Most Valuable Player (2/4) : Catégorie 1 : les MVP douteux, mais finalement mérités

Ce dossier en quatre parties est la traduction française quasi-exhaustive des réflexions du journaliste sportif américain Bill Simmons. Tous les droits sur ce texte lui sont réservés.

Les nombres cités après le nom d’un joueur dans cet article représentent le nombre de votes obtenus pour la première, seconde et troisième place. Dans le cas de Russell, par exemple, les nombres 51-12-6 signifient qu’il avait été voté 51 fois premier, 12 fois second et 6 fois troisième.

Source des photos : http://www.nba.com

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Bill Russell (1962)

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Déjà détenteur de deux titres de MVP (comme Jordan en 1993), Russell a, comme beaucoup d’autres, aligné ses meilleures statistiques en 1962 : 19 points, 24 rebonds et 5 passes décisives de moyenne pour une équipe de Boston à 60 victoires, tout en assurant une défense pratiquement surhumaine. Si les médias avaient voté, Russell aurait été boudé car il avait déjà gagné et qu’il fallait du changement (comme Jordan en 1993). Les gagnants auraient été Wilt Chamberlain (50 points et 25 rebonds de moyenne, premier cinq majeur de la NBA) ou Oscar Robertson (un triple-double par match pour la première fois en NBA).

En dehors des accomplissements de Wilt et d’Oscar (et des points qui étaient marqués comme au flipper), la meilleure performance de la saison est à mettre à l’actif d’Elgin Baylor. Contraint à ses obligations militaires, Baylor n’a joué que 48 matchs (uniquement le week-end, sans jamais s’entraîner avec les Lakers) et il a quand même réussi à atteindre une moyenne hallucinante de 38 points, 19 rebonds et 5 passes décisives (1).

À mon avis, le 38-19-5 d’Elgin était plus invraisemblable que les 50 points par match de Wilt ou le triple-double d’Oscar. Il ne s’entraînait pas ! Il se transformait en joueur NBA le week-end ! Le 50-25 de Wilt est logique compte tenu de la faible concurrence et de sa tendance à monopoliser le ballon. Le triple-double d’Oscar est logique compte tenu du style de jeu de l’époque. Mais le 38-19-5 de Elgin n’a aucun sens. Aucun. C’est inconcevable.

À l’époque, Elgin était réserviste dans l’armée américaine. Il travaillait dans l’État de Washington la semaine, vivait dans une caserne et ne la quittait que lorsqu’on lui donnait un laissez-passer pour le week-end. Même avec ce document, il devait voyager en deuxième classe sur des vols avec des correspondances multiples pour rejoindre l’endroit où les Lakers jouaient, endossait vite fait un maillot et affrontait les meilleurs joueurs NBA, puis faisait le même trajet compliqué jusqu’à Washington dans les temps pour être présent à l’appel tôt le lundi matin. Il a vécu comme ça pendant six mois (2).

Dans les années 60, la première place d’un vote comptait pour cinq points, la deuxième place trois points et la troisième place un point. On ne pouvait choisir que trois joueurs. Les votes pour le MVP 1962 ont été répartis ainsi :

Russell : 297 (51-12-6) ; Wilt : 152 (9-30-17) ; Oscar : 135 (13-13-31) ; Elgin: 82 (3-18-13) ; West : 60 (6-8-6) ; Pettit : 31 (2-4-9) ; Richie Guerin : 5 (1-0-0) ; Cousy : 3 (0-0-3).

Vous n’allez pas le croire, mais j’ai des remarques à faire :

  • D’abord, la saison d’Elgin était tellement impressionnante qu’il a réussi à terminer quatrième en manquant 40 % de la saison (il a même réussi à être trois fois premier).
  • Deuxièmement, la « légendaire » saison de Wilt a tellement impressionné ses pairs que seuls neuf joueurs (10 % de la ligue) l’ont mis en première place, ce qui prouve à quel point les statistiques de 1962 ne veulent rien dire. (Cela montre aussi à quel point Wilt était égoïste : les Knicks de 1962 ont été scandalisés par le match à 100 points qu’il a joué contre eux, particulièrement la façon dont Wilt a monopolisé le ballon et les le fait que les Warriors faisaient des fautes en fin de match pour qu’il obtienne le ballon. On peut être sûrs qu’il n’a eu aucun de leurs votes.)
  • Troisièmement, West, Pettit, Guerin et Cousy ont eu autant de votes pour la première place que Wilt, et ont volé douze deuxièmes places et quinze troisièmes places. West avait une moyenne de 30 points, 8 rebonds et 5 passes décisives et n’était pas le meilleur joueur de son équipe ; Pettit avait une moyenne de 31 points et 19 rebonds pour une équipe des Hawks à 29 victoires et 51 défaites ; Guerin avait une moyenne de 30 points, 7 rebonds et 6 passes décisives pour une équipe des Knicks à 29 victoires et 51 défaites ; et Cousy avait fait sa pire saison depuis dix ans (16 points, 8 rebonds, 4 passes décisives) et joué seulement 28,2 minutes par match.

Un seul de ces quatre-là aurait-il dû se glisser dans les trois premières places d’un vote ? On peut dire qu’ils se sont partagés le vote de ceux qui détestaient les Noirs et qui trouvaient qu’ils sabotaient la ligue. Quoi qu’il en soit, le choix de Russell me convient très bien : c’était le joueur dominant de l’équipe dominante. Si le vote avait eu lieu trente ans plus tard, Wilt ou Oscar aurait gagné et je serais en train de trépigner et m’indigner à ce sujet. Passons.

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Bill Russell (1963)

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Grosse concurrence entre Russell (17 points, 24 rebonds et 5 passes décisives de moyenne, et une défense surnaturelle pour une équipe de Boston à 60 victoires) et Baylor (34 points, 14 rebonds, 5 passes décisives de moyenne pour une équipe des Lakers à 53 victoires). Les deux légendes étaient à l’apogée de leurs compétences respectives, la valeur de Russell paraissant légèrement supérieure à celle de Baylor à l’époque.

Voici comment les votes ont été répartis : Russell : 341 (56-18-7) ; Elgin : 252 (19-36-18) ; Oscar : 191 (13-34-21) ; Pettit : 84 (3-14-27) ; West : 19 (2-1-6) ; Johnny Kerr : 13 (1-1-5) ; Wilt : 9 (0-2-3) ; Terry Dischinger : 5 (1-0-0) ; John Havlicek : 3 (0-1-0) ; John Barnhill : 1 (0-0-1) ; Walt Bellamy : 1 (0-0-1).

Le logo de la NBA aurait dû porter la cagoule du Ku Klux Klan en 1963. Les votes pour Dischinger (26 points, 8 rebonds et 3 passes décisives de moyenne en seulement 57 matchs pour une équipe de Chicago à 25 victoires) sont épouvantables. Même si certains votes étaient stratégiques à l’époque (aucun joueurs des Lakers ne votait pour Russell, aucun joueur des Celtics ne votait pour Elgin, et les Royals ne devaient sans doute jamais voter aucun des deux), les votes inexplicables semblent toujours être en faveur des Blancs (3).

Revenons à Elgin et Russell. A l’époque moderne, Elgin remporterait le MVP haut la main pour les bêtes raisons habituelles : « Il n’a encore jamais gagné » et « Il a déjà trop attendu, il faut le récompenser ». C’est cette même logique erronée qui a conduit à un grand nombre d’injustices flagrantes concernant le choix du MVP (nous y reviendrons plus tard). Je ne peux donc pas approuver le choix de Elgin. Cela dit, si l’on prend tous les joueurs « ayant trop attendu et qu’il faut récompenser avec un titre de MVP », le Elgin de 1963 est tout en haut de la liste. C’est vraiment plus que dommage qu’il n’ait jamais remporté le prix. (Si les Lakers avaient gagné le titre en 1963, j’aurais plaidé sa cause, mais ça n’a pas été le cas.)

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Kareem Abdul-Jabbar (1972)

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Nous sommes en présence du joueur dominant de la ligue, élu MVP avec sa meilleure moyenne en carrière : 34,6 points, 16,8 rebonds et 4,6 passes décisives par match pour une équipe à 63 victoires. Entre 1969 et 2016, aucun pivot n’a eu de meilleures statistiques ; le jeune Kareem était aussi le meilleur pivot défensif de cette décennie avec Nate Thurmond. Donc, je ne peux pas désapprouver ce choix.

Mais il convient de mentionner – je dis bien : mentionner – que les Lakers ont battu deux records (69 victoires, dont 33 d’affilée) pour le premier titre de Jerry West. Malheureusement, personne ne pouvait dire quel joueur des Lakers avait le plus contribué : West (26 points, 4 rebonds, 10 passes décisives en moyenne, meilleur passeur de la ligue) ou Wilt (15 points, 19 rebonds, 4 passes dévisives, 65 % de réussite au tir, meilleur rebondeur de la ligue) ? Pour la seule fois où une équipe a placé deux de ses joueurs dans le top trois, les résultats du scrutin sont assez bizarres : Kareem : 581 (81-52-20) ; West : 393 (44-42-47) ; Wilt : 294 (36-25-39).

Cela soulève une question intéressante : un choix spécial de « co-champions » devrait-il être ajouté au scrutin pour chaque saison, quand une équipe inoubliable ne dispose pas d’un joueur clairement dominant ? Les Celtics de 1958 (Cousy et Russell), les Knicks de 1970 (Reed et Frazier), les Lakers de 1972 (West et Wilt), les Celtics de 1973 (Hondo et Cowens), le Jazz de 1997 (Stockton et Malone), les Lakers de 2001 (Shaq et Kobe), le Heat de 2005 (Shaq et Wade), et les Celtics de 2008 (Pierce et Garnett) pourraient tous y prétendre et résoudraient de nombreux problèmes. La saison 1972 en est l’exemple ultime : Kareem était bien « le » MVP et West et Wilt étaient co-MVP. Non ? Bon, d’accord, vous avez raison. C’est une idée stupide.

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Bill Walton (1978)

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Même un observateur impartial admettrait que pendant onze mois, d’avril 1977 à février 1978, « The Mountain Man » était le meilleur joueur du monde et amenait l’équipe de Portland à des sommets surréalistes. Juste au moment où l’équipe atteignait des sommets, le 13 février 1978, Sports Illustrated (dans l’un des numéros qui a marqué mon enfance à cause d’un tomahawk dingue de Sidney Moncrief sur la couverture) publia un long article sur les Blazers, dans lequel Rick Barry les qualifiait de « peut-être l’équipe la plus parfaite jamais montée ». Tout tournait autour de Walton (19 points, 15 rebonds, 5 passes décisives et 3,5 contres de moyenne), le nouveau Russell, un big man altruiste qui rendait ses coéquipiers meilleurs et qui partageait même des pétards avec eux.

Deux semaines après l’histoire (ou la malédiction) de SI, Walton se blessa au pied et ne revint pas avant les play-offs, où il se fractura le même pied au cours du deuxième match, anéantissant les espoirs de titre de Portland et provoquant son départ inévitable et précipité. « Précipité » est un euphémisme : Walton a exigé un trade, a porté plainte pour faute médicale et professionnelle, a perdu des amis et signé avec les Clippers en 1979. L’une des séparations les plus douloureuses de l’histoire du sport.

Il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse être éligible pour le MVP après avoir raté vingt-quatre matchs et encore moins gagner le trophée. Mais la saison dont nous parlons a été particulièrement loufoque, comme en témoignent notre meilleur rebondeur (M. Leonard « Truck » Robinson) et notre meilleur passeur (le seul et unique Kevin Porter). Kareem a balancé un coup de poing en traître sur Kent Benson lors du match d’ouverture, a raté vingt matchs et a eu des problèmes pour le reste de la saison. La saison d’Erving a été décevante (pour un joueur comme lui). Les meilleurs candidats étaient George Gervin (27 points, 5 rebonds, 4 passes décisives de moyenne et 54 % de réussite au tir) et David Thompson (27 points, 5 rebonds, 5 passes décisives de moyenne et 52 % de réussite au tir), tous deux meilleurs scoreurs et champions de leur division, qui n’étaient pas connus pour leur défense.

Sauf que les arrières n’étaient pas supposés gagner le MVP à l’époque ; seuls Cousy et Robertson l’avaient fait, et même si tout le monde aimait bien « Skywalker » et « Ice », ils n’étaient ni Cousy, ni Oscar. Walton a donc obtenu le plus de voix (96), Gervin a terminé deuxième (80,5), Thompson troisième (28,5) et Kareem quatrième (14). (Je n’ai aucune idée de la répartition des votes de cette saison ; nous n’avons eu droit qu’au score final. J’ai l’impression que les joueurs devaient voter juste après s’être envoyé une quantité de cocaïne équivalente au contenant d’un seau de Gatorade.)

Les arguments en faveur de Walton : il a joué 58 des 60 premiers matchs et les Blazers ont amassé pendant cette période 50 victoires et 10 défaites. Il a raté les 22 prochains matchs et les Blazers sont tombés à un ratio de 8 victoires pour 14 défaites, mais ils ont quand même fini avec le meilleur total de victoires de la ligue (58) et obtenu l’avantage du terrain pour les play-offs. Walton a donc raté 24 matchs et a eu un impact profond anormal sur la saison régulière : il a fait gagner 50 matchs à son équipe au cours d’une saison où seules deux autres équipes ont terminé avec 50 victoires et plus : Philly (55) et San Antonio (52).

Les arguments contre Walton : auriez-vous accepté que Les Infiltrés obtienne l’Oscar du Meilleur Film si celui-ci terminait inexplicablement à trente-cinq minutes de la fin, sans savoir ce qui arrive à DiCaprio ou Damon ? Non.

En définitive, tout se résume à une chose : même si Walton et les Blazers n’ont survolé que 70 % de cette saison, ils l’ont quand même survolée. Personne d’autre ne se distingue en dehors de Kareem (pour avoir cogné Benson), Kermit Washington (pour avoir cogné Rudy Tomjanovich), Dawkins (pour avoir fracassé deux panneaux de basket), Thompson et Gervin (pour s’être bagarrés le dernier jour pour le titre de meilleur scoreur) et les Sonics (qui ont commencé avec 5 victoires et 22 défaites avant de faire un gros effort sur le tard pour arriver en finale). Personnellement, ça me suffit. Je préfère 70 % d’une saison extraordinaire que 100 % d’une saison relativement oubliable. Et tant pis pour tous ces matchs manqués. Nous ferons une exception, juste pour cette fois.

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Tim Duncan (2002)

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La saison 2002 a donné lieu à une grosse bataille entre Duncan (la meilleure année de sa carrière : 25 points, 13 rebonds et 4 passes décisives de moyenne, avec en plus 2,5 contres par match et une superbe défense) et Jason Kidd (15 points, 7 rebonds, 10 passes décisives et une superbe défense). Kidd a dominé la saison en raison d’un trade extrêmement discuté de l’été précédent, quand Phoenix a échangé Kidd à New Jersey contre Stephon Marbury quelques mois après que Kidd fut accusé de violences conjugales.

Stimulé par le changement de décor, Kidd a emmené des Nets habituellement en bas de classement à 52 victoires, s’est attiré les faveurs des médias de New York et s’est distingué pour son altruisme et son talent unique pour exécuter des contre-attaques, ainsi que par sa femme, Joumana, qui adorait être le centre d’attention général (4). La saison 2002 de Kidd était peut-être moins reluisante que sa saison 2001 à Phoenix (17 points, 6 rebonds, 10 passes décisives de moyenne avec 41 % de réussite au tir), mais plus par défaut qu’autre chose, Kidd est devenu la sensation d’une conférence Est qui avait toujours été atroce, amenant à l’une des élections de MVP les plus serrées (et les plus ridicules) de tous les temps : Duncan : 952 (57-38-20-5-3) ; Kidd : 897 (45-41-26-9-3) ; Shaq : 696 (15-38-40-25-5) ; McGrady : 390 (7-5-28-45-10).

Pourquoi les joueurs étaient-il tellement proches ? Duncan a dépassé les 3 300 minutes de jeu, les 2 000 points, les 1 000 rebonds, les 300 passes décisives et les 200 contres, porté les Spurs à la deuxième place de la Conférence Ouest, n’a manqué aucun match et a eu un effet plus important sur ses coéquipiers que n’importe quel joueur en dehors de Kidd. Regardez qui il avait autour de lui : Bruce Bowen, Antonio Daniels, Tony Parker, Malik Rose, Danny Ferry, Charles Smith, un David Robinson loin de ses meilleures années, un Steve Smith qui venait finir les siennes, et un Terry Porter qui en était à des années-lumières. Et ils ont gagné 58 matchs ! Si vous aviez échangé Duncan contre quelqu’un comme Stromile Swift, les Spurs aurait gagné 25 matchs. Pas plus.

Pour le titre, les Lakers ont balayé les Nets dans une finale complètement déséquilibrée, et c’est à ce moment-là que tout le monde s’est dit : « On savait que la Conférence Est était mauvaise, mais quand même pas à ce point-là ! » Qu’un joueur avec seulement 39 % de réussite au tir, évoluant dans une équipe à 52 victoires, au sein d’une conférence de faible niveau, ait presque volé le MVP au meilleur ailier fort de l’histoire, qui en était à sa meilleure saison en terme de statistiques, et qui évoluait dans une équipe à 58 victoires… Vous comprenez pourquoi je ne fais pas tellement confiance au mode d’élection du MVP. Ironiquement, Kidd réussira la meilleure année de sa carrière en 2003 (19 points, 9 rebonds, 6 passes décisives de moyenne avec 41 % de réussite au tir) et ne terminera que neuvième au vote car tout le monde était encore mortifié par la façon dont s’était terminé 2002.

(En passant, Shaq conservé son statut de joueur dominant cette saison, restant au même niveau de jeu pendant 82 matchs, en partie parce qu’il était paresseux, et en partie parce que c’est cette année-là qu’il a commencé à ne plus du tout s’entendre avec Kobe. Il s’est réveillé en play-offs et a affiché une moyenne de 36 points et 12 rebonds en finale. Après ça, il a passé tout l’été à manger et s’est fait opérer de l’orteil droit, ce qui lui fera manquer le début de la saison suivante.)

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Première partie ici.

La suite ici.


 

(1) Cela montre bien où la NBA en était en 1962 : ils ne pouvaient même tirer quelques ficelles pour éviter à leur joueur le plus spectaculaire de faire son service militaire.

(2) La seule comparaison moderne serait la saison 2004 de Kobe, quand il a été accusé de viol et a fait des aller-retours en avion entre le Colorado (où les audiences avaient lieu) et Los Angeles où l’endroit où les Lakers jouaient. Tout le monde a fait une montagne sur la saison « éprouvante » de Kobe, alors qu’il volait dans des charters et séjournait dans des hôtels première classe. Vous imaginez, si Kobe avait refait la saison 1962 de Elgin ? La Terre aurait cessé de tourner.

(3) Quoique, pas toujours : Barnhill, surnommé « le Lapin », était un arrière rookie de St. Louis afro-américain qui avait une moyenne de 12 points, 5 rebonds et 4 passes décisives. Il n’était pas All-Star en 1963, mais quelqu’un lui a donné une troisième place. Inexplicable.

(4) Elle amenait son jeune fils sur le bord du terrain et paraissait connaître l’emplacement de chaque caméra de télévision. La chose s’est retournée contre Kidd lorsqu’il a plongé dans les tribunes pour un ballon perdu, a atterri sur son fils et lui a cassé la clavicule. Cruel destin, n’est-ce pas ?

#4 : Les Lakers miraculés de 1960

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Dans la nuit du 18 au 19 janvier 1960, le lieutenant-colonel à la retraite Vernon Ullman, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée, et son copilote Howard Gifford ont sauvé la NBA.

Vous n’avez jamais entendu ces noms-là ? Alors lisez attentivement ce qui va suivre.

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Le lundi 18 janvier 1960, les Lakers s’apprêtent à rentrer à Minneapolis après un match disputé à Saint-Louis. La veille, ils ont perdu 135 à 119 contre les Hawks, malgré 43 points d’Elgin Baylor. La saison est difficile pour les héritiers de George Mikan, Slater Martin et Vern Mikkelsen ; l’effectif est de qualité, mais manque de cohésion. Contre les Hawks, les Lakers ont ainsi enregistré leur 30ème défaite en 43 matchs. Les cinq titres obtenus entre 1948 et 1954 semblent bien loin. La situation financière de l’équipe n’est pas plus brillante ; elle est même si problématique que le propriétaire, Bob Short, songe sérieusement à déménager sa franchise à Los Angeles pour attirer plus de public (il le fera la saison suivante).

Pour regagner Minneapolis, les Lakers ont à leur disposition un avion privé, un bimoteur DC-3 appartenant à Short, dont l’utilisation est moins coûteuse que l’emprunt des vols continentaux. L’appareil est piloté par un ancien militaire, Vernon Ullman, assisté de son copilote Howard Gifford. Le soir du 18 janvier, Elgin Baylor et ses coéquipiers Frank Selvy, Rod Hundley, Slick Leonard, Dick Garmaker, Larry Foust, Tom Hawkins, Jim Krebs et Boo Ellis arrivent donc à l’aéroport. Parmi les cadres, seul Rudy LaRusso manque à l’appel, un ulcère l’ayant empêché de faire le voyage.

À l’extérieur de l’aéroport, les conditions sont glaciales et quelques flocons commencent à tomber. Le départ est retardé de plusieurs heures. Dans la salle à manger du terminal, Jim Krebs, superstitieux maladif, sort la planche Ouija dont il ne se sépare jamais et l’interroge. La prédiction est sans appel : l’avion dans lequel les Lakers s’apprêtent à embarquer va s’écraser. Krebs met en garde ses coéquipiers, mais ceux-ci ne lui prêtent qu’une oreille distraite. Krebs est un bon garçon, mais c’est aussi un pessimiste notoire, qui répète à qui veut l’entendre qu’il sera mort avant ses 33 ans. Personne ne fait donc attention à ses avertissements répétés et tout le monde finit par embarquer.

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À 20 h 30, le DC-3 quitte Saint-Louis sous un faible blizzard. Près de cinq minutes après le décollage, les lumières de l’avion commencent à clignoter, avant de s’éteindre complètement. Les deux générateurs de l’appareil, trop utilisés lorsque l’avion était encore à terre, se sont arrêtés. Toute l‘installation électrique est en panne. Il n’y a plus de lumière, plus de chauffage, et surtout plus de radio ; sans les instructions de la tour de contrôle, il est impossible de retourner à l’aéroport, de surcroît très fréquenté à cette heure. Comble de malchance, après un quart d’heure de vol, l’orage s’intensifie tant que les pilotes perdent tout contact visuel. Ils décident donc de grimper jusqu’à 8 000 pieds pour s’élever au-dessus du blizzard et pouvoir se diriger.

Ne disposant plus des appareils électroniques qui leur permettent de se guider, Ullman et Gifford prennent de l’altitude en s’aidant d’une simple boussole manuelle. Malheureusement, le vent et le mauvais temps dérèglent l’instrument très vite, contraignant les pilotes à se repérer uniquement grâce aux étoiles, en se basant sur l’étoile Polaire ! Des turbulences font rebondir l’appareil, qui dépasse parfois les 15 000 pieds d’altitude, ce qui est fortement déconseillé pour un avion non pressurisé comme le DC-3. Les passagers suffoquent, les enfants présents à bord de l’avion (dont Jack, le fils de l’entraîneur Jim Pollard, âgé de 11 ans) commencent à être malades et le plancher de l’appareil se met à geler.

À l’intérieur du DC-3, la situation est préoccupante. Les couvertures qui se trouvent dans l’avion sont trop minces et les manteaux d’hiver inefficaces. Le froid, la peur et le manque d’oxygène provoquent spasmes et constrictions. Cependant, en dépit des conditions, personne ne panique, pas même les enfants. Certains passagers se tassent au fond de l’appareil, et les plus optimistes rassurent les angoissés. Ou essayent, tout du moins. Car à cet instant, personne n’a la moindre idée de la façon dont cela va se terminer.

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Toujours incapables de communiquer, les pilotes zigzaguent entre les flocons de neige pendant plusieurs heures. De la glace se forme sur les ailes, les hublots, puis dans la cabine. Toutes les cinq minutes, Ullman et Gifford doivent ouvrir l’une des fenêtres latérales pour gratter la neige sur le pare-brise et avoir un peu de visibilité. Il est près de minuit et demi et l’avion est en l’air depuis quatre heures. Il ne reste plus que 30 minutes de carburant et l’un des moteurs a des ratés. Plus question de tergiverser : Ullman, le visage et les mains gelés, décide de faire descendre l’avion et de chercher un endroit, n’importe lequel, pour atterrir.

Pendant que l’avion amorce sa descente, les pilotes brandissent une lampe de poche par la fenêtre du poste de pilotage, afin de mieux se repérer. Ils aperçoivent une petite agglomération avec un château d’eau sur lesquels sont inscrits les mots : « Carroll, Iowa ». Le DC-3 s’est égaré à presque 150 milles de sa destination initiale, mais personne ne s’en soucie. Ullman se met à tournoyer au-dessus de la ville, dans l’espoir de réveiller quelqu’un qui pourrait allumer les lumières d’une quelconque piste d’atterrissage. Rien ne bouge, mais les manœuvres de l’appareil attirent néanmoins l’attention de la police locale, qui sonne le branle-bas de combat.

Les pilotes essayent plusieurs fois d’atterrir, mais les propriétés du coin sont toutes entourées par des lignes électriques ; aussi doivent-ils continuellement reprendre de l’altitude et recommencer leurs tentatives, augmentant à chaque fois l’anxiété des passagers. Pendant ce temps-là, à terre, les voitures de police, les camions de pompiers et même le croque-mort local font de leur mieux pour suivre un avion qu’ils peuvent à peine voir. Plus d’une fois, l’avion doit se redresser brusquement pour éviter une route goudronnée, un bosquet, et même un semi-remorque qui arrive en sens inverse.

Finalement, les pilotes trouvent le terrain d’atterrissage idéal : un champ de maïs enneigé, dans une ferme appartenant à un certain Elmer Steffes. Le maïs non récolté apparaît sombre sur le fond neigeux, donnant à Ullman une référence visuelle pour atterrir. De plus, le terrain ne comporte ni fossés, ni rochers. C’est décidé : l’atterrissage se fera ici. Les pilotes préviennent les passagers et amorcent leur approche.

À l’intérieur de l’avion, les joueurs se préparent avec anxiété. Frank Selvy pense à sa femme, Barbara, et sa petite fille de 4 mois et demi, Leslie. Dick Garmaker, pétrifié, tente de garder son sang-froid pour ne pas affoler les enfants à bord. Boo Ellis, comme beaucoup d’autres, se demande si l’avion ne va pas subitement tomber en panne sèche, et si la visibilité sera suffisante pour atterrir. Elgin Baylor prend sa couverture, va s’allonger dans l’allée à l’arrière de l’avion à l’endroit qu’il pense être le plus sûr, et s’appuie contre les sièges épais et rembourrés, histoire de mourir confortablement si les choses venaient à mal tourner. Quant à Jim Krebs, il jure solennellement d’arrêter de tricher aux cartes, de se donner à fond sur le terrain et de jeter sa planche Ouija si l’avion atterrit en toute sécurité.

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A 1h40 du matin, après deux tentatives, Vernon Ullman sort les aéro-freins, réduit la vitesse à 70 nœuds et s’approche du champ de maïs avec un faible angle d’inclinaison. Quelques instants plus tôt, les pilotes se sont disputés pour savoir s’il fallait sortir le train d’atterrissage ou atterrir « à plat », comme le stipulent les règlements dans une telle situation. Ullman a décidé de sortir les roues, pour éviter un dérapage ou d’autres complications éventuelles. Les pilotes coupent les moteurs et font atterrir l’avion en douceur sur le mètre vingt de neige qui recouvre la récolte. La décision d’Ullman a été la bonne : l‘avion roule pendant presque cent mètres avant de s’arrêter, aidé par le brin supérieur d’une clôture en barbelés accroché dans la manœuvre par la roue de la queue. Si les roues n’avaient pas été sorties, l’avion aurait continué sa course et serait allé s’écraser dans un fossé escarpé qui se trouvait soixante-quinze mètres plus loin.

Pendant quelques secondes, le silence à l’intérieur de l’appareil est total. Puis les premiers cris de joie éclatent. Les passagers applaudissent, sautent joyeusement hors de l’avion et déclenchent une joyeuse bataille de boules de neige avec les pilotes. Le calme revient néanmoins lorsque tout le monde réalise qu’ils va falloir marcher un bon kilomètre à travers le champ de maïs dans une neige profonde pour rejoindre la route. Mais quelle importance, quand on a la vie sauve ?

Au bord de la route, des camions de pompiers, des voitures de police, des camions et des autos attendent les vingt-deux passagers et l’équipage, qui sont transportés au motel le plus proche. L’entraîneur des Lakers est le dernier à partir, à bord du corbillard conduit par le croque-mort. Comme il n’y a pas de téléphone dans les chambres du motel, Pollard et ses joueurs se mettent à faire la file devant les trois cabines téléphoniques de l’accueil pour informer leurs proches. Larry Foust, surnommé « Desert Head » par Rod Hundley à cause de son crâne chauve, avait l’habitude d’aller boire un coup après les matchs et de justifier ses retards à sa femme Joanie par toutes sortes d’histoires abracadabrantes. La conversation qu’il eut avec elle ce jour-là tourna court :

Larry : « On a été obligés d’atterrir dans un champ de maïs, en Iowa. »

Joanie : « Je ne trouve pas ça drôle du tout. Rappelle-moi quand tu auras décuvé. »

(Elle raccroche).

Larry (à son équipier Tom Hawkins) : « Dis, tu ne pourrais pas demander à Doris d’appeler Joanie et lui dire que nous avons vraiment atterri dans un champ de maïs en Iowa ? »

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À ce jour, il n’existe aucune autre situation dans laquelle une équipe de sport professionnel a échappé de si près à la mort. Une fin moins heureuse aurait été la plus grande tragédie de l’histoire de la NBA, et un coup fatal porté à une ligue qui peinait à trouver sa place à l’époque. Et ce n’est que le début :

  • Nous perdons l’un des quinze plus grands joueurs de l’histoire (Elgin Baylor) au milieu de sa deuxième saison, ainsi que l’ailier le plus athlétique de cette époque et quelqu’un qui était en train de faire prendre conscience à tout le monde que le basket pouvait être joué dans les airs.
  • L’ère Elgin Baylor / Jerry West n’a jamais lieu. Près de cinq cents documentaires, reportages, livres et articles consacrés à la nuit fatidique sont produits.
  • Les Lakers de 1960 arrêtent immédiatement les frais et disparaissent à jamais, ou déclarent forfait pour la saison avant de revenir en 1961 après avoir rempli leur effectif avec des joueurs d’expansion et des choix de draft supplémentaires… Ce qui signifie que nous sommes en train de refaire toute l’histoire de la NBA de 1961 à 2016, avec au moins quinze finales différentes.
  • Enfin, un autre propriétaire s’empare du marché de Los Angeles si les Lakers s’en vont. Serions-nous en train de regarder les Los Angeles Warriors en ce moment ? Qui sait ?

Bref, le fait que l’avion ait atterri en toute sécurité est une bonne chose (et c’est un euphémisme). Notez qu’il existe aujourd’hui une règle appelée la « Catastrophe Rule » : une draft d’expansion, dans laquelle les équipes ne peuvent mettre de veto que sur quatre ou cinq joueurs, est organisée en urgence, puis l’équipe victime de la catastrophe obtient le premier choix de la prochaine draft (en plus de son propre choix). Heureusement que cette règle n’est pas très connue, sinon on compterait plus le nombre de fans en colère qui tenteraient de saboter le charter de leur équipe dans des temps difficiles.

 


 

Larry Foust a été échangé peu après la nuit du 18 janvier. Il a joué douze saisons en NBA, pour une moyenne en carrière de 13,7 points et 9,8 rebonds. Une consommation excessive d’alcool et de cigarettes a fini par le rattraper ; il est mort en 1984 d’une crise cardiaque, à l’âge de 56 ans.

Boo Ellis n’a joué que deux saisons avec les Lakers (pour une moyenne de 5,1 points et 5,2 rebonds). Il a ensuite bourlingué dans des ligues professionnelles mineures, avant de devenir agent de sécurité. Il a disputé des compétitions sportives jusqu’à l’âge de 70 ans, remportant plusieurs titres prestigieux en catégorie senior.

Frank Selvy a passé onze ans en NBA. Il a eu trois autres enfants après Leslie, et vit aujourd’hui en Caroline du Sud. Il a neuf petits-enfants.

Slick Leonard a joué sept ans en NBA pour une moyenne en carrière de 9,9 points, 2,9 rebonds et 3,3 passes décisives. devenu entraîneur, il a remporté trois titres ABA avec les Pacers avant de devenir leur commentateur officiel. Il est entré au Hall of Fame en 2014.

Après six saisons passées avec les Lakers, « Hot Rod » Hundley a travaillé quarante ans à la télévision pour l’équipe du Jazz. Puis il s’est installé en Arizona pour profiter de sa retraite. Il est décédé en 2015 à l’âge de 80 ans, après une vie bien remplie.

Jim Krebs a pris sa retraite après la saison 1964. Il est mort un an plus tard, le 6 mai 1965, à l’âge de 30 ans (soit trois ans plus tôt que ce qu’il avait l’habitude de prophétiser). Un voisin lui avait demandé de l’aider à couper un arbre à moitié abattu, puis de l’appuyer contre la façade de la maison. Pendant que Krebs s’éloignait, un coup de vent fit tomber l’arbre qui lui écrasa la poitrine et le crâne.

Tom Hawkins a joué dix saisons en NBA avant de connaître un franc succès en tant qu’animateur sur la chaîne NBC, autant à Los Angeles qu’au niveau national. Il est mort en 2017 à l’âge de 80 ans dans sa maison de Malibu.

Elgin Baylor est entré au Hall of Fame en 1977 avec une moyenne en carrière de 27,4 points, 13,5 rebonds et 4,3 passes décisives en 14 saisons. Tout est dit.

Dick Garmaker vit à Tulsa, dans l’Oklahoma. Dix jours après l’atterrissage, il a été transféré aux Knicks en échange de 25 000 $ et Ray Felix, permettant à Short de donner à ses joueurs leur paye mensuelle. Une vingtaine d’années plus tard, la société immobilière de Garmaker achetait des appartements à St. Paul en faisant affaire avec Elmer Steffes, le propriétaire du champ de maïs dans lequel il avait atterri.

Rudy LaRusso a joué dix saisons en NBA. Il est mort le 9 juillet 2004 à 67 ans, des suites de la maladie de Parkinson.

Jim Pollard est décédé le 22 janvier 1993 à l’âge de 71 ans. Il a joué huit ans en NBA (moyenne en carrière : 13,2 points et 5,7 rebonds) et a entraîné les Chicago Packers (18 victoires, 62 défaites) après avoir été limogé par les Lakers (14 victoires, 25 défaites).

Vernon Ullman a ramené son DC-3 au bercail lorsque le champ de maïs fut dégagé au bulldozer moins d’une semaine plus tard. À la grande surprise de tous, son permis de vol lui a été retiré après l’incident. Les joueurs l’ont remercié en lui offrant 50 $ chacun, une grosse somme à l’époque. Ullman est mort d’une tumeur au cerveau en mars 1965 ; les Lakers lui ont rendu hommage en offrant à sa femme Eva Olofson (qui était la seule hôtesse de l’air de l’avion) une plaque portant l’inscription : « Au Colonel Vernon Ullman : puissiez-vous atterrir aussi bien pour l’éternité. »