La NBA et la drogue

If cocaine were helium, the NBA would float away. - Art Rust, Jr.

« Si la cocaïne était de l’hélium, toute la NBA flotterait en l’air. » – Art Rust, journaliste sportif, milieu des années 1970 (1)

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Les plus jeunes auront sans doute du mal à y croire, mais à la fin des années 70 et au début des années 80, la prise de drogue était considérée comme une activité récréative. Tout le monde ignorait les dangers de la blanche (héroïne, cocaïne), ou plutôt feignait d’en ignorer les dangers. La consommation généralisée de coke était présente partout : dans l’industrie musicale, le cinéma, la télévision, les discothèques, les boîtes de nuit et toutes les ligues sportives professionnelles. La NBA n’a pas fait exception.

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Vers le milieu des années 70, la cocaïne et le crack sont arrivés en force au sein de la NBA. Il est difficile de savoir quand tout a véritablement commencé ; probablement dans la même période de temps où l’usage de cocaïne s’est banalisé dans la société. La fusion ABA-NBA, survenue en 1976, n’a rien arrangé : les joueurs de l’ABA étaient notoirement connus pour s’enfiler toutes sortes de drogues. Avec le remaniement des effectifs et la prise de coke, la saison NBA 1976-1977 aura été l’une des plus étranges de l’histoire. Les statistiques témoignent du chaos : aucune équipe n’a remporté plus de 52 matchs et une seule en a perdu plus de 28 (les Nets).

La cocaïne a détruit de nombreuses carrières prometteuses et fait énormément de mal à la ligue. Entre 1977 et 1983, certaines stars de NBA peinaient alors qu’elles auraient dû être à leur apogée ; certains jeunes joueurs étaient aux prises avec des problèmes personnels, et certains vétérans agissaient de façon irrationnelle, rataient des entraînements, brûlaient la chandelle par les deux bouts et/ou ont terminé leurs carrières brusquement.

Le nombre de joueurs dont la carrière a inexplicablement pris fin a été incroyablement excessif pour une période aussi courte. Les autres ligues sportives professionnelles étaient tout autant gangrénées par la coke, mais c’était en NBA que l’on se rendait le mieux compte de ce qui se passait car les effets de la drogue (yeux chassieux, corps maigres, jeu incohérent et léthargique) étaient visibles. Ce n’était peut-être pas plus mal que tous les matchs de l’époque passaient en différé.

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Au départ, pourtant, personne ne fit le rapprochement. Il était évident que quelque chose se passait, et beaucoup de gens avaient des soupçons, mais sans véritable prise de conscience. Du moins jusqu’en 1980, année où plusieurs événements se produisirent en même temps :

  • Au cours d’un entraînement avant les Finales de 1980, les Lakers faisaient des étirements allongés sur le sol lorsque Spencer Haywood tomba dans les pommes. Les examens montrèrent qu’il s’agissait de la conséquence d’une grosse prise de coke. Paul Westhead, l’entraîneur des Lakers, mit Haywood au repos pour les matchs à venir. Furieux et n’ayant plus les idées claires, ce dernier envisagea d’embaucher un tueur de la Mafia pour éliminer son entraîneur. Comme il le confie dans son autobiographie publiée en 1988  : « Cette nuit-là, J’ai quitté le Forum et je me suis éloigné dans ma Rolls avec une seule pensée à l’esprit : Westhead doit mourir. » Heureusement, il reprit ses esprits à temps avant de commettre l’irréparable.
  • Une semaine à peine après les Finales de 1980, un joueur du Jazz, Terry Furlow, se tua dans un accident de voiture alors qu’il était au volant. On retrouva dans son sang des traces de cocaïne et de Valium.
  • En août 1980, après que le célèbre comique Richard Pryor mit accidentellement le feu à ses vêtements en voulant sniffer de la drogue, le Los Angeles Times publia une enquête sur l’usage excessif de drogues populaires chez les célébrités, indiquant que la prise de cocaïne et l’inhalation étaient presque devenus une épidémie en NBA. Dans l’article, le directeur général d’Atlanta de l’époque, Stan Kasten, estimait le nombre de joueurs consommateurs à… 75 %. Soixante-quinze pour cent !
  • En novembre 1980, Sports Illustrated publia un article sur David Thompson, un joueur de Denver, faisant plusieurs fois référence à des rumeurs de prise de cocaïne durant la saison précédente et au fait qu’il continuait d’en consommer. Thompson ne réfuta pas vraiment ces accusations, en confiant à l’une de ses connaissances : « Je ne fais pas pire tous les autres joueurs de NBA. » À la fin de la saison, Denver fit porter le chapeau à Thompson pour leur saison horrible, en le forçant à leur redonner 200 000 $ pour  renflouer leur budget (une somme que Denver prêta de nouveau avec intérêt en 1983). Malgré l’injustice de la chose, les Nuggets ont sans doute rendu un grand service à Thompson, car il aurait probablement claqué cet argent pour satisfaire sa dépendance.
  • Dans le même article, on apprend que Buck Williams, lors d’un dîner de gala, avait estimé le pourcentage de joueurs NBA consommateurs de drogue aux alentours de « peut-être 20 ou 30 % », ajoutant que le chiffre était beaucoup plus faible que ce qu’il pensait. Plus faible ? Vraiment ?

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Ces événements et déclarations auraient dû mettre la puce à l’oreille d’un certain nombre de personnes. Mais personne n’a pris le problème à bras-le-corps. Certaines équipes se sont mises à échanger les joueurs en difficulté au lieu de les aider, en les bradant pour presque rien. En 1981, les Warriors ont suspendu John Lucas pour leurs huit derniers matchs alors qu’ils se battaient pour décrocher une place en play-offs ; il ne leur avait pas laissé tellement le choix après avoir raté six matchs, loupé trois avions et été absent de plus d’une douzaine d’entraînements.

Interviewé à ce sujet quelques mois plus tard par Sports Illustrated, Lucas nia avoir pris de la coke, affirmant qu’il souffrait de dépression, un diagnostic confirmé dans l’article par son thérapeute, le Dr Robert Strange (surnommé par la suite « le pire thérapeute tous les temps »). Quelques années plus tard, Lucas admit qu’il avait sniffé à peu près tout ce qu’il voyait durant presque toute sa carrière. Il est triste de voir à quel point les équipes ont fermé les yeux. Ne me dites pas que les Lakers n’ont pas remarqué que Haywood sniffait pendant toute la saison 1980…

Cela étant, si on peut jeter la pierre aux équipes, les dirigeants ont aussi leur part de responsabilité. Après la mort de Furlow et le rapport du Los Angeles Times, on a du mal à comprendre comment deux années se sont écoulées avant que les pouvoirs en place ne décident d’agir. Il faudra en effet attendre 1982 et la « War on drugs » (guerre contre la drogue) déclenchée par le président Reagan le 14 octobre pour que quelque chose se passe.

La conscience des gens et des joueurs se réveilla progressivement. John Drew, un joueur de NBA, fut l’un de ceux qui chercha à s’en sortir ; en 1983, il admit au New York Times qu’il inhalait des drogues depuis trois ans et sniffait de la coke depuis 1978. C’est au cours de cette même année 1983 que la NBA lança son opération anti-drogue, avec un temps de retard sur les autres ligues sportives : la NHL (ligue de hockey sur glace) avait collé un an de suspension à Dave Murdoch pour possession de coke ; la MLB (ligue de baseball) avait suspendu Steve Howe ; et le « problème de drogue » de la NFL (ligue de football américain) avait fait la couverture de Sports Illustrated en 1982.

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Les nouvelles conventions collectives de la NBA donnèrent trois chances aux joueurs. La première infraction entraînait une suspension avec amende et un séjour en cure de désintoxication (payé par la ligue) si le joueur le désirait. Idem pour la deuxième infraction, même si les équipes avaient la possibilité de licencier le joueur et de le remplacer sur leur plafond salarial. La troisième infraction entraînait un bannissement à vie révisable tous les deux ans, que le joueur fasse amende honorable ou non (toute condamnation ou aveu de culpabilité concernant une infraction à la cocaïne ou à l’héroïne aboutissait également à un bannissement immédiat, même si ça n’est jamais arrivé à personne).

Micheal Ray Richardson fut le premier à être banni de la ligue en 1986. Les jours des superstars aux yeux larmoyants jouant comme des fantômes étaient presque terminés. Du moins, jusqu’à l’arrivée de la marijuana dans les années 90. Au total, neuf joueurs ont été suspendus pour au moins une saison : Richardson (1986), Lewis Lloyd (1987), Mitchell Wiggins (1987), Duane Washington (1987), Chris Washburn (1989), Roy Tarpley (1991), Richard Dumas (1994, suspendu pour récidive), Stanley Roberts (1999) et Chris Andersen (2006), dernier en date.

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Pour terminer, évoquons l’histoire relative à la drogue la plus incroyable de l’époque. Elle est arrivée au meneur des Hawks, Eddie Johnson. En 1982, dans Sports Illustrated, il révéla sans aucune gêne que son équipe d’Atlanta l’avait placé dans un asile psychiatrique contre sa volonté, qu’il avait volé une Porsche chez un concessionnaire automobile, et qu’il avait été arrêté pour possession d’armes et de cocaïne (pas en même temps). Mais surtout, Johnson avait dû sauter d’un appartement situé au deuxième étage pour échapper à des trafiquants de drogue qui lui tiraient dessus. Dans l’interview, il donne l’explication suivante :

« J’étais au mauvais endroit au mauvais moment. J’étais venu voir des filles, et des types sont apparus à la porte. Je n’y comprenais rien. J’étais seulement là par hasard. Après, ils ont commencé à me tirer dessus. »

Quand on vous dit que la consommation de drogues est dangereuse pour la santé !


(1) Source : http://www.azquotes.com/quote/580691