L’intégration de la ligne à trois points

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Le tir à trois points de Ray Allen contre les Spurs lors de la finale de 2013. Sans lui, Miami aurait perdu le titre. (1)

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On l’a vu en 2016 avec l’équipe des Warriors : pour peu qu’une équipe possède d’excellents shooters, les paniers à trois points lui garantiront des victoires plus faciles. En raison de son incroyable réussite à longue distance, on parle beaucoup aujourd’hui de Stephen Curry comme du plus grand shooter de l’histoire, mais on oublie souvent que la ligne à trois points n’est apparue en NBA qu’à l’aube des années 80, et que d’anciens joueurs comme Pete Maravich pourraient également prétendre à ce titre. Sans relancer ce dernier débat, le but de cet article est de comprendre comment la ligne à trois points s’est progressivement intégrée au jeu, jusqu’à devenir partie intégrante du basket-ball.

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Avant de faire son apparition en NBA, la ligne à trois points a d’abord existé au sein de ligues dissidentes de basket-ball professionnel, comme l’ABA ou l’ABL d’Abe Saperstein. Comprenant qu’il était difficile de rivaliser avec la toute-puissante NBA sans faire preuve d’originalité, les dirigeants et responsables avaient trouvé ce moyen (entre autres) pour rendre le jeu attractif et attirer du monde.

À l’origine, l’idée de la ligne à trois points remonte aux années 20 ; elle provient d’un légendaire athlète de l’université d’Indiana devenu par la suite entraîneur de basket, Herman « Suz » Sayger. Celui-ci avait imaginé la ligne à trois points pour rentabiliser les tirs lointains et donner un rôle plus important aux arrières, tout en laissant les pivots batailler dans la raquette. L’innovation fut moyennement accueillie ; des tests furent tentés au niveau secondaire et universitaire avant que l’ABL et l’ABA ne reprennent l’idée de Sayger. Après la fusion ABA-NBA en 1976, trois années passeront, au cours desquelles les joueurs en provenance de l’ABA devront apprendre à se passer de la ligne à trois points. Puis, en 1979, la NBA décide finalement d’intégrer cette dernière.

L’adaptation fut-elle facile ? Nullement. Croyez-le ou non, il a fallu huit bonnes années avant que la ligne des trois points fasse partie intégrante du jeu. Remontons ensemble le temps :

1980

Personne n’ose réellement se jeter à l’eau. La moyenne des tentatives de tirs à trois points par match NBA est inférieure à six. Sur l’ensemble de la saison, seuls douze joueurs tentent plus de 100 tirs à trois points et deux seulement en tentent plus de 200 : Rick Barry (221) et Brian Taylor (239). Pour finir, cinq joueurs à peine ont un pourcentage de réussite supérieur à 38 %. Malgré tout, des joueurs en apparence « ordinaires » commencent à prendre de la valeur par leur adresse à longue distance, et la foule les applaudit bruyamment à chaque panier à trois points marqué. Chris Ford, l’arrière des Celtics, auteur du premier panier à trois points de l’histoire de la NBA en octobre 1979, est un de ceux-là (43 % de réussite à trois points en 1980).

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : celui réussi par Julius Erving lors du Match 3 des Finales NBA de 1980. Il illustre bien les difficultés des joueurs à l’époque : c’est le seul tir à trois points marqué sur les six matchs de la série !

1981

La mayonnaise ne prend pas. Les tentatives de tir à trois points tombent à quatre par match. La moyenne de la ligue chute de 28 % à 24,5 %. Le joueur ayant tenté le plus de tirs à trois points ? Mike Bratz, avec 169 tentatives à peine. En dehors de Brian Taylor (38,3 % de réussite), personne n’arrive à dépasser les 34 % de réussite.

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : celui marqué en coin par Larry Bird dans le Match 6 des Finales, à 1’20 de la fin, pour donner aux Celtics un avantage de six points (97-91) et sceller la victoire et le titre.

1982

La frilosité perdure. Seuls quatre joueurs tentent plus de 100 tirs à trois points.

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : l’énorme tir à 9,15 m marqué par Frankie Johnson dans le Match 5 de la série entre les Celtics et les Bullets. Après avoir ferraillé avec Gerald Henderson pendant tout le quatrième quart-temps, Johnson a fini par s’énerver et a enfilé trois tirs à trois points d’affilée (dont le fameux tir à 9,15 m) pour arracher la prolongation. Celle-ci sera suivie d’une autre avant que Boston ne l’emporte.

1983

Rien de nouveau. Encore une fois, quatre joueurs seulement tentent plus de 100 tirs à trois points. La moyenne de la ligue chute à un maigre 24 %. Concernant le taux de réussite, Mike Dunleavy termine premier (34 %) et Isiah Thomas deuxième (28 %), ce qui est ironique car il est le pire tireur à longue distance de tous les meneurs modernes.

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : celui, encore une fois, marqué par Julius Erving. En finale face aux Lakers, Philadelphie mène 3-0 et a l’avantage au score dans le Match 4 ; à 59 secondes de la fin, Erving rentre un tir à trois points pour consolider l’avance de son équipe et remporter le titre en finissant par un joli sweep.

1984

La machine commence un peu à se mettre en route. Darrell Griffith, alias « Dr. Dunkenstein », montre qu’il a d’autres qualités que celles décrites par son surnom en réalisant un joli triplé : il mène la ligue au nombre des tentatives à trois points (252), au nombre de trois points réussis (91) et au pourcentage de réussite à trois points (36,1 %).

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : aucun.

1985

Les tentatives à trois points grimpent à 6,2 par match ; la moyenne de la ligue grimpe à 28,2 % de réussite ; quinze joueurs tentent plus de 100 tirs à trois points ; quatre joueurs brisent la marque des 40 % de réussite. Parmi eux, Larry Bird (42,7 %), qui a ajouté le tir à trois points à son arsenal et contribue à le rendre populaire.

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : au choix, l’un des deux tirs mémorables enquillés par Bird lors de son match à 60 points contre Atlanta. Et dire qu’à peine sept jours plus tôt, Kevin McHale avait établi le record de points marqués par un Celtic en un match avec 56 points…

1986

Cette fois, c’est parti et bien parti. L’année 1986 marque le début du premier concours à trois points au All-Star Weekend, que Bird remporte haut la main après avoir affirmé sa victoire à l’avance. Le mois suivant, il marque 25 tirs à trois points sur 34 en dix matchs. À la fin de saison, il mène la ligue au nombre de tentatives (194) et au nombre de réussites (82), mais termine quatrième au pourcentage de réussite (42,3 %). Des spécialistes à trois points qui émergent comme Craig Hodges (45 %), Trent Tucker (44 %), Kyle Macy (41 %), Michael Cooper (39 %) et Dale Ellis (36 %), des joueurs qui couvraient bien le court et ouvraient la peinture. Au-delà de ça, Bird devient le premier à utiliser les trois points comme arme psychologique, en en mettant quatre au quatrième quart-temps du sweep de Boston sur Milwaukee en finale de Conférence.

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : au choix : l’énorme panier de Bird lors du dernier match des Finales contre Houston (dribble en sortie de raquette, prise à trois, retraite vers la ligne de touche devant le banc de Houston, tir à trois points réussi), le tir à trois points au buzzer de Erving (encore lui !) pour battre les Celtics ou l’autre tir à la sirène improbable de Dudley Bradley, qui fait gagner un match de play-offs à son équipe contre Philadelphie. Mais rien ne pourra surpasser l’incroyable buzzer beater de Jeff Malone, que la NBA a utilisé dans des publicités pendant au moins un an. Assurément le meilleur tir à trois points de l’histoire (les mots ne suffisant pas pour décrire ce panier, vous êtes encouragés à aller le voir sur Youtube).

1987

Cette fois, on y est ! Les tentatives de tir à trois points grimpent à près de dix par match, le pourcentage de réussite de la ligue grimpe à plus de 30 %, huit joueurs tentent plus de 200 tirs à trois points et vingt en tentent au moins 1 215.

Le panier à trois points emblématique de cette année-là : le tir à trois points gagnant du Match 4 des Finales de 1987 manqué par Larry Bird. D’accord, ce tir a été manqué, mais il est tellement emblématique qu’on ne pouvait pas ne pas le signaler. Cela aurait pu être le plus célèbre tir à trois points de tous les temps. Dans l’un des tribilliards de documentaires sur la NBA tournés durant cette décennie, Worthy a admis qu’il faisait toujours des cauchemars dans lesquels il voyait ce tir rentrer. Et pourtant, il a gagné la finale avec les Lakers.

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Au total, le processus par lequel les trois points sont devenus des « Threeeeeeeeeeeeee ! » a donc duré huit ans. Un peu plus tard, au milieu des années 90, les joueurs avaient tellement perdu leur adresse que la ligne a été avancée. Mais le pourcentage de réussite des moins maladroits (et il y en avait beaucoup !) a tant crevé le plafond que la ligne a rapidement été remise à sa distance initiale. Et avec l’adresse des joueurs qui ne fait que s’améliorer, on commence à évoquer la création d’une ligne à quatre points. La verra-t-on un jour ?


(1) Source : http://www.metronews.fr