#23 : Chris Paul, occasion perdue

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Chris Paul, meilleur joueur de la draft 2005, a été choisi par les New Orleans Hornets suite à un concours de circonstances particulièrement favorable (1).

Gagner le gros lot à la draft NBA est aléatoire. Une équipe peut être parmi les premières à choisir, miser sur le meilleur joueur disponible, choisir la personne idéale pour renforcer l’équipe, et se retrouver déçue malgré tout. Une blessure, un problème d’adaptation, un mauvais comportement… Autant de facteurs pouvant contribuer à ce qu’un joueur ne soit jamais à la hauteur des espoirs placées en lui.

On peut pardonner un mauvais choix fait par une équipe, si la décision de drafter le joueur était logique à l’époque. Qu’un joueur moins bon soit choisi devant un autre contre l’évidence même est moins pardonnable. Qu’un même joueur soit affecté par plusieurs décisions discutables dans une même draft est assez exceptionnel. C’est ce qui est arrivé à Chris Paul en 2005. Voyons la chose en détail.

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En 2005, la draft NBA a lieu à New York. La loterie a attribué le premier choix aux Milwaukee Bucks, qui sortent d’une saison difficile à 52 défaites et n’ont pas disputé les play-offs pour la première fois en trois ans. Les choix suivants, dans l’ordre, sont attribués à Atlanta, Portland, New Orleans et Charlotte.

À la draft 2005 se présentent plusieurs joueurs de qualité, dont l’un se démarque des autres : Chris Paul. Les observateurs le considèrent comme le meilleur joueur du lot, et celui qui a le plus de chance de réussir en NBA. Quelques heures avant le début de la draft, l’équipe de Portland décide de céder son troisième choix à l’équipe de Utah, contre le sixième choix, le vingt-septième choix et un choix de premier tour en 2006. Une transaction qui aura toute son importance, comme nous allons le constater.

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La draft commence. Avec Michael Redd et Mo Williams, l’équipe des Bucks a une belle ligne arrière. En revanche, elle manque cruellement de poids dans la peinture, comme en témoignent les noms des pivots passés chez les Bucks au cours de la saison 2004-2005 : Daniel Santiago, Zaza Pachulia et Dan Gadzuric. Pas vraiment reluisant. Les Bucks décident sagement d’ignorer Chris Paul et de sélectionner Andrew Bogut, un imposant pivot australien de l’université de Utah qui sort d’une très belle saison à 20,4 points, 12,2 rebonds et 2,3 passes de moyenne. Ses qualités défensives et son adresse balle en main font de lui l’homme de la situation. La décision de le choisir à la place de Paul était tout à fait justifiée de la part des Bucks, et n’a surpris personne à l’époque. Aucune controverse, donc, concernant ce choix.

La prochaine équipe à choisir est Atlanta, qui sort d’une horrible saison à 69 défaites et a désespérément besoin d’un meneur de jeu (ils n’ont sous la main que Tony Delk, Tyronn Lue et Royal Ivey, autant dire de simples bouche-trou). Les Hawks ont les équipiers parfaits pour un joueur comme Paul  : Joe Johnson, qui vient de signer des Suns, Josh Smith et d’autres. L’équipe est faite pour lui. Il n’y a pas de meilleur choix.

Mais pas pour le directeur général des Hawks, Billy Knight, apparemment. En lieu et place de Paul, il choisit un ailier costaud du nom de Marvin Williams. Williams a du potentiel et des aptitudes appréciables – les Bucks avaient même hésité à le prendre à la place de Bogut – mais il n’était même pas titulaire à l’université ! Pourquoi  Knight a-t-il choisi un ailier quelconque dont son équipe aurait pu largement se passer à la place d’un meneur comme Chris Paul dont ils avaient plus que grand besoin ? Sa décision sera critiquée de façon tout à fait justifiée et elle est de plus en plus inexplicable à mesure que les années passent. Avec Paul, Atlanta aurait pu devenir un « top team ». Mais non (2).

Au tour de l’équipe suivante. Utah, qui a hérité du choix de Portland, ne sélectionne pas non plus Chris Paul mais choisit Deron Williams, un meneur capable de porter leur franchise et un futur All-Star. Auraient-il dû prendre Paul au lieu de Williams ? Probablement, car Paul était sans aucun doute meilleur, mais Utah a quand même eu de très bons résultats en construisant leur équipe autour de Williams. On peut leur pardonner cette sélection. Et voilà comment l’équipe avec le quatrième choix, New Orleans, se retrouve avec Paul.

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Parmi les équipes ayant ignoré Paul, Atlanta est donc celle qui a le plus perdu au change. Le destin des Hawks avec Paul aurait pu être radicalement différent. Mais la question la plus intéressante concernant la draft 2005 est probablement celle-ci : Que serait-il arrivé si les Blazers avaient gardé le choix n°3 au lieu de le donner à Utah ?

Voilà sans doute ce qui se serait passé : les Blazers auraient logiquement pris Paul parce qu’après tout, c’était le meilleur joueur de la draft. Le cinq majeur de Portland pour la saison à venir se compose alors de Joel Przybilla, Zach Randolph, Viktor Khryapa, Juan Dixon et Chris Paul à la place de Steve Blake. En sortie de banc, on retrouve Blake, Travis Outlaw, Jarrett Jack et Theo Ratliff. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, mais avec Paul, la saison des Blazers est un peu moins mauvaise.

Du fait de leur montée au classement, à la draft suivante, ils se retrouvent peut-être avec Rudy Gay (choix numéro huit) au lieu de LaMarcus Aldridge (choix numéro quatre), et obtiennent Brandon Roy dans tous les cas avec leur deuxième choix de haut de tableau. Avec Roy et Paul, l’équipe devient encore meilleure. Elle est peut-être à la limite d’accrocher les play-offs. Du coup, les Blazers évitent Greg Oden à la draft suivante et se retrouvent avec un choix de milieu de tableau (disons le numéro douze, Thaddeus Young).

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À l’aube de la saison 2008-2009, l’équipe de Portland est donc constituée de :

Paul, Roy, Gay, Outlaw, Przybilla, Jack, Young, les droits sur Rudy Fernandez et les millions de Paul Allen

au lieu de :

Oden, Aldridge, Webster, Roy, Outlaw, Jack, Przybilla, les droits sur Rudy Fernandez et les millions de Paul Allen

Laquelle de ces deux équipes est meilleure ? À coup sûr, la première, même si cela se discute. Paul et Roy auraient-ils pu jouer ensemble, sachant qu’ils ont tous les deux besoin d’avoir la balle en main ? Auraient-ils pu rivaliser en terme de taille ? Auraient-ils joué davantage en « wide-open » ? Cela aurait-il marché ? Autant de questions sans vraie réponse, mais auxquelles on a tendance à répondre « oui » (sauf peut-être pour la taille). Quoi qu’il en soit, si Portland prend Paul, une réaction en chaîne complètement dingue se déclenche :

  • New Orleans se retrouve avec Deron Williams au lieu de Paul ;
  • Utah n’obtient jamais de meneur capable de porter une franchise et s’enfonce pour les prochaines années ;
  • Oden et Aldridge atterrissent ailleurs ;
  • Roy, qui doit partager le ballon avec Paul, ne devient jamais la star qu’il est devenue ;
  • Et pour finir, la cote de Paul baisse car dans la vie réelle, il a été tellement vexé d’avoir été ignoré par trois équipes qu’ils s’est tué au travail pour atteindre son niveau actuel. Ce qui n’arrive peut-être pas s’il est choisi par les Blazers en troisième position.

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Bref, les grands perdants de cette draft sont Atlanta et Portland. En parlant de Portland, on vient d’apprendre cette semaine que Greg Oden a annoncé sa retraite, à seulement 28 ans. Les blessures auront pourri sa carrière, comme celle de Brandon Roy. Pauvres Blazers. Ils méritent vraiment le titre de plus gros poissards de la NBA.


(1) Source : http://www.nydailynews.com/

(2) Billy Knight prendra à la draft suivante Shelden Williams au lieu de Brandon Roy. Il démissionnera de son poste de directeur général des Hawks deux ans plus tard, en prétendant le plus sérieusement du monde laisser l’équipe « en bien meilleur état que lorsqu’il l’avait prise en main ». On peut légitimement en douter.

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