Destins : Règles de base

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Pour bien appréhender le concept de la rubrique « Destins », un préambule est nécessaire. Ce court article a pour but de mettre les choses au point, afin d’éviter les confusions et de bien comprendre de quoi l’on va parler.

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La première chose à savoir est que la rubrique « Destins » repose sur un certain nombre de règles de base, dont la plus importante est très certainement celle-ci :

Le destin d’un individu ou d’une équipe est toujours lié à une tierce personne.

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Ce qui signifie que tous les articles de la rubrique traiteront d’un événement qui s’est produit (ou non) suite à l’intervention ou à la décision d’une personne, qu’il s’agisse d’un joueur, d’un dirigeant, d’un membre de l’encadrement ou même d’une personne n’ayant aucun rapport direct avec le basket-ball. Pourquoi est-il si important de le souligner ? Parce que cela permet d’écarter toutes les spéculations inutiles relatives à des événements qui font partie du jeu. Seront donc mises de côté :

Toutes les interrogations liées aux blessures. La raison en est simple : les blessures font partie intégrante de la vie d’un joueur de basket. On peut se demander par exemple quel aurait été le destin de Bill Walton s’il n’avait pas été blessé pendant la majorité de sa carrière. Mais avec une morphologie comme la sienne, il était presque évident que la blessure allait finir par arriver, tout comme les joueurs de grande taille (Yao Ming, pour n’en citer qu’un) finissent tôt ou tard par se bousiller les genoux. D’autre part, toutes ces questions ouvrent la porte à des casse-têtes ridicules dans lesquels on pourrait se demander ce qui n’est pas arrivé, comme : « Et si Jordan ne s’était pas éloigné des terrains pendant dix-huit mois ? ». La décision de Jordan était mûrement réfléchie et la remettre en cause serait non seulement absurde, mais donnerait beaucoup trop de scénarios possibles.

Toutes les interrogations liées aux confrontations entre joueurs au sein d’une même équipe. Exemple le plus parlant : celui de Shaq et de Kobe. Certes, on peut penser qu’ils auraient remporté ensemble une moisson de titres s’ils s’étaient bien entendus. Mais la confrontation entre les deux était inévitable. Et la même chose serait arrivée avec deux joueurs d’élite différents. Il ne pas peut pas y avoir deux leaders dans une équipe de basket-ball. Elle finira par imploser. Obligatoirement.

Toutes les interrogations liées à la loterie pour les places de draft, car la loterie repose sur le hasard (et un peu sur David Stern). De plus, les conséquences sont telles qu’on ne peut faire de prédictions fiables à court ou à long terme. Prenons un exemple : à la loterie de 2003, Cleveland et Memphis sont les deux dernières équipes en lice pour le premier choix de draft. Chacune des deux équipes espère obtenir ce choix pour emporter LeBron James. Si les Grizzlies obtiennent le choix numéro un, ils prennent LeBron. Si les Grizzlies obtiennent le deuxième choix, ils doivent le donner à Detroit parce qu’ils ont bêtement échangé un choix de premier tour contre Otis Thorpe cinq ans plus tôt (seul le premier choix de draft n’était pas concerné).

Vous connaissez la suite : Cleveland a obtenu le premier choix et Memphis n’a rien eu. Maintenant, regardez l’effet domino au cours des cinq prochaines années si Memphis obtient ce choix :

LeBron rejoint une équipe des Grizzlies solide, avec Pau Gasol, Shane Battier et Mike Miller. Avec le second choix, Cleveland prend Carmelo et construit autour de lui. Denver prend Milicic troisième devant Chris Bosh (à l’époque, James, Anthony et Milicic étaient les trois premiers choix de draft « évidents »), et le reste se déroule de façon à peu près similaire. LeBron flambe avec des Grizzlies qui, dans la vie réelle, ont remporté 50 matchs sans rien obtenir à la draft 2003. Ils vont en play-offs et font un beau parcours, mais l’équipe est trop faible pour avoir une réelle chance de titre. Ce qui pousse LeBron à quitter Memphis et devenir agent libre après son contrat rookie, c’est-à-dire en 2007. Toutes les équipes médiocres tankent en 2006 et 2007 pour dégager de la marge salariale et espérer l’obtenir. Une équipe tire le gros lot. Et tous les vainqueurs à partir de 2008 pourraient être différents. Vous voyez comme c’est compliqué de prédire l’avenir de cette façon ?

Toutes les questions liées aux places à la draft, SAUF si la bonne décision était flagrante et que l’équipe s’est quand même fourvoyée. On n’évoquera donc pas les paris (ratés) Greg Oden ou Kwarme Brown, qui n’ont jamais pu démontrer leur potentiel en raison de circonstances indépendantes (ou non) de leur volonté, ni ces basketteurs médiocres draftés en milieu de premier tour (Nikoloz Tskitishvili, Joe Alexander…), car personne ne peut vraiment être certain de ce que va devenir un basketteur en arrivant en NBA. Stockton et Rodman ont été sous-évalués, d’autres ont été surévalués.

Toutes les questions liées aux échanges. Une équipe peut être perdante sur un échange et gagner un titre en ayant transféré un joueur qui nuisait à la bonne marche de l’équipe (et vice-versa). À partir de là, impossible de prédire l’avenir des équipes concernées par un transfert avec fiabilité. Répétons-le encore une fois : on ne peut pas tout savoir à l’avance. (Mais, comme on l’a vu plus haut, n’échangez pas des choix de premier tour concernant une draft ayant lieu cinq années plus tard contre des joueurs comme Otis Thorpe.)

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C’est à partir de là que l’on construira le catalogue des décisions qui ont changé le destin de la NBA. Les vingt-cinq plus importantes ont été sélectionnées. Certaines histoires sont fascinantes. Pour conclure, bien que l’on commence à compter à rebours, les événements sont classés par ordre d’importance dans l’histoire des joueurs et des équipes, et non par ordre d’impact (trop aléatoire et subjectif).

Ces « Dream Team » que personne n’a pu voir aux Jeux Olympiques

Il y a quelques semaines, l’équipe de basket masculine des États-Unis a remporté son 15ème titre olympique en 19 éditions, et ce malgré l’absence de joueurs-phare comme Stephen Curry ou LeBron James. Depuis l’arrivée des professionnels et la « Dream Team » de 1992, les USA n’ont perdu qu’une seule édition olympique, en 2004, avec une équipe dont les meilleurs joueurs étaient absents et qui fut incapable de rivaliser avec des équipes de très bon niveau, habituées au jeu FIBA. Tout le monde s’accorde sur le fait que l’équipe de 1992 était la meilleure de toutes, mais un meilleur « Team USA » aurait-il vu le jour si les joueurs de NBA avaient été éligibles avant Barcelone ? Tout cela n’est qu’utopie, mais essayons d’imaginer comment seraient bâties quelques-unes de ces « équipes de rêve ».

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Comme il faut bien commencer quelque part, nos « équipes de rêve » ne seront constituées qu’à partir de 1972, année de la première défaite des USA en finale des Jeux Olympiques. Pas seulement à cause du manque de données, mais aussi parce qu’avant les années 60, la notion de professionnalisme était assez floue ; il serait donc difficile de constituer  des équipes cohérentes.

Ensuite, les équipes constituées seront équilibrées ; il ne s’agit pas seulement de faire un empilement de stars à la va-vite. Les places au sein du groupe de douze joueurs seront réparties de la manière suivante :

  • 2 pivots de métier
  • 4 ailiers, dont au moins deux ailiers forts
  • 1 joueur polyvalent capable de jouer ailier ou arrière
  • 4 arrières, dont au moins deux meneurs de jeu
  • 1 joueur universitaire

D’autre part, parmi ces joueurs :

  • Trois devront être des défenseurs d’élite (un pivot, un ailier, un arrière)
  • Le joueur universitaire sera de préférence pivot ou ailier fort (voire polyvalent sur ces deux postes) pour servir d’assurance contre les blessures (les pivots sont les moins nombreux et les plus précieux)

On notera également six réservistes pour chaque équipe (un à chaque poste + un universitaire), moins forts que le groupe de douze mais susceptibles d’être appelés ou non en certains critères de l’époque (expérience, comportement ou, plus tristement, couleur de peau).

Une dernière information : pour l’équipe de 1972, la ligue professionnelle de basket-ball américaine était séparée entre ABA et NBA. Le jeu de l’ABA étant très éloigné celui de la NBA, et sachant qu’il aurait été difficile de faire une équipe homogène en mélangeant les joueurs des deux ligues, le parti d’ignorer l’ABA a été adopté. Dans la vraie vie, les choses n’auraient sans doute pas tourné autrement. La NBA était la « véritable » ligue de basket et les joueurs de l’ABA n’auraient pas été autorisés à participer aux Jeux. Pas de Erving, Issel ou Gilmore dans l’équipe de 1972 donc, mais ce n’est pas si dramatique, sachant qu’ils n’en étaient qu’à leurs débuts et que la concurrence était rude.

Ceci étant dit, il est temps d’établir la liste de ces « Dream Team » que personne n’aura vues.

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1972 : La grosse artillerie

Pivots : Abdul-Jabbar, Chamberlain
Ailiers : Cowens, DeBusschere (ailiers forts), Cunningham, Bob Love, Havlicek (polyvalent)
Arrières : Archibald, Frazier, Robertson (meneurs), West
Joueur universitaire : McAdoo
Réservistes : Thurmond, Silas ou Haywood, Sloan, Bing, Maravich, Dwight Davis (universitaire)

Cinq majeur : Chamberlain, Cowens, Havlicek, West, Frazier

Wilt Chamberlain a toujours eu des difficultés à jouer en équipe. Il aurait pu être écarté pour éviter de nuire au collectif et à l’ambiance de groupe, mais son attitude s’était considérablement améliorée au cours de la saison 1971-1972 : il avait cessé depuis de monopoliser continuellement le ballon et n’hésitait plus à faire des passes. De plus, sa popularité et son immense talent le rendent incontournable. Aussi est-il présent en pivot titulaire et si les choses se passent mal, Abdul-Jabbar et Cowens sont là pour le suppléer.

Spencer Haywood, en dépit d’un pedigree impressionnant (premier cinq majeur de la NBA en 1972 et des Jeux Olympiques 1968 fantastiques), a été laissé de côté en raison de son impopularité auprès des instances et du public après le procès qu’il a intenté à la NBA en 1970. Il n’aurait probablement pas intégré le groupe.

Pour le reste, en raison du climat social de l’époque, on peut se demander combien de joueurs Noirs seraient écartés au profit de joueurs Blancs. Le groupe rassemblé ci-dessus fait abstraction de la chose et se base uniquement sur la valeur des joueurs (DeBusschere est pris à la place de Silas en raison de ses qualités défensives supérieures), mais on pourrait très bien imaginer Maravich remplacer Robertson ou Sloan remplacer Bob Love.

Pour terminer, Bob McAdoo prend la place de joueur universitaire ; il est préféré à Dwight Davis (médaillé d’argent aux Jeux de 1972 et n°3 de draft la même année), loin devant le feu de paille LaRue Martin.

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1976 : Showtime

Pivots : Abdul-Jabbar, Walton
Ailiers : Barry, Cowens (ailiers forts), Erving, Havlicek (polyvalent)
Arrières : Archibald, Maravich, Jo Jo White (meneurs), David Thompson (polyvalent), Westphal
Joueur universitaire : John Lucas
Réservistes : Hayes, McAdoo, Wilkes, Gervin, Van Lier, Dantley (universitaire)

Cinq majeur : Abdul-Jabbar, Barry, Erving, Havlicek, Archibald

L’équipe la plus spectaculaire (Erving, Thompson, Maravich… !), mais aussi la moins équilibrée. Westphal est le seul véritable arrière du groupe ; Havlicek et Thompson se partagent le poste avec lui. Bob McAdoo mérite une place dans l’équipe, mais il ne peut rivaliser avec Barry et Cowens et s’il doit y apparaître, il faudrait alors écarter Jo Jo White (la couleur de peau de Westphal le protégeant d’une exclusion). Comme White vient d’être élu MVP des Finales de 1976 et est au sommet de son art, sa non-sélection paraît peu envisageable.

Le reste de l’équipe est assez logique. David Thompson est la seule « non-évidence » car il débute à peine en NBA, mais avec son  talent incroyable et sa démonstration au concours de dunks de 1976, il est difficile de le laisser de côté. John Lucas, futur n°1 de draft, est l’évidence même pour la place d’universitaire, devant Adrian Dantley ou Scott May (n°2 à la draft de 1976 et médaillé d’or aux Jeux cette même année).

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1980 : Le grand mélange

Pivots : Abdul-Jabbar, Moses Malone
Ailiers : Bird, Sikma (ailiers forts), Erving, Bobby Jones
Arrières : Magic Johnson (polyvalent), Dennis Johnson, Gus Williams (meneurs), Gervin, Westphal
Joueur universitaire : Kevin McHale
Réservistes : E. Hayes, Roundfield, Marques Johnson, Richardson, Phil Ford, Carroll (universitaire)

Cinq majeur : Abdul-Jabbar, Bird, Erving, Gervin, Magic Johnson

C’est la plus utopique de toutes les équipes puisque les USA ont boycotté les Jeux de Moscou. Cela dit, le monde n’y perd pas grand-chose car cette « Dream Team » est peut-être la plus faible. Il n’y a pas de joueur polyvalent en dehors de Magic, qui a démontré lors des Finales de 1980 qu’il pouvait jouer n’importe où, mais dont le poste d’ailier n’est pas le poste de prédilection. Les polyvalents Bobby Dandridge ou Walter Davis (malgré tout leur talent) ne sont pas à la hauteur de la concurrence.

Marques Johnson a été tristement écarté au profit de Jones en raison de sa couleur de peau ; Jones ferait sans doute un malheur en sortie de banc avec sa défense, mais Marques Johnson était meilleur en 1980 et il aurait mérité sa place. Ce qui, signalons-le, aurait fait trois Johnson dans l’équipe. Pour l’universitaire, McHale l’emporte devant Joe Barry Carroll, futur n°1 de draft, qui, malgré sa carrière relativement anonyme, était loin d’être mauvais.

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1984 : Priorité au collectif

Pivots : Abdul-Jabbar, Moses Malone
Ailiers : Bird, McHale (ailiers forts), Erving, King, Dantley (polyvalent)
Arrières : Magic Johnson, Isiah Thomas (meneurs), Moncrief, Paxson
Joueur universitaire : Ewing ou Jordan
Réservistes : Parish, Sampson, Worthy, Toney, Dennis Johnson, Ewing ou Jordan (universitaire)

Cinq majeur : Abdul-Jabbar, Bird, Erving, Moncrief, Magic Johnson

La plus grande question ici concerne le réserviste : Ewing ou Jordan ? A priori, Jordan mérite la place, mais avec le critère de préférence cité plus haut, et sachant que le jeune Ewing était un véritable monstre défensif avec des genoux encore en bon état, le choix est difficile. Il l’est tellement que la place d’universitaire est laissée ouverte. Si les deux sont intégrés au groupe, Dantley serait écarté et Magic jouerait encore une fois les polyvalents. Mais on entre dans un scénario dans lequel les spéculations sont trop nombreuses.

À noter : la titularisation de Sidney Moncrief. On peut penser qu’il fait tache à côté des autres joueurs du cinq de départ, mais pas du tout ; c’était un monstre de volonté et un excellent défenseur, qui mérite amplement sa place. La seule chose navrante est l’absence d’Andrew Toney, l’un des joueurs les plus sous-évalués de l’histoire, écarté au profit de Paxson. Pourquoi ? À cause de sa couleur de peau. Quelle tristesse.

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1988 : Dream Team 1.0

Pivots : Ewing, Moses Malone
Ailiers : Barkley, Karl Malone (ailiers forts), Bird, Wilkins, Mullin (polyvalent)
Arrières : Magic Johnson, Stockton (meneurs), Drexler, Jordan
Joueur universitaire : David Robinson
Réservistes : Abdul-Jabbar, Worthy, Michael Cooper, Alvin Robertson, Isiah Thomas, Manning (universitaire)

Cinq majeur :  Ewing, Barkley, Bird, Jordan, Magic Johnson

On retrouve dans cette équipe dix des douze joueurs de la future Dream Team de 1992. Cette première version est presque aussi forte que l’autre, malgré l’absence d’un Pippen encore loin d’être à maturité, remplacé par l’excellent Dominique Wilkins. Ewing et Olajuwon sont de loin les pivots dominants de la NBA en 1988 ; le second étant inéligible (il est toujours Nigérian), on se rabattra encore une fois sur Moses Malone, sachant que Abdul-Jabbar arrive clairement au bout de son rouleau.

La grande question est de savoir si Jordan aurait accepté, à cette époque, la présence d’Isiah Thomas dans l’équipe. On peut en douter car les « Jordan Rules » étaient déjà en place en 1988 et les Detroit Pistons étaient en train de devenir les « Bad Boys ». Thomas est donc laissé de côté et c’est encore une fois Stockton qui remplit l’espace vide.

Un grand absent dans cette liste : James Worthy, écarté au profit de Mullin qui a pour atout sa polyvalence. On peut voir aussi parmi les réservistes la présence de Danny Manning, joueur NBA à la carrière modeste, mais dont la saison universitaire 1987-1988 avait été inoubliable.

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Voilà donc ce qu’aurait pu être l’équipe de basket américaine aux Jeux Olympiques entre 1972 et 1988. Ne croyez pas que toutes les allusions faites dans ce texte à la couleur de peau au racisme soient agréables à évoquer ; mais c’était la mentalité générale de l’époque et une équipe constituée de moins de 40 % de Blancs était inenvisageable.

Au fait, parmi ces six équipes, quelle est la meilleure ? Probablement celle de 1984 (et elle monte encore d’un cran si on ajoute Toney). L’équipe de 1972 tient la corde, mais si l’on prend en compte le talent individuel et le collectif, il n’y a pas photo. Une équipe bourrée de talent, dans laquelle tout le monde s’entendrait, avec Bird et Magic en leaders, King pour les moments décisifs, Thomas, Malone et McHale en sortie de banc, la défense d’Ewing ou la présence de Jordan… Impressionnant.