Des difficultés d’établir un classement (2)

La difficulté principale lorsque l’on veut dresser la liste des meilleurs joueurs de l’histoire de basket-ball est de trouver une base de classement. Le basket-ball étant un sport collectif, un joueur plus talentueux que ses pairs ne pourra remporter un titre sans l’aide de ses coéquipiers, même s’il est largement au-dessus. Il faut bien comprendre la différence entre les qualités individuelles d’un joueur, qui déterminent sa valeur intrinsèque, et ses aptitudes collectives.

Prenons un exemple simple. En matière d’excellence, de qualités athlétiques et de talent pur, Kobe Bryant est probablement l’un des meilleurs basketteurs de l’histoire. Mais il avait un ego surdimensionné, s’est embrouillé avec un grand nombre de ses coéquipiers, monopolisait le ballon trop souvent, est responsable de l’explosion des Lakers du début des années 2000, a plombé son équipe en fin de carrière avec des prétentions salariales trop élevées, et j’en passe. En dépit de tout cela, il a quand même réussi à obtenir cinq titres, ce qui démontre à quel point il était talentueux. Mais peut-on le classer au-dessus d’un Tim Duncan, ou même d’un John Havlicek, deux joueurs que n’importe qui rêverait d’avoir comme coéquipier ?

La réponse est non. Le talent ne suffit pas pour définir la valeur d’un joueur. Entre deux joueurs extraordinaires, le meilleur est celui qui a su exploiter au mieux ses qualités durant sa carrière, en s’intégrant totalement dans le jeu et la philosophie de son équipe, le tout dans un seul et unique but : remporter la victoire. Dans un sens, le classement établi sur ce site sera celui des carrières les plus accomplies.

Pour estimer la valeur d’un joueur dans notre futur classement, nous allons nous poser les questions suivantes :

  1. Ce joueur a-t-il transcendé son sport ? A-t-il été révolutionnaire ? Était-il adulé par les fans ? A-t-il atteint un niveau de jeu hors du commun ? Y a-t-il eu d’autres joueurs comme lui ?
  2. Ce joueur avait-il au moins deux qualités remarquables dont tout le monde se rappelle ?
  3. Ce joueur faisait-il la différence au sein d’une bonne équipe ? Élevait-il son niveau de jeu quand il le fallait ? Si votre vie dépendait d’un match, voudriez-vous l’avoir dans votre équipe ? Lui feriez-vous aveuglément confiance dans les deux dernières minutes d’un match décisif ?
  4. Ce joueur a-t-il fait partie du premier ou du deuxième cinq majeur de la NBA durant sa carrière ? Si la réponse est non, il vaut mieux qu’il ait une bonne raison, comme Nate Thurmond, qui ne l’a pas été pour la simple et bonne raison qu’il a croisé les routes de Kareem Abdul-Jabbar, Wilt Chamberlain, Dave Cowens, Wes Unseld et Willis Reed.
  5. À quel point ce joueur a-t-il fait passer l’équipe avant sa gloire personnelle ? (Plus de détails dans un article à venir concernant le « Secret »).
  6. Ce joueur a-t-il été un excellent coéquipier, un coéquipier moyen, un coéquipier médiocre ou un égoïste complet ?
  7. Être dans la même équipe que ce joueur aurait-il été ennuyeux, moyen, bien ou formidable ?
  8. Les statistiques de ce joueur sont-elles trompeuses ? Ont-elles été affectées par son époque ? Car les statistiques sont utiles, mais elles n’informent pas sur les véritables qualités défensives d’un joueur par exemple.
  9. Ce joueur a-t-il été transféré au sommet de sa carrière ? Si oui, pourquoi ?
  10. Quelle serait la place d’un ancien joueur dans la NBA d’aujourd’hui ? (Déjà évoqué dans l’article précédent.)

À partir de là, plutôt que de faire un classement avec une première, une deuxième, une centième place, nous allons diviser les joueurs en huit niveaux, en commençant par le plus bas (les numéros de place attribués au sein des niveaux seront purement indicatifs) :

Niveau 7. Regroupe cinq joueurs (un pour chaque poste) servant de borne, qui permettent d’évaluer la candidature d’un joueur dans le classement en se demandant tout simplement : « Était-il meilleur que… ? »

Niveau 6.  Regroupe cinq joueurs (un nombre totalement arbitraire) toujours en activité, dont la carrière n’a pas encore été assez longue pour pouvoir les classer avec certitude. Exemple : Stephen Curry.

Niveau 5. Comprend des joueurs entrés de justesse au Hall of Fame, soit pour avoir eu une grosse carrière trop courte, soit pour avoir été toujours très bons mais jamais excellents, soit pour avoir eu une carrière mémorable, mais aucun palmarès.

Niveau 4. Regroupe les Hall of Famers qui ne peuvent faire partie du niveau supérieur pour l’une de ces cinq raisons : ils n’ont jamais remporté un titre en tant que joueur d’élite ; il manque quelque chose au niveau de leurs statistiques en carrière ; ils n’ont jamais fait partie pendant deux ou trois ans des cinq meilleurs joueurs de la ligue ; il y avait à leur époque au moins deux ou trois joueurs meilleurs à leur poste ; leur carrière a été raccourcie par les blessures et/ou a rapidement décliné.

Niveau 3. Comprend des Hall of Famers ayant été considérés durant leur carrière comme l’un des meilleurs joueurs du monde, et ayant remporté au moins un titre de MVP.

Niveau 2. Regroupe les joueurs systématiquement évoqués dans un débat sur les cinq meilleurs joueurs de l’Histoire à leur poste, qui ont durablement marqué les esprits par des matchs transcendants ou des actions mémorables, et ont éventuellement été les meilleurs de tous les temps dans un domaine précis.

Niveau 1. Regroupe les joueurs ayant profondément marqué l’Histoire du basket, ayant acquis le statut de légende, et systématiquement évoqués dans un débat sur les meilleurs de tous les temps à leur poste.

Niveau 0. Ces joueurs possèdent les mêmes caractéristiques que ceux du Niveau 1, mais ont une particularité unique qui les place encore au-dessus, tout en haut du Panthéon du basket : le facteur de quasi-invincibilité. Il y en a deux. Vous pouvez deviner de qui il s’agit.

Ce classement ne dit pas d’un point de vue absolu qu’un joueur était meilleur qu’un autre. Un joueur de niveau 3 pourra être meilleur individuellement qu’un joueur de niveau 2. Mais le joueur de niveau 2 aura été meilleur globalement car il aura fait une meilleure carrière. Si vous avez encore besoin d’explications là-dessus, relisez le deuxième paragraphe. Ça devrait être clair, non ?

Évidemment, le classement établi aujourd’hui – en 2016 – sera appelé à évoluer. Rendez-vous dans plusieurs années pour la mise à jour.

Des difficultés d’établir un classement (1)

Disons les choses telles qu’elles sont : ce site, consacré au basket, est éminemment perfectible. Sa forme n’est pas définitive et on peut s’attendre à ce qu’il y ait beaucoup de changements. Mais pour l’heure, voici quelques-unes des rubriques qui y sont développées :

  • « Histoire » : retrace l’évolution de la NBA de 1946 à 2016, avec tous les changements de règle importants et les innovations cruciales qui ont amené la NBA là où elle se trouve aujourd’hui.
  • « Destins » : les 25 décisions et événements qui ont eu de grosses conséquences sur le destin d’un joueur ou d’une équipe, classés par ordre d’importance.
  • « Dossiers » : un gros plan sur une période, une équipe ou un événement historique.
  • « Top 10 » : un classement totalement arbitraire des 10 meilleurs joueurs d’une catégorie plus ou moins fantaisiste.
  • « Les miscellanées de la NBA » : une rubrique fourre-tout constituée d’une série d’anecdotes et d’histoires sans rapport entre elles concernant la NBA.
  • « Les 100 meilleurs joueurs » et « Les 10 meilleures équipes » : un classement des 100 meilleurs joueurs et des 10 meilleures équipes de tous les temps.

La dernière rubrique est probablement celle qui prête le plus à débat. En effet, comment juger les meilleurs joueurs et les meilleures équipes sur une longue période de temps ? À quel niveau d’excellence le jeu d’une équipe ou d’un joueur pourrait-il se traduire à l’époque moderne ? Wilt Chamberlain serait-il capable de nos jours de faire une saison à 50 points de moyenne ? Bill Russell et les Celtics des années 60 gagneraient-ils autant de titres aujourd’hui ? En résumé : comment peut-on mettre tout cela en perspective ?

On ne peut répondre à cette question sans tenir compte du contexte. Prenons un exemple simple, celui des sitcoms, ces séries télévisées comiques d’une vingtaine de minutes. Le cadre dans lequel évoluent les personnages, les dialogues et les différentes blagues sont le reflet de leur époque. Si vous regardez aujourd’hui pour la première fois un épisode de Arnold et Willy – une comédie familiale des populaire des années 80 – vous n’allez pas trouver ça très drôle. On a peine à croire qu’il s’agit de l’une des séries les plus populaires de son temps. C’était pourtant le cas, car les téléspectateurs pouvaient s’identifier aux personnages et à la place qu’ils occupaient dans la société. Aujourd’hui, la comédie familiale a totalement disparu des écrans ; elle a été remplacée par des séries qui sont le reflet de notre époque contemporaine et des transformations sociales. Et un enfant qui regarde aujourd’hui Arnold et Willy ne l’appréciera pas à sa pleine mesure – du moins, pas autant qu’un enfant l’ayant regardée dans les années 80.

Pour faire le lien avec le basket, voici ce que dit Bill Simmons, dans le chapitre six du Book of Basketball  :

Supposons que le Wilt de 1961 joue en 2009 contre des athlètes modernes, forts et rapides. Ces derniers ne pourraient-ils pas le contenir ou le ralentir ? Il pourrait aujourd’hui marquer 20 points et prendre 10 rebonds par match, ou même 25 points et 14 rebonds, mais avec un niveau de jeu plus élevé, une défense plus intelligente, des stratégies de jeu complexes et des changements de règles qui le défavorisent, les poules auraient des dents avant que le Wilt de 1962 ne marque 100 points en un seul match. Wilt alignait des statistiques à couper le souffle principalement parce que c’était un big man incroyablement athlétique qui s’amusait avec une concurrence largement inférieure en taille. On pourrait dire qu’il était physiquement en avance son temps. Cela ne rabaisse-t-il pas sa valeur ? Devons-nous ignorer le fait que Shaq, en 2000, a peut-être dépassé les statistiques de Wilt en 1962 ? Wilt n’a-t-il pas eu de la chance de ne pas être né dix ans plus tard ? Russell […] aurait-il dominé comme en 1959 ? Bien sûr que non. N’oubliez pas que les stars du vingt-et-unième siècle sont des versions améliorées des meilleurs joueurs des années 50 et 60. Prenons Steve Nash et Bob Cousy. Nash est un bien meilleur tireur, il est plus athlétique, plus dur, il fait plus d’efforts en défense, il est plus doué d’un point de vue technique… En fait, il est tout simplement meilleur. Mais aucun de ses accomplissements ne s’approche de ceux de Cousy, pas plus qu’il n’a eu l’impact qu’a eu Cousy sur sa génération (en tant que joueur, en tant qu’homme, en tant que gagnant, en tant qu’innovateur). Alors, comment pouvons-nous juger les meilleurs joueurs ? En fin de compte, c’est comme comparer une Porsche de 2009 avec une Porsche de 1962 : la Porsche de 2009 gagnerait facilement si les véhicules faisaient une course, mais la Porsche de 1962 était une voiture plus révolutionnaire. Ainsi, le modèle Nash répond à la question : « Qui étaient les meilleurs joueurs de tous les temps ? », mais le modèle Cooz répond à la question : « Qui étaient les joueurs les plus révolutionnaires de tous les temps ? ». Et les deux sont importantes. (Bill Simmons, The Book of Basketball)

Une observation que nous prendrons en compte et qui sera évoquée dans l’article suivant.