chris Paul à la place de Steve Blake. En sortie de banc, on retrouve Blake, Travis Outlaw, Jarrett Jack et Theo Ratliff. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, mais avec Paul, la saison des Blazers est un peu moins mauvaise.

Du fait de leur montée au classement, à la draft suivante, ils se retrouvent peut-être avec Rudy Gay (choix numéro huit) au lieu de LaMarcus Aldridge (choix numéro quatre), et obtiennent Brandon Roy dans tous les cas avec leur deuxième choix de haut de tableau. Avec Roy et Paul, l’équipe devient encore meilleure. Elle est peut-être à la limite d’accrocher les play-offs. Du coup, les Blazers évitent Greg Oden à la draft suivante et se retrouvent avec un choix de milieu de tableau (disons le numéro douze, Thaddeus Young).

*****

À l’aube de la saison 2008-2009, l’équipe de Portland est donc constituée de :

Paul, Roy, Gay, Outlaw, Przybilla, Jack, Young, les droits sur Rudy Fernandez et les millions de Paul Allen

au lieu de :

Oden, Aldridge, Webster, Roy, Outlaw, Jack, Przybilla, les droits sur Rudy Fernandez et les millions de Paul Allen

Laquelle de ces deux équipes est meilleure ? À coup sûr, la première, même si cela se discute. Paul et Roy auraient-ils pu jouer ensemble, sachant qu’ils ont tous les deux besoin d’avoir la balle en main ? Auraient-ils pu rivaliser en terme de taille ? Auraient-ils joué davantage en « wide-open » ? Cela aurait-il marché ? Autant de questions sans vraie réponse, mais auxquelles on a tendance à répondre « oui » (sauf peut-être pour la taille). Quoi qu’il en soit, si Portland prend Paul, une réaction en chaîne complètement dingue se déclenche :

  • New Orleans se retrouve avec Deron Williams au lieu de Paul ;
  • Utah n’obtient jamais de meneur capable de porter une franchise et s’enfonce pour les prochaines années ;
  • Oden et Aldridge atterrissent ailleurs ;
  • Roy, qui doit partager le ballon avec Paul, ne devient jamais la star qu’il est devenue ;
  • Et pour finir, la cote de Paul baisse car dans la vie réelle, il a été tellement vexé d’avoir été ignoré par trois équipes qu’ils s’est tué au travail pour atteindre son niveau actuel. Ce qui n’arrive peut-être pas s’il est choisi par les Blazers en troisième position.

*****

Bref, les grands perdants de cette draft sont Atlanta et Portland. En parlant de Portland, on vient d’apprendre cette semaine que Greg Oden a annoncé sa retraite, à seulement 28 ans. Les blessures auront pourri sa carrière, comme celle de Brandon Roy. Pauvres Blazers. Ils méritent vraiment le titre de plus gros poissards de la NBA.


(1) Source : http://www.nydailynews.com/

(2) Billy Knight prendra à la draft suivante Shelden Williams au lieu de Brandon Roy. Il démissionnera de son poste de directeur général des Hawks deux ans plus tard, en prétendant le plus sérieusement du monde laisser l’équipe « en bien meilleur état que lorsqu’il l’avait prise en main ». On peut légitimement en douter.