#13 : Webber, l’erreur du Magic

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Les quelques instants durant lesquels Chris Webber fut un joueur d’Orlando. (1)

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17 mai 1992. Jour de loterie pour déterminer l’ordre de sélection des équipes NBA à la prochaine draft. Le gros lot à gagner est Shaquille O’Neal, annoncé avec retentissement comme la prochaine grande vedette de la NBA. Les équipes ayant le plus de chance d’obtenir le premier choix sont celles qui sortent d’une saison catastrophique : le Magic d’Orlando (21 victoires pour 61 défaites) et les Minnesota Timberwolves (qui ont fait encore pire avec un bilan de 15 victoires pour 67 défaites). À moins d’une énorme surprise, le premier choix – et donc, le Shaq – devrait revenir à l’une de ces deux équipes.

La loterie se déroule de manière tout à fait conventionnelle. Le sort favorise Orlando ; les Wolves sont déçus, mais après tout, le Magic avait presque autant de chances qu’eux de remporter la mise. Un mois plus tard, le 24 juin 1992, Orlando sélectionne sans surprise Shaquille O’Neal en premier choix de draft. Son apport est immédiat : le Magic termine la saison avec vingt victoires de plus et un bilan équilibré (41 victoires, 41 défaites).

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Du fait de ce bilan, les chances du Magic d’arriver en tête lors de la loterie 1993 sont extrêmement réduites. Leurs chances d’obtenir le premier choix ne sont que de… 1,5 %, soit 1 chance sur 66. Dallas (11-71), Minnesota (19-63) et Washington (22-60) sont les équipes les mieux placées pour emporter le premier choix. Et avoir la priorité sur l’un des très talentueux joueurs de la cuvée 1993.

Contrairement à O’Neal, qui était largement supérieur à tous ses concurrents dans sa classe de draft, aucun joueur ne se détache vraiment. Le géant mormon Shawn Bradley a la faveur des pronostics, mais les deux années sabbatiques qu’il a prises pour aller en mission en Australie ont fait fortement baisser sa cote. Chris Webber, ailier fort explosif de l’université de Michigan, est au coude-à-coude avec lui. Derrière les deux hommes, Jamal Mashburn, Anfernee Hardaway et Rodney Rodgers sont pressentis pour compléter le top 5. Aucun de ces joueurs n’a le potentiel de O’Neal, mais tous sont très prometteurs, et n’importe quelle équipe se déclarerait ravie de les compter dans leurs rangs.

Lorsque les résultats de la loterie sont annoncés, c’est la stupeur. Orlando a obtenu le premier choix de draft pour la deuxième année consécutive !

Comment une telle chose a-t-elle pu arriver alors que ses chances étaient plus que réduites ? La réponse tient en deux mots : le hasard (2). Pour Orlando, il fait bien les choses, mais les autres équipes font grise mine. Car elles savent très bien ce qui les attend. Chris Webber est le complément idéal pour Shaq : un excellent passeur qui peut jouer poste haut, prendre des rebonds, bien couvrir le terrain et défendre sous le cercle. La loterie terminée, chacun se demande qui pourra rivaliser avec Shaq, Webber, Nick Anderson, Dennis Scott et Dieu sait qui d’autre dans les dix à douze prochaines années.

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Le soir de la draft 1993, qui se déroule dans le Michigan, tout se déroule selon les prévisions : Webber est drafté en première position par Orlando sous les acclamations de la foule. Shawn Bradley est sélectionné en deuxième position par Philadelphie, Anferenee Hardaway en troisième position par les Warriors, et Jamal Mashburn est le quatrième choix de Dallas.

Et puis…

Le commissionnaire David Stern arrive sur le podium et lance :

« Mesdames et messieurs, je vous informe qu’un échange vient d’avoir lieu. »

Le directeur général du Magic, Pat Williams, vient d’échanger Webber à Golden State contre Hardaway et des choix de premier tour en 1996, 1998 et 2000. La draft terminée, la quasi-totalité des médias descend Williams en flammes, et une émeute est à deux doigts d’éclater dans la ville d’Orlando. Mais pourquoi une décision aussi absurde ?

En dehors du fait que Golden State tenait absolument à mettre la main sur un big man (Webber ou Bradley), il semble que Williams ait été fortement influencé par la séance d’entraînement de Penny Hardaway juste avant la draft. Il la décrira plus tard de cette façon :

« Je n’ai jamais vu quelqu’un arriver sur le parquet et faire ce que Penny Hardaway a fait au cours de cette séance d’entraînement. »

La question qui vient immédiatement à l’esprit est la suivante : Qu’est-ce que Hardaway a pu faire au cours de cette unique séance d’entraînement au point de priver le Magic d’un combo Webber / Shaq ?

Personne ne le sait. Aucun trade NBA n’a été plus commenté, n’a eu une pareille influence sur une période de dix ans et n’a engendré davantage de questions.

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Alors, comment les choses ont-elles tourné pour les deux hommes ? Eh bien, au départ, tout s’est plutôt bien passé pour le Magic. Hardaway a dépassé les attentes de tout le monde, a mené Orlando jusqu’aux finales de 1995, et a fait son entrée dans le cinq majeur de la NBA. Puis il s’est disputé avec Shaq, qui s’est empressé de partir aux Lakers, est passé d’un meneur de jeu altruiste à un scoreur égoïste et s’est bousillé le genou à Phoenix. Au total, Hardaway n’aura connu que deux bonnes années et a contribué à la perte de Shaq pour une équipe d’Orlando qui retombera rapidement dans les bas-fonds. Pas vraiment génial.

Pour sa première année en NBA (une saison à 50 victoires dans laquelle Tim Hardaway se remettait d’un ligament déchiré), Webber n’a pas cessé de se disputer avec l’entraîneur des Warriors, Don Nelson, qui s’obstinait à le faire jouer pivot alors que Webber voulait être ailier. L’année suivante, Hardaway est revenu et il a rejoint une équipe très intéressante composée de Webber, Latrell Sprewell (qui faisait partie du cinq majeur de la NBA en 1994), Chris Mullin (juste après son pic de forme), Rony Seikaly, Avery Johnson et Chris Gatling… Plutôt pas mal, non ? Mais Webber s’en fichait ; il avait une clause de sortie et voulait partir. Embarrassés par son attitude et les histoires de Shawn Kemp, les Warriors l’ont échangé à Washington contre Tom Gugliotta et trois choix de premier tour, ce qui a fait beaucoup de mal à sa carrière.

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Alors, que serait-il arrivé si Orlando avait gardé Webber ?

  • Est-ce que Shaq s’en va après la saison 1996 ? (Impossible à dire.)
  • Webber serait-il devenu pour Shaq ce que Robin est à Batman ? (Peut-être.)
  • Qui le Magic aurait-il ciblé avec sa marge salariale de 1994 en lieu et place de Horace Grant ? (Detlef Schrempf ? Steve Kerr ?)
  • Le Magic serait-il arrivé en finale en 1995 avec Shaq, Webber, Scott, Anderson, Brian Shaw et deux agents libres ? (On peut légitimement le penser.)
  • Aurait-il eu de meilleures chances contre les Rockets de 1995 avec cette équipe ? (Largement.)

Et pendant ce que temps, que devient Penny Hardaway ? Eh bien, il supplée son homonyme Tim dans l’équipe des Warriors précitée à 50 victoires, s’épanouit au sein du système offensif de Nelson avec Sprewell, Mullin et Owens, et entre – peut-être – au Hall of Fame de la NBA.

Webber et Hardaway sont les deux plus grands talents de la NBA qui n’ont jamais atteint leur potentiel pour des raisons difficilement explicables. S’il n’y avait jamais eu cet échange, peut-être que l’un d’entre eux (ou les deux) aurait réussi. Nous les mettrons titulaires dans l’équipe All-Stars de la rubrique « Destins ».


(1) Source : http://www.nba.com

(2) En raison de ce coup du sort, les règles de la loterie ont été modifiées afin que l’équipe la plus mauvaise ait 25 % de chances de remporter le premier choix, et les chances de succès de la moins mauvaise sont passées de 1,6 % à 0,5 %.

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