#20 : Bradley ou Barry ?

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Bill Bradley en action sous le maillot des Knicks (1).

Bill Bradley. Ce nom ne dit sans doute pas grand-chose à ceux qui connaissent mal l’histoire de la NBA ; avec le temps, l’histoire de ce joueur et des folles attentes à son sujet est tombée dans l’oubli. Heureusement, il existe des documentaires pour nous rafraîchir la mémoire, comme l’excellent When the Garden was Eden de la série 30 for 30 d’ESPN. Celui-ci rend hommage à la fabuleuse dynastie des New York Knicks des années 70, et nous fait redécouvrir des joueurs bourrés de talent. Bradley fut l’un d’entre eux. Pourtant, le destin aurait pu s’en mêler et changer les choses, pour lui comme pour les Knicks. Voyons cela de plus près.

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Fils d’un banquier du Missouri, William Warren Bradley fait très vite preuve de grandes aptitudes sportives. Il commence le basket-ball à neuf ans et explose littéralement avec l’équipe de son lycée. Doté d’un physique supérieur à celui de ses adversaires, il est rapidement considéré comme le meilleur lycéen basketteur d’Amérique. Son diplôme obtenu, Bradley doit entrer à l’université de Duke, mais une blessure au pied le fait réfléchir à ce qu’il deviendrait si sa carrière de joueur s’arrêtait brutalement. Refusant la bourse offerte par Duke, il décide d’intégrer la prestigieuse université de Princeton.

Pendant quatre ans, Bradley s’impose une discipline sévère ; il étudie dix heures par jour, sans compter les week-ends, joue au basket quatre heures par jour et donne des cours de catéchisme le dimanche. La charge de travail est énorme, mais les résultats ne se font pas attendre : Bradley brille autant en cours que sur le terrain. Ses adversaires l’ont rattrapé et même dépassé physiquement parlant, mais la discipline de fer de Bradley fait la différence en ces temps d’amateurisme. Il est sélectionné dans l’équipe olympique américaine de 1964 et remporte la médaille d’or. Les journaux le surnomment « le Oscar Robertson blanc » et le nom de Bradley est sur toutes les lèvres.

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En 1965, lors de sa dernière année universitaire, Bradley mène Princeton jusqu’au Final Four. Malgré la défaite contre l’équipe de Michigan et son futur équipier Cazzie Russell, son destin est tout tracé. Les New York Knicks, qui le suivent attentivement depuis que Bradley a démontré tous ses talents au Madison Square Garden dans un match contre… Michigan l’année précédente, le veulent absolument. Les 58 points marqués dans le match pour la troisième place du championnat contre Wichita ne font que renforcer ce désir. Sauf que Bradley, qui a obtenu sa thèse en histoire avec mention très bien, a accepté une bourse universitaire pour étudier en Angleterre, à Oxford. Il doit y rester deux ans.

Deux ans, c’est long. Les Knicks décident néanmoins d’attendre. À la draft NBA 1965, ils le sélectionnent prioritairement en tant que territorial pick (un choix qui permettait aux équipes professionnelles de l’époque d’obtenir les droits sur des joueurs dont l’université était située dans les 80 kilomètres de la ville où se situait la franchise). Pendant ses deux années passées en Angleterre, Bradley continue à jouer au basket. Il signe pour une saison à l’Olimpia de Milan, équipe professionnelle de série A italienne, et remporte la coupe d’Europe en 1966. Puis Bradley retourne aux États-Unis et signe dans la foulée l’énorme contrat que lui offrent les Knicks, gagnant au passage le surnom de « Dollar Bill ».

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La question qui se pose est la suivante : valait-il vraiment la peine de choisir Bradley à la draft 1965 sachant qu’il n’allait pas jouer pendant deux ans ? La réponse est clairement non. Bradley présentait plusieurs avantages : c’était une valeur sûre pour attirer du monde (rien qu’en raison de sa couleur de peau) et les Knicks avaient désespérément besoin d’attirer des stars au nom connu. Mais il y a quand même une grosse différence entre attendre un pivot capable de soutenir une franchise comme David Robinson et un ailier lent comme Bradley, non ?

Si Bradley avait été immédiatement disponible, la décision des Knicks aurait été logique, mais les deux ans d’attente ont tout remis à plat. De fait, les débuts de Bradley avec les Knicks seront catastrophiques. Ce jour-là, il y a tellement de monde dans les vestiaires que ses coéquipiers n’ont plus de place pour s’habiller. Le public l’acclame pour tout et n’importe quoi, le forçant à se lever pour saluer. Chaque fois qu’il touche la balle à l’échauffement, on lui fait une ovation. Puis le match commence, et très vite, les gens s’aperçoivent du principal défaut de Bradley : sa lenteur. Régulièrement dépassé par ses adversaires, il commet des fautes, beaucoup de fautes. Au bout d’un mois, les gens cessent de l’acclamer et le noient sous un déluge de critiques. Tout ça pour ça…

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Soyons clair : Bradley n’est aucunement responsable de sa situation. Lucide quant à son véritable niveau, il a toujours su qu’il n’était pas le futur grand joueur Blanc que les journaux décrivaient. Les Knicks ont simplement été aveuglés par le bruit autour de sa personne, comparable à celui autour de Jeremy Lin bien des années plus tard. Bradley fera une carrière très correcte, passera dix ans chez les Knicks, et il aura été suffisamment bon pour avoir l’honneur d’avoir son numéro retiré. Mais qu’a-t-il laissé dans les mémoires ?

Ce qui nous amène à la question suivante : et si, au lieu de Bradley, les Knicks avaient choisi Rick Barry à la draft NBA de 1965 ?

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C’était possible. Les Knicks avaient terminé la saison à la dernière place de leur division et s’étaient vus attribuer deux des quatre premiers choix de la draft. Mais à l’époque, les équipes pouvaient renoncer à leur choix de premier tour pour prendre un territorial pick. En choisissant Bradley, New York a laissé passer sa chance de prendre Barry, qui a été pris par le cancre de l’autre division, les San Francisco Warriors.

Bon, il y avait peu de chance que les Knicks choisissent Barry, en raison de la popularité de Bradley et parce que les scouts craignaient que Barry soit trop maigre pour faire une carrière professionnelle (sans commentaires). N’empêche : si les Knicks avaient pris Barry, peut-être que la saison 1970 si chère à leur cœur ne serait jamais arrivée, mais peut-être que la cote de Barry ne serait jamais descendue aussi bas et il n’aurait pas stupidement décidé d’aller en ABA (et perdre trois de ses meilleures années à cause de blessures et de poursuites judiciaires).

Cela dit, Barry est le deuxième meilleur ailier passeur de tous les temps derrière Larry Bird ; si quelqu’un aurait pu s’intégrer facilement dans ces équipes des Knicks, c’est bien lui. À moins que son caractère épouvantable ne fasse imploser l’équipe. Difficile à dire.

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Finalement, on ne peut être sûr que de ceci : soit Barry devenait l’un des plus grands joueurs de tous les temps et une icône à New York, ou était méprisé par toute la ville, se faisait casser la figure par Willis Reed après un regard de travers sur une passe relâchée, et était expulsé de l’équipe après quelques mois. Il n’y a pas d’autre alternative. Quant à savoir ce qui aurait eu plus de chances d’arriver, chacun est juge.


(1) Source : http://www.nba.com