#15 : Tim Duncan à Orlando

Duncan-Magic.jpg

Le rêve du Magic à l’été 2000 : après le départ d’Hardaway (à droite), associer Grant Hill et Tim Duncan sous les mêmes couleurs. (1)

*****

La saison NBA 1997-1998 marque la fin d’une époque : celle des Bulls de Michael Jordan, qui prend sa retraite après un dernier titre. La NBA cherche un nouveau « boss », et les prétendants ne manquent pas : Shaquille O’Neal, Kobe Bryant et Allen Iverson sont prêts à prendre la relève. Mais un joueur va se démarquer plus que les autres.

Il s’agit de Tim Duncan.

*****

Lors de son arrivée en NBA en 1996, le rookie Tim Duncan établit deux performances peu ordinaires. D’abord, il réussit à être élu rookie du mois… tous les mois. Ensuite, il obtient le titre de rookie de l’année et est sélectionné pour le All-Star Game, une performance réalisée par très peu de joueurs dans l’histoire de la NBA. Avec Duncan et le vétéran David Robinson dans la peinture, San Antonio fait peur. L’équipe ne fait pas encore le poids face aux Bulls, mais lorsque Jordan prend sa retraite deux ans après les débuts de Duncan, les Spurs sont prêts à viser le titre pour la saison 1999-2000.

Malgré cela, le début de saison des Spurs est difficile ; Gregg Popovich est même sur le départ. Mais les Texans finissent par trouver leur rythme, et la saison régulière tronquée par le lock-out est un succès : 37 victoires pour 13 défaites (le meilleur bilan de la ligue avec le Jazz).

Durant les play-offs, aucun suspense ne figure au programme. Les Spurs dominent leurs adversaires de la tête et des épaules. Les Timberwolves de Kevin Garnett sont écartés 3-1 au premier tour (2). Puis les Lakers de Shaquille O’Neal et Kobe Bryant sont balayés, avant que les Blazers ne subissent le même sort en Finale de Conférence. Il ne reste plus que les Knicks sur la route des Texans. Duncan, inarrêtable, porte ses équipiers vers le titre. San Antonio remporte le championnat, 4 victoires à 1.

*****

Tout le monde pense les Spurs bien partis pour prendre la suite des Bulls. Mais des événements vont changer les choses. L’année suivante, la saison régulière de la franchise est un nouveau succès, mais à la veille des play-offs, Duncan se blesse. Un gros coup dur pour les Spurs. Opposés aux Suns de Jason Kidd, l’équipe orpheline de son joueur-star ne parvient pas à s’en sortir. San Antonio est éliminé dès le premier tour. Les Lakers remportent le championnat 2000 et, le même été, Duncan devient agent libre.

Un joueur du calibre de Tim Duncan sur le marché a de quoi faire saliver. Plusieurs équipes sont sur les dents. La franchise d’Orlando est la plus motivée : les dirigeants espèrent associer Grant Hill et Tim Duncan au sein de leur équipe. Les Chicago Bulls, qui veulent faire de même, abandonnent rapidement la partie faute de moyens. Rester ou partir ? Tim Duncan pèse le pour et le contre. Il hésite.

« Le weekend s’est très bien passé. Tout s’est vraiment très bien passé pour nous. Nous ne lui avons pas seulement vendu la ville d’Orlando, ce qui était assez facile, nous lui avons aussi vendu qui nous sommes. » (Doc Rivers, entraîneur du Magic)

« Je pense qu’il est passé très proche de quitter San Antonio. Gregg Popovich marchait sur des œufs. Il était énervé contre notre agent car il avait le sentiment qu’il cherchait à ramener Tim et Grant ensemble à Orlando. J’ai entendu qu’il allait signer là-bas puis il est resté à la dernière minute. » (Malik Rose, coéquipier de Duncan aux Spurs)

« Un coup je pensais à partir, le coup suivant je restais. » (Tim Duncan)

Poussé par Robinson, qui a écourté ses vacances pour convaincre son coéquipier de rester à San Antonio, Duncan décide de rester chez les Spurs. Orlando se « console » en faisant signer Grant Hill puis Tracy McGrady. Malheureusement, Hill n’aura jamais l’impact souhaité par le Magic en raison de complications suite à une fracture de la cheville (3).

*****

Voyons maintenant ce qui serait arrivé si Duncan avait décidé de signer avec Orlando.

  • Les titres 2003, 2005 et 2007 échappent aux Spurs à coup sûr.
  • Avec les matchs manqués par Hill et son salaire qui bloque le plafond d’Orlando, Duncan gaspille ses meilleures années dans une équipe de seconde zone et dépérit à l’Est comme Garnett à l’Ouest. Au fil des ans, tout le monde se demande lequel des deux s’est fait le plus avoir et qui en a fait le plus avec ce qu’il avait sous la main.
  • Avec les arrivées de Duncan et Hill, Tracy McGrady ne peut plus rejoindre Orlando.

Ce qui soulève d’autres questions : où aurait débarqué Tracy McGrady ? Peut-être à San Antonio pour remplacer Duncan ? Si les Spurs avaient encore réussi par la suite à drafter Ginobili et Parker, pourraient-ils gagner le titre de 2003 avec McGrady, Ginobili, Parker et Robinson ? Pourraient-ils seulement aller en finale sans un big guy dominant ? Autant d’interrogations qui resteront sans réponses.

*****

(Un dernier aparté : malgré tout ce qui a été dit, il est difficile de savoir si Duncan était si proche que ça de rejoindre Orlando. Après tout, il venait quand même de gagner un titre. Aurait-il aurait laissé tomber ses coéquipiers pour un plus gros chèque en Floride ? On peut sérieusement en douter.)


(1) Source : http://www.rookerville.com

(2) À l’époque, le premier tour est disputé au meilleur des cinq matches.

(3) Pourquoi les directeurs généraux persistent-ils à faire signer des contrats mirobolants à des stars victimes de fractures aux pieds et aux chevilles ? Neuf fois sur dix, ces blessures ne guérissent jamais complètement. Le Magic a eu de la chance : il aurait dû payer un tribut bien plus lourd.

#16 : La gaffe de Bill Duffy

Duffy.jpg

Bill Duffy, ancien basketteur professionnel devenu agent, auteur de l’une des plus grosses gaffes de l’histoire de la NBA. (1)

Souvent, le destin de certaines équipes est modifié en raison d’un oubli ou de la méconnaissance de certaines règles. Généralement, la personne incriminée est soit un membre de l’organisation, soit une personne dont le métier transite autour du sport.  C’est le cas de Bill Duffy, qui est à ce jour l’auteur de la deuxième plus grosse gaffe de l’histoire de la NBA (la première place revient à George Mikan, dont nous parlerons plus tard). Son histoire est un peu tombée dans l’oubli, mais le Miami Heat peut lui dresser une statue, car sans lui, l’équipe n’aurait probablement jamais remporté le titre NBA en 2006. Voici pourquoi.

*****

Commençons par faire plus ample connaissance avec Bill Duffy. Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de lui. Duffy est un ancien joueur de basket-ball ; meneur de jeu à l’université de Santa Clara, il a été sélectionné par les Denver Nuggets au cinquième tour de la draft 1982, mais n’a jamais foulé les parquets NBA. Sa carrière sportive se déroule de façon très anonyme. Quelques années plus tard, Bill Duffy va connaître un bien plus gros succès en créant sa propre compagnie de gestion du sport, BDA Sports Management. Celle-ci ne tarde pas à prendre de l’importance, et offre bientôt ses services à plusieurs joueurs renommés comme Steve Nash et Yao Ming.

À travers le succès de sa compagnie, Bill Duffy gagne une excellente réputation en tant qu’agent de joueurs… Réputation qui va bientôt prendre un sérieux coup.

*****

En 2003, le Miami Heat sort d’une saison difficile. Privée d’Alonzo Mourning, qui a raté toute la saison suite à une transplantation rénale, l’équipe termine avec 25 victoires, le troisième plus mauvais total de la Conférence Est. À l’exception de Mourning, le reste de l’effectif est plutôt moyen ; un coup de balai serait nécessaire, mais les dirigeants du Heat sont bloqués par les contrats de certains joueurs, qui les empêche de manœuvrer à leur aise. C’est le cas de celui d’Anthony Carter.

Anthony Carter est un meneur remplaçant qui sort d’une saison à 4,1 points, 35,6 % de réussite au tir et 4,1 passes décisives de moyenne. En 2003, son contrat touche à sa fin, mais Carter dispose d’une option qui peut lui permettre de rester au Heat une saison supplémentaire pour un salaire de 4 100 000 $. Il suffit qu’il demande à exercer l’option pour rester à Miami et toucher le pactole. La décision n’est pas difficile à prendre : pour un meneur remplaçant de son statut, ce contrat est une aubaine. Pas question de laisser filer plus de quatre millions de dollars.

Carter a jusqu’au 30 juin pour exercer son option. Il laisse le soin à son agent de l’époque, Bill Duffy, de s’en charger. Sauf que Duffy, pour des raisons inexpliquées (2), oublie tout simplement de faxer à Miami la lettre dans laquelle son joueur émet sa volonté d’exercer sa player option. La date limite écoulée, Carter est automatiquement placé sur la liste des agents libres et Miami se retrouve soudainement avec onze millions de dollars d’espace salarial au lieu de sept millions. Une différence suffisante pour faire une offre à un joueur d’importance. Après avoir considéré Payton, Arenas et Olowokandi (!), le Heat fait signer Lamar Odom pour six ans et un contrat de 60 000 000 de dollars.

L’été suivant, la franchise expédie Odom aux Lakers avec Caron Butler, le fantôme de Brian Grant et un choix de premier tour en 2006, pour se retrouver avec… Shaquille O’Neal !

*****

Tout ceci a deux répercussions évidentes. D’abord, Miami ne remporte jamais le titre en 2006 si Duffy ne fait pas cette gaffe. Ensuite, comme Miami n’aurait jamais pu obtenir Shaq sans Duffy, où aurait pu débarquer Shaq quant on sait que les Lakers devaient l’échanger (3) ? Dans Le Livre du basket-ball, Bill Simmons émet trois hypothèses :

1. Shaq part à Dallas contre Michael Finley, Devin Harris, le contrat expirant de Alan Henderson et un choix de premier tour.

2. Shaq part à Denver contre Marcus Camby, Nene Hilario et Voshon Lenard.

3. Shaq part à Chicago contre Eddy Curry (agent libre après la saison), Antonio Davis (expirant) et un choix de premier tour.

Qui avait le plus de chances d’obtenir Shaq ?

Je dirais que Dallas avait les meilleures chances, ce qui signifie qu’ils auraient évité l’échange peu commode de Dampier, obtenu Shaq, et conservé leurs quatre meilleurs joueurs (Nowitzki, Howard, Stackhouse et Terry). Combien de titres cela laisse-t-il présager ? Deux ? Trois ? Quand je l’ai questionné par mail à ce sujet l’été dernier […], Cuban a répondu : « [Je ne sais] pas du tout si nous l’aurions obtenu, mais je sais que Shaq voulait venir. » (Bill Simmons, Le Livre du basket-ball)

*****

Mais rien de tout ceci n’est arrivé et Miami a remporté le championnat 2006 en battant… Dallas en finale. Même s’ils finiront par gagner leur titre, les Mavs peuvent légitimement maudire Bill Duffy. Le pauvre Carter, quant à lui, a fini par signer un contrat de deux ans à 1,5 million de dollars avec San Antonio, pour à peine plus de 700 000 dollars la saison. Soit une perte de plus de 3 millions. Cela étant, Carter n’en veut pas à Duffy et pour une bonne raison : son agence n’a toujours pas fini de lui rembourser l’argent qu’il avait perdu lors de la transaction avec Miami.

En fin de compte, cette affaire a été une bénédiction. Je suis toujours payé grâce à cette erreur. Il y a une raison pour tout, et mon agent a été assez courageux pour prendre ses responsabilités et me verser de l’argent sur une longue période. Je perçois des indemnités encore aujourd’hui. Je recevrai de l’argent jusqu’en 2020. (Extrait du Miami Herald du 28/09/2016)


(1) Crédits photo : Jessica Freels Photography

(2) Une hypothèse pas si invraisemblable : Miami a payé Duffy pour qu’il « oublie » d’envoyer cette lettre.

(3) Quand les Lakers ont fait à nouveau signer Kobe, ils lui ont promis que Shaq allait être tradé dès que possible. Il n’y a pas de preuve formelle, mais c’est un fait avéré.