All the Kings’ Men (3/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

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I. Avant la bataille (1/8)
II. La trilogie en marche (2/8)

III. L’affaire du bœuf de Kobe

MATCH 2, 20 MAI 2002, et MATCH 3, 24 MAI 2002

Kobe Bryant a été victime d’une intoxication alimentaire et a souffert de déshydratation extrême entre les Matchs 1 et 2. Il en a attribué la cause à un cheeseburger au bacon qu’il avait commandé au service d’étage de l’hôtel Hyatt Regency de Sacramento. Affaibli, Bryant a quand même marqué 22 points dans le Match 2, et les Lakers ont été dans le coup jusqu’au bout grâce aux grosses performances de O’Neal (35 points) et de Horry (20 rebonds). Bobby Jackson – qui a largement contribué au succès de son équipe avec 17 points – a été le seul à bien jouer pour les Kings, mais un total étrange de 38 lancers francs à 25 a permis à Sacramento de décrocher la victoire, 96 à 90. « Pour nous battre, il n’y a qu’une seule solution : être meilleur que nous, sans discussion possible, a déclaré Shaq aux journalistes après coup. Sinon, il n’y a qu’une seule autre possibilité : ça commence par un t et se termine par un r. »

Gary Vitti (préparateur physique des Lakers) : Kobe m’a dit qu’il avait commencé à se sentir mal vers une heure du matin. Il ne m’a pas appelé avant trois heures. À ce moment-là, il souffrait de crampes abdominales, de vomissements et de diarrhée. Son ventre était si douloureux qu’il se recroquevillait sur lui-même. Si j’avais pu le voir plus tôt, nous aurions peut-être pu lui donner des médicaments pour le soulager, mais il avait voulu surmonter ça tout seul.

Phil Jackson : Nous ne pensions pas à une grippe intestinale, juste à une indigestion. Nous n’étions pas trop inquiets. Il n’a plus jamais fait confiance au service d’étage de cet hôtel.

Adande : Les fans des Lakers étaient persuadés que c’était intentionnel. Les gens refusaient de croire qu’il s’agissait d’une simple intoxication alimentaire. C’était forcément un acte malveillant. Pourquoi pas ?

Howard-Cooper : C’était une théorie conspirationniste made in Sacramento, comme celle selon laquelle l’homme n’a pas marché sur la Lune. À l’époque, tout le monde en discutait sans arrêt et ça a continué les années suivantes. On fait des blagues là-dessus encore aujourd’hui.

Kobe Bryant (arrière des Lakers) : Je n’ai pas aimé le cheeseburger. Je n’en ai mangé que la moitié… Une conspiration ? Je ne sais pas, je ne pense pas.

Vitti : J’ai du mal à croire que quelqu’un oserait faire ça. J’ai confiance en mon prochain. Mais je suis presque sûr que Kobe pense toujours que c’était fait exprès.

Jerry Westenhaver (directeur général du Hyatt Regency Sacramento) : Les différends entre les Kings et les Lakers doivent être réglés sur le terrain, pas dans notre hôtel.

George : J’étais bouleversé et en colère. Et en même temps, j’avais peur. Je me demandais si les gens avaient pris tout cela au sérieux au point d’empoisonner un adversaire. Je me rappelle l’avoir vu vomir pendant qu’on le mettait sous perfusion. Ce n’était pas beau à voir. Son visage était couvert de sueur. C’était horrible.

Brown : Je pense que que ça pourrait arriver. Quand on joue à l’extérieur, il faut faire attention à ce qu’on mange. Quand je jouais, j’allais manger loin de l’endroit où nous étions logés, là où je pensais qu’on ne me connaîtrait pas.

Madsen : Quand nous sommes revenus jouer à Sacramento par la suite, nous avons changé d’hôtel à cause de cet incident. Pas par suspicion, mais on ne pouvait pas s’empêcher de se poser des questions.

Marv Albert (commentateur pour NBC) : Nous logions toujours au Hyatt et je ne me souviens pas d’y avoir mangé un cheeseburger après cet événement. Je me rappelle à quel point le directeur de l’hôtel était bouleversé. Mais j’ai découvert par la suite que le cheeseburger était devenu un plat du menu très populaire.

Pollard : Nous pensions tous que c’était de l’intox. Dès que [Kobe] est arrivé sur le terrain, on s’est dit qu’il avait juste eu besoin de faire parler de lui.

Vitti : Une personne normale n’aurait pas pu jouer dans de telles conditions, mais Kobe Bryant n’est pas n’importe qui. Sur un champ de bataille, la guerre ne s’arrête pas parce que vous êtes malade. C’est comme ça que Bryant voyait les choses. Le match ne s’est pas arrêté pour lui, il a donc dû faire avec.

Christie : Il paraissait en bonne santé. Je n’ai jamais été ému par ce genre de truc. Quand on est vraiment malade, on ne joue pas. Et sinon, on ne s’en sert pas comme excuse. C’était l’un des joueurs que je respectais le plus. Il allait marquer des paniers, peu importe la manière dont vous défendiez. À gauche, à droite, à mi-distance, partout. Tout le monde plaignait Kobe en disant qu’il était malade. Je m’en foutais. Je n’écoutais rien.

Horry : Nous n’étions pas inquiets. Si Shaq avait été malade, cela aurait été un plus gros problème. Sans vouloir manquer de respect envers Kobe, on pouvait le remplacer par B-Shaw [Brian Shaw], Rick ou un autre de nos gars. En revanche, l’absence d’une force de la nature comme Shaq aurait rendu les choses très difficiles. Mais nous savions que Kobe idolâtrait Michael Jordan, [et Jordan] aurait surmonté sa maladie et serait allé jouer. Cela ne nous inquiétait donc pas vraiment.

Bryant : C’était l’une des épreuves les plus difficiles que j’ai eu à traverser.

Fox : Je pensais que ça le rendrait meilleur. Il allait se concentrer à fond et réussir un grand match. Ça ne s’est pas passé comme ça et Shaq a accumulé les fautes trop rapidement. C’était donc un double coup dur : d’abord l’intoxication alimentaire, et ensuite ce problèmes de fautes. Nous sommes passés trop rapidement sur le fait qu’ils étaient assez bons pour nous battre dans une série. Nous avions montré qui nous étions dans le premier match, et notre excès de confiance nous a valu d’être écrasés comme eux lors du match précédent.

Cleamons : À l’époque, Shaquille n’avait aucun adversaire à sa mesure. C’est alors que Divac a vraiment commencé à jouer la corde sensible. Il s’effondrait au moindre contact, essayant de provoquer la faute offensive. Shaquille le harcelait au poste bas et il [disait] : « Comment suis-je censé défendre sur ce monstre ? Si je lui tiens tête, il va me renverser ou pire ! » Alors il a commencé à « flopper » comme un fou, essayant d’obtenir la compassion des arbitres.

Phil Jackson : L’écart entre ce qui s’est passé lorsque Shaq avait commis des fautes à Sacramento [et] ce qui s’est passé à L.A. était vraiment intéressant. Regardez les statistiques. Divac a reçu les faveurs des arbitres. Les contres étaient devenus des passages en force. Les arbitres ne sont pas à l’abri de l’influence de la foule. Ils aiment être objectifs et ils essaient de l’être, mais ces choses font partie du jeu.

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Les Lakers ont beaucoup parlé de la différence de lancers francs lors du deuxième match et de la nouvelle tactique de Divac. « Nous avions un joueur capable de marquer 50 points et qui était en route pour le faire, a déclaré Phil Jackson aux médias. Il est complètement sorti de son match à cause de ces fautes bidon… Vlade sait choisir le bon moment pour pleurer et se créer de bonnes situations. » Les Kings ont balayé la citation de O’Neal relative à leur triche. « S’ils sont vraiment les champions en titre, ils n’ont pas besoin de dire quoi que ce soit de ce genre », a répondu Adelman. Pendant ce temps, les problèmes gastriques de Bryant l’ont empêché de s’entraîner avant le troisième match à Los Angeles, et Sacramento était toujours privé de Stojakovic, victime d’une entorse à la cheville contre Dallas au tour précédent. Mais Sacramento a surpris les Lakers avec une impressionnante victoire 103-90, allant jusqu’à mener de 27 points alors que les Lakers peinaient avec un pourcentage de réussite au tir de 36 %. Webber et Bibby ont marqué 50 points à eux deux. Christie a récolté 17 points, 12 rebonds, 6 passes décisives et 3 interceptions. Et Turkoglu a brillamment suppléé Peja en marquant 14 points.

Phil Jackson : Ils ont tiré avec une incroyable précision lors de la première mi-temps du Match 3. Ils ont joué avec une grosse confiance. Turkoglu était vraiment un atout. Nous étions habitués à Stojakovic, pas à Turkoglu. Il jouait avec une grosse énergie et courait partout. Il a été très bon au tir ; on lui avait donné la liberté de tenter sa chance. C’est comme ça que [Rick Adelman] fait jouer son équipe, et je pense qu’il fait de l’excellent travail.

Turkoglu : Même si c’était ma première et ma deuxième année, les autres ont vraiment aimé mes performances à ce moment-là, et ils me soutenaient en toutes circonstances. Donc, tout ce que j’avais à faire était d’aller sur le terrain et de me battre comme un fou pour rendre les choses plus faciles. Et je m’exécutais.

Christie : Ma défense était trop importante pour être aussi efficace à l’offensive que j’aurais dû l’être. J’ai été agressif et bien entendu, j’ai obtenu les stats qui vont avec : à peu près vingt points, huit rebonds et six ou sept passes décisives. Je m’en remettais souvent à mes équipiers ; avec le recul, j’aurais probablement dû jouer tout le temps comme au troisième match.

Shaquille O’Neal (pivot des Lakers) : Chris Webber faisait ce qu’il voulait au poste 4.

Samaki Walker (ailier des Lakers) : Webber avait amélioré son tir en suspension, ce qui le rendait plus redoutable. C’était un excellent passeur, et l’attaque des Kings était incroyable. Ils savaient comment lui donner le ballon dans des zones où il était très difficile de défendre sur lui.

Turner : C’était un véritable plaisir d’entraîner [Webber], et son style de jeu nous a donné, à nous les entraîneurs et aux fans, des moments extraordinaires. Tout le monde voulait jouer avec lui parce qu’il faisait de superbes passes. Tout le monde veut jouer avec un bon passeur.

Phil Jackson : Rien que le fait de devoir tenir la cadence était compliqué. Nous sommes rentrés au vestiaire à la mi-temps complètement assommés. Nous étions débordés.

George : S’ils prenaient de l’avance, ils étaient vraiment durs à battre. Mais si le match était serré, s’ils étaient un peu en retard au score, ils jouaient de manière totalement différente. Si on les laissait s’échapper, ils étaient vraiment difficiles à rejoindre.

Bryant : On n’est pas encore fatigués.

Madsen : Parfois, je me disais qu’ils étaient vraiment bons. Et je me demandais si on pouvait les battre.

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IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)

All the Kings’ Men (2/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

Du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier chapitre de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

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I. Avant la bataille (1/8)

II. La trilogie en marche

MATCH 1, 18 MAI 2002

Au fur et à mesure que le troisième acte d’une trilogie Kings-Lakers en play-offs devenait probable, les fans de basket-ball se sont pris à rêver à un nouveau « Thrilla in Manilla ». La guerre sans merci entre les deux équipes avait commencé lieu deux ans plus tôt. En 2000, les Lakers ont mené 2 victoires à 0 au premier tour des play-offs ; ils se sont rendus à Sacramento en pensant que la série était terminée. Mais les Kings ont brûlé un maillot des Lakers lors de la célébration d’avant-match et ont remporté les Matchs 3 et 4, avant de finalement s’incliner au Match 5. Le copropriétaire des Kings, Joe Maloof, a déclaré à Bloomberg que Phil Jackson avait été « arrogant » pendant la série et qu’il s’était « caché dans un coin » lors des défaites à Sacramento.

C’est ainsi que les hostilités ont commencé. Jackson, qui aimait montrer des extraits de films à ses joueurs pour les motiver, a juxtaposé le meneur de jeu des Kings de l’époque (Jason Williams) avec le personnage joué par Edward Norton dans American History X, et l’entraîneur des Kings Rick Adelman avec Adolf Hitler. Les Kings se sont indignés, et Adelman a commenté : « Cela dépasse toutes les bornes. » Ensuite, Jackson s’est mis à dos toute la ville de Sacramento en qualifiant ses habitants de « ploucs » et en ajoutant : « Quand j’étais entraîneur à Porto Rico, lorsqu’on gagnait à l’extérieur, on nous crevait les pneus et on nous chassait de la ville à coups de pierres, mais c’était un environnement complètement différent. Les gens de Sacramento sont à peine civilisés. Ils ne valent pas mieux que des péquenauds. » Au cours des play-offs de 2001, les Lakers se sont moqués des Kings pour avoir trop célébré leur victoire au premier tour ; Shaq a dénigré les techniques défensives de Divac ; et les Lakers ont humilié leurs adversaires avec un sweep. Ils ne semblaient plus considérer Sacramento comme des rivaux sérieux. Mais la tension ne faisait que monter. En 2002, comme l’admet aujourd’hui Rick Fox, « c’est devenu une vraie rivalité ».

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Howard Beck (journaliste couvrant les Lakers pour le Los Angeles Daily News) : C’était une vraie mise en scène. Shaq se dénigrait tous les jours les Kings, et Phil Jackson faisait de même : il se moquait d’eux, de leurs fans ou de toute la ville de Sacramento. Ils n’étaient pas les seuls. Je me souviens que Rick Fox avait déclaré que les Kings avaient peur d’eux.

Christie : En 2000, quand nous sommes arrivés en play-offs pour la première fois, je crois qu’ils ont commencé à nous prendre au sérieux. Ils nous ont sentis venir. Personne dans la ligue, [pas] même les Spurs, ne pouvait rivaliser avec eux comme nous le faisions.

Adande : Phil et les citations des médias étaient presque aussi intéressants que l’action sur le terrain.

Mark Madsen (ailier des Lakers) : Je me disais que Phil n’avait pas peur de lancer des citations controversées.

Beck : Il y a très peu de franchises NBA que Phil n’a pas insultées. Il a traité Orlando de « ville plastique ». Il s’est moqué du River Walk [à San Antonio]. Il voulait mettre un astérisque sur le championnat remporté par les Spurs lors de l’année du « lock-out » en 1999. C’est dans la nature de Phil de se moquer et de provoquer. Il aime ça. Il adore faire ça.

Phil Jackson : Il y avait des gars près du banc [à Sacramento] avec lesquels j’entretenais de bonnes relations. Ils agitaient des cloches, comme celles qu’on accroche au cou des vaches. Ils ont même amené une cloche électrique attachée à une batterie pour leur permettre d’avoir un son amplifié. La salle était assez bruyante, même pendant un temps mort. Je devais éloigner les joueurs du banc pour leur parler. Ils voulaient détourner l’attention de Shaq ou de certains joueurs en les harcelant. Mais c’était très amusant. Les habitants de Sacramento pensaient la même chose.

Gary Gerould (commentateur radio des Kings) : Je pense qu’ils avaient gagné le droit de se sentir supérieurs. Je n’y trouve rien à redire. Ça leur donnait encore plus d’éclat. Ils étaient allés en finale, ils avaient fait leur travail, ils avaient gagné plusieurs titres. Ils avaient les bagues, l’attitude, le talent. Ils étaient bons et ils le savaient.

Christie : On n’y faisait pas vraiment attention. En termes de talent individuel, nous savions que nous pouvions rivaliser avec eux et probablement les battre. Mais en y repensant, j’aurais aimé qu’on leur réponde. Certains de nos gars avaient de la répartie, nous aurions probablement pu jouer à ça avec eux tout en assurant sur le terrain. Cela nous aurait peut-être un peu mieux réussi. Cela dit, ils avaient le Maître Zen.

Devean George (ailier des Lakers) : Phil est un grand entraîneur car il cache nos faiblesses et expose celles de l’autre équipe. Et il sait parfaitement communiquer avec les médias et détourner leur attention. Il sait très bien dissimuler ce qu’il veut vraiment.

Grant Napear (annonceur des Kings) : Je peux vous assurer que ça leur a posé problème. Je me souviens parfaitement que cela dérangeait les joueurs des Kings. En tout cas, ça a provoqué un sacré tumulte en ville.

Howard-Cooper : Ils étaient fous furieux. Phil savait exactement ce qu’il faisait. Sacramento avait un énorme complexe d’infériorité par rapport au palmarès des Lakers, et aux grandes villes comme Los Angeles et, dans une certaine mesure, San Francisco. Phil le savait, évidemment, et c’était là tout le problème. Je ne pense pas qu’il détestait vraiment les habitants de Sacramento ; il aimait juste faire mettre de l’huile sur le feu et faire de la provocation.

Elston Turner (entraîneur adjoint des Kings) : L’heure de la vengeance avait sonné.

Robert Horry (ailier des Lakers) : Ils voulaient nous dépouiller de ce que nous avions. Rick prenait la chose plus à cœur que quiconque. Il s’est laissé entraîner. C’était assez drôle. Mais pour la plupart d’entre nous, il s’agissait simplement d’essayer d’accomplir quelque chose d’unique. (Horry a passé près de la moitié de l’entretien à faire valoir que la plupart des séquences de cette histoire orale se sont déroulées à des années différentes. Il a gagné trop de championnats pour pouvoir faire la différence.)

Gerould : [La rivalité] a vraiment échauffé les fans des Kings de Californie du Nord. Chaque fois qu’ils battaient les Lakers, même lors des matchs pré-saison, Sacramento se réjouissait.

Howard-Cooper : Pour des propriétaires, les Maloof étaient très présents. Ils étaient à fond derrière leur équipe. Parfois, ils allaient s’asseoir sous le panier simplement parce qu’ils ne supportaient pas de regarder le match depuis la touche. C’étaient des enragés. Et pendant ce temps, [le propriétaire des Lakers] Jerry Buss était invisible, assis à des kilomètres du terrain dans les gradins du Staples Center. Cela faisait partie du contraste.

Pollard : Les rivalités entre deux équipes naissent lorsqu’elles se jouent souvent. Quand tout est fini, on se dit que si on détestait le gars d’en face, c’est parce qu’il aurait fait un excellent coéquipier. J’aurais adoré jouer avec Shaq. Mais à l’époque, mon travail consistait à le ralentir et à m’opposer à lui autant que je le pouvais.

Fox : On n’a pas vraiment fait attention à eux avant cette troisième année. Nous les respections, sans plus. En termes d’envie et de talent, c’étaient nos adversaires les plus redoutables.

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Après s’être battus toute la saison pour obtenir l’avantage du terrain, les Kings l’ont perdu en moins de trois heures dans le premier match de la finale de la Conférence Ouest de 2002. Les Lakers menaient 36-22 à la fin du premier quart-temps et ont remporté leur 12ème victoire consécutive à l’extérieur en play-offs, 106 à 99. À eux deux, Kobe et Shaq ont marqué 56 points, surpassant la solide performance de Webber (28 points et 14 rebonds).

Mike Breen (commentateur pour NBC) : Ça a été un choc. Les Lakers étaient là et bien là. Avec tout le battage médiatique autour de Sacramento, les gens avaient commencé à croire qu’ils étaient invincibles. C’était prématuré.

Horry : Quand on remporte le premier match, cela met beaucoup de doute dans l’esprit de certains joueurs sur leurs capacités. Tout le monde veut gagner et porter le premier coup.

Brown : Le premier match a été extrêmement physique. Les Lakers nous ont écrasés. Je pense que nous n’avions pas vraiment compris à quoi cela ressemblerait.

Pollard : C’était une mauvaise journée pour tout le monde, et on a pris conscience qu’il fallait se réveiller. On n’allait pas nous offrir le titre NBA, même avec le meilleur bilan de la ligue.

Napear : Personnellement, je pensais que c’était fini. L’équipe avait travaillé très dur pour être tête de série n°1, pas seulement à l’Ouest mais dans toute la ligue, et elle avait perdu le premier match contre son plus grand rival. J’étais très pessimiste.

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III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)

All the Kings’ Men (1/8)

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Copyright Notice: Copyright 2002 NBAE (Photo by Catherine Steenkeste/NBAE/Getty Images)

La tactique du « Hack-a-Shaq », des arbitres lunatiques, un empoisonnement alimentaire, et le dernier « three-peat » à ce jour : une histoire orale des Finales de la Conférence Ouest 2002 entre les Los Angeles Lakers et les Sacramento Kings, le dernier acte de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du basket-ball

par Jonathan Abrams, le 7 Mai 2014

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« Entre les matchs, je n’ai pas beaucoup dormi. J’ai perdu du poids. Il y avait beaucoup de stress. Je n’ai pris aucun plaisir. »

Voilà ce dont Rick Fox se rappelle des époustouflantes Finales de la Conférence Ouest de 2002 contre les Sacramento Kings. La série s’est terminée par une victoire en prolongation de Fox et des Lakers lors du septième match en territoire ennemi, malgré les encouragements des plus fervents supporters de la ligue. Les Kings ne se rapprocheraient plus jamais d’un titre NBA et allaient tomber en miettes avant de devenir la risée de la ligue. Dans le même temps, les Lakers ont facilement disposé des Nets en finale, sans savoir qu’il s’agirait de leur dernier titre avant que les relations conflictuelles entre Kobe Bryant et Shaquille O’Neal ne provoquent le départ du Shaq à Miami. La différence entre les Kings et les Lakers dans leur épique série de matchs de 2002 ? Un tir miraculeux, des lancers francs ratés, des décisions arbitrales discutables et deux paniers offerts gâchés. Rien de plus.

Cette série avait tout pour être spectaculaire : une rivalité grandissante entre la tête de gondole de la ligue et des Kings au jeu plaisant, qui faisaient des passes rapides et coupaient sans arrêt dans la raquette ; des joutes verbales entre les deux camps ; des accusations d’empoisonnement et de conspiration arbitrale ; l’affirmation de la réputation de « Big Shot Rob » ; et même l’intervention d’un improbable ancien candidat à la présidence. Les Lakers et les Kings étaient les deux meilleures équipes de basket-ball du monde ; rien de surprenant, donc, à ce que les quatre derniers matchs de la série se soient décidés dans la dernière minute de jeu. Certaines dynasties se sont implantées, d’autres n’ont jamais pris. Alors que Miami court après son propre triplé en cette année 2014, nous oublions parfois combien il est difficile de remporter trois titres consécutifs. Les Lakers de 2002 ont été la dernière équipe à réussir cette performance. Et personne ne leur a donné autant de fil à retordre que les Kings.

Les Kings n’ont pas remporté de titre depuis 1951, lorsqu’ils s’appelaient encore les Rochester Royals. Depuis, ils ont déménagé de leur lieu d’origine à Cincinnati, puis à Kansas City, puis à Sacramento – et l’année dernière, presque à Seattle. Tous ces changements ont une chose en commun : en soixante-trois ans, aucune équipe des Kings n’a accédé aux Finales NBA. Dans les années 1960, les Royals d’Oscar Robertson ont été continuellement stoppés par les Celtics de Russell et les Sixers de Wilt. En 1981, une équipe des Kings au statut d’outsider a été écrasée par Moses Malone. Et de 2000 à 2002, les Kings ont choisi le pire moment pour atteindre leur apogée, celui où Shaq et Kobe étaient devenus le duo dominant de la NBA. Le fait qu’ils aient joué pour Los Angeles n’a fait qu’aggraver la situation.

« C’était la grande ville californienne contre la petite capitale somnolente de la Californie, déclare Scott Howard-Cooper, qui couvrait la NBA pour le Sacramento Bee pendant la série. Le nord contre le sud. Une franchise au statut établi contre une ambitieuse. Il y avait énormément de choses qui les rapprochaient. »

Elles ont fini par tirer le meilleur les unes des autres. Aucune des deux équipes n’a ensuite été tout à fait la même. L’article qui suit est une histoire orale mettant en vedette de nombreux participants et témoins de cette série. La fonction de chaque personne citée au moment des séries (à l’été 2002) est indiquée entre parenthèses.

I. Avant la bataille

Avant la draft de 1996, les Lakers ont envoyé à Charlotte Vlade Divac, le chouchou des fans, contre le treizième choix, ce qui leur a permis de choisir un lycéen du nom de Kobe Bryant. L’opération a également permis au directeur général Jerry West de disposer d’une marge financière suffisante pour attirer la méga-star Shaquille O’Neal, alors agent libre, avec un contrat de 121 millions de dollars. Quatre ans plus tard, Kobe et Shaq effectuaient leur premier parcours en play-offs sous le même maillot et affrontaient une excitante équipe des Kings, qui avait fait signer Divac (agent libre) et échangé le solide All-Star Mitch Richmond contre l’énigmatique ailier Chris Webber (qui s’est épanoui à Sacramento).

En 2000, les Lakers ont triomphé des Kings au premier tour des play-offs, trois matches à deux, avant de battre Indiana en finale. La saison suivante, les Kings ont remporté 55 matchs dans le sillage d’un énorme Webber (27,1 points, 11,1 rebonds et 4,2 passes décisives de moyenne, un ratio d’efficacité sur le terrain de 24,7% , et une place dans le premier cinq majeur de la NBA), mais ont été balayés lors du deuxième tour par ce qui allait devenir une légendaire équipe des Lakers. Les Lakers de 2001 ont terminé avec un bilan de 15 victoires et 1 défaite en play-offs (un autre record), Shaq et Kobe combinant une incroyable moyenne de 59,9 points en 16 matchs.

Mais leur quête de « three-peat » a commencé à battre de l’aile après que O’Neal se fut présenté hors de forme la saison suivante, et que Bryant a commencé à se disputer avec ses coéquipiers et son entraîneur Phil Jackson. Cela ne s’est pas arrangé lorsque Sacramento a remporté 61 matchs et s’est assuré l’avantage du terrain pour les play-offs. Les Kings avaient deux jeunes stars (Mike Bibby et Peja Stojakovic) et ils faisaient bouger magnifiquement le ballon dans le secteur intérieur grâce aux talents de passeur de Divac et Webber. Dans une saison marquée par un jeu offensif hésitant, un manque de joueurs de talent et trop de un-contre-un, l’altruisme des Kings en faisaient sans conteste la plus belle équipe à voir de la ligue. Tout le monde savait que les Lakers pouvaient redevenir une machine de guerre à n’importe quel moment. Mais parviendraient-ils à réussir à temps ?

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Rick Fox (ailier des Lakers) : Nous étions double champions sortants. Notre confiance était au zénith. Nous étions tous bien dans notre peau, et nous nous soutenions à fond. Nous commencions à croire ce qu’on disait sur nous.

Mark Heisler (journaliste sportif au Los Angeles Times) : Après le premier titre, Shaquille s’était présenté en surpoids la saison suivante. Après le deuxième titre, il avait dit qu’il reviendrait cette fois en pesant dans les 135 kilos. Mais quand il est revenu, il approchait les 180 kilos ! Il faisait facilement entre 160 et 170 kilos. Il a donc passé toute la saison à se remettre en forme.

Phil Jackson (entraîneur des Lakers) : Shaq souffrait d’une blessure à l’orteil qui lui a valu d’être opéré l’été suivant, ou plutôt à l’automne.

Jim Gray (journaliste de terrain pour NBC) : Kobe et Shaq étaient… Je ne dirais pas qu’ils s’entendaient bien, mais ils avaient le même objectif.

Jim Cleamons (entraîneur adjoint des Lakers) : Nous avions un bon effectif avec des joueurs expérimentés. Nous n’avions pas besoin de donner sans arrêt le ballon à Kobe. Quand Kobe demandait le ballon et ne faisait pas ce qui était prévu, nous avions suffisamment de vétérans pour le ralentir, lui faire comprendre le plan de jeu et la nécessité de jouer en équipe. Son heure viendrait.

Phil Jackson : Nous étions un peu en sous-effectif. Nous devions commencer à baisser notre marge salariale et à nous aligner sur les contrats collectifs de la ligue. Robert Horry, qui pesait à peine 105 kilos, était passé ailier fort, et cette année-là, nous n’avions personne pour le suppléer. Nous n’avions personne non plus pour relayer Shaq de manière efficace.

Cleamons : Horry est devenu l’une de nos armes au poste 4. À l’époque, il évoluait un peu en tant que « poste 4 fuyant ». Les big men ne sortaient pas pour défendre sur lui, et cela donnait à Rob l’occasion de tirer de loin. Cela nous permettait aussi d’élargir le terrain pour pouvoir passer le ballon à Shaquille.

Kurt Rambis (entraîneur adjoint des Lakers) : La fatigue peut finir par vous rattraper. Demander à une équipe de disputer chaque match de saison régulière comme s’il s’agissait d’une rencontre décisive, et avoir assez d’énergie pour réussir la saison, se qualifier pour les play-offs et être physiquement prêt, c’est un effort énorme.

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Phil Jackson : Sacramento avait remporté la division Pacifique. Nous étions plutôt confiants, car nous les avions battus deux fois en play-offs.

J.A. Adande (chroniqueur au Los Angeles Times) : Les [Kings] venaient de faire leur meilleure saison. Ils avaient l’avantage du terrain, étaient plus talentueux, avaient plus d’atouts. Tout leur effectif, du premier joueur jusqu’au dernier, était meilleur que celui des Lakers. Aucun joueur des Lakers ne pouvait se créer de bonnes situations de tir, en dehors de Kobe et Shaq.

Chucky Brown (ailier des Kings) : Nous n’avions pas peur de Kobe. Doug [Christie] lui posait plus de problèmes que n’importe quel autre joueur. Nous n’avions pas à faire des prises à deux sur lui. En ce qui concernait l’opposition entre Vlade et Shaq, nous étions optimistes. Shaq était plus grand et plus fort, mais Vlade était malin.

Scot Pollard (pivot des Kings) : Nous avions une équipe très hétéroclite. Il y avait des Européens, des mecs qui ne savaient pas parler anglais, des mecs qui ne voulaient pas parler anglais, et des mecs venus d’une autre planète, comme moi.

Scott Howard-Cooper (journaliste NBA au Sacramento Bee) : Tout le monde dit que Rick Adelman est un entraîneur au style ennuyeux et triste, mais il a eu l’intelligence d’avoir accompagné cette équipe, qui jouait de manière très différente de sa personnalité.

Doug Christie (arrière des Kings) : Dans notre équipe, tout le monde savait dribbler, passer, tirer, faire des écrans, couper dans la raquette. Et ce à tous les postes. Quand on a cinq gars comme ça sur le terrain, on a presque une équipe All-Star.

Pete Carril (coordinateur offensif de Princeton et entraîneur adjoint des Kings) : Une rumeur circulait dans la ligue selon laquelle Chris [Webber] ne voulait pas jouer à Sacramento, ce qui s’est avéré être faux. [En 1999], [le directeur général] Geoff [Petrie] avait pour la première fois de l’argent à dépenser. Il est allé voir Rick et lui a dit : « Je peux avoir Vlade Divac si vous êtes prêt à lui donner tout l’argent que nous avons. »

Rick Adelman (entraîneur des Kings) : Notre tactique, c’était de distribuer le ballon au poste haut. Quand vos deux big men sont capables de faire des passes comme Chris et Vlade, c’est ce qu’il y a de plus logique à faire.

Carril : On profite de l’écran ou on tourne autour, et on se retrouve en deux contre deux avec un joueur au poste. Si celui-ci ne fait pas la passe, il peut ressortir, il peut tirer. On peut travailler à nouveau de l’autre côté, avec un petit écran du côté faible. C’est très efficace. Et dans ce coin-là, Webber réussissait beaucoup de tirs. Ça et passer, c’était ce qu’il réussissait de mieux.

Peja Stojakovic (ailier des Kings) : Tout tournait autour de Chris et Vlade. C’étaient un peu nos meneurs de jeu.

Vlade Divac (pivot des Kings) : Chris est l’un des meilleurs joueurs avec lesquels j’ai eu la chance de jouer. Il était intelligent et désintéressé. Il rendait tout le monde meilleur. C’était le véritable leader de l’équipe.

Pollard : Tout le monde admirait [Divac]. Tout le monde l’adorait et, sur le terrain, il avait une intelligence de jeu naturelle. Il savait défendre et avait tout un arsenal de techniques pour mettre ses adversaires directs en difficulté.

Mike Bibby (meneur des Kings) : C’est évidemment la meilleure équipe avec laquelle j’ai jamais joué. Je ne me suis jamais autant amusé. J’ai appris à aimer le basket-ball et prendre du plaisir sur le terrain.

Christie : À l’entraînement, on n’arrêtait pas de faire des passes, de couper dans la raquette et de tirer. Les jours de matchs, on n’avait donc plus grand-chose à faire. Tout était organisé et fluide. Presque mécanique.

Hedo Turkoglu (ailier des Kings) : C’était ma deuxième année en NBA et j’étais simplement heureux d’être là. J’étais un Européen qui essayait de s’adapter. L’alchimie était incroyable, comme les relations avec les autres joueurs et les entraîneurs. C’est pour cela que nous avons eu autant de succès à l’époque.

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Adelman : Nous rendions hommage à l’équipe créée par Geoff Petrie. On ne change pas les choses du jour au lendemain. Ça nous a pris quatre ans.

Pollard : Un autre entraîneur n’aurait pas réussi à tirer autant de nous. Parfois, nous manquions de concentration, ou nous étions trop sérieux. Son sens de l’équilibre a aidé notre équipe à traverser les hauts et les bas… Adelman étant ce qu’il est, il savait que parfois, nous étions tous déçus de nous-mêmes après une défaite. Il n’avait pas besoin de nous pousser à fond le lendemain à l’entraînement pour nous remettre sur la bonne voie.

Christie : Il comprenait très bien comment gérer l’équipe. Si nous devions jouer deux matchs en deux jours, il nous laissait libres le jour suivant.

Divac : Nos relations sur et en dehors du terrain étaient incroyables. Ce fut l’une des clés de notre succès, car si nous étions bons sur le terrain, nous nous sommes aussi beaucoup amusés en dehors. C’était une joie incroyable. Nous allions ensemble au restaurant, en boîte, aux fêtes de famille, comme une véritable équipe.

Christie : Sur le terrain, nous nous amusions beaucoup, mais nous nous amusions bien davantage à l’extérieur du terrain, et je pense que c’est pour cela que tout a si bien marché. Parfois, nous nous retrouvions lors d’un match avec six ou dix points de retard, mais ce n’était pas grave. Nous étions certains de revenir. Tout le monde pensait que jouer à domicile était indispensable pour nous. Je ne pensais pas que c’était important, car nous savions que nous pouvions battre n’importe qui, n’importe où, à n’importe quel moment.

Divac : En principe, il faut jouer le mieux possible en saison régulière pour avoir l’avantage du terrain. On s’en foutait. Nous savions que nous pouvions battre n’importe qui.

Gray : C’était la plus belle équipe de la NBA. Il n’y avait pas photo.

Divac : Nous avions énormément de fans en dehors des États-Unis. Un jour, nous avons joué contre Minnesota à Tokyo, et il y avait des milliers de supporters qui encourageaient Sacramento, c’était incroyable.

Steve Cohn (membre du conseil municipal de Sacramento) : Même les gens qui ne connaissaient rien au basket-ball adoraient les voir jouer.

Adande : La Conférence Est n’était pas terrible cette année-là. Dallas et Sacramento étaient les équipes les plus spectaculaires. Les Lakers n’étaient pas du tout amusants ou excitants à voir. Ils avaient la meilleure équipe, mais ils étaient meilleurs quand ils s’appuyaient sur Shaq.

Geoff Petrie (président des opérations de basketball des Kings) : Cette équipe a conquis l’admiration non seulement des amateurs de basket-ball américains, mais aussi de tous les amateurs de basket-ball du monde, pour son style de jeu, son altruisme et la solidarité dont elle faisait preuve. C’était probablement l’une des équipes les plus populaires de la planète à cette époque.

Ailene Voisin (journaliste sportive au Sacramento Bee) : Ils étaient connus dans le monde entier. Je me souviens d’être partie en vacances à l’époque, et tous ceux que je rencontrais connaissaient le cinq de départ.

Jerry Reynolds (administrateur des Kings) : Quand on jouait à l’extérieur, c’était un peu comme les grandes équipes des Bulls avec Jordan, ou comme un groupe de rock. On arrivait à Chicago à deux heures du matin et des centaines de fans attendaient pour avoir des autographes. Ce n’était jamais arrivé [aux Kings] auparavant, et ça n’est plus arrivé depuis.

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II. La trilogie en marche (2/8)
III. L’affaire du bœuf de Kobe (3/8)
IV. « Big Shot Rob » sauve son équipe (4/8)
V. Avantage psychologique ? (5/8)
VI. Quand le vent siffle dans l’autre sens (6/8)
VII. Le quinzième round (7/8)
VIII. Epilogue : « Il n’y aura pas de revanche » (8/8)

« Poppo » et ses hommes

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Retour sur le début de carrière de Gregg Popovich, à l’époque où il entraînait la pitoyable équipe des Pomona-Pitzer Sagehens en troisième division universitaire.

par JORDAN RITTER CONN, le 1er octobre 2015

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Par un après-midi hivernal de 1980, l’homme qui allait devenir le meilleur entraîneur NBA de sa génération se tenait dans le gymnase décrépit d’une université de troisième division, désespéré et à court d’idées. Gregg Popovich avait trente ans et n’avait jamais rien gagné de sa vie. Il venait d’être embauché pour relancer le programme de basket-ball des universités de Pomona et Pitzer, deux facultés de sciences humaines et sociales du sud de la Californie si petites qu’elles avaient dû s’associer pour former une équipe sportive. Une équipe qui en cet instant regardait Popovich, vétéran de l’Air Force chargé d’amener l’excellence – ou, au mieux, la médiocrité – à l’une des pires équipes de basket-ball universitaires des États-Unis.

Les Sagehens étaient petits, lents, maladroits, peu combatifs, et n’avaient absolument aucun talent pour le basket-ball. C’étaient de futurs avocats, des intellectuels qui aimaient être entraînés de manière carrée. Popovich voulait gagner un titre national et n’avait aucune tolérance pour la dissidence. Pendant toute la saison, il avait eu du mal à trouver suffisamment de joueurs pour s’entraîner à 5 contre 5. Certains avaient quitté l’équipe. Beaucoup d’autres séchaient l’entraînement pour passer du temps au laboratoire de chimie, potasser leurs cours ou aller aux réunions du conseil étudiant. Ces jours-là, ils s’entraînaient à 4 contre 4.

À 4 contre 4, les Sagehens étaient un peu moins mauvais. L’espace supplémentaire sur le parquet ouvrait la défense et donnait davantage d’espace aux joueurs pour faire des passes et couper. Pour le match à suivre contre l’Université de Redlands, Popovich décida donc que, plutôt que d’essayer de rendre ses joueurs efficaces à 5 contre 5, il les ferait jouer avec un homme de moins.

Le jour du match, les Sagehens ont donc fait remonter la balle en laissant derrière eux un joueur au niveau de la moitié de terrain, occupant un défenseur. Et ils commençaient à exécuter une offensive à quatre joueurs, sans personne au poste. Des failles sont apparues dans la défense et des ouvertures se sont créées, permettant aux joueurs de prendre de bons tirs. Quand Redlands a compris la manœuvre et a voulu utiliser le cinquième défenseur pour faire des prises à deux, les Sagehens ont fait avancer leur cinquième joueur, maintenant sans surveillance, dans une zone libre de tout marquage. Il recevait une passe, tirait, et marquait parfois.

Plusieurs décennies avant de commencer à se passer de Tim Duncan pour la moitié de la saison et construire sa défense autour de l’incapacité de DeAndre Jordan à marquer des lancers francs, Popovich bousculait déjà les us et les coutumes du basket-ball, allant jusqu’à obliger les joueurs à tirer des lancers francs en sous-vêtements. « Il avait plusieurs cartes dans ses manches, explique Peter Osgood, un joueur de la première équipe de Popovich. C’était un magicien qui essayait de faire de nous des bons joueurs. »

Le système offensif improvisé a permis aux joueurs de marquer quelques paniers, mais Redlands a fini par s’ajuster. Pomona-Pitzer a poursuivi son horrible saison avec une nouvelle défaite. D’après ceux qui l’entraînaient et qui jouaient pour lui à l’époque, Popovich (qui a refusé d’être interviewé pour cet article) était à des années-lumière de la dynastie qu’il allait bâtir en NBA. Ce n’était qu’un jeune homme, sans rêve de grandeur, qui ne voulait pas être le dernier des derniers. Pour cela, il lui restait un long chemin à faire.

Les Sagehens sont aujourd’hui des hommes cultivés, avec des souvenirs plus ou moins clairs. Ils sont artistes, enseignants, avocats ou entrepreneurs ; tous sont liés par la période qu’ils ont passée avec celui qu’ils appelaient « Poppo ». Certains ont perdu contact avec leur coach. Beaucoup sont restés en relation avec lui. Plusieurs décennies plus tard, la plupart d’entre eux ont à son sujet la même opinion un peu controversée. Personne ne sait exactement comment le décrire.
« Hmmm… » (Rick Duque.)
« Eh bien… » (Tim Dignan.)
« Vous savez… » (Kurt Herbst, qui fait une pause, comme s’il voulait ne pas dire de bêtise.)
« C’était un bon entraîneur. »

Un bon entraîneur. Dans l’évangile de Popovich, cela se rapproche de l’hérésie. Les dieux sont-ils simplement bons à être divins ? Nous parlons d’un homme qui a remporté cinq championnats NBA au cours des seize dernières saisons, tous avec la même franchise ; d’un entraîneur qui a dominé avec des équipes à la fois laborieuses et improvisées, s’adaptant non seulement à ses joueurs mais aussi à la direction prise par la ligue. L’excellence de ses équipes, année après année, a remis en cause le délai conventionnel pendant laquelle les franchises de NBA peuvent rester prétendantes au titre. Avec le directeur général R.C. Buford, il a inspiré une maxime simple mais efficace d’entraînement et de gestion : « Si vous ne savez pas quoi faire, imitez les Spurs. »

Pourtant, les histoires racontées par les premiers joueurs qu’il a entraînés ne se fondent pas dans la tradition. Popovich n’était pas un génie qui officiait dans une petite école. C’était un entraîneur en pleine évolution, qui s’habillait comme l’as de pique et aimait le bon vin, mais n’avait pas assez d’argent pour acheter les meilleures bouteilles. Sur le terrain, il essayait des trucs bizarroïdes. Quand l’équipe se rassemblait, il tentait d’imiter Bobby Knight. Mais il se souciait profondément des gens autour de lui et même des tâches les plus banales de son travail. Et tout en bricolant, fulminant et expérimentant avec ses marginaux du basket-ball (ce qu’il fera pendant une décennie), il continuait à chercher les relations et les expériences qui l’aideraient à trouver son identité d’entraîneur.

À l’été 1979, l’université de Pomona avait une réputation bien ancrée : celle d’être l’une des écoles les plus sélectives du pays. Celle de Pitzer était plus jeune. Elle était née en plein mouvement hippie, et ses étudiants prétendaient en riant vouloir donner un côté « humain » aux sciences humaines.

Pomona et Pitzer faisaient partie du consortium d’établissements d’enseignement supérieur de Claremont, un groupe de cinq institutions voisines et étroitement liées qui se trouvent à environ une heure à l’est de Los Angeles. Pendant près de deux décennies, Pomona avait eu sa propre équipe. Après la création de Pitzer en 1963, les écoles se sont associées au début des années 70 pour former une équipe qui représenterait les deux établissements. Avant la fusion avec Pitzer, l’équipe de Pomona était mauvaise. Après la fusion, les deux équipes l’ont été ensemble.

Le doyen de Pomona, Bob Voelkel, un ancien joueur de troisième division au College of Wooster, a voulu changer les choses. Contrairement à la plupart de ses collègues, c’était un grand amateur de sport. « Dans ces petites écoles d’élite, explique Lee Wimberly, futur assistant de Popovich, scout des Spurs et entraîneur en chef de Swarthmore, presque tout le personnel de la faculté méprise les entraîneurs. Ils ne les considèrent pas comme leurs égaux. Bob Voelkel était différent. »

À l’été 1979, Reggie Minton, à l’époque entraîneur adjoint de l’Air Force, a reçu un appel lui demandant s’il voulait devenir entraîneur à Pomona-Pitzer. D’après le San Antonio Express-News, il a refusé mais a recommandé Popovich, un autre entraîneur adjoint de l’Air Force. Quelques semaines plus tard, Popovich et sa famille quittaient le Colorado pour la Californie du Sud, où il a hérité d’une équipe composée de joueurs admirablement médiocres. « Dans cette équipe, raconte Osgood, il y avait peut-être quatre ou cinq gars qui avaient été titulaires au lycée. Les autres n’étaient que des cireurs de banc. » L’équipe se construisait comme le faisait Pomona depuis des décennies : avec des tests de niveau. Les entraîneurs distribuaient des tracts, et les volontaires venaient au gymnase pour s’entraîner quelques jours. Les moins mauvais gagnaient le droit de devenir des joueurs de basket-ball universitaires.

Ils s’entraînaient, jouaient et perdaient, encore et encore. Lors de la première saison de Popovich, ils ont terminé avec deux victoires et vingt-deux défaites. Ils ont perdu contre Caltech, la pire équipe universitaire du pays, mettant fin à la série de 99 matchs sans victoire des Beavers. Mais si les malheurs de Pomona-Pitzer continuaient, ses joueurs se rendaient compte que quelque chose changeait. « Poppo était vraiment bouleversé quand nous perdions, confie Osgood. Avant, quand nous nous faisions écraser, on ne changeait rien du tout. Personne ne criait. Personne n’était puni ou pointé du doigt. Gagner ou perdre n’avait absolument aucune importance. Tout d’un coup, c’est devenu le cas. »

Et bientôt, les choses allaient prendre une ampleur encore plus grande. Depuis le jour où il avait mis les pieds sur le campus pour entraîner sa première équipe, Popovich avait commencé à penser au groupe de l’année suivante. Peu importe le nombre de systèmes offensifs improvisés et de techniques de motivation, les Sagehens ne gagneraient jamais sans des joueurs à peu près corrects. Alors, l’hiver suivant, il a essayé une chose qu’aucun entraîneur de Pomona n’avait jamais faite. Il a recruté.

Il a commencé par des lettres formelles, qu’il écrivait et envoyait à presque tous les lycées du tiers occidental des États-Unis. Dedans, il se présentait et expliquait ce qu’il voulait : des jeunes qui, premièrement, savaient jouer au basket-ball et, deuxièmement, avaient une chance d’intégrer l’une des deux écoles pour lesquelles il entraînait. « C’était le processus le moins efficace du monde », révèle Charles Katsiaficas, ancien assistant de Popovich et actuel entraîneur de Pomona-Pitzer. Après avoir bombardé la région avec leurs sollicitations, ils dressèrent une liste de plusieurs centaines de noms – des jeunes qu’un entraîneur d’une ville quelconque pensait être assez intelligents pour aller à Pomona ou Pitzer, et assez bons pour aider l’équipe de Popovich.

La plupart du temps, ces entraîneurs étaient à côté de la plaque. Ils recommandaient de très bons joueurs avec des moyennes insuffisantes, ou des étudiants brillants qui arrivaient à peine à faire un double-pas. Popovich prenait en compte toutes les recommandations. Il passait des coups de téléphone et posait des questions portant sur les qualités physiques et les résultats scolaires. De fil en aiguille, il réduisit sa liste, coupant non seulement les joueurs qui n’étaient pas assez bons, mais aussi ceux qui l’étaient trop – ceux qui se dirigeaient vers Stanford, la Californie ou plus à l’est, en Ivy League. Finalement, la liste ne compta plus qu’une dizaine de noms. Si les matchs de certains joueurs avaient été filmés, il les regardait. Si des joueurs vivaient à proximité, il allait les voir. Sinon, il n’avait pas d’autre choix que de se fier aux statistiques et aux avis de gens qu’il ne connaissait pas. Quand certains de ses choix sont arrivés sur le campus, Popovich ne les avait jamais vu jouer.

« Il était obsédé par ce processus », dit Katsiaficas. C’était un travail fastidieux. Il passait la nuit à son bureau, à lécher des enveloppes et donner des coups de fil. « Mais le plus important, c’était ce qui en découlait. Il fallait donc faire tout ça avec minutie. C’est une activité terriblement ennuyeuse, mais pour que les choses se passent correctement, il n’y avait pas d’autre choix. »

Et voici peut-être le secret le plus incroyable des annales de Pop. L’homme devenu célèbre pour être avare en paroles, l’entraîneur qui s’est fait une spécialité d’humilier les reporters nonchalants, adorait recruter. Il adorait vraiment ça, d’après ceux qui le connaissaient. Ses lettres étaient magnifiques, écrites à l’encre bleue et en cursive. Il s’intéressait aux motivations des joueurs en matière de basket-ball, et bifurquait vers leurs intérêts intellectuels, confiant dans le fait que seul Pomona-Pitzer pourrait récompenser les deux. Il appelait la nuit, souvent le dimanche, et demandait aux étudiants comment se passaient leurs cours et comment allaient leurs familles. Après avoir épuisé tous ces sujets, il essayait de les convaincre de rejoindre son équipe. Comme ils évoluaient en troisième division, il ne pouvait offrir aucune bourse, mais il faisait l’éloge du campus, de la faculté, du beau temps et la possibilité de jouer en championnat.

Et finalement, malgré le statut de génie grincheux le plus aimé du basket qu’est Popovich, il n’y a rien de plus normal. L’homme qui a écrit ces lettres et passé ces appels est l’homme qui a attiré LaMarcus Aldridge à San Antonio, celui que l’on imagine déguster du vin avec Boris Diaw, discuter de l’histoire des Aborigènes avec Patty Mills, et s’entraîner à rester impassible avec Kawhi Leonard et Duncan. Il aime parler, mais seulement en privé et selon ses termes. Dave DiCesaris, qui a choisi Pomona plutôt que d’intégrer une université moyenne de Division I, déclare à son propos : « Je ne sais pas si c’était réellement le cas, mais on sentait qu’il se souciait plus de vous en tant que personne que n’importe quel autre entraîneur. Il était vraiment curieux. On aurait qu’il voulait vraiment vous connaître mieux. »

Pour sa deuxième saison, Popovich a fait passer des tests à tous ses joueurs de l’année précédente. L’enjeu : retrouver leur place de titulaires. Tous ont été renvoyés, sauf deux. Ils ont été remplacés par un transfuge d’une autre école et par seize étudiants de première année. Sept d’entre eux sont entrés dans l’équipe universitaire, tandis que le reste constituait la nouvelle équipe réserve. La taille moyenne de l’équipe est passée de 1,88 m à 1,96 m. « Cette année représente un grand pas en avant dans notre programme », déclarera Popovich au journal étudiant de Pomona. Les Sagehens sont passés de deux victoires à dix, et l’année suivante, lors de la saison 1981-82, ils ont atteint les 50 % de victoires dans leur ligue.

Ils jouaient pour un homme qui était à tour de rôle désagréable et doux, enclin à des crises de colère et toujours à la recherche de son propre style. « Il voulait être Bobby Knight, raconte l’ancien joueur Dan Dargan. À l’époque, tout le monde voulait être Bobby Knight. » Un jour, à la mi-temps, Popovich a frappé un tableau noir à roulettes et l’a brisé en deux avec son poing. Il commençait chaque saison avec trois ou quatre meneurs de jeu, car il savait qu’un ou deux arrêteraient en cours de route. « Je le regardais crier après Tony Parker, dit Ashanti Payne, qui a joué meneur de jeu pour Pomona-Pitzer vers la fin du mandat de Popovich, et je n’avais aucun mal à me mettre à sa place. »

Il recrutait des joueurs corrects, mais rarement des joueurs capables de marquer des lancers francs de manière régulière. Alors, un après-midi, fatigué de leurs errances sur la ligne de pénalité, il a masqué les fenêtres du gymnase avec du papier brun opaque. Il a demandé à la responsable féminine de l’équipe de quitter la salle. Il ne voulait pas d’étrangers, pas de témoins. Les joueurs se sont rassemblés autour de lui et Popovich a annoncé ce qu’il avait prévu. Un par un, ils se présenteraient la ligne et feraient un lancer. S’ils réussissaient leur tir, ils s’éloignaient et attendraient leur prochain tour. S’ils le rataient, ils retireraient un vêtement. Rapidement, les chaussures, les chaussettes, puis les maillots sont tombés. Certains joueurs n’avaient plus sur eux que leurs sous-vêtements. Il avait essayé de les faire recommencer, il les avait punis avec des sprints, il avait voulu corriger leur mécanique de tir. Peut-être que leur faire honte allait enfin fonctionner. Ça n’a pas été le cas. Ça n’a jamais marché. Pendant presque toute sa carrière à Pomona-Pitzer, Popovich n’a jamais aligné une équipe douée aux lancers francs.

Beaucoup de joueurs partaient. C’était logique. Bien avant que les entraîneurs de football américain de la SEC ne popularisent le recrutement massif, Popovich engageait plus d’étudiants de première année par saison qu’il en avait besoin. Une fois sur place, certains ont décidé qu’ils ne voulaient pas subir son joug s’ils ne devaient jouer qu’en équipe réserve. Des étudiants de deuxième et troisième année ont abandonné le campus pour étudier à l’étranger, en Espagne ou en Grèce. Parmi ceux qui sont restés, certains ont choisi de se concentrer sur la préparation de leurs examens d’entrée plutôt que de jouer au basket-ball. « Vous n’êtes pas boursier et vous savez déjà que vous n’allez pas devenir professionnel, explique Chuck Kallgren, qui a joué au cours de la première moitié du mandat de Pop. En plus de cela, vous essayez de vous amuser, de profiter de la vie étudiante, et vous essayez de suivre le rythme dans une école vraiment difficile. Certains de nos gars se sont demandés pourquoi ils s’infligeaient ça. Ils rentraient dans leur dortoir après un match et leurs colocataires leur demandaient où ils étaient passés. La plupart de leurs amis savaient à peine que Pomona a une équipe. »

D’après les joueurs, Popovich comprenait la situation. Il les excusait lorsqu’ils devaient étudier, écrire des articles, assister à des réunions ou à des entretiens. Lorsqu’ils partaient pour un semestre à l’étranger, il les accueillait à leur retour, les intégrant parfois directement dans la rotation en milieu de saison. Popovich assistait à des cours, présidait des réunions et parlait de politique et de philosophie avec des professeurs autour d’une bouteille de vin, souvent prise dans le casier de huit bouteilles qu’il gardait dans le dortoir qu’il partageait avec sa femme et ses enfants. Steven Koblik, un professeur d’histoire de Pomona qui jouait le rôle de conseiller académique de l’équipe, le décrit comme un sparring partner intellectuel. « S’il y a une chose qu’il a retenu de toute cette expérience, c’est peut-être de voir les basketteurs comme davantage que des athlètes, déclare Mike Blitz, un ancien joueur de Saratoga, en Californie. Il nous considérait comme des personnes qui avaient quelque chose à dire. » Maintenant que Popovich n’est plus un entraîneur de troisième division mais une légende en devenir, des questions se posent : y avait-il des signes ? Comment a-t-il réussi à devenir celui qu’il il est aujourd’hui ? Ces réponses ne dépendent pas de faits mais de contorsions mentales, de tentatives d’attribuer un sens à des souvenirs qui autrement n’en auraient pas. « Entraîner Pomona ne lui a pas fait voir en nous des êtres humains, confie DiCesaris. Il avait déjà cette curiosité pour les gens. C’est justement pour cela que Pomona était parfaite pour lui. »

Popovich invitait les joueurs chez lui pour un plat qu’il appelait des « tacos serbes ». Il écrivait des lettres aux mères pour les féliciter des notes de leurs fils, et il faisait jouer les chauffeurs de banc quand il savait que leurs parents étaient dans la salle. Lorsqu’une étudiante de son staff s’est présentée à la présidence des troisième année, il a collé ses affiches autour du gymnase et a enlevé celles de son adversaire. (Elle a gagné.) Il a commencé en portant un costume et une cravate à chaque match, mais au fil des mois, il a laissé tomber le manteau, puis la cravate, et en mars, il piétinait la ligne de touche dans un sweat-shirt à capuche gris et un pantalon de survêtement. « Il a réalisé que nous étions ceux que nous étions, dit l’ancien meneur Evan Lee. Il s’est mis à notre niveau. On avait du mal, mais on a lutté ensemble. »

En 1984, Popovich avait amené le programme à un bon niveau de médiocrité. Les Sagehens étaient laborieux mais efficaces, avec une identité en constante évolution. « Certains entraîneurs recrutent des joueurs en fonction de leur système, explique Wimberly. Nous, nous prenions les joueurs que nous avions la chance d’avoir – ceux qui se présentaient au premier entraînement – puis nous ajustions notre système en fonction de leurs capacités. » Si l’attaque basée sur le rythme et l’espace des Spurs existait dans un coin de l’esprit de Popovich, on n’aurait pas été en mesure de le deviner en regardant jouer Pomona-Pitzer. Ils essayaient de bouger, de se faire des passes, d’appliquer les bases du basket-ball en équipe, mais le plus souvent, leur succès au milieu des années 80 venait de l’un des meilleurs joueurs de la ligue : Dave DiCesaris.

L’équipe a quand même failli perdre sa star en novembre 1984, après deux défaites des Sagehens à l’extérieur, à San Diego, aux alentours de Thanksgiving. Popovich, mécontent de la performance de ses joueurs, a embarqué ses joueurs dans la camionnette Econoline de l’équipe, est passé sans s’arrêter devant le restaurant où il avait réservé un brunch copieux, et les a conduits jusqu’à la salle de sport du campus. Il a fait venir les joueurs sur le terrain et les a fait courir. DiCesaris était furieux, pas contre son entraîneur mais contre son équipe. Il n’avait jamais perdu autant de matchs de sa vie. Il s’est mis à courir, furieux, en hurlant après ses coéquipiers. Puis il a ramassé un ballon de basket et l’a jeté à travers le gymnase.

DiCesaris se souvient alors d’avoir vu Popovich le fixer, ses yeux lançant des éclairs. Il a dit calmement : « Sors de mon gymnase. Tu ne fais plus partie de l’équipe. » DiCesaris est parti et a erré sur le campus sans savoir quoi faire. Il croyait être entré à Pomona uniquement parce qu’il pouvait dunker facilement et marquer des tirs de n’importe quel endroit du terrain. Il s’était déjà demandé s’il était digne de cette école. Maintenant qu’il avait perdu le basket-ball, il commençait à se demander si cela valait encore le coup de rester.

Dan Dargan, l’un des capitaines d’équipe, s’est approché de Popovich après l’entraînement. Il savait qu’il n’y avait qu’un seul joueur ayant le niveau de Première Division dans leur école, et Popovich venait de le chasser du gymnase. Dargan a dit à son entraîneur : « Nous avons besoin de Dave dans cette équipe. » Popovich a cédé. Il a invité DiCesaris à venir le voir dans son dortoir et l’a réintégré. « Ce moment, dit DiCesaris, aurait pu changer toute ma vie. » La saison suivante, les Sagehens ont remporté le championnat de leur Conférence, leur premier en soixante-huit ans. DiCesaris a été nommé MVP de l’équipe. Ils n’ont su qu’ils avaient remporté le titre que le lendemain de leur dernier match. Ils se sont entassés dans le bureau de Popovich, vérifiant le classement final. « Il a commencé à célébrer un peu, se souvient Lee. C’est là que j’ai compris qu’il n’y avait pas de mal à se réjouir. »

L’année suivant le titre de la conférence, Popovich a pris un congé sabbatique. Il s’était rapproché de Larry Brown après avoir essayé, sans succès, d’intégrer le staff de deux équipes entraînées par Brown – l’équipe olympique masculine américaine de 1972 et les Denver Nuggets (qui faisaient partie de l’ABA) en 1976. Pendant son congé, Popovich a passé la moitié de l’année avec Brown au Kansas, restant dans son ombre et servant d’assistant bénévole avec les Jayhawks. La saison suivante, Brown a invité Popovich à revenir à Lawrence avec l’équipe de Pomona-Pitzer pour un match amical de début de saison.

C’est ainsi qu’en 1987, les Sagehens se sont retrouvés à Allen Fieldhouse, où ils ont trouvé 16 000 fans hurlants, un futur entraîneur du Hall of Fame sur la ligne de touche adverse et Danny Manning, l’un des plus grands joueurs universitaires de tous les temps, s’échauffant à l’autre extrémité de la salle. Avant le match, Popovich a déclaré à son équipe : « Ne faites pas attention à ce que je vais dire aux médias. Je dirai certaines choses parce que j’y suis obligé, mais n’y faites pas attention. » Et bien entendu, il a joué l’humilité. « Nous ne pouvons pas gagner, a-t-il déclaré aux journalistes avant le match. C’est impossible. » Mais avec l’équipe, il a changé de ton. « Il voulait qu’on profite de l’occasion et qu’on fasse de notre mieux, dit Duque. Mais dès l’entre-deux de départ, l’esprit de compétition a surgi. Il n’était plus question de simplement s’amuser et de ne pas blesser Danny Manning. On était conscients de notre valeur, mais le but était d’essayer de gagner. »

Ils n’ont jamais eu la moindre chance. « Les pom-pom girls adverses étaient plus grandes que nous, explique Duque. C’était tout simplement impossible. » En seconde période, Popovich a demandé un temps mort, a sorti son tableau blanc et a dessiné une tactique en backdoor qu’il savait que Kansas aimait exécuter. Il a regardé l’un de ses joueurs, John Peterson. « Tu ne peux pas te prendre un écran, dit Lee en citant Popovich. Tu dois le contourner. Et si tu y arrives, tu dois sauter sur ton adversaire direct. Tu dois le gêner. » Lors de la possession suivante, bien entendu, Kansas a exécuté l’action exactement comme Popovich l’avait décrite. Peterson a pris un écran. Il n’a pas réussi à le contourner. Il n’a jamais pu sauter sur son adversaire direct. Il n’a pu que lever les yeux pour voir son adversaire dunker.

Sur le banc, les Sagehens ont éclaté de rire. Il n’y avait rien que Popovich puisse faire, rien que personne ne puisse faire, à part se tenir sur la touche et sourire en secouant la tête. Pomona-Pitzer a perdu 94-38. Dans le journal étudiant de la semaine suivante, le résumé du match avait pour titre : « Kansas surprend les Sagehens ».

Au cours des décennies suivantes, tout en passant du banc des Spurs et du poste d’assistant de Brown à celui de directeur général de San Antonio (et de revenir sur le banc en tant qu’entraîneur principal), Popovich a gardé le contact avec ses anciens joueurs de Division III et ses entraîneurs adjoints. Il venait voir leurs matchs et leurs entraînements chaque fois que les Spurs étaient à Los Angeles. Après les matchs, il parcourait le pays en voiture jusqu’à Salt Lake City, Oakland, Seattle ou Minneapolis, et en sortant des vestiaires, il trouvait ses anciens joueurs, ses assistants et même ses anciens managers prêts à aller dîner avec lui. Certains joueurs confient qu’il les a invités à San Antonio en insistant pour qu’ils ne paient rien. Il a visité des hôpitaux. Il posait des questions sur les carrières, la santé et les familles. De temps en temps, ils écrivaient pour demander des conseils, et il leur répondait.

Aujourd’hui, les joueurs sont un peu sur la défensive. Ils le voient à la télévision, en train de dévorer des reporters en entier. Ils savent qu’il peut être particulièrement retors. Mais ils insistent sur le fait que si l’on arrive à découvrir sa tendresse, on voit les moments négatifs de Popovich comme une part de son charme. « J’avais du mal à juger sa valeur en tant qu’entraîneur à l’époque, dit DiCesaris. Mais je savais que je jouais pour quelqu’un qui se souciait de moi. Et les années qui ont suivi m’ont donné raison. »

Aucun des joueurs de la Division III de Popovich ne s’attendait à ce qu’il fasse une carrière d’entraîneur digne du Hall of Fame. Pas plus que Popovich, selon son ancien entraîneur adjoint Katsiaficas. À Pomona, le futur gourou des Spurs ne suivait pas la NBA et il n’avait pas l’ambition nécessaire. Katsiaficas déclare : « Il ne se souciait pas de sa carrière, mais il se souciait vraiment, vraiment de son travail. » Pourtant, parfois, dans les moments calmes avec ses assistants, Popovich s’interrogeait sur ses propres capacités. Wimberly se souvient de l’avoir entendu dire : « Vous savez, on a tout ce qu’il faut pour être aussi bons que les entraîneurs qu’on voit à la télévision. La seule différence est qu’ils ont eu les bonnes opportunités ou qu’ils connaissent les bonnes personnes. »

Au cours de son semestre au Kansas, Popovich a lié connaissance avec la bonne personne. Lui et Brown s’étaient déjà bien entendus, mais le fait de travailler ensemble cette saison a approfondi leur lien. Et quand Popovich est revenu à Pomona pour la saison 1987-88, tout s’est accéléré. Le doyen qui l’avait embauché – Bob Voelkel, que Popovich appelait son deuxième père – est décédé peu de temps après le retour de Popovich d’un congé sabbatique. L’administration était moins désireuse de soutenir les activités sportives. Et à l’été 1988, lui, sa femme et son entraîneur adjoint Wimberly se sont réunis pour se demander s’il était temps de faire un changement. Ils ont allumé la télévision et ont vu que Larry Brown avait été embauché par les Spurs. Le mentor de Popovich se dirigeait vers la NBA. « Tu devrais l’appeler, se souvient d’avoir dit Wimberly à Popovich. Il peut peut-être te prendre avec lui. »

Mais Pop était réticent. D’une part, il hésitait encore à quitter ses joueurs et l’école où il avait élu domicile. Mais il y avait quelque chose en plus : il ne savait pas s’il le méritait. « Il pensait que Larry Brown allait lui rire au nez », dit Wimberly. Popovich avait trente-neuf ans et était devenu un gagnant. Pourtant, il semblait toujours manquer de la confiance qui le mènerait au sommet. Wimberly l’a encouragé. La femme de Popovich aussi. Finalement, il a cédé. Et tout a commencé ainsi, il y a vingt-sept ans, juste avant de recevoir l’offre qui le mettrait sur la voie de cinq championnats NBA – lorsqu’un Gregg Popovich hésitant a pris son téléphone.

Le voyageur

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Devenu agent libre, Thomas Robinson parviendra-t-il à s’installer à long terme dans une équipe NBA ?

par JONATHAN ABRAMS, le 1er juillet 2015

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Lorsque David Stern annonça sa sélection en cinquième position à la draft de 2012, Thomas Robinson fondit en larmes et embrassa sa sœur cadette. C’était une formidable récompense, après la tragédie et le chagrin qu’il avait endurés. « Il a dû passer d’un seul coup du statut d’enfant à celui d’adulte », témoigne Barry Hinson, ancien directeur des opérations basketball de l’Université du Kansas. La NBA représentait une chance de mener une vie confortable, et cette nuit-là, ce qui n’était un rêve d’enfant est devenu réalité. Huit mois plus tôt, un entraîneur adjoint avait dit à Robinson que s’il faisait une bonne troisième année, il pouvait s’attendre à être sélectionné en fin de premier tour. Robinson s’était fâché. Il ne pensait pas que vingt-sept joueurs étaient meilleurs que lui. Ses performances lui donnèrent raison et Robinson mena l’université du Kansas en finale du championnat national.

Les Sacramento Kings avaient recruté Robinson dans le but de l’associer avec le jeune joueur vedette de l’équipe, DeMarcus Cousins. Comme Cousins, Robinson avait été un intérieur dominant à l’université, et les Kings semblaient pouvoir construire autour de ce secteur. « Je pense que c’est arrivé parce que c’est là que ce joueur était supposé être, déclara à la presse Keith Smart, alors entraîneur de Sacramento, après la sélection de Robinson. Parfois, ça se passe comme ça. On atteint un certain niveau, puis, le moment venu, on finit par arriver là où l’on est supposé être. »

Si la sélection de Robinson était prédestinée, comme le prétendait Smart, son séjour à Sacramento ne dura pas longtemps. L’année suivante, lorsque la date de fin des transferts approcha, Sacramento – une franchise connue pour ses décisions énigmatiques en matière de gestion – fut la seule à échanger l’un des cinq premiers choix de la précédente draft. Robinson attaque aujourd’hui sa quatrième saison en NBA et cherche toujours sa place. Il a été échangé à plusieurs reprises, a été remercié, et a terminé la dernière saison à Philadelphie, une franchise qui paraît se reconstruire sans cesse. Il est peu probable que Robinson signe de nouveau avec les Sixers en tant qu’agent libre (il l’est depuis minuit), mais quel que soit l’endroit où il atterrira la saison prochaine (les Nets se disent intéressés), Robinson est déterminé à trouver une place à long terme en NBA.

Autrefois, Robinson jouait au basket-ball pour l’amour du jeu. C’est toujours le cas, mais les choses ne sont plus les mêmes. En attendant de signer avec sa cinquième équipe en quatre saisons, il joue pour prouver que ceux qui doutent de lui ont tort. « Je ne me suis jamais senti aussi méprisé, a-t-il déclaré à la fin de la saison dernière. Le système me dégoûte. Toutes les raisons pour lesquelles j’avais envie d’intégrer la NBA n’ont plus raison d’être. Je ne suis plus ici pour ce qui me motivait quand j’ai été drafté ou quand j’étais enfant. Mon état d’esprit a complètement changé. En dehors de quelques joueurs, on vous traite comme une marchandise. Aujourd’hui, je ne joue plus pour l’argent, ni par amour du jeu. Je joue parce que je veux qu’on me respecte. Et je garderai cet état d’esprit jusqu’à ce que les choses changent. »

On avait déjà douté de Thomas Robinson. « Honnêtement, il n’était pas si bon. Pas autant que ça, se souvient Dwight Redd, l’un de ses premiers entraîneurs dans sa ville natale de Washington. Sur le terrain, Robinson dépassait souvent ses équipiers en taille, mais en général, il se dirigeait vers la ligne des trois points et tirait de loin. Redd demanda à Robinson d’être plus présent au rebond, le laissant parfois sur le banc pour faire passer le message. S’il avait tendance à rester loin de la raquette, Robinson avait une excellente éthique de travail. Il faisait souvent des heures supplémentaires et travaillait sans relâche. Un acharnement qui porta ses fruits lorsqu’en 2008, Robinson partit jouer dans un camp d’été sponsorisé par Reebok à Philadelphie. « Lorsqu’il est revenu à Washington à la fin de la semaine, le téléphone n’a pas arrêté de sonner, confie Redd. Après l’été, Thomas avait au moins quatre-vingts offres. » En plus de vanter l’attractivité des programmes universitaires, les entraîneurs rivaux essayèrent de débaucher Robinson, en lui glissant que Redd ne pourrait pas le faire passer au niveau supérieur. Redd avait alors pris son joueur à part. « Je vais te dire une chose. C’est toi qui décides. Mais tu iras loin dans la vie en étant loyal. Quand personne ne te connaissait, quand personne ne voulait [t’entraîner], je t’ai hébergé pendant des semaines, alors qu’aucun de ces gens-là ne se souciaient de toi. Tu es le seul à pouvoir décider. »

Robinson est resté avec Redd. Sa mère, Lisa, lui avait appris à être loyal, et Robinson lui montra, ainsi qu’aux personnes qui avaient gagné son estime, qu’il avait retenu la leçon. « Pendant la semaine, Thomas restait chez [Redd] pour qu’il ne soit pas en retard à l’école, explique Lou Wilson, l’entraîneur de Robinson au lycée baptiste Riverdale du Maryland. Si l’on remettait en question son autorité, sa mère faisait preuve d’une grande fermeté. Si Thomas voulait rester le week-end, elle disait : Non. Je veux que tu sois à la maison vendredi soir. Tu as des corvées à faire. »

Voilà pourquoi Robinson cessa de chercher davantage lorsqu’il visita l’Université du Kansas, dans la ville de Lawrence. L’entraîneur, Bill Self, lui avait plu, mais il se sentait surtout attiré par l’atmosphère familiale de l’équipe des Jayhawks. Robinson se lia très vite d’amitié avec les jumeaux Morris, Marcus et Markieff ; leur mère, Angel, s’était installée au Kansas avec ses fils et aimait tous les joueurs de l’équipe. Les jumeaux téléphonaient souvent à la maison pour dire à Angel qu’ils venaient dîner, et elle demandait combien de leurs coéquipiers ils comptaient amener avec eux. « Nous l’appelions Maman. Elle s’occupait de tout le monde, raconte Hinson, le directeur des opérations basketball. Pour moi, pour le personnel, pour les joueurs, elle était comme une mère. Tout le monde l’adorait. »

Robinson se joignit à la troupe, et les jumeaux devinrent triplés. « Il étaient plus que proches, déclare Hinson à propos de la relation de Robinson avec les Morris. C’était comme s’ils étaient collés à la colle forte ou à la Super Glue. » Angel Morris fut surprise lorsqu’elle rencontra Robinson pour la première fois. Il la prit dans ses bras en lui disant : « Ma mère m’a dit de te dire de l’appeler. » Elle trouva cela étrange, car elle ne connaissait pas sa mère. Mais Lisa Robinson s’était renseignée et elle avait appris qu’Angel veillait sur tous les joueurs. Elle s’adressa à elle avec politesse et respect. « Puis-je vous demander une faveur ? Pouvez-vous vous occuper de mon bébé pendant qu’il est là ? » Angel accepta, et elle l’aurait fait quoi qu’il arrive. « Sa mère et moi sommes devenues de très bonnes amies, témoigne Angel. Elle n’aimait pas prendre l’avion. J’ai donc veillé sur son fils. Elle appelait parfois pour me dire que Thomas ne l’avait pas appelée. Je lui disais de ne pas s’inquiéter, que j’allais découvrir pourquoi il ne l’avait pas fait. »

Robinson travaillait souvent avec les jumeaux pour améliorer son jeu. En un-contre-un, ils faisaient partie des meilleurs joueurs qu’il ait jamais affrontés. Mais leur lien était plus profond que le basket-ball. « Quand je les ai rencontrés, je les ai un peu idolâtrés, déclare Robinson. Parce que j’ai rencontré des gens comme moi, avec des antécédents similaires et leur même façon de travailler. » Lorsque Robinson attaqua sa deuxième saison, sa deuxième famille du Kansas joua un rôle vital lorsque ses grands-mères, son grand-père et sa mère décédèrent subitement. Les tragédies se succédaient, avec comme point culminant la mort inattendue de la mère de Robinson, décédée à 37 ans, apparemment d’une crise cardiaque. La perte subie par Robinson fut incommensurable, comme s’en souvient Self : « Je lui ai demandé si je devais informer quelqu’un du décès de sa mère. Thomas a simplement répondu : Coach, je n’ai plus personne.« 

Ces décès affectèrent tous ceux qui étaient en relation avec Robinson. Le père de Hinson était prêtre baptiste et il avait souvent vu des gens faire face à la perte d’un être cher, mais jamais à une telle échelle. « J’ai vu sous mes yeux un gamin se transformer un homme, confie Hinson. Il a dû prendre des décisions entièrement seul. Il n’y avait personne pour l’aider. Pouvez-vous imaginer, à dix-neuf ans, quoi répondre à quelqu’un qui vous demande de choisir la tenue que votre mère va porter dans son cercueil ? » Hinson prétend avoir eu du mal à soutenir Robinson pendant cette période. « Je jouais la comédie à fond, a déclaré Hinson. Je ramais comme un fou. Puis je rentrais dans ma chambre d’hôtel [et] je me mettais à pleurer, parce qu’il était difficile de voir ce que vivait ce gamin. Je me sentais impuissant. Notre travail d’entraîneur, c’est d’ajuster les choses. Une tactique ne fonctionne pas ? On la travaille. Un joueur ne sait pas défendre ? On lui apprend. Un gosse a besoin de soutien scolaire ? On s’en occupe. Quand nos étudiants ont ces problèmes, nous les réglons. On ne pouvait pas résoudre ce problème-là. »

Robinson a tenté de rester fort pour sa sœur Jayla, âgée de neuf ans, qu’il avait toujours protégée. Son père à lui l’avait abandonné très tôt ; le père de Jayla avait déjà purgé une peine de prison avec sursis pour une affaire de drogue. Robinson a accéléré les choses. Il a disputé un match contre l’Université du Texas le lendemain du décès de sa mère, tout en organisant ses funérailles et en faisant ce qu’il fallait pour prendre soin de sa sœur. Il a joué huit minutes, a marqué deux points et pris cinq rebonds. La série de victoires à domicile de 69 matchs des Jayhawks s’est arrêtée avec une défaite de 74-63 contre les Longhorns. « À l’université, vous établissez de véritables liens de fraternité avec les autres. Nous avons donc un peu ressenti sa douleur, déclare Marcus Morris. Quand [on] perd sa famille en si peu de temps, c’est difficile à surmonter. »

À cause de cette proximité, lorsque Marcus et Markieff Morris se sont déclarés candidats à la draft NBA après le tournoi de la NCAA en 2011, Robinson a voulu quitter l’école avec eux. « C’est moi qui ai décidé, révèle Angel. Pas lui. J’ai décidé qu’il n’était pas prêt. » Robinson n’avait pas encore eu l’occasion de s’établir comme un candidat solide au premier tour de draft. Partir après sa deuxième saison universitaire aurait été une erreur à coup sûr ou presque, et la décision d’Angel a sauvé Robinson. « Je ne sais pas comment pas expliquer notre relation, dit Robinson. C’est un peu ma deuxième mère. Elle a repris ce rôle et ne l’a jamais fait d’une manière qui me mettait mal à l’aise. Elle m’a laissé m’y habituer. Elle m’a laissé arriver au point où je suis heureux de la traiter comme telle. »

Angel avait bien fait : Robinson a finalement réussi à briller lors de sa saison junior. L’équipe du Kansas avait toujours pensé que Robinson avait un avenir en NBA, mais en première année – comme tous les rookies – il avait peu joué (près de sept minutes par match derrière les jumeaux Morris et Cole Aldrich). En deuxième année, les statistiques de Robinson ont grimpé à 7,6 points et 6,4 rebonds en 14,6 minutes, mais le grand saut a eu lieu après que ses coéquipiers les plus proches, les jumeaux Morris, sont partis en NBA et ont ouvert la porte à Robinson.

« Nous avons traversé toutes les épreuves avec Thomas, déclare Self en parlant de la saison 2011-12. Je ne sais pas si j’ai déjà géré une équipe où un joueur recevait autant de passes. C’était notre shooteur attitré. » Robinson a atteint une moyenne de 17,7 points et 11,9 rebonds et a emmené les Jayhawks en finale du championnat national, où Anthony Davis et l’Université de Kentucky ont dominé celle du Kansas 67 à 59. Peu de temps après, Robinson se déclara éligible à la draft. « Au fond de moi, je regrette de ne pas l’avoir convaincu de rester une année de plus à l’université, dit Angel. J’aurais aimé qu’il en soit ainsi, mais quand j’ai vu à quel point il était bon en NCAA, j’ai su [qu’il partirait]. »

Le jour de la draft, les Kings, qui choisissaient en cinquième position, n’étaient pas sûr de leur choix. Cela dépendait en grande partie des autres équipes. Robinson avait martyrisé ses adversaires au collège, et certains experts pensaient que Charlotte pourrait le sélectionner en deuxième position. Mais les Bobcats ont finalement choisi Michael Kidd-Gilchrist, de Kentucky, et les Wizards de la ville natale de Robinson l’ont écarté pour Bradley Beal. Cleveland, qui avait recruté Tristan Thompson l’année précédente, avait peu de chances de choisir un autre ailier fort, laissant ainsi la possibilité à Sacramento d’utiliser leur cinquième choix pour prendre Robinson. « La plupart des gens pensaient qu’il serait déjà pris au moment où les Kings devraient choisir, et je sais que Thomas n’est pas venu se présenter chez nous, se souvient Grant Napear, commentateur de longue date de Sacramento. Je crois que nous avons tous pensé que c’était inespéré : il fallait qu’on le prenne. »

Les joueurs qui débutent en NBA, particulièrement les « All-American » universitaires et les cinq premiers choix de draft, peuvent avoir du mal à accepter des rôles plus limités dans la ligue. Bobby Jackson, qui a entraîné Robinson durant sa première ligue d’été en NBA, avait lui-même eu des difficultés en tant que jeune joueur. Ce n’était que lors de sa quatrième saison, à son arrivée à Sacramento, qu’il avait trouvé sa place : celle d’un arrière efficace en sortie du banc. Durant la ligue d’été, Jackson a conseillé à Robinson de ne pas forcer et de rester lui-même. « Beaucoup de jeunes joueurs ne comprennent pas [cela], confie-t-il. Certains d’entre eux viennent avec des attentes élevées. Ils essaient d’impressionner et d’en faire un peu plus, ce qui leur fait commettre bien plus d’erreurs. »

Napear se rappelle que la relation entre les Kings et Robinson avait mal commencé. « Je crois qu’il est entré dans la ligue d’été auréolé de sa gloire universitaire, presque comme s’il était destiné à être la star de l’équipe. Il a essayer de jouer meneur, il a essayé de jouer arrière, et en fin de compte, il a vraiment été très mauvais pendant la ligue d’été. » D’après Fat Lever, qui a joué onze saisons en NBA et travaillait à Sacramento en tant que responsable du développement des joueurs lorsque l’équipe a recruté Robinson, la NBA se résume à une seule question : es-tu prêt à jouer ? Robinson n’était pas prêt, et il n’y avait aucun vétéran dans l’équipe pour le guider. « Quand vous arrivez en NBA, les entraîneurs attendent de vous que vous soyez tout de suite performant, surtout si vous êtes une jeune équipe qui tente de construire quelque chose, explique Lever. Vous êtes un choix de premier tour, les attentes sont élevées et à Sacramento, où la ville n’a pas d’autre franchise que celle en NBA, vous êtes constamment sous le feu des projecteurs. Il y a une pression supplémentaire. »

Robinson accepte les critiques qui lui ont été adressées à ses débuts. « J’étais mal préparé », admet-il. Il est difficile pour un joueur de passer à la NBA après avoir été un maillon essentiel de son équipe universitaire. Cet ajustement fut particulièrement épineux pour Robinson, car il avait été drafté très haut, et pour la première fois de sa carrière, il se retrouvait dans une situation où ses efforts et ses aptitudes physiques ne suffisaient plus. Avant, Robinson pouvait surpasser tout le monde en travaillant dur ; à présent, la courbe d’apprentissage était devenue trop abrupte et le calendrier chargé de la NBA ne laissait guère place à l’amélioration. La situation difficile de la franchise lors de la première année de Robinson ne l’a pas aidé. Pendant la saison 2012-13, des rumeurs circulaient selon lesquelles l’équipe de Sacramento pourrait être transférée à Anaheim, Virginia Beach ou Seattle. Les frères Maloof, propriétaires de l’équipe, déclaraient ne plus avoir les moyens d’assumer les dépenses liées à la gestion d’une franchise NBA destinée à de petits marchés. Dans le vestiaire des Kings, l’atmosphère était sombre et les joueurs se disputaient souvent avec Smart. « Si Keith Smart m’avait eu dans une situation différente, où il aurait été plus à l’aise en tant qu’entraîneur, les choses auraient bien mieux fonctionné avec moi et avec les autres, déclare Robinson. [Il] devait en quelque sorte sauver son poste et n’avait pas le temps d’accorder l’attention dont un rookie comme moi avait besoin. Il ne pouvait pas se permettre de me laisser jouer car mes erreurs pouvaient nous coûter des matchs. Tout ce que les rookies doivent faire pour progresser, je ne l’ai pas fait. »

Lorsque les Kings ont refait signer Jason Thompson avant la première saison de Robinson, ce dernier a dû s’écarter pour lui laisser la place. Il n’a joué que 51 matchs à Sacramento et n’a dépassé qu’une seule fois les 30 minutes de jeu, à son sixième match en NBA. Avec les Kings, il n’a jamais marqué plus de 12 points. « Il ressemblait un peu à un poisson hors de l’eau », confie Napear. Aussi, lorsque la date limite des transferts s’est approchée et que les Kings ont cherché à réduire leur masse salariale, ils ont envoyé Robinson, Francisco Garcia et Tyler Honeycutt aux Rockets contre Aldrich, Patrick Patterson et Toney Douglas. « [Robinson] était un incroyable rebondeur et un athlète fantastique, mais il avait plus de lacunes que d’atouts, déclare Napear. Patrick Patterson était cinq fois meilleur que [lui]. L’occasion était trop belle. »

Robinson a appris son transfert par un SMS de Marcus Morris, qui avait été lui-même transféré de Houston à Phoenix dans le cadre d’un autre échange. « Je venais de quitter l’entraînement, se souvient Robinson. Ce qui est dingue, c’est que le manager été aimable et souriant avec moi, alors qu’il avait décidé depuis longtemps qu’il allait m’échanger. Mais c’est le métier qui veut ça. C’est le genre de chose qui vous donne envie de vomir. » Le passage de Robinson à Houston a été encore plus court : 19 matchs à peine. Il a été transféré à Portland durant l’été, avant d’avoir pu trouver sa place parmi les Rockets. À la fin de la saison, Houston avait besoin de libérer le plus d’argent possible pour avoir une chance d’obtenir Dwight Howard, et le contrat de Robinson devint précaire. « Je savais que Houston allait participer aux play-offs. Je pensais donc avoir une chance, une occasion de me mettre en avant, raconte Robinson. [Après le transfert,] j’étais tellement bouleversé que je n’ai quasiment rien fait le reste de l’année. »

Avec les Blazers, au moins, Robinson a réussi à accomplir une saison pleine en 2013-14. « Il a amené beaucoup d’énergie. Il anticipait bien les rebonds, déclare l’entraîneur de Portland, Terry Stotts. C’était un défenseur polyvalent car il pouvait aussi défendre au périmètre. Ses qualités athlétiques et sa robustesse étaient des atouts. » La foule bruyante de Portland rappelait à Robinson les supporters passionnés de la salle Allen Fieldhouse, au Kansas, et il s’en est nourri. Lors d’un match contre les Timberwolves, Robinson a réalisé l’une des plus belles actions de la saison de Portland : il a bloqué un tir de Corey Brewer et déclenché une contre-attaque qui a abouti à un dunk de Will Barton. « L’ambiance était à fond et c’est pour ça que je vis, se souvient Robinson, qui avait bloqué si fort le tir d’un adversaire au lycée qu’il s’était cassé la main. C’est comme ça que je suis. Ce genre d’action me fait me sentir vivant. J’adore ça. »

Mais si Robinson s’était installé dans la rotation des Trail Blazers, il était barré par LaMarcus Aldridge et ne disposait pas beaucoup de temps de jeu. En février, Portland a voulu renforcer l’effectif en vue des play-offs et a cédé Robinson à Denver dans un échange visant à acquérir Arron Afflalo. Les Nuggets n’ont pas voulu garder Robinson et, malgré les rumeurs selon lesquelles Brooklyn était intéressé, Philadelphie l’a réclamé avant que les Nets ne puissent le signer à nouveau. Après trois saisons instables, Robinson a qualifié de moment « probablement le plus heureux » de sa carrière le parcours en play-offs de Portland en 2014. « Je me suis tué au travail l’été [précédent] parce que je savais que si je faisais partie de la rotation en play-offs, je jouerais 15 à 20 minutes [en saison régulière]. C’était ce qu’on m’avait répété tout l’été. J’étais sûr que les choses allaient tourner en ma faveur. J’étais enthousiasmé. J’ai travaillé comme un dingue. Puis je suis revenu, et voilà. La douche froide. »

La NBA est un rêve. Et une entreprise.

Pour les joueurs de la ligue, une carrière durable signifie trouver un juste milieu entre ces deux déclarations. « En tant que basketteurs, nous sommes très compétitifs et nous voulons bien faire, dit Jackson. Mais les jeunes joueurs, surtout, ne comprennent pas les règles du jeu. Ils ne comprennent pas le jeu offensif, les circonstances. Quand on est jeune, on joue simplement avec le talent donné par Dieu. Il n’y a qu’un très petit nombre de rookies [qui] qui comprennent vraiment le jeu car [cela] leur est facile. Certains vont être des superstars. Certains vont être des role players. Certains ne vont pas quitter le banc. Si vous voulez faire une longue carrière, vous devez être capable de l’accepter. »

Jason Smith a entraîné Robinson à la Brewster Academy, une école préparatoire d’élite du New Hampshire, dans laquelle Robinson a été transféré au lycée. Au début de sa carrière en NBA, Smith remarqua que Robinson essayait trop souvent de prouver qu’il avait mérité sa sélection dans les cinq premiers choix de draft. « Souvent, les jeunes ne se rendent pas compte qu’ils exercent un métier, dit Smith. S’ils ne sont pas performants, on trouvera quelqu’un pour les remplacer. Souvent, on dit aux jeunes joueurs à quel point ils sont formidables et ils ne se concentrent plus sur le fait qu’il faut [s’améliorer] chaque jour. Je pense que l’erreur commise par Thomas lorsqu’il est entré en NBA est qu’il a pensé qu’il devait renforcer son jeu, au lieu de se concentrer sur ce qu’il faisait mieux que la plupart des autres. »

Redd, l’entraîneur de l’AUA, a donné à Robinson un conseil similaire, en lui recommandant de ne pas tirer « à moins qu’il ait de la peinture sous les pieds ». Robinson est si proche des jumeaux Morris que Redd pense qu’il a essayé d’élargir son jeu pour refléter leur façon de jouer, alors qu’il aurait du insister sur ses qualités au rebond et sa ténacité. « De deux chose l’une : soit vous faites ce que vous voulez et la ligue vous pousse dehors, soit vous faites ce qu’ils veulent et on vous paye, se souvient Redd. C’est aussi simple que ça. Vous exercez un métier et en tant qu’employé, vous devez faire ce que votre employeur veut. Pas ce que vous voulez faire et ce que vous pensez pouvoir faire. » Redd dit que Robinson était d’accord sur le moment, mais qu’il a fini par recommencer à prendre des tirs à mi-distance. « Aussi bon que soit Thomas, il ne sera jamais le meilleur joueur d’une équipe NBA, déclare Self. Avant, toutes les actions étaient pour lui ; maintenant, la seule façon pour lui de marquer dépend du jeu de quelqu’un d’autre. Je comprends que cela puisse devenir frustrant. »

Pendant des années, Robinson a vu les autres joueurs avoir des occasions de se mettre en avant, et il s’est souvent demandé quand son tour arriverait. « Cela me fait mal au ventre à chaque fois. Je ne peux pas regarder certains joueurs dans les yeux à cause de ça. Puis je suis en colère contre moi-même parce que je ne suis pas du genre à m’en prendre à qui que ce soit. » Il veut montrer ce qu’il croit – qu’il est suffisamment polyvalent et talentueux pour jouer sous le panier et vers le périmètre. C’est cette conviction qui l’a amené à ce niveau – même lorsque ses amis et les critiques lui demandent de rester dans la peinture. « Je peux faire beaucoup plus. Quand j’essaie de le montrer ou de m’exprimer, cela me donne un coup de pied dans le fondement. […] Je connais mes limites. Ce n’est pas simplement [être] un gros rebondeur. Pour l’instant, c’est ce que je fais de mieux. » Pour Robinson, le tout est de trouver la bonne occasion. « Il va y avoir une période d’ajustement, déclare Stotts, rappelant que même certains membres du Hall of Fame n’étaient pas entrés dans la NBA en tant que superstars techniquement achevées. Lorsqu’il est entré dans la ligue, Karl Malone était horrible au lancer-franc. Ce n’était pas un scoreur. C’était un gros rebondeur, très robuste. Puis il est devenu le deuxième meilleur marqueur de tous les temps. »

Au cours des derniers mois de la saison, Philadelphie a offert à Robinson l’occasion qu’il avait tant convoitée. Robinson a eu la chance de montrer sa valeur et de faire taire ses détracteurs. Durant sa courte période avec l’équipe, Robinson a enregistré 18,8 points et 7,7 rebonds en 18,5 minutes par match. L’entraîneur de Philadelphie, Brett Brown, lui a permis de jouer malgré ses erreurs. « Il a joué pour de bonnes équipes pour lesquelles il n’a pas pu s’exprimer à travers les rotations, déclare Brown. Cela arrive à beaucoup de jeunes. Ce n’est pas une critique. Ici, nous sommes dans un mode de reconstruction et en raison de ses qualités, il m’a été facile de lui trouver des minutes. » Jouer à Philadelphie a également renforcé les relations de Robinson avec sa sœur, Jayla, qui a pu regarder plusieurs de ses matchs. « Si ma sœur n’a pas les meilleures opportunités, j’ai l’impression que c’est de ma faute, a déclaré Robinson. En ce moment, j’ai tout ce qu’il faut pour lui donner une belle vie. Si j’ai des ennuis, si je ne garde pas mon travail en NBA, les choses deviendront plus difficiles pour elle. »

D’après Redd, c’est à cause de cette pression que Robinson n’a sans doute pas eu le temps de digérer le décès de sa mère. Le basket et Jayla ont pris tout son temps. « Je pense encore aujourd’hui qu’il n’a pas eu le temps de faire entièrement son deuil, déclare Redd. Il y a le basket-ball, sa sœur, le fait qu’il ait été échangé, le fait de ne pas jouer. Je pense qu’il a trop de choses en tête. Il ne sait jamais s’il intégrera une équipe de manière durable ou s’il jouera. Il doit être épuisé mentalement. »

Pour les fans, un échange ne peut représenter qu’un événement banal défilant au bas de l’écran pendant l’émission SportsCenter. Mais lorsqu’un joueur est échangé, sa vie est déracinée. Dans sa jeune carrière, Robinson a déjà été échangé, remercié et réclamé en tant qu’agent libre. Une chose lui facilite néanmoins les choses : peu importe où il atterrit, les Morris lui trouveront un endroit pour vivre. À Houston, Robinson a pris la place de Marcus parce qu’ils participaient tous deux aux transactions de date limite de février. À Philadelphie, ils ont une maison où Robinson avait déjà des vêtements entreposés. Angel Morris a vécu là-bas avec lui. Avec son travail à elle et son voyage, ils se sont rarement vus la saison dernière, mais il était toujours réconfortant d’être proche d’un être cher. Si Robinson signe de nouveau à Philadelphie, Angel l’aidera à trouver sa place en ville.

Sur la route qui mène à la NBA, le passage du rêve à la réalité est un défi. « À l’université, quand l’entraînement est fini, vous rentrez dans votre chambre avec vos coéquipiers, confie Marcus Morris. La NBA est une entreprise. Les rapports avec vos équipiers ne sont pas les mêmes. Vous ne passez pas autant de temps avec eux. La cohésion n’est pas forcément toujours là. À l’université, il est presque nécessaire d’avoir de la cohésion. Vous êtes payé pour jouer en NBA, poursuit Morris. Nous avons tous des problèmes et cela fait partie de la vie, mais quand vous êtes en NBA, vous devez vous occuper de ce que vous faites sur le terrain avant tout. »

Voilà pourquoi cet été pourrait être déterminant pour la suite de la carrière de Robinson. Son contrat de rookie a expiré. Son avenir en NBA dépend de sa capacité à signer de nouveau avec les Sixers ou une autre équipe, et à trouver enfin de la cohérence et du succès dans son nouveau rôle. Mais Robinson espère toujours devenir All-Star. « Si cela se passe mal, ce sera de ma faute, assume-t-il. Je prendrai tout sur moi-même. »

Éloge du Douzième Homme

« Grantland.com » était un site internet journalistique sur lequel étaient publiés des articles consacrés essentiellement au sport. Il a fermé définitivement ses portes le 30 octobre 2015. Quelques-uns de ses articles et portraits consacrés à la NBA (traduits en français) sont repris sur ce site. Les droits sur les textes, bien entendu, appartiennent à leurs auteurs.

Chuck-Nevitt

De l’importance du géant moustachu assis en bout de banc

par HOWIE KAHN, le 20 février 2013

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J’ai tenté de joindre Chuck Nevitt à son domicile. Personne n’a répondu. J’ai laissé un message. Personne ne m’a rappelé. L’Association des Joueurs Retraités de la NBA ne disposait pas de coordonnées qui m’auraient permis de contacter l’ancien pivot de 2,26 m. Pas plus que North Carolina State, l’université avec laquelle Nevitt marquait trois points par match avant d’obtenir son diplôme en 1982. Keith Glass, son ancien agent, qui s’était occupé de nombreux douzièmes hommes dans les années 80, n’était plus en relation avec lui. Les Lakers – l’une des six équipes par lesquelles Nevitt était passé et avec laquelle il avait remporté un titre en 1985 – non plus. J’ai essayé de deviner l’adresse électronique professionnelle de Nevitt, en envoyant des messages à plusieurs combinaisons de nom et de domaine. J’espérais que l’un d’entre eux (cnevitt@…, chuckn@…, c.nevitt@…) ouvre la porte à un dialogue instructif sur la vie à l’extrémité du banc. Tous mes messages sont partis, mais je n’ai eu aucun retour. Mon post sur Facebook est resté sans réponse. Et je n’allais pas aller jusqu’à devenir ami.

Pourquoi voulais-je à tout prix retrouver un ancien joueur uniquement connu pour sa taille immense et son temps de jeu très faible ? Tout ce qu’il y avait à dire sur Nevitt avait été écrit depuis longtemps. Steve Wulf, du magazine Sports Illustrated, l’avait fait dans une minuscule colonne, en 1989 ; Nevitt évoluait alors en NBA depuis déjà huit ans. En 2011, il est réapparu dans « SI » ; il était cité dans un encadré dont le sujet portait sur les joueurs de plus de 2,13 m. On le décrivait comme étant « d’une gentillesse extrême » et on pouvait aussi lire une citation de son cru, qui donnait l’impression qu’il avait définitivement coupé les ponts avec le basket-ball et que le fait d’être douzième homme en NBA était une raison suffisante pour traverser les cinq étapes du deuil décrits la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross. « Mon travail consistait à préparer les autres joueurs, déclare Nevitt. Et ça me convenait très bien. » De toute évidence, Chuck avait atteint la cinquième et dernière étape du cycle de Kübler-Ross : l’acceptation.

Quand j’ai abordé le sujet de cet article avec l’entraîneur des Dallas Mavericks, Rick Carlisle, celui-ci m’a bien fait comprendre que pour lui, mes efforts étaient inutiles. Je lui avais demandé s’il pouvait me parler de sa propre expérience en bout de banc, quand il jouait avec les Celtics au milieu des années 80. Carlisle m’a rappelé d’un fast-food de Los Angeles au mois de décembre, juste avant un match contre les Clippers. « Je ne sais pas trop comment vous allez vendre ça, vu que ça n’intéresse personne, mais je serais heureux de vous accorder quelques minutes », m’a-t-il déclaré. Il a ensuite décrit son ancien coéquipier Greg Kite, un douzième homme dur au mal qui savait admirablement jouer des coudes : « Il avait un jeu très physique. C’était un excellent poseur d’écran, et il était très bon en défense et en aide. » C’était exactement ce que je souhaitais entendre. D’habitude, personne ne disait rien de positif sur Kite, et voilà que Carlisle le décrivait comme un atout formidable. « Greg savait y faire sous le panier », a-t-il conclu avant de retourner à son hamburger. Je voulais entendre la même chose sur Nevitt. De modestes louanges. Un peu d’histoire révisionniste. Un moment de gloire.

« Tout le monde dénigrait Chuck, confie Keith Glass. Chuck avait du talent. Il avait du toucher et le sens du jeu. C’était un bon joueur. En m’entendant parler, j’ai l’impression d’être encore son agent. Mais ce n’est plus le cas, et donc, je le dis comme je le pense : Chuck avait vraiment sa place en NBA. » Ce qui paraît évident si l’on regarde le seul clip de YouTube qui met Nevitt en lumière.

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La scène se passe le 22 mai 1985, lors du cinquième match des Finales de la Conférence Ouest. Nevitt, qui avait déjà été remercié trois fois en trois saisons, avait signé au mois de mars avec les Lakers pour remplacer Jamaal Wilkes, blessé. Avant les play-offs, Nevitt avait joué 11 matchs pour un total de 59 minutes de jeu, 15 contres et 12 points marqués. C’était la deuxième fois qu’il intégrait l’équipe – les Lakers l’avaient fait signer en septembre avant de le libérer en novembre, peu après le début de saison. À ce moment-là, bien qu’il ne fasse plus partie de l’équipe, Nevitt travaillait encore avec les Lakers. Glass avait négocié un arrangement exceptionnel avec le directeur général Jerry West : « Chuck devait vendre des billets pour les matchs. En échange, il avait le droit de s’entraîner avec l’équipe, de travailler ses mouvements au poste avec Kareem, et si quelque chose arrivait à un de leurs joueurs, les Lakers le feraient signer. » Nevitt vendit ses billets, en opérant parfois dans le centre commercial voisin, s’entraîna, et auditionna pour un rôle dans la comédie À fond la fac, à la demande de Rodney Dangerfield. Son personnage travaillait dans un « Tall and Fat », l’un des magasins de vêtements appartenant à Thornton Melon, le héros du film joué par Dangerfield. Pour Nevitt, le rôle était taillé sur mesure : après avoir été coupé par les Rockets en 1983, il avait effectué un travail similaire chez King Size Company, un magasin spécialisé pour personnes de grande taille dans la région de Houston. Malheureusement, il n’a pas été retenu.

Brent Musburger et Hubie Brown commentaient le match pour CBS. La star des Nuggets, Alex English, s’était cassé le pouce droit quelques jours auparavant ; en son absence, l’équipe de Denver, vêtue de son maillot arc-en-ciel aux motifs en mosaïque, se fit massacrer 153-109. Quand Nevitt se prépara à entrer en jeu, les Lakers menaient de 30 points. Le Forum se mit à gronder et l’homme qui était assis à l’extrémité du banc – le plus grand en taille de toute la NBA – retira son survêtement or à manches courtes et trotta sur le terrain.

La moustache de Nevitt semblait fraîchement peignée. Ses chaussettes blanches étaient remontées bien au-dessus de ses chevilles et son short révélait largement ses cuisses. Musburger glissa une remarque sur les encouragements de la foule et la taille de Nevitt. « Deux mètres vingt-siiiix », proclama-t-il avec emphase, comme le bateleur d’une foire aux monstres. Brown surenchérit en disant que Nevitt avait toujours été trop frêle. « Ils lui ont fait suivre un programme de musculation poussé. Il a pris onze kilos. Ça ne se voit pas, mais il a pris onze kilos. »

Sur le terrain, Nevitt paraissait extrêmement fragile et légèrement perdu. Il partit dans un sens jusqu’à ce que son coéquipier Mitch Kupchak le corrige, l’envoyant dans l’autre. Nevitt disparut ensuite dans la zone arrière pendant que Fat Lever tirait deux lancers francs. Brown continua son analyse : « Il travaille très dur à l’entraînement. Et comme l’a confié Pat Riley : Nous avons besoin d’un douzième homme. À choisir, pourquoi ne pas essayer de faire progresser quelqu’un ? La taille est un don unique. Pourquoi ne pas choisir un jeune joueur motivé comme lui ? »

Quelques secondes plus tard, Nevitt se retrouva sur la droite au poste bas. Dos au panier, il baissa l’épaule et tenta le plus long et le plus indolent des bras-roulés. La balle jaillit de ses doigts et s’éleva, pour retomber sur le bord du panier. Mais Nevitt s’empara du rebond, fit une feinte de tir, et claqua un dunk à une main en levant à peine les pieds du sol. Il paraissait très agile et très athlétique – une démonstration d’instinct et de talent. Brown ponctua l’action par un « Ohhhhh yessss » et sa voix tressaillit de joie, comme si un dunk effectué par un joueur de basket professionnel de 2,26 m était quelque chose de surprenant. Peu de temps après, Nevitt marqua un tir un suspension d’école en se retournant près de la ligne de fond et revint aussitôt en défense, comme s’il s’agissait d’une action de routine. Musburger et Brown n’avaient plus rien à dire. Dans ce court extrait vidéo, Chuck Nevitt avait marqué quatre points.

Quatre superbes points.

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Pendant que je faisais des recherches sur les allées et venues de Nevitt, j’ai reçu un courriel d’un ancien douzième homme dont je ne révélerai pas le nom. Je vous dirai seulement qu’il a joué à peu près en même temps que Nevitt, du début des années 80 au début des années 90, quand la NBA a vraiment commencé à devenir populaire, quand Magic, Bird et Jordan ont transformé le basket pour de bon, et quand les enfants ont commencé à vouloir se procurer des affiches de Xavier McDaniel promenant un Doberman aux yeux fous couleur émeraude à travers une épaisse fumée. Pour les joueurs en bout de banc, c’était la grande époque. Pas d’un point de vue sportif ou commercial, mais le dévouement dont faisaient preuve une pléiade régulière de joueurs volontaires et pleins d’espoir, en restant à leur place année après année, était admirable. « Ils faisaient la fierté de la ligue, indique Glass, qui était aussi l’agent de Greg Kite, Ed Nealy et Stuart Gray. Et je n’exagère pas. Cela avait bien plus de valeur que de faire partie des meilleurs joueurs du monde, car s’ils étaient très loin de ce statut, personne ne travaillait aussi dur qu’eux. »

Chuck Nevitt et sa cohorte de géants ont inauguré l’âge d’or du douzième homme. Leur talent, bien entendu, était très inférieur à leur longévité. Ils ont été congédiés. On les a faits signer. On les a appelés. On les a libérés. Ils ont voyagé. Ils ont trouvé un autre emploi. Ils ont cherché du travail et continué à travailler. « Les douzièmes hommes ne restent plus dans la ligue comme ils le faisaient à l’époque, explique Glass. Ils partent en Europe. Ils jouent davantage, et leurs agents gagnent plus. » En résumé, ils disparaissent totalement de la circulation.

« Pardonnez-moi de ne pas vous avoir répondu plus tôt, m’a écrit mon douzième homme anonyme à quatre heures du matin, le jour de Noël. Pour être franc, je ne savais pas trop comment réagir. Une partie de moi a envie de vous parler et de partager mon expérience avec vous, mais une autre partie de moi souhaite ne pas aborder cette période de mon passé. Je vous souhaite de bonnes vacances. » Je me demandai si Nevitt éprouvait la même ambivalence. Son silence pouvait refléter une certaine douleur. L’une des histoires que j’avais lues, publiée dans le Charlotte Observer cinq ans après le dernier match de Nevitt en NBA, mentionnait que le joueur était atteint de dépression. Sa carrière terminée, il avait éprouvé un sentiment d’inutilité profonde et une énorme frustration. J’espérai soudain que je ne l’avais pas fait replonger.

Rien n’est facile quand on est douzième homme. Comme l’a dit un jour l’ancien directeur général du Jazz, Frank Layden : « Même Jésus a eu des problèmes avec lui ». En 1977, les propriétaires de la ligue décidèrent de réduire la taille des effectifs en NBA à 11 joueurs par équipe. L’idée de verser un salaire de 60 000 $ à un joueur qui passait moins de quatre minutes par match en moyenne sur le parquet leur paraissait inutile. Les propriétaires, dans une ligue déjà aux prises avec des difficultés financières, soutinrent que les conventions collectives leur permettait cette suppression. L’Association des Joueurs de NBA répliqua en déposant une plainte auprès du Conseil national des relations de travail, dans l’espoir de bloquer le mouvement. Larry Fleisher, avocat général de l’Association des joueurs, déclara au Washington Post le 20 septembre 1977 : « Nous sommes persuadés que les équipes de la ligue devraient pouvoir disposer de douze joueurs. Vingt-deux emplois sont menacés. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une plainte pour infraction au Code du Travail. » Le 4 novembre, le célèbre médiateur Peter Seitz statua en faveur des propriétaires, mais les équipes obtinrent quand même la possibilité de garder un douzième homme si elles le souhaitaient, si bien qu’en 1982, lorsque Nevitt intégra la NBA, quinze des vingt-trois franchises de la ligue avaient douze joueurs sur le banc.

Le directeur général des Philadelphia 76ers, Pat Williams, a décrit au New York Times ce qu’il attendait de ses réservistes. « Ils doivent rester assis en silence. Personne ne veut voir au bord du terrain quelqu’un d’impatient ou de gênant. La plupart du temps, le douzième homme n’est pas un facteur décisif, mais il a un rôle et doit comprendre lequel. » Entre la théorie de la soumission de Williams et l’affirmation de Riley selon laquelle le douzième homme est facultatif (ce qui, espérons-le, ne veut pas dire inutile), il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre. Certains joueurs, comme l’ancienne star des Indiana Hoosiers Steve Alford, n’ont pas très bien vécu le concept d’adaptabilité. Alford, dont l’agent n’a pas répondu à mes multiples demandes d’interview, n’était pas satisfait de rester sur le banc à Dallas après avoir été drafté par les Mavericks et a réclamé plus de temps de jeu. Il n’est pas resté longtemps dans la ligue. C’était un arrière qui ne pouvait pas rendre les services habituels offerts par un douzième homme. Il était trop petit pour faire de bons écrans et bien trop peu efficace face aux big men de l’équipe adverse, dans une ligue qui s’était construite sur la taille de ses joueurs.

Scott_Hastings

« Je pensais faire une entrée fracassante en NBA. » Quand Scott Hastings a quitté l’Université de l’Arkansas en 1982, il était deuxième meilleur marqueur de l’histoire de l’école et a été drafté par les Knicks au deuxième tour. Il avait une coupe de cheveux typique de l’ère post-disco et un regard qui n’affichait que deux expressions : excité au plus haut point ou complètement endormi. Lors de sa deuxième saison, après avoir été transféré aux Atlanta Hawks contre Rory Sparrow et de l’argent, Hastings a réévalué ses attentes. Il s’est mis à poser des écrans. « Je me suis rendu compte que mon rôle sur le terrain consistait surtout à faire preuve de présence face aux joueurs adverses. » Quand Hastings a signé avec les Pistons en 1989, il avait pris du muscle grâce aux cours d’arts martiaux qu’il avait suivis à Atlanta sur la suggestion d’un entraîneur. Petit à petit, il s’était imposé physiquement. « J’ai l’impression d’avoir réussi à gagner ma place dans cette équipe », confie-t-il. Il correspondait parfaitement à la philosophie des « Bad Boys ». « Le troisième jour du camp d’entraînement, se souvient Hastings, Bill Laimbeer nous a emmenés dîner, David Greenwood et moi. Il s’est assis seul en tête de table, comme un Parrain de la Mafia, et nous a raconté comment les Pistons protégeaient leurs arrières. Il disait : Si quelqu’un s’en prend à un de nos arrières, on envoie un des leurs sur le banc. S’ils sortent un couteau, on sort un pistolet ; s’ils envoient un des nôtres à l’hosto, on en envoie un à la morgue. »

Cependant, gagner sa vie avec ses poings n’était pas sans conséquences. « Un jour, au Chicago Stadium, Jordan est monté défendre sur Joe [Dumars] au niveau de la ligne médiane. J’ai pris position et je l’ai flanqué par terre. » Dumars a profité de l’espace ouvert et marqué un tir en suspension facile. « Sur l’action suivante, raconte Hastings, « Jordan est venu chercher Joe en faisant pression tout terrain. Je me suis dit : Rebelote, je vais me payer Michael sur deux écrans d’affilée ! Juste avant d’arriver sur moi, il pivote et me balance un uppercut en plein dans les valseuses. » Hastings s’est effondré. Jordan a souri. « Et là, il m’a fait un clin d’œil. » Hastings fait une pause, se rappelant la douleur qu’il avait ressentie. « Je l’avais étendu sur l’action précédente, dit-il. Comment ai-je pu être stupide au point de penser qu’il n’allait pas être prêt la deuxième fois ? On m’a donné deux lancers francs. Je les ai marqués. On est passés à autre chose. »

Greg-Kite-et-Mitch-Kupchak-1985

Tout était une question de dignité et de fierté. Même le fait de recevoir un coup de poing d’une superstar conférait un statut. En 1983, lorsque Greg Kite, un pivot de 2,11 m sorti de BYU, a rejoint une équipe de Celtics avec un puissant secteur intérieur composé de Robert Parish, Larry Bird et Kevin McHale, il n’y avait que vingt-trois équipes dans la ligue. Comme les effectifs de quelques équipes s’arrêtaient à 11 joueurs, il y avait à peine 253 basketteurs professionnels en NBA. « Au début des années 80, il était plus difficile de constituer une équipe », explique Kite. Aujourd’hui, il y a 30 équipes, qui piochent parfois dans un réservoir allant jusqu’à quinze joueurs. Ce qui fait près de 200 joueurs NBA en activité. D’après Paul Mokeski, qui a joué en NBA pendant quinze ans pour cinq équipes différentes de de 1979 à 1991 et été douzième homme à Houston et Golden State, « un onzième ou douzième homme dans les années 80 serait aujourd’hui sixième ou septième homme, rien qu’à cause du nombre élevé de joueurs. Et un douzième homme en NBA aujourd’hui n’aurait probablement aucune chance d’intégrer une équipe à l’époque. »

Kite a fini par s’extirper de son rôle de douzième homme. Il a joué près de huit minutes par match en quatre ans à Boston. Mais comme son rôle se limitait à prendre des rebonds, faire des fautes, bloquer Charles Barkley sous le panier, et parce qu’il marquait rarement (« Je perdais toujours le ballon, je n’arrivais jamais à me relâcher suffisamment pour le contrôler »), Kite était régulièrement décrié par la presse, par les fans, et par Magic Johnson. Après le premier match de la finale NBA 1985, qui s’est achevé par une large victoire des Celtics 148 à 114, Johnson a déclaré au Los Angeles Times : « Quand vous voyez Greg Kite marquer des bras-roulés de la main gauche, il est clair que quelque chose ne va pas. »

Deux ans plus tard, Kite est arrivé en finale avec Boston pour la quatrième fois en quatre ans (et avec déjà deux titres en poche). Après le troisième match d’une série très attendue, Bob Rubin a écrit dans le Miami Herald une colonne de 815 mots intitulée : « En 22 minutes, la risée devient héros ». Dans celle-ci, il faisait valoir que Greg Kite était peut-être le joueur capable d’influencer un match le plus maladroit de l’histoire de basketball. En voici le début :

Oyez le bruit des os qui se brisent, et des poubelles qui se renversent. Avancez lourdement vers le podium au son du Chœur des Enclumes, et renversez-le. Nous allons célébrer la Laideur. Nous allons révérer le dieu des balourds, et rendre hommage à tous les patauds empruntés de la terre.

Un peu plus tard, l’auteur compare Kite à un éléphant qui parle, ou quelque chose comme ça :

Il est très grand, très fort, et très maladroit. Est-ce un éléphant qui fait ce boum, boum, boum ? Non ! C’est Greg Kite. Moi te voir. Oups, moi t’avoir frappé. Oh, moi t’avoir assommé. Zut, moi être expulsé. Boum, boum, boum.

Il y a aussi dans l’article cette citation de Larry Bird, grand chroniqueur de l’Amérique :

« S’il passait sa frustration dans un match comment (sic) à l’entraînement, il tuerait quelqu’un. Je ne me mets jamais en travers de son chemin. Il faut dire ce qui est : Greg n’est pas un très bon joueur. »

Mais après une longue mise en place du décor, Rubin défend Kite à juste titre, car même s’il n’avait pas marqué, il avait pris neuf rebonds cruciaux ce soir-là :

Il ne s’est pas transformé en Michael Jordan. Il s’est démené et battu en faisant cinq fautes. Il a sué et il souffert contre Kareem. Mais les Celtics n’auraient probablement pas gagné sans ses vingt-deux minutes de jeu, et s’ils n’avaient pas gagné, tout était fini pour eux. La foule a reconnu sa contribution et l’a saluée. Greg Kite, le Sauveur. C’était insensé. Désopilant. Incroyable. Merveilleux.

Kite n’avait rien appris de l’article de Rubin. Le fait d’avoir vécu à l’âge d’or du douzième homme l’avait rendu pleinement conscient de lui-même : « Je n’étais pas beau à regarder jouer. Mais j’avais six fautes à donner tous les soirs et il fallait bien en faire quelque chose ! » Kite – comme Nevitt, Hastings, et Mokeski – avait des qualités. Il a été engagé par sept équipes différentes en onze ans. Quand Kite a rejoint Orlando pour sa deuxième saison en 1990, il a démarré tous les matchs au poste de titulaire. Sa moyenne est restée inférieure à cinq points par match. Il avait plus de temps de jeu, mais son rôle sur le terrain n’avait pas beaucoup changé. Il ne marquait toujours pas, et l’étiquette de « douzième homme » lui restait collée à la peau. « Pour que tout fonctionne, pour qu’il y ait du spectacle, il faut des artistes et des déménageurs. J’étais un déménageur. »

Kite était heureux que l’on parle de lui, même de manière négative. « Un jour, se souvient-il en riant, je me suis battu avec Rony Seikaly [à Orlando], et lors du match suivant à Miami, leur mascotte, Burnie ou je ne sais plus quoi, a pendu une poupée à mon effigie. Elle agitait depuis le balcon un mannequin portant mon maillot attaché à un nœud coulant, pendant que la musique de Let’s Go Fly a Kite passait en fond sonore. »

Kite se souvient de la joie qu’il avait ressentie devant ces 20 000 personnes qui le huaient. C’était le paradoxe ultime du douzième homme : la moindre attention vous met en joie, même s’il s’agit de cris ou de sifflets.

« La foule hurlait, dit Kite. Et c’était pour moi. »

Top 10 des performances les plus courageuses de l’histoire des play-offs NBA

Les grands joueurs de basket-ball se caractérisent par deux choses : leur volonté de gagner, et leur capacité à montrer l’exemple. Ils sont conscients de leur valeur au sein de leur équipe et sont prêts à tout pour apporter leur aide à leurs partenaires, même lorsqu’ils souffrent de blessures qui devraient les laisser sur la touche. Comme promis, après le Top 10 des meilleures performances individuelles lors d’un match de Finales NBA, voici le Top 10 des performances plus courageuses de l’histoire des play-offs.

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10. George Mikan (Match 6, Finales NBA 1949)

La première « vraie » courageuse performance de l’histoire ne pouvait qu’être l’œuvre du meilleur joueur de l’époque. En 1949, les Lakers de George Mikan affrontaient les Washington Capitols en Finales NBA. Après trois victoires confortables, ils semblaient se diriger tranquillement vers le titre lorsque Mikan se fractura le poignet lors du Match 4. Les Lakers furent battus et Mikan dut disputer les deux matchs suivants avec la main dans le plâtre. Il se surpassa lors du Match 6, en marquant 29 points malgré sa blessure pour donner aux Lakers leur tout premier titre. Sa moyenne en play-offs ? 30,3 points, une jolie performance quand on pense que trois de ces matchs ont été disputés avec une fracture, mais qui est quand même révélatrice du faible niveau de jeu de l’époque.


Bernard_King

9. Bernard King (Match 5, Premier tour de Conférence Est 1984)

Gros duel lors de ce match entre Isiah Thomas et Bernard King, la star des Knicks. Au premier tour de la Conférence Est 1984, les Knicks et les Pistons étaient à égalité 2 victoires partout. Le vainqueur de la rencontre suivante serait qualifié. En dépit d’une grippe et de deux doigts disloqués, King est présent sur le terrain et fait un match remarquable. Les Knicks pensent tenir le bon bout, mais en fin de match, Thomas marque 16 points en 93 secondes pour arracher la prolongation. King va néanmoins mener son équipe à la victoire, et mettre un point final au match en claquant un énorme dunk au-dessus de quatre Pistons et deux de ses coéquipiers. Il a terminé le match avec 44 points et 12 rebonds. Impressionnant, au vu de son état de forme.


Havlicek_1973

8. John Havlicek (Match 5, Finale de Conférence Est 1973)

Les Celtics de 1973 ont terminé la saison régulière avec 68 victoires et 14 défaites, et avaient l’équipe la plus forte de la décennie. Ils étaient favoris pour le titre, mais John Havlicek s’est démis l’épaule droite dans le troisième match de la Finale de Conférence Est contre les Knicks. Il a raté le reste de la rencontre ainsi que la suivante, qui ont toutes les deux été perdues par Boston. Mais il est revenu pour le Match 5 et il a marqué 18 points, pris 2 rebonds et fait 5 passes décisives, en jouant de la main gauche ! Les Celtics ont gagné d’un point et également remporté le Match 6. Finalement, les Knicks se sont rendus compte que Havlicek ne jouait que d’une seule main et qu’il suffisait de lui mettre la pression chaque fois qu’il avait le ballon ; les Celtics ont subi leur première défaite en Match 7 à domicile et ont raté la finale. Le fait que la seule blessure importante de Havlicek en seize années de carrière ait eu lieu à ce moment précis se classe parmi les plus grands coups de déveine de l’histoire de la NBA.


Jerry_West_1969

7. Jerry West (Match 7, Finales NBA 1969)

La finale NBA de 1969 opposait les Lakers aux Celtics, et ce que West a réalisé durant l’intégralité de cette série a été extraordinaire. Il est arrivé au premier match épuisé par une campagne de play-offs intense, ce qui ne l’a pas empêché de marquer 53 points et de mener son équipe à la victoire. Il a fait le même coup dans le Match 2 avec 41 points. Au Match 3, la fatigue a commencé à se faire sérieusement sentir, et West a dû passer plus de temps à se reposer sur le banc ; les Celtics ont gagné les Matchs 3 et 4, et dans le Match 5, West s’est bêtement blessé aux ischio-jambiers en courant après un ballon alors que les Lakers avaient la victoire en poche. Il s’est bandé la cuisse, s’est injecté une énorme dose d’anti-douleurs et a disputé les Matchs 6 et 7 en boitant. S’il n’a rien pu faire au Match 6, il a failli arracher le Match 7 à lui tout seul avec 42 points, 13 rebonds et 12 passes décisives. Sa performance a tant impressionné qu’il a été élu MVP des Finales malgré la défaite des Lakers. Difficile de croire qu’une telle chose arrivera de nouveau.


Wilt_1972

6. Wilt Chamberlain (Match 5, Finales NBA 1972)

Les Lakers ont écrasé la saison 1971-1972, en remportant 69 matchs, dont 33 d’affilée en saison régulière, un record qui tient toujours. En play-offs, après avoir rapidement expédié la concurrence, ils ont retrouvé les Knicks et ont démarré sur les chapeaux de roue, en gagnant trois des quatre premiers matchs. L’espoir est cependant permis pour les Knicks car Chamberlain, le pivot dominant des Lakers et de la NBA, est blessé à la cuisse pour le Match 5. Mais Chamberlain a pris une grosse dose d’anti-inflammatoires, et ses 24 points et 29 rebonds ont permis aux Lakers de gagner leur premier titre depuis leur déménagement à Los Angeles. Sans surprise, Chamberlain a été récompensé par le trophée de MVP des finales, qu’il méritait amplement pour l’ensemble de son œuvre.


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5. Dirk Nowitzki (Match 4, Finales NBA 2011)

Au vu des circonstances, il s’agit de la performance la plus impressionnante de cette liste. En 2011, Dallas affrontait une équipe de Miami largement supérieure sur le papier, avec l’incroyable trio James-Wade-Bosh. Même si l’effectif de Dallas était de qualité (avec Jason Kidd et Tyson Chandler notamment), Nowitzki était l’incontestable leader de son équipe et le joueur sur lequel tout le jeu offensif des Mavericks reposait. On imagine donc parfaitement leur angoisse lorsque Nowitzki se présenta pour le Match 4 avec une grosse toux et 40° de fièvre. Miami menait la série 2 victoires à 1, et le titre aurait sans doute été perdu si Nowitzki avait dû rester sur le banc ou simplement diminuer son temps de jeu. Mais il a joué, emmenant dans son sillage ses coéquipiers qui se sont surpassés durant tout le match. Nowitzki a terminé avec 21 points et 11 rebonds, et a marqué le panier décisif pour la victoire finale. Et Dallas a remporté le titre, provoquant l’une des plus grosses surprises de l’histoire. Chapeau !


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4. Michael Jordan (Match 5, Finales NBA 1997)

Le fameux « flu game » devenu légendaire. Lors des Finales NBA 1997 contre Utah, alors que la série est à égalité (2 victoires partout), Jordan est victime d’une intoxication alimentaire la veille du cinquième match et doit garder le lit pendant 24 heures. Son état est si pitoyable que tout le monde, y compris les médecins, est à peu près sûr qu’il ne pourra pas jouer pas le cinquième match. Mais Jordan est présent malgré la déshydratation et l’épuisement (il pouvait à peine marcher jusqu’au banc pendant les temps morts) et a mené son équipe à la victoire, réalisant une performance magistrale avec 38 points et 7 rebonds. Deux jours plus tard, les Bulls remporteront leur cinquième titre en six ans.


Reed-Garden

3. Willis Reed (Match 7, Finales NBA 1970)

Les Finales de 1970 nous ont offert l’un des moments sportifs les plus célèbres du vingtième siècle. Au cinquième match de la série contre les Lakers, le capitaine des Knicks Willis Reed s’est déchiré le quadriceps droit (plus précisément le recteur fémoral, qui contrôle le mouvement entre la hanche et la cuisse). Il a raté le match suivant, permettant aux Lakers de revenir à trois victoires partout. Sans lui, les Knicks n’avaient aucune chance d’arrêter Chamberlain, qui avait écrasé la concurrence lors du Match 6. Avant le Match 7, Reed a donc reçu une injection de 250 milligrammes d’un anesthésique appelé carbocaïne et est arrivé sur le terrain en trottinant, sous les acclamations d’une foule en délire. Il a marqué les deux premiers tirs du match et déclenché l’hystérie de la foule. Pendant une heure, il a traîné littéralement sa jambe droite, mais sa présence a été suffisante pour démoraliser les Lakers et pousser ses équipiers à la victoire. Une rencontre légendaire.


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2. Isiah Thomas (Match 6, Finales NBA 1988)

Au Match 6 des Finales de 1988, les Pistons arrivent à Los Angeles avec un avantage de 3 victoires à 2 sur les Lakers. Au troisième quart-temps, le leader des Pistons Isiah Thomas rentra quatorze points d’affilée avec un répertoire de tirs incroyables, puis trébucha sur le pied de Michael Cooper et s’étala par terre, victime d’une grosse entorse à la cheville. Il essaya désespérément de se remettre debout, mais sa jambe ne voulait pas le soutenir et il ne résista pas longtemps avant d’être ramené à son banc. Mais Thomas n’allait pas laisser sa blessure le faire dévier de son objectif ; il transféra sa douleur sur sa lèvre inférieure en la mordant comme s’il s’agissait d’une chique de tabac, et quand les Lakers prirent huit points d’avance, il revint sur le terrain en boitillant, gonflé à l’adrénaline, essayant désespérément de sauver le titre de Detroit avant que sa cheville n’enfle. Il marqua sur une jambe un tir en suspension. Il mit un panier avec la planche en déséquilibre complet au-dessus de Cooper tout en obtenant la faute. Il rentra un long tir à trois points. Il s’ouvrit la voie pour un double pas en contre-attaque. Et alors que les dernières secondes du quart-temps s’écoulaient, il enquilla un tir en coin à couper le souffle de 6,70 m en pivot pour faire tomber le record des Finales (25 points en un quart-temps) et redonner l’avantage à Detroit. Il terminera avec 43 points et 8 passes décisives, mais ne pourra empêcher la défaite de son équipe, qui perdra également le Match 7 et le titre. L’un des efforts les plus remarquables et les plus mal récompensés de l’histoire de la NBA.


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1.  Kareem Abdul-Jabbar (Match 5, Finales NBA 1980)

Tout le monde se souvient de la performance de Magic Johnson contre les Sixers lors du sixième match des Finales de 1980. Mais plus personne ne se souvient ce qui s’est passé avant. Dans le Match 5, alors que la série était à égalité 2-2, Abdul-Jabbar s’est foulé une cheville et a dû sortir du terrain. Le meilleur pivot du championnat est revenu sur le terrain alors que les Lakers couraient après le score, a terminé en marquant 40 points sur une jambe (vraiment, sur une seule jambe !) et a offert à son équipe une victoire cruciale. Malheureusement, le match est passé en différé et a été éclipsé par la performance de Magic deux jours plus tard. Personne ne se souvient de la finale d’Abdul-Jabbar, ni de sa moyenne époustouflante (33 points, 14 rebonds), ni de ses 23 contres en 5 matchs. Comme il était rentré à Los Angeles avant le Match 6 pour se faire soigner, il n’a même pas pu célébrer le titre avec son équipe. Un vrai crève-cœur. C’était le plus grand moment de la carrière d’Abdul-Jabbar, et tout le monde l’a oublié. Il était vraiment temps de lui rendre justice.

Top 10 des meilleures performances individuelles lors d’un match de Finales NBA

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La saison régulière de la NBA est une chose ; les play-offs en sont une autre. C’est au moment des play-offs, et particulièrement lors des rencontres décisives, que les grands joueurs doivent se révéler et justifier leur statut. Plus facile à dire qu’à faire, mais possible ! Voici le top 10 des performances individuelles qui, en Finale NBA, signifient réellement quelque chose.

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Mentions honorables

Les performances réalisées en luttant contre une blessure ou contre la douleur. Même si elles sont (pas toujours, mais souvent) déterminantes pour leur équipe, les performances évoquées dans ce top 10 sont celles où le joueur a tiré son équipe vers le haut par sa valeur pure et sa performance sportive, et non par son courage face à l’adversité. Mais comme les exemples dans ce dernier cas ne manquent pas et méritent un hommage, ces performances feront l’objet d’un classement séparé.

Les matchs de play-offs en dehors des Finales. Ce classement aurait pu être élargi à l’ensemble des play-offs, mais en fin de compte, les performances vraiment décisives (sur un match) en Finale de Conférence ou ailleurs ne sont pas si nombreuses. Seules deux d’entre elles méritent d’être citées : celle de Wilt Chamberlain lors du Match 5 de la Finale de Conférence Est 1967, quand il écrasa Boston avec un incroyable triple double (29 points, 36 rebonds et 13 passes décisives avec 62 % de réussite au tir) ; et celle de Hakeem Olajuwon au Match 5 de la Finale de Conférence Est 1995 (42 points, 9 rebonds, 8 passes décisives, 5 contres, 57 % de réussite au tir). Impressionnant, mais insuffisant pour entrer dans un classement spécifique.

Les performances qui se sont achevées par une défaite. Parfois, la performance individuelle ne suffit pas pour donner un titre à son équipe. Et comme la victoire est, en fin de compte, ce qui importe le plus, les grands matchs de certains joueurs ont été écartés, comme le Match 5 d’Elgin Baylor lors des Finales de 1962 (61 points, 22 rebonds) ou celui de Jerry West au Match 7 des Finales de 1969 (42 points, 13 rebonds et 12 passes décisives). Dans les deux cas, les stars des Lakers n’ont pas réussi à donner le titre à leur équipe (deux défaites au Match 7 contre les Celtics). Dommage.

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Le Top 10

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10. Bill Walton (Finales NBA 1977, Match 6)
20 points, 23 rebonds, 7 passes décisives, 8 contres

Ravagé par les blessures pendant toute sa carrière professionnelle, Bill Walton n’a joué qu’une saison entière de NBA à 100 % de ses moyens. Mais quelle saison ! En 1976-77, Walton était la plaque tournante et le seul joueur valable d’une équipe de Portland qui n’existait que depuis six ans et était loin d’être favorite pour le titre face aux Sixers. Ça ne l’a pas empêché de faire des Finales monstrueuses, avec une moyenne de 19 points, 19 rebonds, 5 passes décisives et 4 contres. Le Match 6 sera sa performance la plus aboutie : Walton va frôler le quadruple-double, établir un record de contres et offrir le titre à son équipe. Une juste récompense pour le pivot le plus complet de l’histoire, qui aurait été l’un des meilleurs joueurs de tous les temps s’il était resté en bonne santé.


Jordan_1998

9. Michael Jordan (Finales NBA 1998, Match 6)
45 points, 1 rebond, 1 passe décisive, 4 interceptions, 12/15 au lancer franc

Le dernier match de Michael Jordan a été le point d’orgue de sa formidable carrière. Lors du Match 6 des Finales contre Utah en 1998, Jordan avait l’occasion de donner le titre à son équipe ; il ne l’a pas manquée, se chargeant de marquer 41 des 83 premiers points de Chicago. À une minute de la fin, quand Utah s’est retrouvé avec trois points d’avance, Jordan a marqué un panier pour faire revenir son équipe à un point, a volé le ballon à Karl Malone sur l’action suivante, et a rentré à quelques secondes de la fin le tir décisif qui a donné la victoire et le titre aux Bulls. Dommage que ses statistiques générales n’aient pas été aussi impressionnantes que son total de points. Il aurait à coup sûr figuré plus haut dans ce classement.


Heinsohn_1957

8. Tommy Heinsohn (Finales NBA 1957, Match 7)
37 points, 23 rebonds, 2 passes décisives

Drafté en même temps que Russell pour renforcer la raquette des Celtics, Heinsohn s’est affirmé dès sa première année comme un joueur-clef de l’effectif. Au Match 7 des Finales NBA 1957, dans un match dont le vainqueur remporterait le titre, Heinsohn a joué l’un des plus grands matchs jamais disputés par un rookie : avec Bob Pettit (MVP l’année passée) comme adversaire direct, il a décroché un surprenant total de 37 points et 23 rebonds, permettant à son équipe de tenir le coup dans le temps réglementaire alors que Cousy et Sharman peinaient pour marquer. Puis il a sangloté dans une serviette après avoir été exclu pour six fautes. Les Celtics ont gagné en double prolongation grâce aux efforts combinés de Bill Russell et Frank Ramsey, mais sans Heinsohn, rien n’aurait été possible. Il mérite largement sa place dans ce classement.


Duncan defended by Jefferson

7. Tim Duncan (Finales NBA 2003, Match 6)
21 points, 20 rebonds, 10 passes décisives, 8 contres

Il s’agit peut-être du match de Finales où un joueur s’est montré le plus dominant. Au cours du Match 6 des Finales NBA 2003, Tim Duncan, MVP en titre et meilleur joueur de la ligue, a totalement écrasé les Nets, dominant Kenyon Martin, Dikembe Mutombo et Jason Collins – trois des meilleurs intérieurs défensifs de la ligue. Avec 8 contres, il a rejoint le record de Walton, Olajuwon, Ewing et O’Neal sur un match de Finales NBA. Personne n’avait autant frôlé le quadruple-double depuis Walton en 1977. Grâce à sa performance, les Spurs ont remonté un retard de neuf points dans le quatrième quart-temps, et gagné le match ainsi que le titre. Le plus incroyable, c’est que Duncan avait  déjà réalisé une performance similaire au Match 1 (32 points, 20 rebonds, 6 passes décisives, 7 contres, et 3 interceptions). Il était injouable cette année-là. C’était le meilleur joueur de la ligue, sans contestation.


Bird_1986

6. Larry Bird (Finales NBA 1986, Match 6)
29 points, 11 rebonds, 12 passes décisives, 3 interceptions, 11/12 aux lancers francs

L’équipe des Celtics de 1986 était (probablement) la meilleure de l’Histoire, et Larry Bird son meilleur joueur. Boston a dominé la saison en ne perdant qu’un seul match à domicile, dans une ligue où la densité et la concurrence n’ont jamais été aussi fortes. Le Match 6 des Finales contre Houston fut le couronnement de la carrière de « Larry Legend ». MVP cette année-là pour la troisième fois consécutive, il a littéralement survolé la rencontre, offrant aux Celtics leur seizième titre. Il confiera plus tard : « C’était le seul match auquel j’étais totalement préparé. Jamais je ne me suis senti mieux. Jamais. J’aurais dû prendre ma retraite juste après. »


James_2016

5. LeBron James (Finales NBA 2016, Match 7)
27 points, 11 rebonds, 11 passes décisives, 3 contres, 2 interceptions

Contre ce qui est peut-être la meilleure équipe de l’Histoire en saison régulière (mais qui tirait sérieusement la langue en play-offs), James a réalisé une sacrée performance. En 2016, il a aligné contre les Warriors une moyenne en Finales de 30 points, 11 rebonds, 9 passes décisives, 2 contres et 3 interceptions. Sa performance au Match 7 fut extraordinaire, avec un triple-double et peut-être l’action la plus importante du match (le contre iconique sur Andre Iguodala). Il a aussi définitivement clos la rencontre en marquant un lancer franc, permettant aux Cavaliers de remporter le premier titre de l’histoire de la franchise tout en apportant à la ville de Cleveland son premier championnat dans un sport américain majeur depuis 1964. S’il avait marqué le panier décisif pour la victoire finale – le tir à trois points d’Irving à quelques secondes de la fin – il aurait été sur le podium.


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4. Walt Frazier (Finales NBA 1970, Match 7)
36 points, 7 rebonds, 19 passes décisives, 12/12 aux lancers francs, 70 % de réussite au tir

Les Finales de 1970 opposaient deux « Big Three » : celui des Lakers (West-Baylor-Chamberlain) et celui des Knicks (Reed-DeBusschere-Frazier). Les Lakers étaient largement favoris, mais les Knicks ont quand même emmené la série jusqu’à un Match 7. un Match 7 que tout le monde les voyait perdre après la blessure de leur capitaine et leader Willis Reed au Match 5. Mais à la surprise générale, Reed va se présenter sur le terrain juste avant le début du match. Sa réapparition enflammera la foule du Madison Square Garden, permettant aux Knicks d’emporter la victoire et le titre. Mais le vrai responsable de la victoire n’est pas Reed, mais Frazier. Il a littéralement détruit Jerry West, avec 36 points, 7 rebonds, 19 passes décisives et Dieu sait combien d’interceptions (elles n’étaient pas comptabilisées à l’époque). Quand on voit l’enjeu final et le niveau des Lakers de cette époque, ce match est l’un des matchs les plus impressionnants et les plus complets disputés par un joueur.


Pettit_1958

3. Bob Pettit (Finales NBA 1958, Match 6)
50 points, 19 rebonds, 56 % de réussite au tir et 80 % de réussite au lancer franc

Comme l’année précédente, les Finales de 1958 ont été extrêmement serrées. Après avoir remporté d’un souffle trois des cinq premiers matchs (avec moins de quatre points d’écart à chaque fois), les Hawks sont déterminés à remporter le sixième match à domicile pour ne pas revivre le crève-cœur de l’année passée (défaite au Match 7 contre ces mêmes Celtics). Pettit a évité un septième match à Boston en marquant 50 points, dont 18 des 21 derniers de Saint Louis, ainsi qu’un tir en suspension et une claquette au rebond décisive dans les dernières secondes pour sceller la victoire et le titre de 1958. D’accord, Russell était blessé à la cheville et n’a joué qu’à 30 % de ses moyens, mais il s’agit quand même de l’une des meilleures performances de l’Histoire des Finales NBA. Pettit a été absolument brillant du début à la fin. L’entraîneur des Boston Celtics, Red Auerbach, lui rendra un bel hommage : « Il joue toujours à fond, que son équipe ait 50 points d’avance ou 50 points de retard ».


BILL RUSSELL

2. Bill Russell (Finales NBA 1962, Match 7)
30 points, 40 rebonds, 4 passes décisives, 14/17 aux lancers francs

Tout le monde s’accorde à dire que ce match est le meilleur de Bill Russell. Il a marqué 30 points et pris 40 rebonds pour vaincre les Lakers de West et Baylor après prolongation. On se souvient surtout du fameux tir ouvert manqué par Frank Selvy à quelques secondes de la fin, qui aurait pu donner la victoire aux Lakers, mais c’est bien la performance de Russell qu’il faut retenir. Ce que les statistiques ne montrent pas est son abattage défensif : vers la fin du temps réglementaire, tous les ailiers de Boston (Heinsohn, Sanders et Loscutoff) étaient sortis pour six fautes, et Russell devait protéger le panier tout seul. Cet incroyable record de 40 rebonds en Finales NBA ne sera sans doute jamais battu. Les Lakers étaient obligés de marquer tous leurs tirs car ils savaient que s’ils en manquaient un, ils n’auraient pas de seconde chance. La domination de Russell sous les panneaux était unique. Il est bien le meilleur pivot défensif de l’Histoire.


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1. Magic Johnson (Finales NBA 1980, Match 6)
42 points, 15 rebonds, 7 passes décisives, 1 contre, 14/14 aux lancers francs

La meilleure performance individuelle d’un joueur lors d’un match de Finales NBA, c’est celle-ci, sans le moindre doute. Quarante ans plus tard, personne n’a pu reproduire ce que Magic Johnson a réalisé contre Philadelphie lors du Match 6 des Finales de 1980. Après la blessure de Kareem Abdul-Jabbar lors du Match 5, les Lakers se sont retrouvés privés de leur meilleur joueur et du meilleur pivot de la ligue alors qu’il restait encore un match à gagner. Magic, âgé seulement de vingt ans, démarra le match à la place d’Abdul-Jabbar au poste de pivot, joua à tous les postes, rendit une feuille de stats avec 42 points, 15 rebonds et 7 passes décisives, porta les Lakers vers la victoire et le titre, reçut le trophée de MVP des Finales (une performance unique pour un rookie) et se tailla une réputation en époustouflant tout le monde. Pouvez-vous imaginer quelqu’un reproduire une telle performance aujourd’hui ? Au vu des circonstances (le statut des Lakers et la pression sur les épaules du rookie), ce qu’a réalisé Magic cette nuit-là est sans doute la plus grande performance de l’Histoire des finales NBA.

« Malice at the Palace »

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« Malice at the Palace ». C’est le nom donné à l’événement survenu en NBA le 19 novembre 2004, le plus incroyable du nouveau siècle et le plus traumatisant du mandat de David Stern en tant que commissionnaire. La vidéo de l’incident a été vue, revue, et retirée de YouTube pour violation des droits d’auteur plus que tout autre clip relatif à son sport. Bill Walton, alors commentateur pour ESPN, le qualifiera du « pire moment jamais vécu en trente ans de NBA ». Ce qui s’est passé cette nuit-là est allé bien au-delà des millions de dollars d’amendes et des nombreux matchs de suspension infligés par la ligue. Voici l’histoire en détail.

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1er juin 2004. Les Detroit Pistons éliminent de la course au titre les Indiana Pacers après une Finale de Conférence Est électrique. Les Pistons ont enlevé un sixième match décisif, profitant notamment des performances décevantes de Jermaine O’Neal et Jamaal Tinsley, deux des joueurs-clef d’Indiana. Quinze jours plus tard, Detroit bat les Lakers en finale pour remporter, à la surprise générale, le titre de champion NBA. Les Pacers ont ruminé leur défaite tout l’été ; sur le papier, leur équipe était meilleure que celle des Pistons, et ils avaient le sentiment d’avoir laissé passer leur chance. Bien qu’ayant des styles de jeu similaires, les deux équipes ne s’aimaient pas ; c’était une rivalité à l’ancienne, comme celle entre les Knicks et les Bulls. Le triomphe des Pistons a donc laissé les Pacers particulièrement amers.

Durant l’intersaison, Indiana renforce ses troupes en recrutant Stephen Jackson, un excellent petit ailier au jeu très intense. Avec Reggie Miller (futur Hall of Famer), l’intérieur Jermaine O’Neal (All-Star) et le défenseur de l’année Ron Artest, les Pacers se positionnent parmi les favoris dans la quête du titre. Les Pistons, quant à eux, conservent sans surprise les joueurs qui leur avaient permis de remporter le titre (le colosse Ben Wallace, son homonyme Rasheed, l’arrière Rip Hamilton, le meneur Chauncey Billups, et le longiligne ailier Tayshaun Prince) et renouvellent simplement leur banc : Corliss Williamson, Mehmet Okur et Mike James s’envolent vers d’autres horizons, pendant que Antonio McDyess, Carlos Delfino et Derrick Coleman rejoignent l’effectif.

Deux semaines à peine après le début de la nouvelle saison, les Pacers retrouvèrent les Pistons pour la première fois depuis leur défaite en play-offs, et dominèrent la rencontre. Les Pistons revinrent à moins de cinq points au quatrième quart-temps, avant de rater leurs dix tirs suivants. Indiana en profita pour creuser l’écart, grâce notamment à deux tirs à trois points d’Austin Croshere et de Stephen Jackson. Mais le match était devenu de plus en plus agité. Au cours du quart-temps, Rip Hamilton avait donné un violent coup de coude dans le dos de Jamaal Tinsley, qui aurait pu facilement valoir une faute flagrante. Finalement, à cinquante-sept secondes de la fin, Stephen Jackson réussit deux lancers francs pour donner à Indiana une avance insurmontable : 97 à 82.

À cet instant, le match était plié, mais la tension était toujours présente. On pouvait sentir des deux côtés une certaine animosité. Un membre de l’équipe des Pacers – dont l’histoire n’a pas retenu le nom – souffla à Ron Artest : « C’est bon, tu peux t’en faire un », ce qui signifiait qu’il pouvait régler ses comptes avec un joueur adverse. Artest décida de « se faire » l’intérieur Ben Wallace, qui l’avait balancé un peu plus tôt dans la structure du panier en bloquant son double-pas. Sur l’action suivante, il commit une grosse faute sur Wallace, en train de partir vers le cercle. En réaction, Wallace repoussa violemment Artest, le faisant reculer jusqu’à la table de presse.

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La colère de Wallace était compréhensible. Le match était terminé, et la faute inutile et d’une violence inhabituelle, ce qui explique sans doute pourquoi le joueur des Pistons a réagi comme il l’a fait. Mais Wallace traversait aussi une épreuve difficile : son frère Sam était décédé la semaine précédente et il revenait tout juste sur les parquets après avoir manqué deux matchs. Pendant que les arbitres et plusieurs joueurs des deux équipes cherchaient à éloigner un Wallace hors de lui, Artest décida inexplicablement de s’allonger sur la table de marque, les mains croisées derrière la tête, en attendant que tout se calme.

D’une certaine manière, Artest a fait preuve de provocation en se couchant sur cette table. Il a attrapé le casque radio d’un commentateur comme s’il allait s’adresser aux téléspectateurs, et paraissait plein d’arrogance. Il est resté allongé sur la table pendant une bonne minute et demie, sous les cris et les obscénités des supporters de Detroit. Les autres joueurs présents sur le terrain au moment de l’incident (O’Neal, Jackson, Tinsley et Fred Jones pour Indiana ; Rasheed Wallace, Hamilton, Hunter et Smush Parker pour Detroit), les entraîneurs et les arbitres étaient au milieu du terrain, en train de calmer Wallace. Personne ne se soucia donc de faire descendre Artest de la table. Fatigué, Wallace jeta finalement son brassard en direction de son adversaire, sans que celui-ci  réagisse.

C’est à ce moment-là que tout dégénéra.

En s’allongeant sur la table de marque, Artest avait éliminé les barrières entre les joueurs et la foule – en principe, le banc et les responsables de presse font séparation. Artest était toujours en position couchée lorsqu’un spectateur jeta sur lui un gobelet en plastique rempli de bière et de glaçons. Artest, qui avait un tempérament explosif, n’était pas du genre à prendre quelque chose au visage sans riposter : il s’est immédiatement levé, et a sauté par-dessus les journalistes pour charger dans les tribunes.

La suite est assez difficile à décrire car il se passa plusieurs choses en même temps. En cherchant à rejoindre les tribunes, Artest piétina Mark Boyle, le commentateur radio des Pacers, lui infligeant des micro-fractures à cinq vertèbres. Mike Brown, l’entraîneur assistant d’Indiana, tenta d’arrêter son joueur, rata son coup, et continua à le poursuivre jusque dans les gradins. Artest attrapa celui qu’il croyait être le lanceur et le secoua violemment, sans s’apercevoir que le vrai coupable était son voisin. (Contrairement à la rumeur, il n’a frappé personne ; il a juste attrapé l’individu par le col.) Les autres spectateurs, voulant défendre l’agressé, s’en prirent aussitôt à lui.

Le spectateur qui avait réellement jeté le gobelet (un certain John Green) tenta d’attraper Artest par le cou. Au même moment, un autre spectateur jeta une bière sur Artest à bout portant, aspergeant au passage Stephen Jackson, venu prêter main-forte à son équipier. Jackson, aussi soupe-au-lait qu’Artest, riposta avec un grand coup de poing. Fred Jones, qui avait rejoint les deux joueurs, évita de peu une énorme droite lancée par David Wallace, un autre frère de Ben. Et Mike Brown, qui essayait de faire sortir Artest des tribunes, se fit lâchement frapper par derrière par Green. Les joueurs et les entraîneurs des deux équipes se précipitèrent alors à leur tour pour tenter d’arrêter les dégâts.

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La réaction d’Artest, aussi excessive soit-elle, était prévisible. Si vous faites défiler la liste des trente équipes ayant joué la saison 2005, et que vous vous demandez quels sont les deux équipiers les plus à même de déclencher une bagarre dans les tribunes, les grands favoris sont Artest et Jackson, deux joueurs qui pouvaient disjoncter subitement sans étonner personne. Quand on sait que les supporters des Pistons ont été hostiles toute la soirée, aucune personne suivant régulièrement la NBA n’a été surprise de voir Ron Artest et Stephen Jackson en train de se battre avec les spectateurs au troisième rang du Palace. (Jackson a d’ailleurs largement surpassé son équipier, envoyant des rafales de coup de poing dans les gradins comme s’il était en pleine crise de nerfs.)

À cet instant, le match se transforma en un véritable chaos. Jermaine O’Neal, qui voulait suivre le mouvement, en fut empêché par son garde du corps personnel. Jamaal Tinsley envoya valser un journaliste du Detroit News, qui lui barrait l’accès aux tribunes, et rejoignit la mêlée. Elden Campbell quitta le banc et, avec Rasheed Wallace, monta à son tour dans les gradins pour essayer de calmer les choses. Rick Mahorn, l’ancien « Bad Boy » devenu commentateur radio, tenta de séparer tout le monde, en s’efforçant de protéger les marqueurs officiels qui se trouvaient à ses côtés. Derrick Coleman prit sous son aile les ramasseurs de balle, dont le jeune fils de Larry Brown, l’entraîneur des Pistons. Les autres joueurs des Pistons – Darvin Ham, Antonio McDyess et Tayshaun Prince – restèrent sur le parquet, incrédules, à regarder le spectacle.

La question que l’on peut se poser à ce moment là est : mais que faisait la sécurité ? Il n’y en avait aucune. Le Place d’Auburn Hills était l’une des plus grandes arènes de la NBA et pouvait accueillir 22 000 personnes. Les agents de sécurité auraient dû grouiller dans le bâtiment, mais il n’y avait que trois policiers, tous dépassant la cinquantaine, pour gérer les choses. Aucun d’entre eux n’a pu empêcher les gens de sauter les uns par-dessus les autres et se joindre à la bagarre. Calmer les joueurs était tout aussi impossible ; lorsqu’un garde prénommé Mel tenta d’attraper O’Neal par la taille, celui-ci le balança au loin comme une poupée de chiffon. Un spectacle incroyable.

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Artest est resté dans les tribunes pendant quarante secondes, avant de se faire tirer vers le banc d’Indiana. De bonnes âmes tentaient de séparer les fans et les joueurs, mais la situation ne se calmait pas. Au contraire, elle semblait devenir de plus en plus périlleuse. La sécurité en sous-effectif était tellement préoccupée par ce qui se passait dans les tribunes que plusieurs personnes en profitèrent pour descendre sur le parquet et défier les joueurs. Alvin Shackleford et Charlie Haddad, deux supporters des Pistons, approchèrent d’Artest, dont le maillot était déchiré, et une nouvelle altercation s’ensuivit. Artest frappa Shackleford, et Jermaine O’Neal, arrivé en renfort, mit Haddad K.O. d’un énorme coup de poing. Il le frappa avec une telle violence que s’il n’avait pas glissé sur du liquide répandu au sol avant de le frapper, il l’aurait peut-être tué.

La vue des spectateurs frappés par Jackson et O’Neal a rendu les fans des Pistons encore plus furieux. Ils ont hué de plus belle et se sont mis à lancer sur le terrain tout ce qui leur tombait sous la main. Un supporter des Pistons a même jeté dans les tribunes une chaise en métal, occasionnant des blessures à plusieurs spectateurs. À cet instant, la police, introuvable pendant les dix premières minutes, entra enfin en action avec des sprays au poivre. Reggie Miller, qui ne jouait pas et avait suivi le match depuis le banc des Pacers en tenue de ville, supplia les policiers de ne pas l’asperger : « S’il vous plaît, non ! Je porte un costume à cent dollars ! » Le consultant NBA William Wesley quitta son siège, éloigna Artest de Haddad et Shackleford, et empêcha la police de le gazer, parvenant à le ramener de l’autre côté du terrain.

Tout le monde avait compris que les joueurs et les entraîneurs d’Indiana devaient rentrer au vestiaire le plus vite possible. Malheureusement, cela signifiait les escorter à travers le tunnel… au milieu des fans furieux. Larry Brown, l’entraîneur des Pistons, attrapa un micro pour demander aux supporters de se calmer, mais ce qui se déroulait sous ses yeux était tellement confus qu’il ne put prononcer un mot. Chaque fois que la situation paraissait sous contrôle, un nouveau combat éclatait. La violence était à son comble. Il y avait des blessés et des enfants en pleurs, dont le plus jeune fils de Darvin Ham, que les caméras de télévision montrèrent en train de sangloter, consolé par son frère. À cet instant, personne n’aurait été étonné de voir quelqu’un sortir un couteau ou un revolver. C’est dire à quel point la situation était inquiétante.

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Artest fut raccompagné vers les vestiaires sous une pluie de déchets et de projectiles. Stephen Jackson le suivit, en hurlant et en agitant les bras avec un air de défi pendant que les gens lui jetaient de la bière. O’Neal lui emboîta le pas, s’arrêtant pour insulter un fan qui avait jeté un objet, avant de se faire éloigner par Wesley et d’autres. Jamaal Tinsley, qui avait quitté le terrain, revint en brandissant un balai au-dessus de sa tête, mais fut renvoyé dans les vestiaires avant qu’il ne puisse en découdre. Finalement, de manière inattendue, les joueurs et les entraîneurs des Pacers sortirent tous en sécurité.

Une fois dans les vestiaires, les joueurs et les entraîneurs des Pacers restèrent debout, incrédules, en se demandant quoi faire. L’ambiance était surchauffée et les joueurs très en colère. Rick Carlisle, l’entraîneur, tenta de calmer les esprits, mais il fut pris à partie par O’Neal, qui l’accusa d’être intervenu à mauvais escient. Une nouvelle bagarre entre les joueurs et l’encadrement faillit s’ensuivre. Ce fut en voyant l’état de Mike Brown, les vêtements trempés et déchirés et la bouche pleine de sang, que les deux camps prirent conscience qu’ils étaient dans le même bateau et finirent par se calmer. Le match fut officiellement annulé avec 45,9 secondes à jouer. Score final : Indiana 97, Detroit 82.

Mais la soirée n’était pas encore terminée pour les Pacers. Ils devaient encore sortir de l’arène sans qu’aucun membre de l’équipe ne soit arrêté. Les policiers voulaient appréhender Artest, Mike Brown (accusé d’avoir agressé un spectateur par derrière) et un autre joueur. Mais le deuxième entraîneur assistant des Pacers, Kevin O’Neill, a rapidement envoyé tout le monde dans le bus qui les avait amenés jusqu’à l’arène. Les policiers ont voulu faire descendre les joueurs, qui ont refusé, et après avoir longuement discuté, O’Neill a obtenu des services de police qu’ils n’arrêtent personne, et interrogent les joueurs ultérieurement après examen de la vidéo.

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En fin de compte, la bagarre s’est bien terminée ; de manière incroyable, personne n’a été gravement blessé. Mais il était évident que des sanctions seraient prises. La ligue a agi dès le lendemain. David Stern a publié une déclaration qui commençait ainsi :

« Les événements du match d’hier soir étaient choquants, répugnants et inexcusables. Ils ont couvert de honte toutes les personnes associées à la NBA. Ceci démontre pourquoi nos joueurs ne doivent pas monter dans les tribunes, quels que soient les provocations ou le comportement des personnes assistant aux matchs. Une enquête est en cours et je m’attends à ce qu’elle soit terminée d’ici demain soir. »

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Épilogue

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Ron Artest a été suspendu sans salaire pour le reste de la saison 2004-2005. Il a raté 86 matchs (73 de saison régulière et 13 de play-offs) et a purgé la suspension non-relative à la drogue la plus longue de l’histoire de la NBA. Il a également dû payer près de 5 millions de dollars d’amende. La saison suivante, Artest n’a joué que 16 matchs pour Indiana ; il a été placé sur la liste des joueurs inactifs, puis, le 25 janvier 2006, a été échangé à Sacramento contre Peja Stojakovic.

Stephen Jackson a été suspendu pour 30 matchs (sans salaire).

Jermaine O’Neal a été suspendu pour 25 matchs (sans salaire), avant de voir sa sanction réduite à 15 matchs.

Anthony Johnson, le meneur remplaçant des Pacers, a été suspendu cinq matchs (sans salaire).

Reggie Miller a été suspendu un match.

Ben Wallace a été suspendu six matchs.

Chauncey Billups, Elden Campbell et Derrick Coleman ont été suspendus un match.

John Green (le spectateur qui avait jeté le gobelet sur Artest) a été condamné à 30 jours de prison et deux ans de mise à l’épreuve pour voies de fait et coups et blessures.

Charlie Haddad, le spectateur assommé par O’Neal, a déposé plainte contre Anthony Johnson, O’Neal et les Pacers. O’Neal a été condamné à payer 1 686,50 $ à Haddad, qui a reçu une peine de deux ans de probation pour être entré sur le terrain sans autorisation et déclenché une bagarre. Il a été condamné à 100 heures de travaux d’intérêt général et à suivre un programme de travail de dix week-ends consécutifs dans un comté.

David Wallace a été condamné à un an de mise à l’épreuve et à des travaux d’intérêt général.

Bryant Jackson, le spectateur qui avait jeté la chaise dans les gradins, a été retrouvé après la diffusion sur internet de la vidéo de l’incident par la police locale. Il a été accusé d’agression et de coups et blessures, et a été condamné à une peine de probation de deux ans et à une amende de 6 000 $.

O’Neal, Artest, Jackson, Johnson et le pivot remplaçant des Pacers David Harrison ont accusés de voies de fait et de coups et blessures. Les procureurs du comté d’Oakland les ont condamnés à 250 $ d’amende chacun et un an de travaux d’intérêt général avec sursis. Cinq supporters des Pistons (John Green, William Paulson, Bryant Jackson, John Ackerman et David Wallace) ont été bannis du Palace à vie.

Les Pistons ont à nouveau rencontré les Pacers au deuxième tour des play-offs de 2005. Ils l’ont emporté en six matchs et sont allés jusqu’en finale pour la deuxième année consécutive, perdant contre San Antonio après une série de sept matchs extrêmement serrée.

Juste avant la bagarre, les Pacers avaient plié le match face aux Pistons et s’étaient légitimement positionnés en tant que l’équipe à battre en 2005. En l’espace de cinq minutes, tout est parti en fumée. L’année suivante, ils ont perdu au premier tour contre New Jersey, puis ont raté les play-offs les quatre années suivantes. Reggie Miller a pris sa retraite ; O’Neal est devenu une star grincheuse et trop payée exploitant mal son talent ; Jackson et Jamaal Tinsley ont été arrêtés après une fusillade à l’extérieur d’un club de strip-tease ; et Shawne Williams a été arrêté pour possession de marijuana en 2007. Les Pacers ont échangé Jackson à Golden State en 2007 contre Mike Dunleavy et Troy Murphy, O’Neal a fait ses bagages pour Toronto en 2008 et Tinsley est parti en 2009 après avoir reçu l’interdiction de jouer suite à l’incident du strip-club. Les fans en sont arrivés à détester tellement l’équipe que les Pacers ont affiché le plus mauvais taux d’affluence de la ligue, avec 12 000 sièges occupés en moyenne par match contre 17 000 avant l’incident du Palace, et ils ont failli déménager après avoir perdu 30 millions de dollars en 2009. Avec Larry Bird en tant que président des opérations, ils ont fini par se reconstruire avec des joueurs comme Danny Granger, Paul George et Tyler Hansbrough. Mais cela a duré six ans, et l’équipe a souffert de façon spectaculaire.

La NBA, pour finir, a tiré les leçons de l’incident et instauré de grands changements, concernant notamment la politique de la ligue en matière d’alcool et les relations entre les joueurs et les supporters. Comme Stern l’a déclaré un an après la mêlée :

« Premièrement, les joueurs ne peuvent pas monter dans les tribunes. Ils doivent laisser faire la sécurité et ne pas se faire justice eux-mêmes. Deuxièmement, les supporters doivent être responsables car ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent juste en achetant un billet. Troisièmement, nous devons continuer à revoir et mettre à jour nos procédures sur la sécurité et le contrôle des foules. »

#71 : Sidney Moncrief

Pour comprendre la façon dont les joueurs ont été classés, merci de consulter cet article.

Le portrait de chaque joueur se divise en trois parties : le C.V. (qui résume le palmarès et les accomplissements du joueur), le côté pile (ses qualités) et le côté face (ses défauts).

Sidney_Moncrief

SIDNEY MONCRIEF

11 ans de carrière dont 5 de qualité.
5 fois All-Star.
Parmi les 5 meilleurs joueurs de la NBA en 1983, top 10 en 1982, 1984, 1985 et 1986.
Cinq fois dans le meilleur cinq défensif de la NBA.
Défenseur de l’année en 1983 et 1984.
Pic de forme de 4 ans en saison régulière : 21 points, 6 rebonds et 5 passes décisives de moyenne à 51 % de réussite au tir et 83 % de réussite aux lancers-francs.
Pic de forme de 3 ans en play-offs : 21 points, 6 rebonds et 5 passes décisives de moyenne (33 matchs).

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Côté pile :

Avec Paul Westphal, David Thompson et Billy Cunningham, Sidney Moncrief est l’un des grands joueurs injustement oubliés de l’histoire de la NBA. Pour vous donner une idée de sa valeur, voici une anecdote édifiante : le premier choix de la draft 1979, à laquelle se présentait Magic Johnson, se jouait entre deux des trois plus grands marchés de la ligue (les Lakers et Chicago). Les Lakers ont remporté le tirage au sort. Ils se sont naturellement positionnés sur Magic, mais Jerry West voulait échanger ce dernier contre Moncrief car ils avaient déjà Norm Nixon comme meneur. Jerry Buss, qui était en train d’acheter l’équipe, l’en a empêché parce que la réputation de Magic attirait davantage les foules. Le fait qu’un dirigeant aussi avisé que Jerry West ait été prêt à échanger l’un des joueurs les plus prometteurs de l’histoire contre Moncrief montre bien à quel point celui-ci était bon. Les Bulls ont d’ailleurs fait la bêtise de l’ignorer et ont pris en deuxième choix de draft le pivot David Greenwood. Ça doit encore leur faire mal. Ils se sont enfoncés jusqu’à l’arrivée de Michael Jordan qui les sauvera cinq ans plus tard.

Moncrief, dont le principal fait d’armes avec l’Université de l’Arkansas aura été de fracasser un tomahawk dunk complètement dingue qui a fini en couverture de Sports Illustrated, a été drafté par les Bucks en cinquième position à la draft. Avec eux, il s’est épanoui et il est devenu l’arrière le plus complet des années 80 : excellent défenseur, grande force offensive, il aurait sans doute eu plus de succès s’il avait évolué dans une autre équipe et ou avait secondé un joueur capable de porter une franchise. Toutefois, s’il avait fallu faire un cinq majeur des meilleurs joueurs du milieu des années 80, il aurait été composé d’Abdul-Jabbar, Bird, Erving, Magic et Moncrief. Vous voyez à quel point Moncrief était bon.

Côté face :

Alors, pourquoi le classer seulement à cette soixante-et-onzième place ? Parce que malheureusement, Moncrief a souffert de problèmes chroniques au genou qui ont fini par ruiner sa carrière. La chirurgie arthroscopique et les greffes de ligaments n’existaient pas, et un joueur n’était tout simplement plus jamais le même après une rupture du ligament croisé antérieur. Moncrief a été excellent pendant cinq ans, mais arrivé aux play-offs de 1987, il boitait sur une jambe comme un vétéran de guerre. Un Moncrief en bonne santé aurait été une version plus économique et raffinée de Dennis Johnson. Et ce n’est pas peu dire. Dommage pour lui ; s’il ne s’était pas blessé, il aurait sans aucun doute fait partie des cinquante meilleurs joueurs de l’histoire. Au lieu de ça, il va falloir se contenter d’une modeste place au Niveau 6 de notre classement.