Le prodige oublié

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Crédits : Ryan Inzima

Devenu professionnel juste après le lycée, comme Garnett, Bryant ou Tracy McGrady, Korleone Young aurait pu devenir une star de la NBA. Mais sa carrière n’a duré que quinze minutes. Aujourd’hui, il vit au Kansas et essaie de reprendre sa vie en main.

par Jonathan Abrams, le 19 Septembre 2013

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Korleone Young est assis dans le petit bureau du pasteur Herman Hicks. Il incline ses larges épaules vers lui. Cela fait plusieurs minutes qu’ils parlent de tout et de rien, sans aborder les vrais problèmes. Hicks, ancien colonel de l’US Air Force du Mississippi, est un homme franc et sérieux, à qui ses interlocuteurs se confient facilement. Dans son bureau, une photo dédicacée de Colin Powell est accrochée au mur. Sur une autre photo, on peut le voir serrer la main de George H.W. Bush. Mais Young ne semblait pas prêt à parler de son passé. Il avait repoussé tous ceux qui s’en approchaient de trop près. Aujourd’hui, toutefois, les choses allaient changer.

Pour les amateurs de basket-ball, Young est plus un mythe qu’un joueur. Son nom côtoie celui de joueurs passés du lycée à la NBA qui ont reçu trop d’argent trop tôt, et qui n’ont jamais réussi à s’imposer, comme Lenny Cooke, Leon Smith et DeAngelo Collins. Ils ont gaspillé leur argent et pris de mauvaises décisions. Ils sont le côté négatif d’une génération de lycéens devenus stars. Le seul héritage qu’ils ont laissé à la NBA est une règle de 2005, exigeant que les joueurs éligibles à la draft aient quitté le lycée depuis au moins un an. Pour la plupart, Korleone Young n’est rien de plus qu’une note de bas de page dans une bataille juridique.

Young s’est déclaré éligible pour la draft en 1998, après avoir quitté l’Académie Militaire de Hargrave suite à son implication dans un scandale de pots-de-vins qui avait secoué le championnat amateur de l’AAU et le basket-ball universitaire. Les Detroit Pistons ont pris Young avec le quarantième choix, entre Rafer Alston et Cuttino Mobley – deux joueurs qui ont effectué une longue carrière en NBA. Mais le rêve de Young n’a duré que quinze minutes – trois contre Washington, cinq contre Atlanta et sept contre Orlando. Il n’a rien fait d’autre avec Detroit lors de sa première et dernière saison en NBA. « Korleone aurait dû être un excellent pro. Il dominait les Rashard Lewis, Shane Battier et consorts, confie Myron Piggie Sr., cousin germain de Young et figure centrale du scandale de l’AAU. Il dominait tout le monde. »

Mais comme de nombreux jeunes récompensés trop tôt et mal préparés à la vie d’adulte, Young a mal tourné. Il n’a pas écouté ses conseillers financiers. Il a bu et fumé plus que de raison. Il s’est retrouvé mêlé à différents problèmes. Un jour, on l’a menacé avec un revolver. Young s’est éloigné de la NBA et d’une vie confortable, et il se trouvait maintenant dans l’obscurité d’un bureau de pasteur, dans sa ville natale de Wichita, au Kansas. Ses quinze minutes de jeu en NBA ont été la plénitude de son existence. Il a passé les années qui ont suivi à essayer sans enthousiasme d’y retourner. Il a voyagé et joué dans le monde entier, sans jamais rester longtemps au même endroit. Aujourd’hui, à trente-quatre ans, il cherche à donner un nouveau sens à sa vie. Mais il ne sait pas comment ni par où commencer. Il n’a plus mis les pieds dans une école depuis 1998. Il ne sait pas faire grand-chose. Il gagne un peu d’argent en entraînant des lycéens, bien qu’il sache pertinemment que les parents du quartier l’embauchent parce qu’il a besoin d’un travail. Il ne sait même pas gérer son chéquier. Ses trois filles vivent avec leur mère à Houston. Young dit qu’il ne peut pas se permettre d’habiter près d’elles.

Quand je suis arrivé à Wichita, Young était nerveux. Bien que j’aie atterri le matin, il a attendu onze heures pour retourner mes appels. Il savait que je lui poserais les questions qu’il a passé des années à esquiver. Pendant près d’une décennie, il n’avait pas voulu y répondre. Il ne sait toujours pas comment faire. Au fil des ans, il s’est excusé auprès de sa famille et de ses amis, mais sans vraiment savoir de quoi il devait s’excuser. Il s’est isolé du monde. La solitude et l’éloignement qu’il ressentait en jouant en Russie ou en Chine étaient devenus des compagnons familiers. Agréables, même. Quand il est rentré chez lui, il a continué à vivre dans la solitude.

Young avait longuement réfléchi avant d’accepter me recevoir. Il n’avait pas accordé d’interview depuis plusieurs années – c’était plus facile ainsi. Les journalistes posaient des questions qui ne les concernaient pas, en rouvrant des blessures encore à vif. Mais Young était convaincu que le moment était venu. Il avait enfin quelque chose à dire. Il n’était pas sûr de la façon dont il devait s’habiller ; il s’est dit qu’une tenue dans laquelle il se sentait bien – un T-shirt Nike, un short et des baskets – allait faire l’affaire. Il a appelé quelques amis pour voir si quelqu’un voulait bien le déposer. L’année passée, il avait vendu sa voiture, une Chevrolet Monte Carlo de 1972, pour 6 000 $. C’était le dernier bien qu’il possédait. Mais il a eu du mal à trouver quelqu’un qui accepte de le conduire. Finalement, Young a convaincu sa petite amie de le ramener à mon hôtel. Nous avons ensuite roulé jusqu’à la Grande Église pentecôtiste de Dieu en Christ, où le pasteur Hicks prêchait depuis dix ans. Young l’avait rencontré il y a six ans par l’intermédiaire d’une ex-petite amie. Sa relation avec elle n’avait pas duré, mais celle avec l’église, oui.

Hicks a chaleureusement accueilli Young. Il lui a dit qu’il ne souhaitait pas seulement le voir quand il avait besoin d’aide émotionnelle, spirituelle ou financière, mais aussi quand il voulait donner ou remercier. Hicks a imploré Young de s’ouvrir à lui : « L’une des choses que j’ai découvertes en tant que prédicateur, c’est qu’il faut être honnête avec les autres. Tu ne peux pas simplement dire qu’avoir été drafté en NBA a été l’un des grands moments de ta vie. Il en a forcément découlé des points négatifs, des décisions qui ont affecté ta carrière. Si tu es honnête avec les jeunes du quartier, tu auras un impact sur la vie de certains d’entre eux. » « Vous allez m’aider ? » a demandé Young. « Bien sûr », a répondu Hicks. Young a alors dit : « Je n’ai plus peur maintenant. » Hicks s’allonge sur sa chaise. « Je pense qu’on peut résumer ainsi l’histoire de Korleone Young : après avoir été au sommet, il s’est retrouvé au fond du trou. Et il essaye maintenant de se sortir de ce trou. Qu’il y soit prêt ou non, cela prendra du temps. »

Korleone Young a grandi dans une petite maison entre la vingt-quatrième rue et Lorraine Avenue. Tout le monde le connaît à Wichita. Les voitures ralentissent sur son passage ; les conducteurs le saluent. Le son des sirènes qui préviennent de l’arrivée des tornades sont un bruit familier. Les grands-parents de Young, Charles et Betty, ont vécu dans leur maison pendant près de cinquante ans avant de décéder respectivement en 2006 et 2008. Sa mère, Kim Young, qui avait lu Le Parrain peu de temps avant la naissance de son unique enfant, l’a nommé Suntino Korleone Young, d’après le fougueux fils aîné du livre, Santino Corleone. Young savait que son père était Juan Johnson, un ancien athlète star du lycée. Mais il ne le connaissait pas vraiment. Il voyait parfois Johnson dans les environs de Wichita, mais son père ne l’avait jamais reconnu.

À l’extérieur de la maison de son enfance, une grosse souche dépasse de la cour avant. Ce sont les restes de l’arbre sur lequel Korleone grimpait quand il était enfant. Un jour, il est tombé de cet arbre et s’est cassé le bras gauche. C’était exactement le genre de chose contre laquelle sa mère l’avait mis en garde, lorsqu’elle lui avait interdit de grimper. Un acte de désobéissance typique d’un fils à l’esprit libre. « [La façon dont il agissait] était horrible, pitoyable » déclarera plus tard Kim Young. Korleone se battait aussi constamment avec son cousin Antoine et les enfants du quartier, qui se moquaient de son bégaiement.

Mais Kim voyait dans son fils un jeune garçon énergique, et elle chercha le moyen de le faire s’épanouir. Elle inscrivit Korleone à des activités parascolaires – « pour l’occuper », selon elle. Young a appris à faire des claquettes, a pratiqué le football, mais ce qu’il aimait vraiment, c’était le basket. Il a fabriqué un panier avec une roue de vélo dont il avait retiré les rayons, et l’a installé dans leur jardin. Le vélo était modeste, la roue de petite taille, et son tir a gagné en précision. Le grand-père de Korleone, qui avait joué avec les Harlem Globetrotters dans les années 60, lui a ensuite installé un véritable panier. Young a progressé rapidement, dominant les autres enfants. À dix ans, il a rejoint l’équipe AAU de Tyrone Berry, les Wichita Blazers, jouant avec et contre d’autres collégiens. Le programme était élitiste et rigoureux ; les joueurs devaient aller à l’église tous les dimanches et avoir de bonnes notes. Young est rapidement devenu la star de l’équipe – il a réussi son premier dunk à l’âge de douze ans. Il était grand, athlétique, et a vite rejoint une équipe de l’AAU plus prestigieuse, celle de Kansas City. Berry n’était pas ravi de voir sa jeune star quitter son écurie, mais il savait qu’il ne pourrait pas le garder longtemps. Young semblait déjà destiné à de plus grandes choses. De meilleures choses.

En 1992, Young a rejoint les 76ers du Children’s Mercy Hospital, une talentueuse équipe de Kansas City entraînée par John Walker. Cette équipe comprenait plusieurs futurs joueurs de NBA : Earl Watson, Maurice Evans, Kareem Rush et Corey Maggette. Le niveau était si élevé que Mike Miller, un joueur très important pour Miami lors de la conquête de ses deux derniers titres NBA, n’avait pas réussi à l’intégrer. JaRon Rush, un ailier élégant, le frère aîné de Kareem, était le joueur le plus talentueux de l’équipe. Son mécène était le millionnaire Tom Grant, directeur général de LabOne Inc. et ancien élève de l’Université du Kansas ; il payait ses frais de scolarité et finançait les 76ers. JaRon était le meilleur ami d’un joueur nommé Myron Piggie Jr. Au cours d’un entraînement à l’été 1995, l’équipe s’est réunie et Grant leur a présenté leur nouvel entraîneur en chef : Myron Piggie Sr., un ancien dealer de crack et criminel qui avait été condamné à un an de prison pour avoir tiré sur un policier de Kansas City en 1989.

Grant savait que JaRon Rush et la famille de Piggie étaient très liés. En promotionnant ce dernier, il pensait qu’il pourrait dissuader son précieux joueur de partir. Piggie, qui était débrouillard, a gravi les échelons de l’organisation jusqu’à se retrouver au sommet. « On a été très surpris, car Myron n’était pas un entraîneur, se souvient Young. D’ailleurs, il ne nous a jamais vraiment entraînés. C’étaient d’autres personnes qui s’en chargeaient. Piggie voulait juste garder le contrôle sur nous. Tout ce qu’il faisait, c’était avoir l’air sombre, s’asseoir au bout du banc et effrayer tous les autres entraîneurs de l’AAU. »

Une importante réunion des représentants de Nike a eu lieu à l’automne suivant. Le président, Phil Knight, s’est adressé à plusieurs entraîneurs de lycée influents que sa société parrainait. À l’époque, Nike dépensait 4 millions de dollars par an pour financer des programmes d’été, selon le Chicago Sun-Times. Pourtant, l’entreprise avait récemment perdu un fameux groupe de joueurs sur le point de passer pros : Kevin Garnett, Kobe Bryant et Jermaine O’Neal, qui avaient tous signé avec Adidas. Sonny Vaccaro, le légendaire responsable de la célèbre chaussure qui avait attiré Michael Jordan chez Nike, travaillait maintenant pour Adidas et aidait la marque à faire son trou. Pour contrer cette incursion, Nike est devenu plus agressif et a embauché plus d’employés et de « consultants », afin d’accaparer le circuit AAU. Les programmes d’été sont devenus un signe d’allégeance. Si un joueur participait au camp ABCD à Teaneck, dans le New Jersey, il était considéré comme un joueur Adidas. S’il jouait au Nike All-America Camp à Indianapolis, il se consacrait à la marque à la virgule. « C’est à cause de nous qu’il y a eu toutes ces histoires, soupire Young. C’est nous qui avons commencé la guerre Nike-Adidas. Moi, Corey, JaRon et Al [Harrington], Rashard [Lewis]. »

Piggie Sr. a fait partie des nombreuses personnes recrutées par Nike, et CMH est rapidement devenu une équipe de stars itinérante pleine de futurs joueurs de haut niveau. « On vivait dans le luxe, confie Laverne Smith, cousin d’Earl Watson, qui a joué avec CMH pendant une demi-saison. On voyageait en première classe. On dormait dans des hôtels cinq étoiles. C’était comme la fac ou la NBA. Nous étions en avance sur notre temps. »

Les équipes adverses connaissaient et respectaient l’équipe bien avant leur arrivée au gymnase. « On n’était intimidés par personne, assure Piggie. Quand [il] arrivait sur le terrain, personne n’était meilleur que Korleone Young. À part un autre joueur que je ne vais pas mentionner. Ils avaient le même niveau, mais ils ont fait beaucoup de choses différemment. Ils étaient tous les deux au-dessus des autres. » Maurice Taylor, qui entraînait aux côtés de Piggie, affirme que Young abordait les matchs le jeu avec l’attitude d’un boxeur se préparant à disputer le combat de sa vie. « C’était le patron. Les autres devaient suivre. » Grant et Nike ont finalement augmenté le salaire de Piggie, ce qui a beaucoup rapporté à Young. « On a signé avec Nike et c’était génial. Ma mère et moi avions une Altima flambant neuve. J’ai eu mon Impala de 82. Je n’ai jamais porté que des Nike. Ils nous offraient des coffrets de soins tous les deux mois. Des sacs pleins de trucs. Personne n’a plus d’influence que Nike. Pourquoi pensez-vous que tous les gosses portent des Jordan ? »

Piggie a commencé à donner de l’argent à ses meilleurs joueurs – Young, les Rush, Maggette et Andre Williams. Il a ensuite été accusé de leur avoir versé des dessous-de-table, une pratique qui allait par la suite devenir courante chez les meilleurs jeunes espoirs. « Piggie est un individu nuancé, indique Jerome Stanley, un agent qui a enquêté sur lui. Je n’ai jamais vu Myron Piggie essayer de nuire à l’un de ses protégés. Il voulait sincèrement les aider… et en tirer profit. » L’été, Young se consacrait entièrement à l’AAU. Mais pendant l’année scolaire, il était sous les ordres de Ron Allen, l’entraîneur du lycée de Wichita East. Très terre-à-terre, Allen a essayé d’orienter le jeune homme dans la bonne direction. Mais il ne pouvait pas tout faire. « Mon plus grand regret n’est pas d’avoir choisi de ne pas aller à l’université, mais d’avoir quitté le lycée de Wichita, déplore Young. J’y aurais probablement fait une meilleure année de terminale. Tous mes amis étaient là-bas. Et je les ai laissés tomber. »

Allen a tout fait pour empêcher Young de quitter Wichita. Il connaissait son talent depuis qu’il l’avait vu, plus jeune, en train de dominer des élèves de sixième. Il l’avait fait entrer dans l’équipe avec la volonté de développer lentement son jeu. Son plan est tombé à l’eau au moment où son ailier de quatorze ans a quitté le banc lors de son premier match. Young a illuminé le parquet, marquant 27 points éblouissants. Allen a déclaré qu’il se souvenait d’un jeune Charles Barkley, meilleur que ce qu’il aurait dû être, attrapant des rebonds alors que ses adversaires avaient seulement commencé à sauter vers le ballon. Laverne Smith, qui a joué à Wichita East avec Young, a vu de ses propres yeux comment la célébrité l’a changé. Smith était très encadré par son père, un ancien joueur de NFL, et il se demandait parfois à quel point le fait de n’avoir aucune figure paternelle affectait Young. « Korleone était un peu condescendant avec certaines personnes. Il leur parlait avec mépris. Cela dit, c’était quelqu’un de bien, et son attitude était compréhensible. Quand on est jeune et qu’on reçoit toute cette publicité, c’est un peu difficile de garder les pieds sur terre. »

Allen a essayé de faire en sorte que les chevilles de sa star n’enflent pas trop. C’est un entraîneur à l’ancienne. Il avait joué à l’Université de l’Arizona au début des années 1970 et ne voulait pas répondre à Young quand celui-ci devenait irritable. Il l’a régulièrement expulsé de l’entraînement pour lui montrer qui était le patron. « Tu n’es pas dans un bon jour, disait-il. Reviens demain. » Mais Allen n’avait pas prévu la montée en puissance du circuit AAU. Une fois l’été commencé, il a cédé Young à Piggie. En visitant l’équipe de l’AAU un jour avant l’avant-dernière année de Young, Allen a été frappé par l’ampleur du programme – les baskets, l’équipement, la foule. Ses yeux se sont ouverts. Puis plus tard, au cours du même été, Young a disparu du Kansas. Un journaliste de USA Today a téléphoné à Allen en août 1997 et lui a demandé de confirmer que Young avait été transféré à Hargrave, un pensionnat privé de Chatham, en Virginie. La nouvelle a pris Allen de court. Il a téléphoné à Kim, la mère de son joueur. « Coach, Korleone ne vous a rien dit ? »

Allen savait que Young ne voulait pas lui dire qu’il avait décidé de partir. Mais Kim a finalement forcé son fils à lui téléphoner. « Que se passe-t-il ? » a demandé Allen. « C’est simple. Je vais rester ici », a répondu Young. « Pourquoi? » Pas de réponse. « Écoute, si c’est ce que tu veux, si c’est vraiment ta décision, je te soutiendrai, a déclaré Allen. Mais si tu fais ça pour quelqu’un d’autre, ça me pose un problème. On va s’arrêter là et quand tu reviendras à Wichita après l’AAU, je veux que tu viennes me voir. On mangera un hamburger et on discutera de tout ça. »

De retour à Wichita, Young a rencontré Allen et lui a répété qu’il voulait changer de lycée. Il était devenu trop célèbre. Sa décision avait été confortée par un incident très suivi par les médias locaux. Plus tôt cette année-là, Young, quelques joueurs et quelques pom-pom girls avaient introduit de l’alcool dans une chambre d’hôtel, lors d’un déplacement à Topeka. Young a menti sur sa présence, puis a estimé injuste d’avoir été le seul à écoper d’une suspension d’un match. L’incident avait été exagéré au point que les chaînes de télévision étaient venues camper devant la maison de sa mère. Il avait envisagé de fréquenter l’académie Oak Hill en Virginie, mais ensuite, il avait entendu parler de l’excellent effectif de Hargrave ; c’était aussi là que Myron Jr. avait prévu d’aller. Allen l’a supplié de reconsidérer sa décision, en vain. « Je l’aime toujours, a récemment déclaré Allen. Je tiens toujours à lui. C’est quelqu’un de très généreux, qui ferait n’importe quoi pour t’aider. Mais il était trop jeune pour être seul. Et c’est ce qui l’a perdu. »

Young regarde le pasteur Hicks. Tous deux sont très bavards. Ils échangent tout au long de leur conversation. Ils se trouvent des points communs. Hicks a lui aussi grandi sans père ; il lui a fallu beaucoup de temps pour accepter sa douleur, jusqu’au jour où, alors qu’il prêchait pour un groupe d’hommes, il a partagé son mal-être et sa frustration. Il leur a dit que lorsqu’il a assisté aux funérailles de son père, il a jeté un coup d’œil dans le cercueil, a dit qu’il ne connaissait pas l’homme qui s’y trouvait et est sorti. Hicks sait qu’il faut être fort pour surmonter ce genre d’épreuve. Il veut voir cette force en Young. « Si j’essaie de finir… », commence ce dernier.

Hicks le coupe. « Quel âge as-tu? » « Bientôt quarante ans », répond Young (il en a trente-quatre ; on dirait que la vie passe plus vite pour lui). « Combien de temps te reste-t-il à vivre ?  » « Je ne sais pas. À votre avis, pasteur ? » « On ne peut pas le savoir, non ? Je vais te poser une question. Penses-tu que tu rejoueras un jour en NBA ? Tu connais la réponse. » « Non », dit Young, à contrecœur. « C’est fini, n’est-ce pas ? Donc, pour le moment, tu ne dois pas chercher à devenir le prochain All-Star. Tu dois essayer de raconter ton histoire, celle d’un homme à qui Dieu a donné de nombreux dons, qui a beaucoup perdu, à cause de certains événements et de certaines de ses actions. Quand tu es venu dans cette église, tu étais au plus bas. Que vas-tu faire maintenant ? Tu peux continuer à pleurer sur ton sort pendant les prochaines années. Mais cela ne te sauvera pas. »

Hargrave a donné l’occasion à Young de se mettre en valeur. En janvier 1998, il affrontait le lycée St. Patrick et son attaquant vedette Al Harrington au Madison Square Garden, un lieu incontournable pour les amateurs de basket. Les deux joueurs étaient en tête de leur classe d’âge et les meilleurs joueurs de lycée s’affrontaient régulièrement. Harrington a été dominant ce soir-là, compilant 28 points et 7 rebonds. Young a rendu une copie inégale. Il a marqué 14 de ses 20 points en seconde période après qu’un Piggie furieux se fut adressé à l’équipe pendant la pause (comme en AAU, il s’était frayé un chemin dans le cercle restreint de Hargrave et avait gagné la confiance des entraîneurs). Young a perdu le ballon sept fois avant d’être expulsé à deux minutes de la fin alors que le score était à égalité, mais Hargrave a finalement remporté la victoire, 63-59.

Malgré ses performances décevantes, la victoire a renforcé le statut de Young en tant que l’un des futurs meilleurs joueurs de basket-ball universitaire. Mais la transition vers Hargrave n’avait pas été facile. Young faisait souvent ce qu’il voulait à Wichita. Les recruteurs appelaient si souvent que sa mère avait installé une deuxième ligne téléphonique, la première étant utilisée par son fils pour discuter avec des filles. Mais Hargrave mettait un point d’honneur à inculquer la discipline aux adolescents. Le colonel John W. Ripley, un Marine décoré, était le principal de l’école. Young n’était pas autorisé à avoir un téléphone ou une télévision. Il se réveillait tous les matins à 6 heures et se couchait dès 22 heures. Il a passé les premières semaines à pleurer au téléphone avec sa mère chaque fois qu’il pouvait l’appeler.

Pourtant, l’école avait ses avantages. Avec son prestige et son statut d’espoir national, Young pouvait aller à l’université de son choix. Il a failli aller à l’Université du Kansas. Il a failli rejoindre JaRon Rush à UCLA. Finalement, il a stupéfié tout le monde en décidant d’aller en NBA. « Ce qui est dingue, c’est qu’aucun des entraîneurs de Hargrave n’avait jamais envisagé qu’il parte immédiatement en NBA, confie Kevin Keatts, alors assistant à Hargrave et aujourd’hui entraîneur à Louisville. On ne parlait que de l’université, du processus de recrutement, et de l’endroit où il voulait aller. » Mais Young a déclaré que la NBA était son rêve depuis qu’il avait fabriqué ce panier avec une roue de vélo. Il ne voyait que les avantages ; la télévision, l’argent, les femmes. Il savait peu de choses sur la somme de travail à fournir.

Sur les conseils de George Raveling, chargé du développement du basket-ball chez Nike, Piggie a choisi Stanley comme agent pour Young. « J’aurais préféré Arn [Tellem], concède Young. Arn était honnête. Beaucoup de bons agents sont très honnêtes. Mais j’avais grandi à Wichita. Je n’avais [jamais] collaboré avec un Blanc. C’était comme ça. Je ne leur faisais pas confiance. » Allen a rencontré une fois de plus son ancien élève vedette dans un ultime effort pour le pousser vers l’université. « Les gens cherchent à faire de l’argent sur ton dos et à profiter de toi. Je ne suis pas comme ça. Je ne peux pas te supplier de rester, et je ne le ferai pas. Je veux que tu restes parce que tu sais que c’est la bonne décision à prendre. Mais si tu penses honnêtement que c’est ce que tu dois faire, après tout ce que nous avons traversé, alors je respecterai ta décision. »

Young, vêtu de l’uniforme blanc et gris de l’école, a fait son annonce à Hargrave en avril 1998. « J’ai pris [cette décision] après de nombreuses heures de discussion avec ma famille et mes amis, a-t-il déclaré. Je pense sincèrement pouvoir devenir un bon joueur de NBA. » Kim Young a ensuite félicité son fils. « Tu as bien fait, mon bébé, a-t-elle dit. Je suis très fière de toi. » Le même jour, Piggie a discuté avec un journaliste de USA Today. « Il va essuyer beaucoup de critiques, a dit celui-ci. Quand il commencera sa carrière, tout le monde va l’attendre au tournant. » Clarence Gaines Jr., un éclaireur des Bulls qui avait regardé Young jouer pendant son année de terminale, n’était pas impressionné. « Est-ce que j’envisagerais de le prendre ? écrit-il dans son rapport. Pas maintenant. Je n’aime pas son attitude et les lacunes dans son jeu. Si j’étais entraîneur universitaire, je baverais devant son potentiel. S’il suit la voie traditionnelle, il peut devenir intéressant. Mais s’il choisit d’aller en NBA dès maintenant, il pourrait être une grosse déception. »

Mais Young était déterminé et poussé par la figure paternelle qui l’avait suivi en Virginie. « Il voulait passer professionnel, se souvient Stanley. Je lui ai présenté plusieurs options. J’avais rencontré [l’entraîneur de Georgetown] John Thompson, qui m’avait demandé de lui laisser pendant un an. Mais ce n’était pas à moi de prendre cette décision. C’était à Korleone et à [Piggie]. C’était Piggie qui gérait tout. »

Young a organisé une fête à Wichita le soir de la draft. Son père, qui n’avait jusque-là été pour lui qu’un étranger, s’est présenté à l’entrée. Young raconte que Piggie lui a ordonné de partir, en lui disant qu’il n’était là que parce qu’il espérait profiter de son fils. Une vague de choc a secoué Young en voyant son père. La sensation s’est vite évaporée. Il avait attendu ce jour depuis des années. Il ne voulait aucune distraction. Il n’a donc pas insisté pour que son père reste, et il s’est préparé pour la plus longue nuit de sa vie. Il s’attendait à être pris dès le premier tour. Il a attendu. Et attendu. Detroit l’a finalement sélectionné au deuxième tour avec le onzième choix. Il était déçu, certes, mais quand même soulagé. Il a signé un contrat d’un an avec une option pour une deuxième année. Kim Young est restée à Wichita et a conservé son emploi chez Cessna.

Young s’est séparé de Stanley peu de temps après la draft. L’agent avait conclu pour lui un accord de 500 000 $ avec Nike, mais la menace d’une grève planait et Piggie voulait avoir plus. « J’ai refusé, dit Young. J’ai refusé un demi-million de dollars. C’est la vérité. Nike allait me donner un demi-million pour mon année rookie, sans aucun engagement de ma part. » Vaccaro se souvient d’un coup de fil de Piggie, qui lui avait demandé un prix exorbitant pour que Young s’engage avec Adidas. Stanley parti, Carl et Kevin Poston sont devenus les agents de Young. Les deux frères comptaient parmi leurs clients les stars de la NFL Charles Woodson, Orlando Pace et Champ Bailey. « On a engagé des agents plus connus, indique Young. Ça a été la pire décision de ma vie. » « S’il faut jeter la pierre à quelqu’un, ce sont les Poston, approuve Stanley. Ils avaient déjà les mains pleines avec Rashard Lewis. Ils ont fait ça par cupidité. Ils savaient que le gamin avait du travail devant lui. Ils savaient qu’ils ne pourraient pas obtenir mieux que moi avec Nike, mais cela ne les a pas arrêtés. Ils sont allés les voir, lui et Piggie, et ils leur ont menti juste pour qu’ils viennent signer avec leur agence. Ils ont fait plus de mal au jeune que n’importe qui d’autre dans leur entourage à l’époque. »

Young devait encore faire ses preuves sur le terrain. Lorsque la saison écourtée de 1999 a démarré, les Pistons avaient un effectif de qualité avec Joe Dumars, Bison Dele, Jerry Stackhouse et Grant Hill. « Dans les couloirs, je l’écoutais parler, dit Dumars, aujourd’hui président des opérations de basket-ball de Detroit. Il avait du talent, mais on savait que les choses allaient être difficiles pour lui parce qu’il était très jeune. Il ressemblait à un lycéen qu’on avait jeté d’un coup dans le monde de la NBA. » L’encadrement de Detroit – notamment le directeur général de l’époque, Rick Sund – était toutefois intrigué par la taille de Young. La plupart des lycéens qui entraient dans la ligue à cette époque avaient besoin de temps pour que leur corps s’adapte. Avec ses 2,01 m et son corps ciselé, Young était déjà un homme.

« Grant Hill était l’un des meilleurs jeunes joueurs de la NBA à cette époque, et même l’un des meilleurs joueurs de la ligue, confie John Hammond, un assistant des Pistons qui est maintenant le directeur général de Milwaukee. On se disait entre nous, avec ironie mais [aussi] un peu sérieusement, que personne en NBA ne défendait sur Grant Hill aussi bien que Korleone Young. » Ce qui ne voulait pas dire que Young défendait efficacement sur Hill. Personne dans la ligue ne réussissait vraiment à l’arrêter à cette époque. Mais Young parvenait à rivaliser. « La plupart des vétérans ne forçaient pas trop à l’entraînement. Ils faisaient le minimum et reposaient leur corps, raconte Steve Henson, un arrière qui jouait avec les Pistons cette saison-là. Sauf Grant. Korleone avait fort à faire. Il affrontait l’un des meilleurs joueurs de l’époque. J’espérais que Korleone irait dans une autre équipe et parviendrait à s’adapter, mais cela n’est tout simplement pas arrivé. »

Sund décrivait Young comme un pari. Il ne l’aurait jamais pris au premier tour de draft, mais au deuxième tour, le risque étant faible par rapport aux bénéfices. Alvin Gentry, l’entraîneur de Detroit à l’époque, doutait que Young devienne un bon joueur. Il était dominateur dans la raquette au lycée, mais malgré ses qualités physiques, sa taille ne lui permettrait pas de faire de même en NBA. Il aurait besoin de développer son tir extérieur. « Son jeu devait s’améliorer dans beaucoup de domaines, explique Gentry. Il ne maîtrisait pas assez bien le ballon. Il devait faire la transition nécessaire pour passer d’intérieur à ailier. Défensivement, il devait progresser. Il avait énormément de travail. » D’après lui, Young a bénéficié d’une complaisance inhabituelle. « Nous l’avons gardé un an parce que nous avions pitié de lui. Nous ne l’avons gardé dans l’effectif que pour lui rendre service. »

Au fil du temps, le rôle de Young dans l’équipe est devenu flou. Parfois, l’organisation l’envoyait assister à des événements caritatifs pendant que l’équipe s’entraînait. Young commençait à se demander s’il faisait encore partie des Pistons. L’inactivité, l’argent et la vie nocturne ont commencé à le détruire. Il passait d’Auburn Hills aux clubs de strip-tease et aux discothèques du centre-ville de Détroit. Il n’avait que dix-neuf ans, mais Young savait déjà qu’on ne lui reprocherait rien s’il venait avec un coéquipier. Certains joueurs ont veillé sur lui. Young se souvient avec émotion d’avoir passé du temps avec Christian Laettner. Bison Dele, décédé tragiquement en 2002, lui a appris à conduire avec une boîte manuelle. Mais en raison de problèmes de dos, Young a passé la majeure partie de la saison sur la liste des blessés. Lorsqu’il a enfin pu jouer, les vétérans des Pistons lui ont demandé d’entre le premier sur le terrain. Excité, Young s’y est précipité pendant que la foule commençait à applaudir. Puis il a regardé en arrière et a vu quelque chose d’horrible : il était tout seul. Ses coéquipiers attendaient dans le tunnel en riant. Cette blague, dit-il, a été l’un des meilleurs et des pires moments de sa vie.

Young n’a joué que trois matchs cette saison-là. Detroit a refusé de le prendre pour une deuxième année. Il a passé l’automne suivant à essayer de rattraper son retard au camp d’entraînement de Philadelphie (Larry Brown, qui entraînait Philadelphie, est lui aussi diplômé de Hargrave). Un matin, alors qu’il se promenait en ville, deux hommes l’ont frappé par derrière et ont volé son argent et ses bijoux. Les Sixers l’ont coupé avant le début de la saison. Il avait gâché sa chance auprès de deux franchises, mais Young n’avait que vingt ans. Il pensait qu’il avait toujours un avenir en NBA. Et puis Piggie, Young et les joueurs AAU qui avaient accepté de l’argent en cachette se sont fait rattraper. En avril 2000, Piggie a été officiellement accusé d’avoir donné 35 550 $ aux joueurs, dont 14 000 $ à Young. L’argent provenait de Grant, le mécène de l’équipe, et de Nike, qui avait rompu le contrat alors lucratif de Piggie en janvier 1999. « On ne parle pas de 50 $, d’une paire de chaussures et d’un costume, a déclaré l’avocat Stephen L. Hill Jr. Il a payé ces joueurs dans l’espoir de récupérer son argent plus tard. »

L’enquête s’est concentrée sur Piggie, pas sur les joueurs ni sur l’origine de l’argent. « Nous avions l’impression que les joueurs n’étaient que de simples pions utilisés par Piggie pour faciliter son stratagème, a déclaré l’avocat assistant William Meiners. En raison de leur jeunesse et de l’absence d’antécédents criminels, nous pensions que des poursuites ne seraient ni accordées ni justifiées. » C’est de l’intérieur du programme qu’a été dévoilé le pot aux roses. Grant avait résilié le contrat de Piggie avec une indemnité de départ de six mois, après qu’un article dans The Basketball Times eut détaillé ses antécédents criminels (des antécédents que Piggie avait minimisés). Il a également été accusé d’avoir revendu illégalement des Nike qui lui avaient été données gratuitement. Andre Williams, parti à Oklahoma State, a fait part à Grant de son malaise quant aux dessous-de-table qu’il touchait quelques mois plus tard. Grant a interrogé Piggie, qui a tout nié. D’après le Kansas City Star, Grant a dit à Piggie qu’il ne lui donnerait plus le moindre sou, et quand Piggie a de nouveau nié, Grant lui a dit : « Myron, mon pote, on t’a enregistré », ce qui n’a pas plu à l’intéressé. Grant a donné aux autorités l’enregistrement, dans lequel Piggie discutait du montant des dessous-de-table avec Williams. « [Piggie] venait de forcer un millionnaire à le payer », déplore Young.

La plainte évoquait également 76 100 $ que Stanley et les Poston avaient donnés à Piggie. D’après l’acte d’accusation, Stanley lui avait versé 49 400 $. À l’époque, il a qualifié les paiements de prêts n’ayant jamais été remboursés. La plainte indiquait que Raveling, Piggie et Stanley s’étaient rencontrés à Las Vegas en juillet 1997 et avaient discuté des futurs revenus financiers de Young. Quelques jours plus tard, Stanley a donné 20 000 $ à Piggie. Piggie a plaidé coupable à l’accusation de complot, pour avoir escroqué quatre universités et la NCAA en payant des joueurs et en affectant leur éligibilité. Un juge fédéral l’a condamné à 37 mois de prison. « Les jeunes me connaissent et je les connais. Ils savent que je n’ai pas intentionnellement voulu blesser qui que ce soit, a déclaré Piggie le jour de son jugement. Et je suis désolé de la façon dont tout ça s’est passé. »

Aujourd’hui, Piggie a 51 ans et il maintient toujours sa version. Il a refusé de s’épancher sur son passé au téléphone. « Vous avez entendu plein de choses à mon propos, mais personne n’a jamais pris le temps de parler avec moi. Personne ne sait vraiment qui je suis. Les gens ont cru que je n’étais intéressé que par l’argent, mais avant même de penser que Korleone allait devenir pro, il y avait plus que ça. On dirigeait des gamins. L’argent était secondaire. Je voulais aider ces gosses, et essayer de faire s’épanouir un jeune homme qui avait vraiment besoin de conseils, parce qu’il n’avait pas de vraie figure paternelle et qu’il était mon cousin. Quand on m’a mis au courant, ce que j’ai fait, c’est d’essayer de lui donner de bons conseils pour qu’il devienne un homme. »

Même aujourd’hui, le point de vue de Young sur Piggie est contradictoire. Oui, Piggie a essayé de profiter de son talent. Mais il était aussi dans son intérêt que Young réussisse. Piggie ne s’est pas contenté de remettre des sacs remplis d’argent liquide. Il fournissait les 50 $ supplémentaires pour une inscription à un tournoi, ou même pour les crayons dont Young avait besoin pour l’école. Piggie était devenu son soutien, la figure paternelle que Young avait toujours recherchée. « C’était mon consigliere, explique Young. S’il me disait de faire quelque chose, je le faisais. Donc, c’est difficile de lui faire porter le chapeau pour les décisions que j’ai prises. Mais cela dit, quand vous êtes un enfant, il y a beaucoup de personnes qui vous influencent. » Certains considèrent Piggie comme un bouc émissaire commode dans un vaste réseau de corruption. « Piggie a trempé dans le trafic de drogue, c’est sûr, dit Stanley. Beaucoup des membres de l’AUA ne sont pas des enfants de chœur. Beaucoup viennent de la rue et décident ensuite qu’ils veulent aider les jeunes. Ils le veulent vraiment. J’en connais plusieurs en Amérique. »

« Les gens me demandent souvent quand les choses ont mal tourné, confie Young à Hicks. Je dirais après le lock-out, l’été suivant ma première année. J’avais été bon pendant les essais à l’intersaison, puis les Pistons m’ont convoqué et m’ont fait part de la mauvaise nouvelle. » Young était dévasté. C’était son premier échec. « J’étais vraiment dévasté parce que je ne voulais pas partir. Je croyais naïvement que c’était mon équipe. Je n’avais pas l’impression de pouvoir rebondir. Cet été-là, j’étais déprimé. J’avais 300 000 $ [en banque]. C’était plus qu’il ne m’en fallait. Je pouvais faire ce que je voulais. Mais j’étais si triste de ne plus être à Detroit que je suis allé acheter 120 000 $ de bijoux. L’année suivante, à Philadelphie, on me les volés en pleine rue. Je n’avais d’assurance que sur le quart d’entre eux. On m’avait mal conseillé. J’aurais dû les faire assurer. C’était une décision stupide. »

Hicks a arrêté Young : « Korleone, tu viens de dire que tu as commis une erreur en n’assurant pas ces bijoux. C’est vraiment ça, l’erreur ? Ce que tu viens de dire est un exemple parfait de la façon dont agit un enfant, pas un adulte. Il trouve un emploi, gagne mille dollars, et va s’acheter 800 $ de bijoux au lieu de penser à économiser pour payer son loyer. » Young a voulu répondre, mais le pasteur a persisté. « Oublie cette histoire de vol. Quelle leçon peux-tu en tirer pour éviter à un autre de faire la même chose ? » « Il faut être responsable », hasarde Young. « C’est cela. Être responsable, répète Hicks. Tu n’aurais pas dû penser à assurer ces bijoux. Tu n’aurais pas dû les acheter. »

Bien qu’il n’ait jamais été un espoir aussi coté, la chute libre de Young contraste fortement avec Garnett, McGrady et Bryant. Les Poston lui ont dit qu’ils ne représentaient pas les joueurs des ligues mineures et ont mis fin à leur partenariat après son départ de la NBA. Pendant des années, Young a travaillé dur à l’échelon inférieur. Sa première destination fut l’équipe de Rockford Lightning, de la Continental Basketball Association, où il a affiché des moyennes de 18,3 points et 7,3 rebonds sous l’égide de l’ancien Bull Stacey King. Il avait cessé de parler à la plupart des journalistes pendant cette période. « Mon rêve est de rejouer en NBA, a-t-il déclaré au Wichita Eagle dans une rare interview en juin 2001. C’est là qu’est ma place. »

Stacey King jouait un système offensif en Triangle, ce qui a valu à Young une invitation pour jouer en Summer League dans l’équipe des Lakers. Il n’avait encore que vingt-deux ans. « Ce qui est intéressant chez lui, en dehors des qualités qui lui ont permis d’être drafté il y a deux ans, c’est qu’il est encore jeune », a déclaré le directeur général des Lakers Mitch Kupchak au Los Angeles Daily News. Mais Young n’a pas réussi à intégrer l’effectif et il a passé l’automne avec les Canberra Cannons, en NBA australienne. Sa carrière s’est érodée à partir de là. Il s’est rompu le tendon d’Achille lors de son premier match. En janvier, il a eu un accident de voiture à Canberra. Il avait été en boîte de nuit et avait bu. Un ami lui avait proposé de le ramener, lui et son coéquipier Emmanuel D’Cress. « Pas la peine, je maîtrise », avait répondu Young.

Embrumé par l’alcool, Young a conduit comme s’il se trouvait aux États-Unis et non en Australie. Il a pris la mauvaise voie dans un rond-point. Il a évité une autre voiture et est parti dans le fossé avec son Holden. L’airbag s’est déployé et Young a été assommé. La radio jouait un rythme entraînant avant l’accident ; quand Young s’est réveillé, la musique passait au ralenti. Il pense que sa ceinture de sécurité lui a sauvé la vie – il porte encore aujourd’hui la cicatrice qu’elle a laissée sur son cou. Lorsqu’il a repris connaissance, il a peu à peu pris conscience de la situation. Il a regardé D’Cress, toujours assommé. Young prétend qu’il a ensuite porté D’Cress sur près de trois kilomètres jusqu’à son appartement. Puis il a appelé son entraîneur et l’a informé de l’accident. D’Cress avait une fracture des vertèbres cervicales. D’après les médecins, si Young l’avait porté sur une plus grande distance, il n’aurait plus jamais marché.

Après l’accident, les Cannons ont mis fin au contrat de Young et son ​​visa a été annulé. Il a envisagé de prendre sa retraite, puis s’est laissé embarquer dans un cycle autodestructeur. Même s’il y avait encore de l’intérêt pour lui en dehors des États-Unis, il s’est laissé aller. Les essais qu’il effectuait avec des équipes étrangères étaient des vacances payées. De 1999 à 2006, Young a fait des séjours en Australie, en Russie, en Chine et en Israël. Plus il voyageait, plus il s’éloignait de son rêve de retourner en NBA. Il a commencé à se considérer comme une victime. Il a bu, fumé, fait la fête, et il est tombé en dépression, accablé par les erreurs qu’il avait commises. « J’étais tellement stupide. Je vivais à crédit. J’avais un Ford Explorer. J’avais une Corvette. J’avais des mobylettes. J’étais un gosse. J’avais des jouets. J’étais un gosse avec des jouets. »

Young a engagé un conseiller financier pour gérer ses affaires. Mais il se sabordait lui-même. Il disait à la conseillère, une jeune femme, qu’il prévoyait de rendre visite à ses filles à Houston pendant quelques semaines. La conseillère lui donnait l’argent dont il avait besoin pour le voyage, puis Young quittait Houston au bout de quelques jours, rentrait chez lui et gâchait ce qui lui restait en achetant d’autres voitures, en allant dans toujours plus de boîtes de nuit, et en donnant toujours plus d’argent à ses amis et sa famille. Son père lui demandait de l’argent de temps en temps. Young lui donnait ce qu’il pouvait, quand il le pouvait. « [La conseillère] n’arrivait pas à me dire quoi faire, déclare Young. Elle m’écoutait. C’aurait dû être le contraire. J’aurais dû l’écouter. » Le cycle s’est poursuivi jusqu’à ce que plus aucune équipe étrangère ne veuille de Young. De retour à Wichita, la police l’a arrêté pour avoir manqué une audience concernant la pension alimentaire de ses enfants. Young a déclaré qu’il ne pouvait pas se permettre de la payer. C’était il y a quatre ans.

Young expire longuement. « J’ai essayé de me soigner, affirme-t-il. Mais j’étais trop déprimé. Je fais partie de ces athlètes qui n’ont jamais fumé de marijuana avant leur majorité. D’habitude, on expérimente ce genre de choses au lycée. Je n’ai pas essayé avant l’âge adulte. Je buvais un peu de bière, je piquais à ma mère des bouteilles de Colt 45. Les médicaments n’ont fait qu’aggraver les choses. J’ai été imprudent. » Hicks l’écoute attentivement. Il pense que Young peut aider les jeunes qui vivent la même chose que lui. D’après le Wichita Eagle, il y a entre 40 et 50 gangs à Wichita, avec plus de 4 000 membres en tout. Cent-trente jeunes ont participé au camp d’été de Hicks cette année. Vingt-cinq ont dû être expulsés suite à des altercations.

Plus tôt dans la journée, Young a discuté avec une voisine qui avait perdu deux de ses enfants à cause de la violence. Son mari assistait aux funérailles d’un voisin récemment tué. Hicks croit que Wichita, plus que jamais, a besoin de Korleone Young. « Tu n’atteindras jamais le moindre objectif sans commencer quelque part, et en ce moment, tu as un problème pour démarrer. » « Cela me tient vraiment à cœur aujourd’hui, car je ne vis pas dans la même ville que mes enfants, répond Young. Je serai toujours un papa à distance. Leur mère et moi, nous ne vivrons jamais ensemble. Et je ne vivrai jamais à Houston… » « Je dis aux hommes avec qui je parle qu’il y a des choses du passé contre lesquelles nous ne pouvons rien, renchérit Hicks. Mais je pense que chaque homme a la responsabilité de faire partie de la vie de son enfant, qu’il soit marié avec sa mère ou qu’il s’entende ou non avec elle. Ils ont cette responsabilité. Mais si tu ne payes pas de pension alimentaire, ce ne sera pas possible, parce que sa mère ne te laissera pas faire. Tu dois te relever et agir en homme. Trouver un emploi et trouver le moyen de prendre soin de tes enfants. Tu dois faire partie de leur vie. C’est essentiel. Il arrive un moment où il est presque trop tard. Je dis presque parce qu’il y a toujours une opportunité de s’impliquer dans leur vie, qu’ils soient adultes ou non. »

Pendant que que sa vie s’effondrait, Young s’est coupé du monde extérieur. Un drame l’obligea à revenir à la réalité. Le soir du 19 janvier 2011, Young s’est réuni avec sa famille et ses amis pour célébrer le quarante-et-unième anniversaire de son cousin, Deon White. Ils ont joué aux dés, bu et regardé le match entre les Mavericks et les Lakers. Young vivait ce qu’il pensait être une autre soirée tranquille et agréable. Puis on a frappé à la porte et tout a tourné au cauchemar. Terrell Cole et Andre Lovett étaient arrivés pour gâcher la fête. Cole avait été en prison pour une affaire de drogue en 2002, et avait été libéré sur parole en 2006. Après sa libération, il s’est associé à Lovett, un passionné de sport qui avait joué avec Biddy Basketball, à Wichita, quelques années après que Young eut commencé son parcours dans la même ligue. Apparemment, Cole et Lovett avaient entendu dire que les enjeux de la partie de dés étaient élevés. Ils avaient l’intention de cambrioler la maison. Young a ouvert la porte, a vu l’arme à feu dans la main de Cole et s’est enfui par la porte. Cole aurait tiré dans la direction de Young alors qu’il franchissait la porte en courant. La balle a touché Lovett à l’abdomen. Puis tout le monde a fui.

Plus tard dans la soirée, une Chevrolet Uplander bleue a laissé tomber un homme couvert de sang à l’entrée du centre médical Wesley. Lovett, 30 ans, est décédé le lendemain. Les autorités ont interrogé Young en tant que principal témoin dans le procès de Cole. L’accusation a ensuite diffusé une cassette vidéo de l’interrogatoire de Young. « Il s’est précipité, a armé son revolver et je suis parti, a déclaré Young au détective Dan Harty, selon le Wichita Eagle. Tout ce que je peux dire, c’est que c’était un individu afro-américain… Si vous avez [des portraits-robots], je pourrais peut-être être plus précis. » L’attitude de Young a changé lorsque l’agent Stella Boyd a remplacé Harty et son partenaire. Elle était plus proche de lui. « Vous savez que je vis ici, lui a dit Young. Les gens me connaissent. Ils vont se méfier si je parle à la police. »

The Eagle a rapporté que Young, en larmes, a finalement plié une feuille contenant six images jusqu’à ce que la photo de Cole apparaisse, seule. En marge de l’affaire, Cole a été inculpé d’intimidation aggravée de témoin pour avoir tiré un coup de feu dans une maison quatre jours après le meurtre de Lovett. La maison, où Young séjournait souvent, appartenait à la tante de Young. Au tribunal, Young a déclaré qu’il ne connaissait ni Cole ni Lovett et qu’il ne pouvait pas identifier l’un d’eux comme étant l’un des voleurs. Il a ajouté que le pliage lors de son audition ne devait pas être considéré comme une identification positive. « Si vous avez déjà regardé à travers un judas, vous savez à quel point les proportions d’un objet sont défigurées », a déclaré Young à la barre. Il a témoigné qu’il a ouvert la porte et a vu un homme en manteau sombre avec un fusil. « Cela m’a suffi. J’ai été le premier à sortir. » Les autres personnes présentes dans la maison n’ont pas non plus identifié les voleurs potentiels.

Cole, trente-deux ans, a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire en juillet. L’incident et le procès qui a suivi ont pesé sur Young. Il a dit qu’il s’est rendu compte plus tard qu’il connaissait quelques-uns des parents de Lovett et qu’il avait joué au basket avec ses oncles. Il n’aimait pas devoir témoigner. « Je n’étais pas sur le point de commencer une nouvelle vie, mais que puis-je faire maintenant ? Non seulement ils me forcent à balancer, mais ils me font aller au tribunal. Et le plus triste, c’est que je ne peux rien faire. Mais la vie continue. »

Pendant des années, Young s’est senti coupable d’avoir été le premier à sortir. Il peut enfin se promener en ville sans gêne. « J’ai déjà affronté la mort. Si quelqu’un entrait et me mettait [un pistolet] sur la tête, cela ne me ferait rien. Si on me donnait une chance de réfléchir avant de mourir, je pourrais peut-être bluffer. Je dirais au mec de tirer. De devenir célèbre. J’ai vécu ma vie. Je vais ailleurs. Merci. J’espère que j’irai au ciel. Au paradis. Je ne suis pas suicidaire. Je n’ai pas envie de mourir. Mais quand je partirai, je veux que ce soit bien fait. »

« Je pense que tu fuis, avance Hicks. Je veux savoir ce qu’il y a en toi. Où est ta douleur ? Où est ta blessure ? Que ressens-tu ? Comment te sens-tu ? Parce que si tu te sens mal dans ta peau au point de te laisser aller, tu ne pourras aider personne parce que tu n’as pas accepté le fait que ce qui s’est passé est arrivé. Tu dois avancer. Tu ne peux pas changer le passé, mais tu peux décider de ton avenir. C’est ce que je veux te voir faire. « Je veux travailler avec les jeunes, affirme Young. Mais comment ? » « Ton but dans la vie était de devenir un joueur de basket-ball, a répondu Hicks. Maintenant, tu en as un autre. Lequel ? Découvre-le et lance-toi. »

La discussion s’est terminée de manière classique. Young a promis de venir plus souvent. Comme d’habitude, Hicks était dubitatif. « Il dit toujours que le Seigneur a besoin de moi, a déclaré Young par la suite. Il le dit depuis que nous nous sommes rencontrés. Et peut-être qu’Il a besoin de moi. Mais il faudra attendre que je sois vraiment prêt. » Young s’est assis à la table d’un restaurant local. Un client lui demande s’il a été joueur de basket. « Non. J’ai fait du golf », répond-il, le visage impassible.

Quand on l’aborde dans la rue, Young se montre poli. Il connaît sa réputation et, par sa gentillesse, il veut dévier la conversation sur un sujet autre que lui. Après avoir répondu à un coup de fil, Young poursuit son récit. « Les gens ne se rendent pas compte de ce que vit un athlète. On ne t’apprend pas tout ce que c’est. Tu dois en découvrir beaucoup par toi-même. Je suis passé par là. Je ne [connaissais] personne dans le même cas que moi. Celle qui vient de m’appeler – ma mère – je l’aime à en mourir, mais elle vit au jour le jour. Je n’ai jamais travaillé de ma vie. Un jour, j’ai quand même trouvé un travail grâce à mon meilleur ami. J’ai forcé le passage. Ils m’ont demandé mon CV. Je leur ai simplement dit : En fait, je n’en ai pas. Mais si vous voulez bien de moi, j’aimerais beaucoup travailler pour vous. Regardez qui je suis sur Internet. Mon CV, c’est ma carrière de basketteur et ma connaissance de différentes cultures. »

La voix de Young se brise. Il se met à pleurer en parlant de ses trois filles. Même s’il reste évasif, ilrévèle tout de même : « Ce qui me fait vraiment souffrir, c’est d’être un père à distance. Je n’ai rien et je n’ai même pas mes enfants. Je ne serai jamais avec eux, continue Young en serrant son téléphone portable fissuré. Les deux plus grandes ont des iPhones et tout. Je leur paye leurs factures et des trucs comme ça. Tout le monde pense que ce n’est rien. Mais putain, c’est important. Parce que j’ai traversé beaucoup de choses. Tout le monde veut être réconforté de temps en temps. Le succès, c’est bien, mais tout le monde veut savoir qu’on l’accepte. Qu’on l’aime. »

Des larmes coulent sur ses joues. Sa voix se devient dure. « Putain d’argent. Je peux le dire maintenant. À un moment donné, l’argent m’a transformé et m’a rendu heureux. J’ai failli devenir riche… Mais maintenant, c’est du passé. Je ne serai jamais chez moi avant d’être marié. Sérieusement. J’ai toujours vécu dans la maison de ma mère. J’y resterai jusqu’à ce qu’elle meure. Le plus tard possible, j’espère. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de choses. Ma mère est l’une d’entre elles. Si je ne l’avais pas, je serais mort, c’est sûr. Dans un cercueil. Mort. Nous n’avons plus que nous deux. C’est tout ce dont j’ai besoin maintenant. »

« Si je ne réussis jamais dans quoi que ce soit d’autre – je l’ai dit à mes amis – assurez-vous que les gens sachent que j’ai été quelqu’un de bien. Si je meurs, j’espère qu’on ne dira pas trop de mauvaises choses à mon sujet. Mes amis détestent quand je parle comme ça. Ils croient que je vais rebondir. Quelquefois, je n’ai plus goût à rien. Quand je regarde ma mère, je suis prêt à tout laisser tomber. Je ne suis pas assez fort. Je fais du mal à tout le monde. Je ne peux même pas lui offrir un soutien financier. Si j’étais mort, la vie serait plus facile. Une personne de moins dont elle doit s’occuper. Vous imaginez ? Un athlète professionnel qui a besoin que sa mère s’occupe de [lui]. On survit avec l’allocation pour adultes handicapés. » Le lendemain, Kim a sangloté en parlant de son fils. « On se dispute tellement que c’en est pathétique. Parfois, j’ai l’impression qu’il me déteste. C’est comme s’il ne voulait pas de moi comme mère. »

En février, après un match entre les Milwaukee Bucks et le Orlando Magic, Al Harrington a repensé à son affrontement contre Korleone Young au lycée. « C’était un bon match. Nous avions perdu. Mais c’était un match très excitant parce qu’il était juste derrière moi [dans le classement des meilleurs joueurs], deuxième ou troisième, je ne sais plus. Je pense que j’ai mieux joué. Mais son équipe a gagné. » Harrington a joué quinze saisons en NBA – une pour chaque minute de la carrière de Young. « Je me pose toujours des questions à son sujet, s’inquiète Harrington. Je n’ai plus entendu parler de lui depuis des années. Qu’est-il devenu ? »

Voilà une question qui revient souvent chez les joueurs et le personnel de la NBA qui se souviennent de l’adolescent talentueux et sculptural. « C’est vraiment triste, confie Gentry, aujourd’hui assistant des Clippers. C’était l’archétype du jeune joueur d’aujourd’hui, qui va à l’université pendant un an avant de passer pro. Je pense que ces joueurs devraient y rester au moins deux ans… Korleone était un de ces jeunes qui, s’il était allé à l’université rien qu’un an, aurait pu avoir une carrière décente. Mais il avait tellement de lacunes dans la plupart des domaines qu’il n’était tout simplement pas prêt. Il n’était pas prêt pour cette ligue. »

Stanley, l’agent de Young, n’avait pas non plus de ses nouvelles depuis des années. « La ligue ne sélectionne pas de joueurs prêts pour la NBA, a-t-il déclaré. Les équipes les développent. Ce qu’ils recherchent, ce sont des joueurs prêts à travailler, qui en montrent assez pour voir à quoi peut ressembler le résultat final. » Young avait tout, sauf la volonté de grandir. « Je me fiche de ce que disent les gens. Si Korleone avait eu un père présent pour lui et la maturité nécessaire, il aurait pu jouer au basket pendant quatorze ou quinze ans. Aucun doute là-dessus. Même avec le recul, je suis prêt à parier tout ce que je possède. »

Piggie pense que la carrière de Young se serait épanouie s’il était resté à ses côtés. « Après ce qui s’est passé, tout le monde m’a laissé tomber. À cause des mensonges que les journaux avaient écrit. Ils ne voulaient plus rien avoir à faire avec moi. Ils avaient peur. Et ils l’ont laissé tout seul, sans personne à ses côtés. C’est vraiment dommage, indique Piggie en parlant de la carrière tronquée de Young en NBA. Si j’avais su alors ce que je sais maintenant, il ne serait jamais, jamais allé jusqu’au [deuxième] tour de draft. Il serait allé à l’université. Je dirai ceci : les gens qui occupaient des postes plus importants que moi l’ont très mal guidé. »

Taylor, le deuxième entraîneur de Young en AUA, se souvient avoir dû le pousser. « En y repensant, je ne sais pas s’il aimait le basket tant que ça. Je lui ai donné tout ce qu’il fallait pour réussir, et je n’ai jamais compris pourquoi il n’en a pas profité. Je me suis disputé avec lui comme dans une relation père-fils, quand on veut que son fils fasse quelque chose et que lui ne veut pas. »

La vie continue pour Al Harrington, pour Gentry, pour Stanley et pour les autres. La vie de Young est suspendue dans le temps, un ruban de Möbius rempli d’hypothèses. Et si son père avait assumé son rôle ? Et s’il n’avait jamais quitté Wichita East ? Et s’il était allé à l’université ? Et s’il s’était vraiment consacré au jeu ? Et s’il avait su ce qui l’attendait en NBA ? Et s’il avait été responsable plus tôt ?

Où est Korleone Young maintenant ? Là où il a commencé, essayant toujours de faire quelque chose de sa vie. « J’aime être loin des gens, conclut Young. Je ne voulais pas répondre à beaucoup des questions auxquelles je devais faire face. Je me referme sur moi-même, comme une huître… Je me suis fait beaucoup de mal en fuyant, en me cachant. Je suis toujours aux prises avec ma dépression. Je n’arrive tout simplement pas à remonter la pente. »

« Malice at the Palace »

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« Malice at the Palace ». C’est le nom donné à l’événement survenu en NBA le 19 novembre 2004, le plus incroyable du nouveau siècle et le plus traumatisant du mandat de David Stern en tant que commissionnaire. La vidéo de l’incident a été vue, revue, et retirée de YouTube pour violation des droits d’auteur plus que tout autre clip relatif à son sport. Bill Walton, alors commentateur pour ESPN, le qualifiera du « pire moment jamais vécu en trente ans de NBA ». Ce qui s’est passé cette nuit-là est allé bien au-delà des millions de dollars d’amendes et des nombreux matchs de suspension infligés par la ligue. Voici l’histoire en détail.

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1er juin 2004. Les Detroit Pistons éliminent de la course au titre les Indiana Pacers après une Finale de Conférence Est électrique. Les Pistons ont enlevé un sixième match décisif, profitant notamment des performances décevantes de Jermaine O’Neal et Jamaal Tinsley, deux des joueurs-clef d’Indiana. Quinze jours plus tard, Detroit bat les Lakers en finale pour remporter, à la surprise générale, le titre de champion NBA. Les Pacers ont ruminé leur défaite tout l’été ; sur le papier, leur équipe était meilleure que celle des Pistons, et ils avaient le sentiment d’avoir laissé passer leur chance. Bien qu’ayant des styles de jeu similaires, les deux équipes ne s’aimaient pas ; c’était une rivalité à l’ancienne, comme celle entre les Knicks et les Bulls. Le triomphe des Pistons a donc laissé les Pacers particulièrement amers.

Durant l’intersaison, Indiana renforce ses troupes en recrutant Stephen Jackson, un excellent petit ailier au jeu très intense. Avec Reggie Miller (futur Hall of Famer), l’intérieur Jermaine O’Neal (All-Star) et le défenseur de l’année Ron Artest, les Pacers se positionnent parmi les favoris dans la quête du titre. Les Pistons, quant à eux, conservent sans surprise les joueurs qui leur avaient permis de remporter le titre (le colosse Ben Wallace, son homonyme Rasheed, l’arrière Rip Hamilton, le meneur Chauncey Billups, et le longiligne ailier Tayshaun Prince) et renouvellent simplement leur banc : Corliss Williamson, Mehmet Okur et Mike James s’envolent vers d’autres horizons, pendant que Antonio McDyess, Carlos Delfino et Derrick Coleman rejoignent l’effectif.

Deux semaines à peine après le début de la nouvelle saison, les Pacers retrouvèrent les Pistons pour la première fois depuis leur défaite en play-offs, et dominèrent la rencontre. Les Pistons revinrent à moins de cinq points au quatrième quart-temps, avant de rater leurs dix tirs suivants. Indiana en profita pour creuser l’écart, grâce notamment à deux tirs à trois points d’Austin Croshere et de Stephen Jackson. Mais le match était devenu de plus en plus agité. Au cours du quart-temps, Rip Hamilton avait donné un violent coup de coude dans le dos de Jamaal Tinsley, qui aurait pu facilement valoir une faute flagrante. Finalement, à cinquante-sept secondes de la fin, Stephen Jackson réussit deux lancers francs pour donner à Indiana une avance insurmontable : 97 à 82.

À cet instant, le match était plié, mais la tension était toujours présente. On pouvait sentir des deux côtés une certaine animosité. Un membre de l’équipe des Pacers – dont l’histoire n’a pas retenu le nom – souffla à Ron Artest : « C’est bon, tu peux t’en faire un », ce qui signifiait qu’il pouvait régler ses comptes avec un joueur adverse. Artest décida de « se faire » l’intérieur Ben Wallace, qui l’avait balancé un peu plus tôt dans la structure du panier en bloquant son double-pas. Sur l’action suivante, il commit une grosse faute sur Wallace, en train de partir vers le cercle. En réaction, Wallace repoussa violemment Artest, le faisant reculer jusqu’à la table de presse.

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La colère de Wallace était compréhensible. Le match était terminé, et la faute inutile et d’une violence inhabituelle, ce qui explique sans doute pourquoi le joueur des Pistons a réagi comme il l’a fait. Mais Wallace traversait aussi une épreuve difficile : son frère Sam était décédé la semaine précédente et il revenait tout juste sur les parquets après avoir manqué deux matchs. Pendant que les arbitres et plusieurs joueurs des deux équipes cherchaient à éloigner un Wallace hors de lui, Artest décida inexplicablement de s’allonger sur la table de marque, les mains croisées derrière la tête, en attendant que tout se calme.

D’une certaine manière, Artest a fait preuve de provocation en se couchant sur cette table. Il a attrapé le casque radio d’un commentateur comme s’il allait s’adresser aux téléspectateurs, et paraissait plein d’arrogance. Il est resté allongé sur la table pendant une bonne minute et demie, sous les cris et les obscénités des supporters de Detroit. Les autres joueurs présents sur le terrain au moment de l’incident (O’Neal, Jackson, Tinsley et Fred Jones pour Indiana ; Rasheed Wallace, Hamilton, Hunter et Smush Parker pour Detroit), les entraîneurs et les arbitres étaient au milieu du terrain, en train de calmer Wallace. Personne ne se soucia donc de faire descendre Artest de la table. Fatigué, Wallace jeta finalement son brassard en direction de son adversaire, sans que celui-ci  réagisse.

C’est à ce moment-là que tout dégénéra.

En s’allongeant sur la table de marque, Artest avait éliminé les barrières entre les joueurs et la foule – en principe, le banc et les responsables de presse font séparation. Artest était toujours en position couchée lorsqu’un spectateur jeta sur lui un gobelet en plastique rempli de bière et de glaçons. Artest, qui avait un tempérament explosif, n’était pas du genre à prendre quelque chose au visage sans riposter : il s’est immédiatement levé, et a sauté par-dessus les journalistes pour charger dans les tribunes.

La suite est assez difficile à décrire car il se passa plusieurs choses en même temps. En cherchant à rejoindre les tribunes, Artest piétina Mark Boyle, le commentateur radio des Pacers, lui infligeant des micro-fractures à cinq vertèbres. Mike Brown, l’entraîneur assistant d’Indiana, tenta d’arrêter son joueur, rata son coup, et continua à le poursuivre jusque dans les gradins. Artest attrapa celui qu’il croyait être le lanceur et le secoua violemment, sans s’apercevoir que le vrai coupable était son voisin. (Contrairement à la rumeur, il n’a frappé personne ; il a juste attrapé l’individu par le col.) Les autres spectateurs, voulant défendre l’agressé, s’en prirent aussitôt à lui.

Le spectateur qui avait réellement jeté le gobelet (un certain John Green) tenta d’attraper Artest par le cou. Au même moment, un autre spectateur jeta une bière sur Artest à bout portant, aspergeant au passage Stephen Jackson, venu prêter main-forte à son équipier. Jackson, aussi soupe-au-lait qu’Artest, riposta avec un grand coup de poing. Fred Jones, qui avait rejoint les deux joueurs, évita de peu une énorme droite lancée par David Wallace, un autre frère de Ben. Et Mike Brown, qui essayait de faire sortir Artest des tribunes, se fit lâchement frapper par derrière par Green. Les joueurs et les entraîneurs des deux équipes se précipitèrent alors à leur tour pour tenter d’arrêter les dégâts.

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La réaction d’Artest, aussi excessive soit-elle, était prévisible. Si vous faites défiler la liste des trente équipes ayant joué la saison 2005, et que vous vous demandez quels sont les deux équipiers les plus à même de déclencher une bagarre dans les tribunes, les grands favoris sont Artest et Jackson, deux joueurs qui pouvaient disjoncter subitement sans étonner personne. Quand on sait que les supporters des Pistons ont été hostiles toute la soirée, aucune personne suivant régulièrement la NBA n’a été surprise de voir Ron Artest et Stephen Jackson en train de se battre avec les spectateurs au troisième rang du Palace. (Jackson a d’ailleurs largement surpassé son équipier, envoyant des rafales de coup de poing dans les gradins comme s’il était en pleine crise de nerfs.)

À cet instant, le match se transforma en un véritable chaos. Jermaine O’Neal, qui voulait suivre le mouvement, en fut empêché par son garde du corps personnel. Jamaal Tinsley envoya valser un journaliste du Detroit News, qui lui barrait l’accès aux tribunes, et rejoignit la mêlée. Elden Campbell quitta le banc et, avec Rasheed Wallace, monta à son tour dans les gradins pour essayer de calmer les choses. Rick Mahorn, l’ancien « Bad Boy » devenu commentateur radio, tenta de séparer tout le monde, en s’efforçant de protéger les marqueurs officiels qui se trouvaient à ses côtés. Derrick Coleman prit sous son aile les ramasseurs de balle, dont le jeune fils de Larry Brown, l’entraîneur des Pistons. Les autres joueurs des Pistons – Darvin Ham, Antonio McDyess et Tayshaun Prince – restèrent sur le parquet, incrédules, à regarder le spectacle.

La question que l’on peut se poser à ce moment là est : mais que faisait la sécurité ? Il n’y en avait aucune. Le Place d’Auburn Hills était l’une des plus grandes arènes de la NBA et pouvait accueillir 22 000 personnes. Les agents de sécurité auraient dû grouiller dans le bâtiment, mais il n’y avait que trois policiers, tous dépassant la cinquantaine, pour gérer les choses. Aucun d’entre eux n’a pu empêcher les gens de sauter les uns par-dessus les autres et se joindre à la bagarre. Calmer les joueurs était tout aussi impossible ; lorsqu’un garde prénommé Mel tenta d’attraper O’Neal par la taille, celui-ci le balança au loin comme une poupée de chiffon. Un spectacle incroyable.

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Artest est resté dans les tribunes pendant quarante secondes, avant de se faire tirer vers le banc d’Indiana. De bonnes âmes tentaient de séparer les fans et les joueurs, mais la situation ne se calmait pas. Au contraire, elle semblait devenir de plus en plus périlleuse. La sécurité en sous-effectif était tellement préoccupée par ce qui se passait dans les tribunes que plusieurs personnes en profitèrent pour descendre sur le parquet et défier les joueurs. Alvin Shackleford et Charlie Haddad, deux supporters des Pistons, approchèrent d’Artest, dont le maillot était déchiré, et une nouvelle altercation s’ensuivit. Artest frappa Shackleford, et Jermaine O’Neal, arrivé en renfort, mit Haddad K.O. d’un énorme coup de poing. Il le frappa avec une telle violence que s’il n’avait pas glissé sur du liquide répandu au sol avant de le frapper, il l’aurait peut-être tué.

La vue des spectateurs frappés par Jackson et O’Neal a rendu les fans des Pistons encore plus furieux. Ils ont hué de plus belle et se sont mis à lancer sur le terrain tout ce qui leur tombait sous la main. Un supporter des Pistons a même jeté dans les tribunes une chaise en métal, occasionnant des blessures à plusieurs spectateurs. À cet instant, la police, introuvable pendant les dix premières minutes, entra enfin en action avec des sprays au poivre. Reggie Miller, qui ne jouait pas et avait suivi le match depuis le banc des Pacers en tenue de ville, supplia les policiers de ne pas l’asperger : « S’il vous plaît, non ! Je porte un costume à cent dollars ! » Le consultant NBA William Wesley quitta son siège, éloigna Artest de Haddad et Shackleford, et empêcha la police de le gazer, parvenant à le ramener de l’autre côté du terrain.

Tout le monde avait compris que les joueurs et les entraîneurs d’Indiana devaient rentrer au vestiaire le plus vite possible. Malheureusement, cela signifiait les escorter à travers le tunnel… au milieu des fans furieux. Larry Brown, l’entraîneur des Pistons, attrapa un micro pour demander aux supporters de se calmer, mais ce qui se déroulait sous ses yeux était tellement confus qu’il ne put prononcer un mot. Chaque fois que la situation paraissait sous contrôle, un nouveau combat éclatait. La violence était à son comble. Il y avait des blessés et des enfants en pleurs, dont le plus jeune fils de Darvin Ham, que les caméras de télévision montrèrent en train de sangloter, consolé par son frère. À cet instant, personne n’aurait été étonné de voir quelqu’un sortir un couteau ou un revolver. C’est dire à quel point la situation était inquiétante.

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Artest fut raccompagné vers les vestiaires sous une pluie de déchets et de projectiles. Stephen Jackson le suivit, en hurlant et en agitant les bras avec un air de défi pendant que les gens lui jetaient de la bière. O’Neal lui emboîta le pas, s’arrêtant pour insulter un fan qui avait jeté un objet, avant de se faire éloigner par Wesley et d’autres. Jamaal Tinsley, qui avait quitté le terrain, revint en brandissant un balai au-dessus de sa tête, mais fut renvoyé dans les vestiaires avant qu’il ne puisse en découdre. Finalement, de manière inattendue, les joueurs et les entraîneurs des Pacers sortirent tous en sécurité.

Une fois dans les vestiaires, les joueurs et les entraîneurs des Pacers restèrent debout, incrédules, en se demandant quoi faire. L’ambiance était surchauffée et les joueurs très en colère. Rick Carlisle, l’entraîneur, tenta de calmer les esprits, mais il fut pris à partie par O’Neal, qui l’accusa d’être intervenu à mauvais escient. Une nouvelle bagarre entre les joueurs et l’encadrement faillit s’ensuivre. Ce fut en voyant l’état de Mike Brown, les vêtements trempés et déchirés et la bouche pleine de sang, que les deux camps prirent conscience qu’ils étaient dans le même bateau et finirent par se calmer. Le match fut officiellement annulé avec 45,9 secondes à jouer. Score final : Indiana 97, Detroit 82.

Mais la soirée n’était pas encore terminée pour les Pacers. Ils devaient encore sortir de l’arène sans qu’aucun membre de l’équipe ne soit arrêté. Les policiers voulaient appréhender Artest, Mike Brown (accusé d’avoir agressé un spectateur par derrière) et un autre joueur. Mais le deuxième entraîneur assistant des Pacers, Kevin O’Neill, a rapidement envoyé tout le monde dans le bus qui les avait amenés jusqu’à l’arène. Les policiers ont voulu faire descendre les joueurs, qui ont refusé, et après avoir longuement discuté, O’Neill a obtenu des services de police qu’ils n’arrêtent personne, et interrogent les joueurs ultérieurement après examen de la vidéo.

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En fin de compte, la bagarre s’est bien terminée ; de manière incroyable, personne n’a été gravement blessé. Mais il était évident que des sanctions seraient prises. La ligue a agi dès le lendemain. David Stern a publié une déclaration qui commençait ainsi :

« Les événements du match d’hier soir étaient choquants, répugnants et inexcusables. Ils ont couvert de honte toutes les personnes associées à la NBA. Ceci démontre pourquoi nos joueurs ne doivent pas monter dans les tribunes, quels que soient les provocations ou le comportement des personnes assistant aux matchs. Une enquête est en cours et je m’attends à ce qu’elle soit terminée d’ici demain soir. »

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Épilogue

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Ron Artest a été suspendu sans salaire pour le reste de la saison 2004-2005. Il a raté 86 matchs (73 de saison régulière et 13 de play-offs) et a purgé la suspension non-relative à la drogue la plus longue de l’histoire de la NBA. Il a également dû payer près de 5 millions de dollars d’amende. La saison suivante, Artest n’a joué que 16 matchs pour Indiana ; il a été placé sur la liste des joueurs inactifs, puis, le 25 janvier 2006, a été échangé à Sacramento contre Peja Stojakovic.

Stephen Jackson a été suspendu pour 30 matchs (sans salaire).

Jermaine O’Neal a été suspendu pour 25 matchs (sans salaire), avant de voir sa sanction réduite à 15 matchs.

Anthony Johnson, le meneur remplaçant des Pacers, a été suspendu cinq matchs (sans salaire).

Reggie Miller a été suspendu un match.

Ben Wallace a été suspendu six matchs.

Chauncey Billups, Elden Campbell et Derrick Coleman ont été suspendus un match.

John Green (le spectateur qui avait jeté le gobelet sur Artest) a été condamné à 30 jours de prison et deux ans de mise à l’épreuve pour voies de fait et coups et blessures.

Charlie Haddad, le spectateur assommé par O’Neal, a déposé plainte contre Anthony Johnson, O’Neal et les Pacers. O’Neal a été condamné à payer 1 686,50 $ à Haddad, qui a reçu une peine de deux ans de probation pour être entré sur le terrain sans autorisation et déclenché une bagarre. Il a été condamné à 100 heures de travaux d’intérêt général et à suivre un programme de travail de dix week-ends consécutifs dans un comté.

David Wallace a été condamné à un an de mise à l’épreuve et à des travaux d’intérêt général.

Bryant Jackson, le spectateur qui avait jeté la chaise dans les gradins, a été retrouvé après la diffusion sur internet de la vidéo de l’incident par la police locale. Il a été accusé d’agression et de coups et blessures, et a été condamné à une peine de probation de deux ans et à une amende de 6 000 $.

O’Neal, Artest, Jackson, Johnson et le pivot remplaçant des Pacers David Harrison ont accusés de voies de fait et de coups et blessures. Les procureurs du comté d’Oakland les ont condamnés à 250 $ d’amende chacun et un an de travaux d’intérêt général avec sursis. Cinq supporters des Pistons (John Green, William Paulson, Bryant Jackson, John Ackerman et David Wallace) ont été bannis du Palace à vie.

Les Pistons ont à nouveau rencontré les Pacers au deuxième tour des play-offs de 2005. Ils l’ont emporté en six matchs et sont allés jusqu’en finale pour la deuxième année consécutive, perdant contre San Antonio après une série de sept matchs extrêmement serrée.

Juste avant la bagarre, les Pacers avaient plié le match face aux Pistons et s’étaient légitimement positionnés en tant que l’équipe à battre en 2005. En l’espace de cinq minutes, tout est parti en fumée. L’année suivante, ils ont perdu au premier tour contre New Jersey, puis ont raté les play-offs les quatre années suivantes. Reggie Miller a pris sa retraite ; O’Neal est devenu une star grincheuse et trop payée exploitant mal son talent ; Jackson et Jamaal Tinsley ont été arrêtés après une fusillade à l’extérieur d’un club de strip-tease ; et Shawne Williams a été arrêté pour possession de marijuana en 2007. Les Pacers ont échangé Jackson à Golden State en 2007 contre Mike Dunleavy et Troy Murphy, O’Neal a fait ses bagages pour Toronto en 2008 et Tinsley est parti en 2009 après avoir reçu l’interdiction de jouer suite à l’incident du strip-club. Les fans en sont arrivés à détester tellement l’équipe que les Pacers ont affiché le plus mauvais taux d’affluence de la ligue, avec 12 000 sièges occupés en moyenne par match contre 17 000 avant l’incident du Palace, et ils ont failli déménager après avoir perdu 30 millions de dollars en 2009. Avec Larry Bird en tant que président des opérations, ils ont fini par se reconstruire avec des joueurs comme Danny Granger, Paul George et Tyler Hansbrough. Mais cela a duré six ans, et l’équipe a souffert de façon spectaculaire.

La NBA, pour finir, a tiré les leçons de l’incident et instauré de grands changements, concernant notamment la politique de la ligue en matière d’alcool et les relations entre les joueurs et les supporters. Comme Stern l’a déclaré un an après la mêlée :

« Premièrement, les joueurs ne peuvent pas monter dans les tribunes. Ils doivent laisser faire la sécurité et ne pas se faire justice eux-mêmes. Deuxièmement, les supporters doivent être responsables car ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent juste en achetant un billet. Troisièmement, nous devons continuer à revoir et mettre à jour nos procédures sur la sécurité et le contrôle des foules. »

#74 : Joe Dumars

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

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JOE DUMARS

14 ans de carrière dont 7 de qualité.
6 fois All-Star.
MVP des Finales 1989.
Parmi les 10 meilleurs joueurs de la NBA en 1993, top 15 en 1990 et 1991.
Cinq fois dans le meilleur cinq défensif de la NBA.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 21 points, 2 rebonds et 5 passes décisives de moyenne.
Deuxième meilleur joueur d’une équipe deux fois championne (Detroit Pistons, 1989 et 1990).

*****

Côté pile :

Choisi à une (trop) lointaine 18ème position à la draft de 1985, Dumars était le seul type bien de l’escadron des « Bad Boys » de Detroit, un magnifique joueur altruiste, respecté par ses adversaires, qui auraient tous adoré jouer avec lui. Il élevait son niveau de jeu quand il le fallait et pouvait être décisif dans les moments chauds. C’était aussi un grand défenseur ; en dehors de John Starks, personne n’a été aussi efficace pour marquer Michael Jordan. Au milieu des années 90, Dumars s’est également distingué par sa classe et son professionnalisme, à une époque où la NBA était aux prises avec de gros problèmes de comportement. Et après sa carrière, il est resté sous les projecteurs en construisant l’équipe de Detroit championne en 2004, avec toujours la même classe et en jouant avec les médias mieux que personne.

Côté face :

Ceci étant dit, Dumars n’a jamais été un joueur transcendant ou capable de porter une franchise. Il a été écarté de la « Dream Team » de 1992 et son titre de MVP des Finales de 1989 a été obtenu après un sweep en quatre matchs contre une équipe des Lakers vieillissante qui a perdu Magic Johnson et Byron Scott au milieu de la série. Durant les derniers instants de certains matchs de play-offs cruciaux (le Match 5 de la finale de 1990, par exemple), Dumars restait sur le banc, laissant sa place à Vinnie Johnson. Et lorsque le temps a fait son effet sur les Pistons après les play-offs de 1992, Dumars est devenu le joueur dominant d’une équipe qui a remporté les saisons suivantes 40, 20 et 28 matchs. Il est totalement impossible, selon ces critères, que quelqu’un puisse prouver que Dumars était meilleur que Sidney Moncrief ou Dennis Johnson. C’est probablement le moins bon des trois. Mais il mérite largement sa place dans ce classement.

#80 : Bailey Howell

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

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BAILEY HOWELL

12 ans de carrière dont 10 de qualité.
6 fois All-Star.
Parmi les 10 meilleurs joueurs de la NBA en 1963.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 22 points, 12 rebonds et 2 passes décisives de moyenne.
Titulaire dans deux équipes championnes (Boston Celtics, 1968 et 1969).

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Côté pile :

Bailey Howell était le Bobby Dandridge des années 60, et il a largement aidé les Celtics à remporter deux titres en 1968 et 1969. Pour avoir une idée du joueur qu’il était, relisez le portait de Dandridge : leurs profils sont presque similaires. Howell était le joueur le plus complet de son époque, celui qui faisait le sale boulot et que tout le monde rêve d’avoir sur un terrain. Des qualités que les spectateurs et les médias ne voient malheureusement pas.

Côté face :

Ceci dit, vous en entendez souvent parler, vous, de Bailey Howell ? Probablement pas. S’il est classé à cette place, c’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire sur lui. Comme Dandridge, c’est une légende oubliée, et le fait qu’il ait probablement été le joueur le plus laid des années 60 n’a pas aidé. On se demandait s’il n’avait pas des boulons dans la nuque. La seule raison pour laquelle il passe Dandridge au classement est parce que contrairement à lui, il est au Hall of Fame. Même s’il a fallu attendre vingt-sept ans pour qu’il y entre. Le Hall of Fame du Basket-ball, c’est nul.

#82 : Dave Bing

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

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DAVE BING

12 ans de carrière dont 8 de qualité.
7 fois All-Star.
« Rookie de l’Année » en 1967.
Parmi les 5 meilleurs joueurs de la NBA en 1968 et 1971, top 10 en 1974.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 25 points, 5 rebonds et 6 passes décisives de moyenne.
Un titre de meilleur marqueur de la saison.

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Côté pile :

Les qualités de Bing : il a été sélectionné parmi les 50 meilleurs joueurs de l’histoire de la NBA en 1996, a aligné des chiffres impressionnants au cours de son pic offensif (de 1967 à 1973) et a été sélectionné deux fois dans le premier cinq majeur de la NBA. En plus de cela, Bing avait une bonne hygiène de vie, d’excellentes relations avec les médias et était très impliqué dans des actions caritatives. Après sa retraite, il est devenu l’un des hommes d’affaires Noirs les plus importants du pays, a fondé l’Association des Joueurs Retraités de la NBA et la ville de Détroit lui a décerné son trophée « Humanitarian of the Year » en 1985.

Au cours de sa carrière, Bing a aussi été touché par des problèmes de vue, au point de devenir aveugle d’un œil. Le fait d’avoir réussi à faire une carrière complète et brillante malgré cette défaillance force l’admiration. Spike Lee affirme dans son mémoire consacré à la NBA que Bing calculait l’élan à prendre sur ses tirs en suspension non pas en regardant le panier, mais vers le sol pour regarder sa position sur le terrain parce qu’il ne pouvait pas voir le cercle. Ça paraît plus farfelu que la fin de He Got Game.

Côté pile :

Ceci dit, il y a quand même beaucoup de réserves à émettre concernant Bing. D’abord, il a profité du bond des statistiques à la période de l’ABA et de l’expansion pour gonfler ses chiffres au cours de son pic offensif. Ses deux sélections dans le premier cinq majeur de la NBA sont largement en sa faveur, mais elles sont discutables dans les deux cas : en 1968, Bing s’est retrouvé là parce que Jerry West avait raté 31 matchs ; en 1971, Bing a été choisi à la place de Walt Frazier qui, en plus d’être le meilleur arrière défensif de la ligue, avait aligné une moyenne de 21 points, 7 rebonds et 7 passes décisives de moyenne au sein d’une équipe des Knicks à 52 victoires. Entre un Bing au sommet de son art (évoluant dans une équipe cinquième tête de série à l’Ouest) et Clyde au sommet de son art (évoluant dans une équipe tête de série numéro un à l’Est), les électeurs ont choisi Bing. Absurde.

Et pourquoi Bing fait-il partie des 50 meilleurs joueurs de l’histoire de la NBA choisis en 1996, contrairement à Bernard King, Jerry Lucas, Alex English ou Tommy Heinsohn ? L’explication est simple : parce qu’il était sympathique. Si un joueur est aimé et respecté en tant que personne par les joueurs et les médias, son talent véritable correspond rarement à la façon dont il est évalué. Bing a eu pour équipiers des joueurs comme Dave DeBusschere et Bob Lanier, et n’est arrivé qu’une seule fois en play-offs. Après sa huitième saison (19,0 points et 7,7 passes décisives par match en 1975), Detroit l’a échangé à Washington avec un futur choix de premier tour contre Kevin Porter. Sérieusement ? Kevin Porter ?

Quelle était la vraie valeur de Bing ? Bing était-il seulement meilleur que « Sweet Lou » Hudson ? Ils ont tous deux atteint leur pic de forme entre 1967 et 1976, et ont terminé avec des statistiques en carrière similaires (20 points, 4 rebonds et 3 passes décisives par match à 49 % de réussite au tir pour Hudson ; 20 points, 4 rebonds et 6 passes décisives par match à 44 % de réussite au tir pour Bing), mais Hudson a joué sept années consécutives au sein d’une équipe parvenue en play-offs (de 1967 à 1973) et Bing n’est arrivé en play-offs qu’une seule fois dans le même temps. Lequel était le plus efficace ? Je ne peux pas vous le dire parce que je n’y étais pas. Je sais juste que Bing n’aurait pas dû faire partie du top cinquante. Et c’est la raison pour laquelle ici, il n’est que 82ème.

#96 : Bob Lanier

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

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BOB LANIER

14 ans de carrière dont 8 de qualité,
8 fois All-Star.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 24 points, 13 rebonds et 4 passes décisives de moyenne.
Play-offs : 19 points, 9 rebonds et 4 passes décisives de moyenne (67 matchs).
Deux séries remportées en play-offs au cours de son pic de forme.
Plus de 20 000 points en carrière.

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Côté face :

Le choix était vaste pour le poste de pivot représentant la limite à ne pas dépasser pour entrer dans le Top 100. Autant dire que le joueur qui s’y trouve (par rapport à d’autres) n’aura pas été plus flamboyant que ça. Bill Laimbeer aurait pu être celui-là, mais il n’a fait que sept saisons en double-double, et ne savait ni passer, ni courir, ni sauter, ni dribbler. En fait, deux concurrents se détachent pour le poste : Bob Lanier et ses baskets géantes pointure 57, et Jack Sikma et sa magistrale coupe afro blonde et permanentée. Le CV de Lanier est visible plus haut. Celui de Sikma ? 14 ans dont 10 de qualité, 7 fois All-Star ; titulaire dans une équipe (les Sonics) championne (en 1979) et vice-championne (1978) ; pic de forme de 5 ans en saison régulière : 19 points, 11 rebonds et 4 passes décisives de moyenne ; play-offs 1979 : 15 points, 12 rebonds et 3 passes décisives de moyenne (17 matchs).

Pas mal non plus, hein ? Alors, pourquoi donner la priorité à Lanier ? Simplement parce que Sikma a eu la chance de jouer avec des équipiers talentueux à Seattle et Milwaukee, tandis que le pauvre Lanier était coincé dans les bas-fonds de la NBA (à Detroit) pendant toutes les années 70. L’opposition Lanier-Sikma se résume à ceci : tous deux sont arrivés à Milwaukee suite à un échange juste après leurs meilleures années. Le prix à payer pour obtenir Lanier était Kent Benson (numéro un de la draft de 1977) et un choix de premier tour à la draft de 1980 ; le prix à payer pour Sikma était Alton Lister et deux choix de premier tour en 1987 et 1989. En d’autres termes, Lanier valait davantage, mais pas beaucoup. Il était suffisamment bon pour passer Sikma et figurer au 96ème rang de ce classement, mais n’avait aucune chance d’être plus haut.

*****

Côté pile :

Il n’y pas grand-chose d’autre à dire. Le meilleur de la carrière de Lanier se résume à son CV. On se contentera donc de faire une liste de ses meilleures qualités : un solide bras roulé de gaucher, un redoutable fall-away, et une énorme solidité. Il avait pris la succession de Willis Reed en tant que pivot qui démolissait en public celui qui essayait de le passer, ce qui était assez étonnant, car il avait l’air sympathique et pas intimidant du tout. Il est aussi cité par Kareem Abdul-Jabbar dans le film Y a-t-il un pilote dans l’avion ? comme l’un de ses plus redoutables adversaires directs (« Essayez de vous coltiner Bill Walton et Lanier sur tout le terrain durant 48 minutes ! »). Ça compte pour quelque chose, ça, non ?

#25 : Darko et les Pistons

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Et si Carmelo Anthony avait été drafté par Detroit… (1)

Voici, dans l’ordre, les cinq premiers choix de la draft NBA 2003 : LeBron James, Darko Milicic, Carmelo Anthony, Chris Bosh et Dwayne Wade. Dans cette liste se trouve un intrus. À votre avis, de qui s’agit-il ?

Ceux qui s’intéressent à la NBA trouveront rapidement la réponse : Darko Milicic. LeBron James est l’un des meilleurs joueurs de basket-ball de tous les temps. Carmelo Anthony a gagné trois titres olympiques, a été neuf fois All-Star et a obtenu le titre de meilleur scoreur de la NBA en 2013. Chris Bosh a remporté deux titres avec le Miami Heat et a été l’un des meilleurs joueurs de sa génération. Dwayne Wade a fait gagner un titre au Miami Heat presque à lui seul et est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du basket-ball. Le pauvre Darko, quant à lui, a traîné sa peine pendant dix ans sur les parquets NBA, sous six maillots différents, avec une moyenne en carrière famélique de… 6 points, 4,2 rebonds et 1,3 contres.

Avec le temps, et malgré un titre remporté au cours de son année rookie en jouant les utilités (159 minutes de jeu pour toute la saison…), Milicic est devenu l’objet de multiples moqueries. Un blog parodique à succès intitulé « Free Darko » lui a été consacré, il a été la cible de blagues récurrentes durant toute sa carrière et est aujourd’hui régulièrement cité parmi les pires joueurs draftés en haut de tableau de l’histoire. Il a pris sa retraite à 27 ans, a tenté une carrière dans le kickboxing, puis a caressé l’idée d’un retour avant de devenir finalement simple fermier dans sa Serbie natale. Pas vraiment flamboyant.

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En voyant la médiocrité de la carrière de Milicic, il est naturel que, bien des années plus tard, se posent les deux questions suivantes : Comment les Pistons ont-ils pu drafter Darko Milicic ? et surtout : Que se serait-il passé s’ils avaient choisi à la place Carmelo Anthony (ou Bosh ou Wade) ? Prendre n’importe lequel de ces trois joueurs n’était-il pas évident ?

Eh bien, les choses sont un peu plus compliquées que cela si l’on se replace dans le contexte de l’époque. À la fin des années 90, la NBA a connu un afflux de joueurs ayant fait le grand saut du lycée à la NBA, sans passer par l’université : Kevin Garnett, Kobe Bryant, Jermaine O’Neal, Tracy McGrady. Ces joueurs avaient beaucoup de talent, mais leur jeu était basé sur leurs formidables aptitudes physiques et les prouesses individuelles ; les fondamentaux du basket étaient ignorés et la qualité du jeu s’en ressentait, dans une ligue où le spectacle semblait avoir pris le dessus sur le reste.

À l’inverse, le basket européen commençait à prendre de l’essor ; les joueurs européens étaient perçus comme étant plus mûrs, et maîtrisant davantage les bases de leur sport. Les responsables de clubs s’étaient donc mis à prospecter en Europe, et le nombre d’européens draftés augmentait d’année en année. Les joueurs européens présentaient aussi un avantage non négligeable : ils étaient blancs, alors que les jeunes vedettes « égoïstes » avaient la peau noire. Pour le fan américain moyen cherchant à s’identifier aux joueurs NBA, c’était du pain bénit.

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C’est dans ce contexte que débute la « hype » Darko Milicic, aux alentours de 2003. Fils d’un policier et d’une femme de ménage, Darko grandit à Novi Sad, en Serbie, au sein d’une famille pauvre. À 16 ans seulement, il intègre l’équipe professionnelle serbe d’Hemofarm, où il affronte régulièrement des joueurs entre 25 et 30 ans. La rage et la puissance dont il fait preuve pour son jeune âge impressionnent les recruteurs américains. À 17 ans, Darko fait la une d’ESPN Magazine. Puis il se présente aux entraînements pré-draft de 2003 et effectue des performances remarquables. Beaucoup sont alors persuadés d’avoir trouvé la perle rare : un joueur professionnel, discipliné, possédant les fondamentaux et la rage de vaincre – toutes ce qui manquait (croyait-on) aux jeunes stars américaines paresseuses et ne pensant qu’à dunker.

Voici quelques citations de l’époque qui reflètent assez bien la mentalité générale :

« La NBA est basée sur le spectacle. En Serbie, le basket-ball est un business. »
Zeljko Lukajic, entraîneur de Hemofarm

« La rapidité et l’explosivité de Darko sont des dons naturels. Il doit prendre du muscle, mais pas trop, car sa rapidité lui donnera un meilleur avantage au poste que n’importe quel degré de force. »
Arnie Kander, ESPN Magazine

« Darko est vraiment unique en son genre. Il se déplace bien, il est adroit, peut tirer à trois points et joue dos au panier. Il peut jouer poste 3, 4 ou 5. Bien sûr, il n’est pas le seul dans ce cas ; mais ce qui le distingue des autres est sa grosse présence au poste. […] Plus on le repousse, plus il revient à la charge. »
Chad Ford,
ESPN Magazine

« Darko me fait penser à Wilt Chamberlain dans sa jeunesse. Wilt pouvait tout faire sur un terrain, et je n’ai pas vu un big man aussi technique depuis Wilt. »
Will Robinson, ESPN Magazine

« Les frères vont le respecter. »
Brett Forrest, ESPN Magazine

« On le surveillait depuis quelques années. C’est un big guy talentueux qui peut jouer à l’intérieur ou à l’extérieur. Il est gaucher et peut jouer petit ailier. Il se déplace bien et a de solides qualités athlétiques. Il peut tirer de loin et aller vers le panier. »
Ryan Blake, scout NBA

À l’aube de la draft 2003, trois joueurs se détachent de la masse : LeBron James, 18 ans mais déjà annoncé comme le futur Michael Jordan, Darko, dont une équipe de NBA sur cinq pense qu’il sera meilleur que James (2), et Carmelo Anthony, champion universitaire avec Syracuse et meilleur joueur de son équipe.

(Pour répondre immédiatement à l’une des questions posées plus haut, il n’y avait aucune chance que Wade ou Bosh soit sélectionné parmi les trois premiers de cette draft. Aucune. Tout le monde se demandait si Bosh allait prendre suffisamment de masse musculaire pour réussir dans la ligue, et Miami a stupéfait tout le monde en prenant Wade en cinquième choix. Même si Detroit aurait sans doute obtenu plusieurs titres en draftant Wade, on ne peut pas dire qu’ils aient gaffé en ne le choisissant pas. Ils n’allaient tout de même pas faire un trade pour avoir un joueur moins coté. Laissons donc Wade et Bosh de côté et évoquons le cas Anthony.)

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Les trois premières équipes à choisir sont Cleveland, Detroit et Denver. Parmi ces trois équipes, une seule n’est pas en reconstruction : celle de Detroit. Comme on en a parlé, les Pistons ont eu l’énorme chance de voir les Grizzlies tirer le second choix de draft à la loterie et être obligés de leur céder en raison d’une transaction douteuse effectuée des années plus tôt. Les Pistons se retrouvent du coup avec le deuxième choix. Après la sélection sans surprise de James par les Cavaliers, ils ciblent immédiatement Darko, ayant déjà une valeur sûre au poste 3 (Tayshaun Prince) et ayant besoin de taille sous le panier (tout ceci se passait huit mois avant que Danny Ainge ne leur offre Rasheed Wallace dans un emballage-cadeau).

Les Pistons auraient été massacrés s’ils avaient pris quelqu’un d’autre que Milicic en second. C’est pour cela qu’ils l’ont drafté, même si beaucoup de gens pensaient qu’ils se trompaient et qu’ils auraient dû choisir Anthony. Pourquoi ? Parce que Anthony était une valeur sûre. Milicic était un grand espoir, mais la NBA était totalement différente de tout ce qu’il avait connu en Europe. Anthony avait travaillé son jeu pendant quatre ans et remporté un titre universitaire en étant élu MOP. Il était prêt pour la NBA. Ne pas être choisi en deuxième position l’a d’ailleurs considérablement surpris :

« On m’avait dit que Detroit allait me prendre. Quand Cleveland a fait son choix, pour moi, c’était clair : j’allais à Detroit. »

De fait, en dehors de déclarations de journalistes et de spécialistes NBA qui ne se basent guère sur des faits tangibles, les Pistons et le manager général Joe Dumars ne savaient pas grand-chose de Milicic :

« En ce qui concerne Darko, je crois que nous avions deux sources d’information, pas plus. »

Mais le choix est fait et Darko rejoint Detroit. Les Pistons ont déjà un noyau solide, autant au niveau des titulaires que des remplaçants. L’entraîneur des Pistons, Larry Brown, ne s’intéresse pas au jeune serbe. Il le fait peu jouer. Darko ne s’épanouit pas et commet de nombreuses fautes. Au lieu de gagner du temps de jeu et d’apprendre le métier, il végète sur le banc. Les Pistons gagnent le titre NBA en 2004 et le frôlent la saison suivante. L’équipe est solide. Il n’y a pas de place pour Darko. L’arrivée d’un nouvel entraîneur, Flip Saunders, en 2006, est un motif d’espoir, mais Darko a déjà perdu trop de temps. Il joue toujours aussi peu et rumine son sort sur le banc. Il quitte les Pistons pour le Magic, où il ne restera qu’un an, puis cherche à se relancer chez les Grizzlies et les Knicks. Peine perdue. Il met fin à sa carrière en 2012 après un petit mois passé chez les Celtics.

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La sélection d’Anthony en deuxième position était donc évidente et les Pistons se sont plantés. Que seraient-ils devenus s’ils l’avaient pris ? Pour Chauncey Billups, meneur de l’équipe de Detroit championne en 2004, Anthony aurait rendu les Pistons encore meilleurs :

« Sa tendance à ne pas faire circuler le ballon ? Il n’aurait pas été comme ça s’il avait été avec nous. Nous ne l’aurions pas laissé jouer ainsi. Il serait bien meilleur qu’il ne l’est aujourd’hui, et il est déjà un grand joueur. Il serait devenu une icône. Parce que c’est ce qui arrive quand on gagne. »

C’est peut-être vrai. Mais si Carmelo va à Detroit, il se serait certainement produit autre chose. La théorie la plus vraisemblable est celle-ci : si Anthony va à Detroit, Detroit perd le titre de 2004.

Les arguments pour étayer cette thèse ? D’abord, quoi qu’en pense Billups, il est probable qu’Anthony n’aurait jamais su se greffer parfaitement aux Pistons. Son style de jeu porté sur l’offensive et sa défense médiocre n’auraient jamais pu s’accorder avec le basket altruiste et défensif prôné par Larry Brown. Ensuite, Prince aurait été en concurrence avec Anthony au poste 3 ; si Carmelo arrive, sa confiance est juste assez entamée pour que nous ne voyions pas la même équipe des Pistons qui a battu les Lakers en 2004. Enfin, il ne faut pas oublier que Larry Brown a entraîné Anthony aux Jeux Olympiques de 2004 et qu’ils se détestaient au point que « Melo » a mis du temps à s’en remettre. Jamais ils n’auraient pu cohabiter à Detroit.

Les effets de la sélection d’Anthony à long terme ? Brown s’en va ; Anthony (ou Prince) se fait échanger ; Detroit ne va jamais en finale ; et Darko obtient un bon temps de jeu à Denver, progresse à son rythme et devient autre chose qu’une triste cible sur laquelle on écrase des dunks. Ironie du sort, faire un mauvais choix a, en fin de compte, fait gagner un titre à Detroit.


(1) Source : www.detroitsportsnation.com

(2) Selon la rumeur à l’époque. Comme pour toutes les rumeurs, l’affirmation est à prendre avec beaucoup de prudence.